Chapitre 19 : Paris Métèque - Gaël Faye

Nda : Je vous conseil sincèrement d'écouter la chanson qui donne le titre au chapitre : elle est magnifique. Elle reflète à la perfection l'âme et la population de Paris, qui, loin des préjugés sur le fait que cela soit la "ville de l'amour" ou la "plus belle ville du monde", Paris est surtout une ville qui accueil des millions de gens provenant de partout dans le monde et c'est cette diversité qui donne tout son sens à nôtre capitale. C'est pour ça que j'aime Paris, que j'aime ma ville, et qu'elle fera toujours un peu parti de moi peu importe là où je me trouve, c'est là-bas que j'ai grandi et c'est là-bas que j'ai le plus de souvenirs.

Pdv de Justine :

13h43, 22/06/2024, train Bordeaux/Paris

J'ai acheté mes billets de train au plus vite et sauté dans le premier wagon pour Paris.
Assise sur les sièges bleues, je regardais le paysage défilant sous mes yeux. L'angoisse et le stress ne me quittaient plus depuis l'appel : j'avais la gorge serrée, une boule dans l'estomac et les mains tremblante.
Je me levai soudain et sortie du wagon en courant. Je m'enfermai dans les toilettes du train, mis ma tête au-dessus de la cuvette et vomi la totalité de mon repas.
Je lavai la pièce et m'asperger le visage d'un peu d'eau.
Je retournai à ma place et essayai tant bien que mal de regarder une série ou de lire un livre. Rien ne marchait. Je regardais l'heure toutes les deux minutes en priant pour que le train aille plus vite et calmais ma respiration qui accélèrait de minute en minute.
Lorsque le train arriva enfin en gare, je descendis du wagon au pas de course et me retrouvai sur le quai, dans Paris, sans bagage, sans maison où passer la nuit et ne portant qu'une sacoche contenant mon téléphone, ma carte bleue, un peu d'espèce, ma carte d'identité et mon passe navigo (Nda : le passe qui sert à prendre les transports en commun à Paris).
Qu'est ce que je foutais là ? Perdue dans ma ville. Seule.
Mais pas le temps de se poser la question. Je courrai hors de la gare et appelai un taxi.
Au bout de quelques minutes, un véhicule s'arrêta et j'entrai dedans.

- Où allez vous mademoiselle ?

- À l'hôpital Gustave Roussi.

Le voyage se passa sans qu'aucune paroles ne soit échangées. Le goût âcre de mon repas régurgité restait accroché à mes papilles et un mal de ventre me tordait en deux. Mon corps était parcouru de frisson.
À peine arrivé devant les portes de l'hôpital, je payais le chauffeur et courut en direction du hall.

Ils étaient là. Léonardo et Giacomo, Mathis et Maxime, Gustave et Léo, Ethan et Romain, Étienne et Manil, Camille et Basile, Cyprien et même Raphaël qui avait quitté son école de militaire pour arriver ici.
Rapha s'approcha, les yeux rouges et humides.

- Il te demande...

Une larme roula sur sa joue, éclaboussant ses lunettes et il me prit dans ses bras, lui et tous les autres. Les sanglots étouffés des uns se mêlant aux tremblements des autres.

- Dépêches-toi Justine, il ne lui reste plus beaucoup de temps. Les infirmières disent qu'il ne passera pas la nuit...

Le visage ravagé de larmes, je me rendis à l'accueil et demanda le numéro de la chambre.

- Il est au premier étage, chambre cent-onze.
Après une courte pause, la secrétaire reprit.
Bon courage et toutes mes condoléances.

- Il n'est pas encore mort...

Elle afficha un sourire triste, compréhensif et rempli de pitié.

Je montai, non, je grimpai à toute vitesse les marches de l'escalier et me retrouvai devant la porte blanche, dans le couloir blanc, au milieu du bâtiment blanc, la main tremblante, les larmes aux yeux.
Je poussai la porte et rentrai dans la pièce.

- Alex'...

Pdv de Louis :

14h30, 22/06/2024, Bordeaux

Je rentrai dans les vestiaires après l'entraînement extrêmement physique qui c'était déroulé. Je transpirais à grosses gouttes et mon visage était rouge comme une tomate.
Je me déshabillai et me lavai dans les douches du stade puis rejoins Nicolas dans les couloirs.

- Ça va Loulou ?

- Un peu fatigué...

- Tu veux venir chez moi ?

- Pourquoi pas !

Et je montai dans la voiture de Nico qui m'emmena jusqu'à son appart, un duplex en périphérie de Bordeaux, à seulement quelques minutes à pieds de chez moi.

Nous entrâmes et nous nous affalâmes sur le canapé gris, manette de switch à la main.

- Fifa ?

- Ok.

