4. La douce
Le soleil commençait à rayonner d'un jaune fade, tout proche de l'horizon. Tann s'avança hasardeusement dans le salon, avant de finalement s'accouder au comptoir qui le séparait de la cuisine. De légères cernes entouraient ses yeux mi-ouverts, et on devinait qu'il venait de se lever malgré qu'il se soit déjà habillé.
Il avait revêtu une de ces chemises aux couleurs criardes et aux motifs... originaux qu'il affectionnait tant. Celle-là, assez sobre, était d'un bleu sombre quadrillée d'un jaune moutarde. On ne remettra pas son goût esthétique en cause. Il reste tout de même meilleur que son goût en matière d'amour.
D'ailleurs, le garçon pour qui brûlait la flamme de son cœur se trouvait déjà dans la pièce. Il ne prit pas la peine de relever la tête vers le nouvel arrivé et se contenta de grogner avec son dédain habituel :
- Tiens, déjà levé ?
- Bonjour, Cookie, répondit l'autre. Oui, je suis un peu fatigué, mais je t'aime donc tout va bien. C'est gentil de t'inquiéter pour moi.
Esr leva les yeux au ciel, non sans réprimer un léger sourire. Tann se servit un verre de jus - de pomme - et attrapa un fruit - une pomme, l'auriez-vous deviné ? Il s'assit et croqua dans ce qui consistait son petit déjeuner. D'un coin de l'œil, il épia son patron, si un tel mot eut pu s'appliquer à ce petit chef intransigeant, ce cadre imbu de lui-même qu'était Esr.
- D'ailleurs, demanda-t-il nonchalamment, depuis quand tu fais dans les œuvres de charité ?
Esr marqua une pause, avant de lentement relever la tête. Il le fixa à la fois amusé et déconcerté par cette idée absurde.
- Développe...
Tann prit le temps de se mettre face à lui et de mastiquer une bouchée de pomme avant de lui répondre :
- Cette fille... Aure, précisa-t-il. Tu comptais embaucher personne. Tu as juste... eu de la peine pour elle ?
Il marqua un temps de réflexion.
- Ça paraît étrange, mais c'est le plus probable, accorda-t-il avant d'ajouter avec un sourire : Qui eut cru ça possible ?
Tann planta son regard dans celui d'Esr. Il passa sa langue sur sa lèvre inférieure, un de ses nombreux tics, avant de conclure :
- Cookie ressentirais réellement des sentiments... Voilà qui m'intéresse.
Le garçon renversa sa tête en arrière et prit le temps d'apprécier le raisonnement de son ami. Comme quoi, cet imbécile n'était pas aussi idiot qu'il voulait le faire croire. Il lui arrivait donc de réfléchir. Pas souvent, bien sûr, mais de temps en temps, semblait-il.
- Tu as tout de même oublié un critère important, remarqua-t-il.
- Ah oui ?
- Le potentiel de cette fille.
Tann voulut demander des précisions mais l'arrivée de Gustave abrégea leur conversation.
Il avait aménagé, tout comme Aure, dans une des chambres vides que comportait le grenier. Il était légèrement angoissé. Il ne souhaitait pas perdre ce boulot-là. Alors fallait-il qu'il ne fasse absolument aucune bêtise et qu'il remplisse ses fonctions du mieux qu'il le pouvait. Bien qu'il n'ait toujours pas très bien compris en quoi elles consistaient.
Quelques instants plus tard, Aure les rejoignit. Sous leurs regards déconcertés.
Car Aure n'était pas vraiment Aure.
Je crois devoir être un peu plus explicite : Mais, pour des soucis narratifs, nous appellerons cette Aure-pas-vraiment-Aure Mélodie.
Deux noms, et pourtant ; un seul être. Un seul être, et pourtant ; deux personnalités différentes.
De ce fait, la nouvelle venue soulevait des interrogations. Elle avait le même faciès, le même visage, les mêmes traits que la veille. Chaque détail physique correspondait : le grain de beauté sur son poignet, la légère cicatrice sur son menton...
Ce qui gênait, c'était plutôt... Tout le reste. Ses habits, déjà. Elle portait une robe noire, au col roulé et aux manches longues jusqu'aux doigts, très sobre, très classe, très discrète. Un collant sombre accompagnait l'ensemble. On ne voyait pas un seul morceau de sa peau, tout était recouvert de tissus.
Mais le plus perturbant était son changement attitude. Si la veille, Aure avait respiré l'assurance et la confiance, Mélodie semblait actuellement n'avoir envie que de disparaître sous terre. Enfin, pas forcément aussi loin, puisque la chute serait probablement fatale, mais autre part que dans ce grenier.
Elle n'était absolument pas à son aise. Un voile rosé couvrait ses joues, elle se tordait les doigts, se mordillait la la langue, sa respiration était rapide, son regard baissé. Elle entendait son cœur résonner jusqu'à ses oreilles, et se détestait de réagir de la sorte.
