2. Le candide

 Tann s'accouda au comptoir du Spirituel. C'était, en dépit de son nom, un misérable tripot comme on en trouve tant, vendant mauvaises boissons et mauvaises nourritures. Un mélange d'odeurs d'alcool, de tabac et de sueur se propageait dans l'air. Une chaleur moite collait à la peau. La salle était aussi bondée que bruyante. Vociférations et rires gras étaient bons marchés. Malgré ça, il se sentait tout à son aise.

 Tann renversa doucement sa tête en arrière, tout en réfléchissant à sa mission. Il n'en avait plus pour longtemps, il l'aurait remplie d'ici la tombée de la nuit, tout au plus. Il avait envie d'une cigarette. Ces ambiances étouffantes lui rappelaient la sensation du papier enroulé sous ses doigts, de la douce fumée qui se déverse dans ses poumons, de l'arrière goût amer qui reste dans sa bouche. Étant hors de question qu'il crève d'un cancer après avoir dépenser la moindre de ses économies dedans, il s'était juré de ne plus en toucher une. Presque deux ans qu'il tenait sa promesse. Presque deux ans qu'il avait rencontré Esr.

 Il sourit et jeta un regard à sa droite. Il lui semblait qu'il atteignait son but.

 Il y avait une table dans un coin de la pièce, à l'écart de l'agitation. Tann s'en approcha et retourna un siège sur lequel il s'assit. Ses coudes appuyés sur le dos de la chaise, il fixa celui qui mangeait là. Ce dernier marqua une pause, sans pour autant bouger.

 - J'ai quelque chose qui t'intéresse sûrement. Un emploie.

 Son interlocuteur releva lentement la tête et le regarda dans les yeux. Ça l'intéressait au plus haut point.

 Son nom ? Gustave, Gustave Sean. C'était un homme plus que costaud. Son corps était bâti de muscles. Il avait le cou d'un taureau, la puissance d'un cheval. Il avait été taillé dans une force brute, sans grâce. Ses mains énormes semblaient pouvoir broyer jusqu'aux os. Il était couvert d'une tunique d'un large tissus épais, grossièrement découpée, qui mettait plus en avant encore son énorme stature.

 Comment un être humain pouvait-il cumuler une telle masse de chair sur lui ? A vrai dire, il en eût difficilement été autre. Gustave faisait preuve d'un appétit, d'une voracité à toutes épreuves. C'était sans doute une des choses qui lui importait le plus. Il mangeait cinq, dix fois plus qu'un individu commun. Il aurait pu être gros, il en était devenu robuste.

 Il avait un petit visage triangulaire, aux mâchoires carrées et au long nez proéminent. Deux petits yeux noirs, terrés sous une large arcade sourcilière, brillaient sans intelligence. Une longue masse de cheveux emmêlés d'un rouge flamboyant glissait sur son dos. Il portait un collier de barbe dans les mêmes nuances, relevant sa peau cuivrée.

 J'ai toujours soupçonné qu'il ait quelques néandertaliens dans ses ancêtres. Par son physique, bien sûr, mais aussi par ce manque de réflexions dont il faisait preuve si souvent. Il n'était pas idiot, loin de là. Il avait juste tendance à oublier de réfléchir. Une brute sans intelligence, pourrait-on manifestement caricaturer. Une brute au cœur sur la main. Car, s'il ne cogitait pas beaucoup, il mettait dans tout ce qu'il faisait une naïveté à toutes épreuves, qui contrastait tellement avec son apparence.

 Car tel était le candide.

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 Esr observait d'un visage parfaitement impassible, le candidat que lui avait apporté Tann. Il avait besoin de quelqu'un, une sorte d'homme de main. Pour remplacer Jack... Paix à son âme.

 Le garçon, au fil de leur banale discussion, envisageait de plus en plus de l'engager. Certes, il ne brillait pas par son esprit, mais ce n'était pas exactement ce qu'on lui demandait. Esr se sentait parfaitement capable de penser pour deux. Pour trois, même, vu que Tann, du haut de ses deux ans et demie d'âge mentale, avait tendance à ne pas penser du tout. Sinon, il était évident qu'il se serait tiré depuis longtemps.

