Ses yeux rouges se plongeaient une fois de plus dans la voûte céleste d'encre opaque.
Rien. Il n'y avait rien dans les cieux. Il n'y avait jamais rien eu.

Il abaissa son regard vers l'intruse, qui rangeait lentement ses énormes ailes de flammes noires dans son dos. Les deux lueurs écarlates sondèrent à présent les yeux apeurés mais curieux de cette créature.

« Bon...bonjour... », balbutia cet être étrange, ouvrant le dialogue.
Son Altesse lui répondit avec une voix étonnement douce, contrastant avec son apparence plus noire que la nuit:

- Regarde autour de toi, créature.

Cette dernière s'exécuta, ses yeux se plongeant dans la voûte céleste vide.

- Dis-moi ce que tu vois, créature.

- Je... ne vois rien...

- Exactement, appuya-t-il.
Observe autour de toi, et admire encore ce Royaume. Mon Royaume. Le Néant.
Rien. Rien d'autre que le froid et les ténèbres.
C'est sur quoi je règne.
Je règne sur ce monde vide et sans couleurs.
Mais je ne faiblis pas.
Mon éclat subsiste.
Je continue à me battre pour mon peuple.
Nous sommes des milliers, des millions d'ombres rampantes et grouillantes, perdues dans ce vide, privées de vie, privées d'espoir.
Nous avons quémandé pitié pour sortir de cet enfer.
Vous, vous tous nous avez tous laissé dans cet abîme.
Mais nous n'avons pas abandonné.
Nous n'avons pas cessé de nous battre.
Je n'ai jamais perdu mon éclat, au cœur des ténèbres.
Ceux qui viennent de vos mondes nous décrivent ce qui garde son éclat, au cœur de la nuit. Vous les appelez... étoiles, c'est cela ?

Quand vous levez les yeux vers votre ciel, vous avez un soleil qui vous éclaire et vous guide.
Le seul soleil qui brille pour nous, crache ses ténèbres engloutissantes pour nous plonger dans les abysses.
Quand vous manquez de lumière, vous créez le même feu qui allume vos jours, et vous portez des torches pour déchirer la nuit qui vous entoure.
Le seul feu qui brûle dans ce monde maudit ne fait que dévorer les rares lueurs qui nous font encore tenir debout. »
Le Roi, accompagnant son discours, invoqua une sphère de flammes noires dans une de ses mains, un feu qui aspirait les rares images perceptibles comme un trou noir.
Yrktral referma cette main en étouffant ses flammes entre ses doigts.

« Quand, dans votre monde, la nuit tombe et avale la lumière, il vous reste toujours, dans votre ciel, une traînée de ces lumières lointaines que vous appelez les étoiles.
Quand vous êtes perdus, les étoiles vous guident.
Quand vous avez peur, elles vous rassurent.
Quand la nuit vous obombre dans ces ténèbres coutumières, les étoiles brillent au dessus de vous et vous donnent de l'espoir.
Nous n'avons pas le droit à la lumière.
Nous n'avons pas le droit aux étoiles.
Nous n'avons pas le droit à l'espoir.

De quel droit... n'avons nous pas le droit à l'espoir ?
Saches et retiens que mon nom est Yrktral, créature. Roi des Ombres Rampantes, Horde Singulière et Étoile au cœur de la Nuit. Qui es-tu ? »

La fée semblait certes intimidée par le discours et la carrure du dénommé Yrktral.
Mais alors que ses yeux auraient dû être emplis de peur, l'on n'y lisait que de la compassion envers le Roi.
« Je suis...

Elle hésita quelques secondes.
- Je suis Makabra. » finit-elle par dire.
Vous... vous êtes bloqués dans ce monde ?, demanda-t-elle timidement à l'Étoile nocturne.

- Depuis toujours.

- Les squelettes ne peuvent pas vous aider à sortir ?

Les yeux de flammes du Roi se plissèrent, leur très faible éclat gagnant pour un très court instant l'étincelle évidente de la colère.
- Eux, comme beaucoup d'autres, ne se rendent en ces terres maudites par les Ténèbres que pour nous traquer. Ils emportent leur "moitié" avec eux.
Chaque créature vivante, quelle qu'elle soit, possède ici-bas une Ombre qui lui est associé. Pour certaines races, réunir les deux moitiés déclenche l'acquisition de pouvoirs surpuissants. Pour d'autres, cela provoque une mort particulièrement longue et douloureuse.

Mais dans tous les cas, la réunion des deux moitiés amène à la destruction irrémédiable de l'Ombre, au dépend de l'autre créature. Ils le savent. Ils le savent tous. Mais ils viennent quand même.

Pourquoi es-tu ici, petite créature ? Il n'y a que peu de compagnie, ici, alors parle, je t'en prie.

- Je cherchais des terres de légendes.

- As-tu découvert ce que à quoi tu t'attendais ?

- Non... »

La Horde Singulière invita d'un mouvement de main la nouvellement nommée Makabra à marcher un peu sur ses landes vides et lisses.
« Et maintenant, que comptez-vous faire en ces lieux ?

- Y a-t-il quelque chose à voir ici ?

- Rien de plus que vous n'ayez déjà vu. Vous avez bien dit rechercher des terres de Légendes ?

- Oui ! Vous sauriez m'y emmener ?

- Je connais tous les lieux de passage d'ici-bas... j'aurais été ravi de faire votre connaissance, Makabra. Les temps sont bien long, sans compagnie.
Je connais des mondes que vous n'imaginez même pas, mais je ne pourrais jamais m'y rendre.

- Des mondes autres qu'Okmyzmo ?

- Les mots vous appartiennent. Mais nos idées sont les mêmes.

La fée réfléchit un instant. Ce qu'elle cherchait, c'était bien de nouvelles terres, de nouveaux peuples, un nouveau monde...
Mais elle avait une nouvelle mission.

- D'accord, Yrktral. Mais je te jure, Étoile Singulière, que qu'importe où j'irai, je mettrais tout en œuvre pour libérer votre peuple.

- Vous le feriez ?

- Tout ce qui est en mon pouvoir.

- Soit. Je connais un endroit qui mène vers un monde que l'on nomme Estydaar. »