En un mot, Mélodie était timide. Trop timide. D'une timidité maladive. Elle était aussi patiente, gentille, discrète, ouverte d'esprit, mal dans sa peau, discrète, pure, de bonne volonté, modeste, discrète, adorable. Elle osait se croire faible. Mais, surtout, surtout, à ses yeux, elle était timide.
Car telle était la douce.
Elle devait dire quelque chose. Elle devait réagir. Elle n'osait pas. Elle en appela à tout son courage, le prit à deux mains, et finit par articuler :
- Je... Vous pouvez m'appeler Mélodie.
Tann, voyant sa détresse, lui sourit de manière rassurante.
- T'inquiète pas, lui assura-t-il en lui indiquant un fauteuil. Calme-toi, et explique nous. On n'est pas méchants.
Il jeta un coup d'œil à Esr, avant d'ajouter :
- Enfin, lui, il est très méchant, mais t'en fais pas. Il mord que quand il est en colère.
Mélodie fit un signe d'acquiescement en s'asseyant. C'était le garçon qu'elle avait fait enrager la veille. Il devait sans doute la détester. Elle s'en voulait terriblement. Pourtant, elle n'y pouvait rien. S'excuser, à la limite, mais il était bien trop effrayant pour qu'elle l'apostrophe directement.
D'ailleurs, pourquoi l'avait-il engagé ? Bien sûr, la veille, il ne lui était pas venu à l'idée de demander... Elle soupira mentalement. Aure...
Mais, pour le moment, ce n'était pas son soucis premier. Il fallait d'abord falloir leur expliquer.
Leur expliquer qu'elle était folle.
Les trois hommes avaient formé un cercle autour d'elle. Ils attendaient qu'elle parle. Il ne fallait pas les faire s'impatienter. Mais elle n'avait jamais aimé parler devant un auditoire. C'était toujours si effrayant. Elle observa le regard encourageant de Tann. Les yeux vides de Sean. L'expression légèrement ennuyée d'Esr.
Elle prit une dernière inspiration et se lança, accompagnant ses paroles de ses doigts :
- Il n'y a... Qu'un seul corps. Mais, Aure et moi, ça fait deux. Enfin, on n'est pas vraiment deux...
C'était encore plus compliqué à expliquer qu'elle ne le pensait. Le cœur en chamade, elle continua :
- Disons... Il y a ce corps, Melaure. Il a deux masques, deux personnages à jouer. Il met d'abord le masque d'Aure. Il joue son rôle, puis après quelques instants, il décide de changer. Alors, il met mon masque, et joue un rôle complètement différent. C'est la même base, la même mémoire, mais vue par deux personnages différents.
Elle marqua une pause.
- Vous me suivez ? demanda-t-elle.
Elle appréhendait leurs réactions. Bien sûr, Aure lui avait encore tout laissé sur le dos. Elle avait peur d'avoir fait une erreur en leur révélant tout. Mais que pouvait-elle faire d'autre ? Mentir ? Elle n'avait jamais été bonne en mensonge, contrairement à son alter ego. Se faire passer pour Aure ? Plus de vingt cinq ans qu'elle essayait, elle n'y arrivait toujours pas. Et elle n'en avait pas envie. Pourquoi ne pas être elle, seulement elle ?
Mais pour cela, il fallait d'abord que ces inconnus ne la mettent pas à la porte. Les gens ont parfois des réactions étranges face à la folie. Peut-être ont-ils peur d'être contaminés ?
Gustave plissa les yeux, puis fronça les sourcils. Au bout d'un instant, il finit par déclarer :
- J'ai rien compris.
Esr leva les yeux au ciel, avant de répliquer avec son dédain habituel, estimant sans doute qu'il n'en avait jusque-là pas assez usé :
- Tu es vraiment débile. C'est pourtant parfaitement clair.
Sean se sentit offusqué dans son égo, mais se tut, ne sachant pas quoi répondre. Tann resta un moment à méditer sur la question, avant d'acquiescer.
- Je... crois que je comprends.
La jeune femme leur envoya des regards, un à un. Ils avaient tous - ou presque - facilement compris, mais rien n'était encore joué. Ils en mettaient, du temps, à réagir ! Mais, étrangement, il n'y avait pas cette lueur effrayée d'incompréhension dans leurs yeux.
- Et maintenant ? risqua-t-elle.
Le benjamin du groupe releva la tête et la regarda dans les yeux.
- Maintenant ? répéta-t-il. Je vais te poser tellement de questions que tu ne vas plus supporter l'usage d'une phrase interrogative.
Mélodie le fixa d'un air ahuri. Il avait l'air extrêmement sérieux. Ce n'était pas vraiment ce à quoi elle s'attendait. Elle ne comprenait pas bien le raisonnement du garçon.