 Coupant net ses digressions intérieures, Esr avisa le sac que portait Sean en bandoulière.

 - Qu'est-ce ? demanda-t-il.

 Son interlocuteur baissa les yeux et un sourire se fixa sur son visage. Il en sortit différents parchemins épais, sagement enroulés sur eux-mêmes. Il leur en montra quelques uns, ce qui fit ouvrir de grands yeux à Tann et Esr.

 Les pages étaient parcourues de dessins, des sortes de mandalas faits d'un geste sûr et beau. L'encre avait été doucement appliquée sur la surface, grattant le papier avec grâce et lui donnant une impression de magie. Et, en vérité, pas seulement une impression.

 C'est lorsqu'il vit l'attention avec laquelle les deux hommes examinaient ses parchemins que Gustave se rendit compte de son erreur. Il les cacha fébrilement en balbutiant :

 - M... Mince ! J'étais pas censé vous montrer ça, pas censé du tout ! Rah... Bon sang !

 Surpris et décontenancés, les deux autres lui lancèrent un coup d'œil interrogateur. Sean s'expliqua en reprenant son souffle :

 - C'est le vieux... Il m'a fait promettre de ne pas tout révéler à tort et à travers... Faut croire qu'il me connaît bien, rajouta-t-il avec un sourire.

 Esr reprit sa contenance et son demi-sourire de celui qui maîtrise parfaitement la situation, et opina du chef. Il regarda Gustave bien en face tandis que Tann le fixait d'un air de défi.

 - Très bien, dit-il. Tu es embauché. J'imagine que ce n'est plus un problème si je deviens ton employeur. Voilà ton contrat, demande-moi si tu as des réclamations. Tu n'as qu'à signer. Durée non limitée.

 Sean prit une expression profondément étonnée et envoya un coup d'œil à Tann derrière lui, qui soit dit en passant n'en avait pas grand chose à faire, histoire de vérifier que tout cela était bien vrai. Puis il saisit la feuille que son nouveau patron lui tendait et la lut. De temps à autre, son visage s'illuminait ou il émettait son avis :

 - Le gîte et le couvert ? Génial !

 Tann fit une drôle de tête. Quelqu'un en plus dans ce long grenier froid, voilà qui risquait de changer leur habitude. Et notamment détruire le semblant d'intimité qu'il aurait pu avoir avec son cookie. Si un tant soit peu d'intimité eut pu être possible avec ce gamin associable et égoïste, bien sûr.

 Sean secoua la tête, sans vraiment accepter la réalité.

 - Et, c'est tout ? J'ai le job ? Pas de longs débats, pas d'attentes interminables, pas de dragon à combattre ?

 - Ça existe pas, les dragons, remarqua Tann.

 - C'est quand même vraiment simple, répliqua l'autre en signant.

 Ceci dit, il sembla oublier tout son étonnement premier et passer à autre chose. Avec un enthousiasme bon enfant, il saisit les mêmes papiers qu'il essayait de faire disparaître l'instant d'avant. Il les présenta aux deux autres compères, non sans leur recommander de ne pas les toucher.

 - Ils vous brûleraient, expliqua-t-il. Voilà mes petits intrigants, magiciens dans leur état.

 Il marqua une pause, comme il aurait tenu en haleine une foule passionnée. Cela n'eut probablement pas l'effet escompté, au vu des regards ternes que lui adressaient ses auditeurs. Il continua avec un soupir :

 - Ils me permettent quelques tours de passe-passe, des choses assez simples en somme, mais drôlement pratiques.

 Il saisit la pomme dans laquelle allait croquer Tann, qui lui asséna un regard noir. D'une main, il fouilla parmi ses parchemins et attrapa celui qu'il cherchait. Il posa le fruit dessus, ce qui dans l'immédiat ne fit... Rien. Absolument rien.

 Avant d'avoir le temps d'être déçu, Sean retira le collier qu'il portait. C'était une longue chaîne, au bout de laquelle pendait un bijoux fait de cuivre, en forme de losange, qu'on pouvait sans doute ouvrir. Une douce odeur d'encens s'en dégageait.

