Chapitre 10 - d'Os et d'Âmes
Les ronces lui lacéraient la peau; sa peau pâle et douce se teintait de giclées de rouge, sa robe blanche sale s'arrachait par lambeaux entiers sur les épines vicieuses de ces noires ronceraies.
Elle sentait sa fin venir, tout comme elle sentait que ses maudites jambes de gravats n'allaient pas tarder à perdre toute cohérence, comme ça lui arrivait souvent dans les pires situations.
Derrière elle, le monstrueux arbre aux pendus la coursait encore, et ses racines à lui ne risquaient pas de s'effondrer dans sa traque.
Dans leur course, de nombreux autres arbres, bien que plus petits que celui de la clairière, s'éveillèrent également et se joignirent à la poursuite. Elle allait mourir dévorée par des arbres... quelle mort pathétique, se dit-elle au moment où ses membres de roches cédèrent sous l'effort et se dispersèrent sous les épineux fourrés.
Elle rampa autant qu'elle le put avec ses bras maigrelets, éraflés par des centaines de coupures, se tractant avec peine et douleur sur l'humus urticant de cette forêt maudite.
Sa vue se troubla, le piétinement brutal des racines de ses poursuivants se rapprochait bien trop vite. Quelle idiote elle avait été, jusqu'au bout...
Tout devint noir.
Elle vit des formes blanches flotter devant elle. Tout était complètement flou, alors elle s'imagina que c'étaient des anges. Ça collait pas mal: ils voletaient autour de son âme, qui se sentait bien plus légère...
La douleur n'avait pas disparu. Au contraire, elle sentait de grands coups sur ses joues, à intervalles régulier.
Tout son corps la brûlait. Chacune des coupures qui parsemait son corps était comme un feu vorace qui rongeait sa chair par grandes bouchées. Un mal plus sérieux lui tordait les tripes, comme si quelqu'un avait démoli l'intérieur de son corps.
Tiens, encore un coup à la joue.
Les anges restaient loin, cela dit. Ils ne s'approchaient pas d'elle. Était-elle impure, selon un quelconque système de jugement de valeur ? Elle se sentait rejetée par ces êtres de lumière voltigeant dans le noir.
Une dernière gifle la ramena à ses esprits. La première chose qu'elle remarqua fut ceux qui étaient juste devant elle : des squelettes. Ils étaient trois, et ils étaient debout, sans rien pour relier un os à un autre; leur carcasse se tenait simplement comme si une peau invisible les retenait. Ce qui n'était pas le cas.
Ils étaient de la même taille qu'elle, à savoir vraiment petits par rapport aux moyennes de toutes les autres races. Leurs orbites vides étaient tapissées d'un fond noir, comme une sorte de gomme atténuant le macabre de leur crâne sans peau.
« Et moi je te dis que c'est une Hexe !, scanda l'un des trois en pointant Mabaïka. Elle essaya de balbutier quelques mots mais en fut incapable; c'est à peine si elle semblait consciente.
- Ça ressemble pas, lui répondit un comparse. Les Hexes n'ont pas d'ailes, et viennent toujours avec leurs maudites sphères...
- C'est juste un subterfuge ! Un de leurs fourbes ensorcellements ! C'est une éclaireuse pour un nouveau Sham !!
- On se calme, dit posément le troisième, au chevet de la fée.
Elle se réveille, restons professionnels. »
Les deux chamailleurs se mirent au garde à vous, le troisième squelette resta immobile et serein, son regard sans yeux rivé sur le visage engourdi de la captive.
« Mrrhrmlmjlm, grogna-t-elle en se redressant lentement, ses trop nombreuses coupures lui faisant amèrement regretter chaque mouvement.
- Bien, créature. Les épines des arbronces qui t'ont poursuivi contiennent un poison mortel qui t'achèvera dans des souffrances horribles d'ici une trentaine de minutes, le temps que les germes éclosent et dévorent tes chairs.
Nous avons l'antidote, bien sûr, mais il va falloir nous dire ce que nous voulons. Suis-je clair ?
Elle acquiesça en lâchant une larme, sous la douleur des blessures. La brûlure de celles-ci grandissait de plus en plus.
- Bien. Première question: qu'es-tu ?
Elle essaya de parler mais sa langue lourde ne fit que marmonner un discours inintelligible.
- Tu dois être en train de sentir les germes prendre racine autour de tes nerfs. Dépêche-toi.
- Je... suis... une Alphée, peina-t-elle à prononcer, en articulant exagérément.
- C'est quoi, ça, une Alphée ? Encore une création des Hex ? Les éphémères, les trenchins et les poupées ne leur suffisaient plus ?
- Pas... de l'île... noire..., gémît-elle en se tordant de douleur sur le sol, cernée des trois sacs d'os.
- D'au delà de la Brume ? C'est possible, ça ?
Elle hocha la tête, les larmes étant de plus en plus fréquentes sur ses joues.
- L'œuvre de la Maudite Antaka est donc inutile, quelque part... soit.
Supposons que tu dises la vérité; pourquoi es-tu venue ici ? Ton peuple cherche asile sur l'île ?
- Non... cherche... le Royaume des... Ombres...
Un violent spasme lui faisant presque perdre connaissance, un filet de sang et de larmes fut projeté sur le crâne de l'interrogateur.
Il laissa le liquide rouge couler lentement le long de son visage sans peau, totalement impassible.
« Les graines poussent un peu plus vite que prévu, on dirait. Ton peuple cherche le Royaume des Ombres ?
- Non... juste moi... »
Le squelette resta immobile de longues secondes face à la fée qui mourait à petit feu, se débattant contre ce mal qui la rongeait.
Sa face d'os ne trahissait aucune émotion.
« Il n'y a pas de graines, finit-il par dire. Les épines font juste très mal, mais ne plantent aucun germe. Ça passera dans quelques temps.
Pourquoi cherches-tu le Royaume des Ombres ?
- Découvrir, lâcha Mabaïka dans un dernier effort. Le fait qu'aucun arbre carnivore ne grandissait dans ses blessures l'avait fortement rassurée, et une grande part de la douleur semblait déjà s'être estompée, comme si ses souffrances avaient été décuplées par le mensonge.
- Il n'y a rien à découvrir, là-bas. C'est un miroir de ce monde, sans la moindre lumière.
- Alors... pourquoi vous y rendez-vous ?
- Pour trouver nos moitiés... tu as l'air de ne rien savoir sur cet autre monde. Souhaites-tu y aller quand même ?
La fée se remettait lentement de ses blessures, mais dans son esprit tout était clair. Elle irait sur ces terres de légendes, quel qu'en soit le prix, pour découvrir des mondes inconnus qu'elle seule aura vu.
- Oui. »
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