Chapitre 11 - Yrktral
Tout un groupe de petits squelettes entourait la fée, alors qu'elle était au centre d'un grand autel circulaire.
Le ciel, comme à son habitude en ces lieux, était d'un noir profond, troué d'une lune orangeâtre. De gigantesques côtes, hautes comme des montagnes, s'élevaient vers le ciel et se courbaient vers elle. Les squelettes lui avaient expliqué que ces colossaux fossiles étaient les restes des premiers Géants, morts pour défendre ces terres.
Si c'était vrai, Mabaïka avait grand mal à s'imaginer quiconque terrasser une telle force de la nature.
Debout, les Géants auraient pu dépasser la Brume, et décrocher la Lune.
Les chamanes autour d'elle arboraient sur la blancheur lactée de leurs os des couleurs luminescentes, des peintures mystiques bleues, vertes, rouges... certains avaient même enduits le fond de leurs orbites d'une cire pyrofuge pour lancer des regards de flammes.
Une sorte d'hymne s'éleva dans le groupe, lourde prière portée par les êtres sans chairs.
Un des chamanes posa une torche de feu vert au centre de l'autel, qui s'embrasa presque instantanément.
Mabaïka serra très fort la petite lanterne rituelle qu'on lui avait offerte.
« Puissiez-vous ne pas vous égarer parmi les Ombres... »
Le brasier spectral lançait ses lueurs par à-coup, comme un nuage de foudre éclaterait à chaque éclair.
La fée, ainsi que quatre squelettes couverts de peintures de guerre et armés de pieux taillés, étaient positionnés autour des rituelles flammes.
L'un des squelettes s'avança dans le feu, son ombre s'étirant de plus en plus jusqu'à ce qu'il soit englouti par la pyrique entité.
Un autre s'y engouffra.
Les chamanes scrutaient de leurs regards embrasés la petite fée, à qui ils avaient offert une robe moins déchirée pour le rituel.
C'était son tour.
Malgré la tétanie qu'elle ressentait face aux flammes dansantes, ses jambes de pierres la portaient, pas après pas, la conduisant droit vers le sombre brasier. "Sombrasier", ne put-elle pas s'empêcher de penser, son esprit concevant sans cesse des mots-valises pour décrire ce qu'elle ne comprenait pas.
Malgré la distance qui se diminuait de plus en plus entre elle et les flammes, la chaleur n'augmentait pas. Elle ne baissait pas non plus; le sombrasier ne semblait pas affecter d'aucune sorte la température frisquette de la nuit éternelle.
Elle n'était plus très loin. Elle pensa à l'île principale, qu'elle avait quitté. À cette grande bibliothèque où elle avait passé des jours entiers. À ses parents.
Les flammes l'enveloppèrent, léchèrent sa robe, s'immisçant entre les gravats de ses jambes, caressant son visage.
Et ce fut le noir.
• ~ •
Les légendes qu'elle avait lu, la raison même de sa venue en ces lieux, n'avaient jamais été très claires sur cette sombre dimension.
À présent, elle comprenait pourquoi.
Elle était toujours au même endroit, semblait-il. En tout cas, ça y ressemblait fortement.
Il y avait toujours un ciel d'encre, toujours les gigantesques côtes des anciens géants, l'autel, tout.
En revanche, il n'y avait personne. Tous les squelettes avaient disparu.
Juste une fée, au cœur même du berceau des Ténèbres. Seule avec sa petite lanterne, dont l'éclat s'amenuisait à vue d'œil.
Soit. Elle était là. Et maintenant ? Sa quête n'était pas finie, si ?
Elle déploya ses ailes, encore légèrement amochées mais parfaitement fonctionnelles, et prit son envol. Depuis le ciel, ce monde était vraiment différent.
En fait, la zone où elle venait d'apparaître, et qui était la copie carbone de l'autel rituel, n'occupait qu'un cercle morcelé d'une vingtaine de mètres de rayon.
Au delà de cet endroit, dont les bords s'effritaient lentement, le Royaume des Ombres se composait de grands plateaux de roches noires lévitant sur une sorte de mer insondable. Alors que la fée avait déjà fait le deuil du jour en accostant sur l'île noire, elle allait bientôt devoir faire celui de la nuit.
Aucun soleil, aucune lune, aucune étoile, pas la moindre source de lumière quelle qu'elle soit autre que sa lanterne. D'ailleurs, même sa lanterne ne brillait plus. Il y avait du feu dedans, pour sûr; elle sentait la chaleur de celui-ci sur ses doigts. Mais de ce feu n'émanait aucune forme de lumière.
Et pourtant, elle voyait. Elle distinguait les formes brisées des îlots de roches, malgré l'absence totale d'éléments lumineux.
Après quelques petites minutes à voleter dans ce ciel obscur, elle commença à se dire que ce monde était désespérément vide. Des ténèbres partout, et puis c'est tout.
Elle se posa sur une des îles, pour chercher quelque chose dans ce néant.
Le sol était lisse comme du verre, comme si quelque chose l'avait tranché net, d'un coup puissant et précis.
Et... toujours rien.
Peut-être y avait-il eu une guerre, ici ? Peut-être qu'il n'y avait jamais rien eu.
D'un autre côté, s'il y avait de la vie, il était normal qu'elle se cache d'elle.
Pour mieux la piéger.
Une force invisible tenta de la soulever par la jambe, mais cette dernière s'arracha en se dispersant en une avalanche de petites roches tintant sur le sol.
Alcane l'avait sauvé de la Poupée, Phkali l'avait sauvé de l'extrémiste, les squelettes l'avaient sauvé des arbronces. Ici, rien ne viendrait la sauver des créatures qui avaient inspiré tant et tant de mythes.
Elle tenta de reprendre son envol pour échapper au danger, mais une puissance étrange la déstabilisa, comme une lourde bourrasque de vent.
Elle retomba donc sur le sol, glissant sur la pierre lisse. Face à elle, une masse informe d'obscurité émergea lentement de la roche, comme une bête marine émergerait des flots.
Deux gigantesques cornes sans couleur dressées sur un visage vide. Deux yeux s'ouvrirent, deux pupilles d'un rouge vif, crachant une fine fumée se dégradant vers le violet sombre. Les seules lumières de ce monde, semblait-il. La fée clouée au sol par la peur ne pouvait pas détacher son regard de celui de la créature, comme si ses yeux étaient aspirés dans cette frêle lueur.
L'être demeura immobile, comme curieux. Il dévisageait l'intruse, dans une attitude de découverte. Mabaïka se releva prudemment, observant la masse d'ombre en retour.
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