 Il le fit tournoyer au-dessus du fruit, pendant plusieurs secondes. Il l'accompagnait de la main, et semblait murmurer dans sa barbe. Il faisait preuve d'une concentration extrême. Petit à petit, l'encre se mit à briller d'une couleur de ferraille, un rouge orangé et terne.

 Et la pomme grossit. Elle doubla presque de volume. Rien que ça, oui.

 Ce n'était pas une représentation floue et disproportionnée de mauvais logiciels photo. Au contraire, même, elle n'en paraissait que plus réelle.

 Ravi, Tann la saisit et croqua dedans à pleine dents. Il poussa une plainte de frustration lorsqu'il se rendit compte que le centre était totalement vide.

 - Je peux pas créer de matière, expliqua Gustave. Juste parfois changer la forme des objets.

 Tann était légèrement déçu. A quoi servait de grossir une pomme s'il n'y avait rien de plus à manger ? Son estomac se sentait trahi.

 Esr hocha la tête.

 - C'est... Parfaitement génial, avoua-t-il.

 Sean s'enorgueillit de cette remarque et continua sa démonstration.

 - Ils sont presque indestructibles, et brûlent ceux qui sont pas autorisés à les toucher. La plupart des effets ne durent pas longtemps. Je les fais marcher grâce à mon collier et à l'encens à l'intérieur. On dirait pas, mais c'est archi compliqué d'en faire.

 Il sembla réfléchir - chose étrange de sa part, je vous avoue - quelques secondes pour voir s'il n'avait rien oublié. Son visage s'éclaircit. Il fouilla dans sa sacoche et en ressortit plusieurs objets de toutes tailles, pour la plupart gribouillés d'encre et de dessins.

 - Il y aussi ces amulettes, expliqua-t-il. C'est généralement des protections, comme des bracelet qui empêchent de se brûler. Ou des portails dans l'espace. Ou des boucliers. L'encens est à l'intérieur, comme pour mon collier.

 Il marqua une nouvelle pause, puis commença à ranger ses affaires. Il se rendait bien compte du peu qu'il avait à présenter. On aurait pu croire venant d'un autre que c'était par ruse ou par méfiance, mais pas Sean. Il ne lui serait jamais venu à l'idée des concepts tels que la trahison ou la défiance. Il était plus dans le rôle du pigeon que de l'arnaqueur. Il était même totalement pigeon.

 - Je ne sais pas trop quoi dire d'autre... Ça semble assez réduit, comme ça, mais y a pleins d'utilisations que j'oublie pour l'instant.

 - Non, le rassura Esr, c'est vraiment bien.

 Mais il ne semblait lui-même pas très convaincu par ses propos et Tann le devinait légèrement déçu. Avaient-ils placé trop d'espoir dans cette nouvelle recrue ? A mon avis, ils le sous-estimaient déjà trop. Mais bon, qui suis-je pour juger ?

 Un silence pesant s'installa, s'étirant dans le temps. Les secondes passaient vides et longues.

 Un bruit soudain retint leur attention. Mais qu'est-ce que... ?

 Une jeune femme était en train de littéralement passer par la fenêtre. Trop occupée à fixer au dehors, elle ne semblait pas les avoir remarquer. Elle ramena ses jambes de l'autre côté et sauta au sol. Elle poussa un soupir de soulagement, et frotta ses mains l'une contre l'autre.

 Puis elle se retourna et se retrouva face aux propriétaires des lieux.

 Tout son corps se rigidifia. Elle déglutit avec difficulté, et tenta un sourire :

 - Salut ?


//////

Hey~ !

Joyeuse année 2019 ! Joyeux février ! Il fait froid en ce moment, attention à ne pas tomber malade ! (Contrairement à moi >.<)

Vous pensez quoi de ce nouveau perso - ou de ceux qu'on a déjà rencontré, tout m'intéresse '^^ - ?

De la manière dont c'est écrit ?

L'intrigue n'est pas encore mise en place, pour l'instant je me concentre sur les personnages :3

N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez par commentaire ! (Et à voter, tant qu'à faire... (>u<))


Bye,

Schnoll

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