Tann soupira, conscient qu'il allait encore servir de traducteur, l'Ersien étant trop difficile à appréhender sans y être habitué.
- Je te présente Esr, l'être humain le plus curieux que l'univers est jamais porté. Et là, tu viens juste de piquer sa curiosité. Très, très mauvaise idée. On en a pour minimum trois mois. En plus, il doit sûrement être frustré de ne pas encore avoir intégré le savoir des parchemins, de Aure et de toi maintenant. Il avait sûrement prévu un quiz surprise aujourd'hui. Youpi... Et bien sûr, il est intéressé par à peu près toutes les disciplines qui aient jamais existé, mais l'amour ? Non, c'est pas trop son truc...
Esr soupira et le coupa avant qu'il ne commence à raconter sa vie. Le problème du traducteur Tann, c'était sans doute son zèle dans le domaine des commentaires personnels. Gustave, de son côté, fronça les sourcils en remarquant ne pas avoir été cité dans la liste de savoir.
Mélodie prit le temps d'ingérer les différentes informations qu'on lui donnait. Puis elle finit par déclarer :
- Excusez-moi... Mais je vois pas à quels genres de questions je pourrais répondre... Il n'y a rien de très intéressant...
Tann soupira. Esr n'attendait que ça pour lancer son invasion. Ce qu'il fit directement :
- Y a-t-il des différences, si ce n'est caractérielles, entre toi et Aure ? Des habilités physiques par exemple ? Es-tu aussi capable par exemple qu'elle pour manier les armes ? D'où vous vient ce dédoublement de personnalité ? Comment faites-vous, au quotidien, avec vos proches ? Qu'est l'autre lorsqu'elle ne régit pas le corps ? Décidez-vous de changer entre vous ? Comment cela se fait que vous soyez deux ? Au niveau de la mémoire, comment ressens-tu les moments où Aure a le contrôle ? Est-ce que tu t'en rappelles précisément, ou est-ce flou ? Tu as appelé ton corps Melaure, est-ce que...
Tann lui fit signe qu'ils avaient compris. Mélodie le regardait avec de grands yeux, bouche bée. Le garçon gardait les siens fixés sur elle, plus concentré que jamais sur ce qu'elle allait dire. Ça la déstabilisait. Elle réfléchit un moment à comment elle comptait répondre, avant de se lancer :
- Nous sommes donc la même personne. Et nous... "changeons de masque" lors de crises. Ces crises ont lieu pendant notre sommeil, tous les deux ou trois jours. Ce matin, en me réveillant, je me rappelais très bien de l'entrevue de la veille, ce que nous... je... Aure avait fait, dit, pensé. C'est un souvenir, sauf que je n'aurais jamais réagis comme ça à sa place. Dans mon souvenir, je sens que je suis Aure. C'est principalement ainsi que nous nous somme rendues compte d'être deux. Je n'ai aucune idée de la cause de ce dédoublement. C'est juste... comme ça. Depuis toujours.
Elle marqua une pause. Elle avait l'impression de blablater inutilement sur un sujet incompréhensible.
- Aure et moi avons des capacités en commun, bien sûr, mais, malgré l'absurdité de la chose, de nombreuse capacités différentes. Par exemple... Je suis très mauvaise avec les armes à feu.
Les épaules d'Esr s'affaissèrent, et une moue déçue se forma sur son visage. Le voyant réagir de la sorte, Mélodie se dépêcha d'ajouter :
- Mais je manie les armes blanches comme pas deux !
Le garçon se redressa et sourit légèrement. Ce vif changement d'attitude, Mélodie s'en rassura, Tann trouva ça mignon, Gustave ne le remarqua qu'à peine et Aure en aurait rit.
Esr, quant à lui, aurait nié être de bonne humeur, car Esr niait tout ce qui pouvait le rendre un peu attachant.
/////
Du-Du-Duality !
Hi ! Tout va bien pour vous ?
Je suis plutôt fière de ce chapitre. Je me demandais comment j'allais réussir à expliquer Melaure mais je pense m'être plutôt bien débrouillée :) Et vous ?
Mélodie... Voilà qui devrait apporter un peu de douceur au milieu de toutes ces brutes ! Que pensez-vous d'elle ? Sa timidité me rappelle mes propres sentiments lorsque je dois agir en milieu inconnu '^^
J'arrive à la fin de la présentation des persos ! Plus que la juste à découvrir, et elle n'est pas des moins inintéressantes...
Est-ce que vous connaissez Set it Off ? Cette bande fait partie de mon podium du moment (plus de six mois qu'elle y stagne, passant de première à troisième... Ce qui est plutôt un record)
(Mes chapitres sont vraiment longs... En ce moment, je dépasse la barre des deux mille mots ;) c'est pas trop long ?)
(Eh......
Adam Lambert a sorti un nouveau single......
New Eyes.......
Je suis, comment dire......
Comme ça)
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