La partie commença et le match fut serré, 0-0 à la fin du temps. Mais ce furent les pénalty qui m'achevèrent.

- Louis ?

- Ouais ?

- J'avais une question...

- Vas-y...

- On est d'accord que t'es plus en couple avec Lara.

- Oui. Enfin pas officiellement mais on va dire oui.

Il se tourna vers moi, un sourire au coin.

- Avoue que tu es amoureux de Justine.

Et se fut comme une alarme dans ma tête, une surcharge d'informations.

- Non ! Elle est juste belle, intelligente, gentille...

- Et mignonne, et compréhensive... Tu l'aimes quoi.

- Nan ! Enfin...peut-être... Je ne sais pas.
Enfaîte on a dormi ensemble le soir de mon anniversaire...

- Quoi !? Et tu me l'as pas dit !

- J'ai pas eu le temps.

- Et du coup. T'es amoureux ?

Je réfléchis quelques secondes à la question de Nicolas et dû me rendre à l'évidence. Je la trouvais gentille, drôle, jolie, intelligente...

- Oui Nico. Je crois que je suis amoureux.

- Mais c'est super !

- Non ! Elle va se dire que je veux sortir avec elle juste pour remplacer Lara.
Et puis, comment je peux lui parler de nouveau après qu'on ait dormi ensemble ? On va être trop gêné !

- T'inquiète Loulou. Tu trouveras une solution.

Pdv de Justine :

15h50, 22/06/2024, Hôpital Gustave Roussi, Paris

- Alex'...

La chambre d'hôpital était entièrement peinte en blanc et le seul bruit était le bip régulier de l'appareil relié au rythme cardiaque d'Alexandre.

À la simple évocation de ce nom, des tonnes de souvenirs remontèrent en surface.
Alexandre avait été mon premier et mon seul petit ami de la sixième à la terminale où il m'avait quitté pour une autre fille.
L'année dernière, on avait découvert un cancer du sang avec plusieurs métastases dans le cerveau, les os, les poumons et le cœur. Dans la foulée, sa copine l'avait quitté et on lui avait prescrit une grosse chimiothérapie. Elle n'avait pas marchée.
Après cet échec, les médecins en avaient conclu qu'il ne lui restait que très peu de temps à vivre.
Il nous avait donc rejoins à Bobigny au poste de numéro sept et était resté au club jusqu'au bout.

Alex' était allongé sur le lit. Ses cheveux roux coupé à ras. Sa peau blanche, encore plus pâle que d'habitude, faisant ressortir ses tâches de rousseurs et ses yeux verts.

- Justine ?

Sa voix était faible. Je m'approchai au-bord du lit, m'assis sur une chaise et lui pris la main.

- Salut Alexandre. Ça va ?

- Ça va comme quelqu'un qui va mourir ce soir.

- Dis pas ça.

- C'est la vérité Juju. Et tu sais très bien que je ne suis pas très fort pour menti

Une de mes larmes s'écrasa contre sa joue.

- Mais moi, je veux pas que tu partes ! Je veux que tu restes avec moi.

- Je sais... Je sais... Mais ne pleure pas pour ça ma guerrière. Toi qui déteste pleurer devant d'autres personnes.
Ne pleure pas pour moi.

- Qu'est ce que tu veux que je fasse ! Tu veux que je te regarde mourir sans rien faire ou sans rien dire !

- Je veux que tu te souviennes des moments que nous avons passé ensemble. Quand je ne serais plus là, souviens toi de nous.

- Reste avec moi...

- Je vais essayer Justine. Le plus longtemps possible. Mais tu sais, ce n'est pas grave si je pars. Tout le monde meurt un jour ou l'autre.

- Et si moi j'ai pas envie.

- De mourir ?

- Non, que tu meurs.

- Alors il faudra te faire une raison.

Puis Alexandre se pencha sur le côté de son lit et en ressorti une grande boîte.

- J'ai plusieurs requêtes. Tout d'abord, je t'offre mon maillot de Bobigny, j'espère que ça te fera plaisir. Ensuite, je ne veux pas que tu viennes à mon incinération et à mon enterrement...

- Pourquoi !

- Parce que je veux que tu te souviennes de moi vivant. Et non pas en poussière.
Enfin, je veux que tu rencontres quelqu'un de bien, que tu fondes une famille et que tu profites de ta vie. Tu le mérites.

Il me tendit la boîte contenant le maillot et me serra dans ses bras.
Je fus soudain prise d'une fatigue extrême et m'endormis sur la chaise.

Pdv de Louis :

22h56, 22/06/2024, appartement de Louis, Bordeaux

Je contemplais la photo que m'avait envoyé Nicolas.
Après que je sois parti de chez lui vers 22h30, j'étais retourné chez moi, avait pris une douche et me trouvais à présent torse nu dans mon lit.
L'image était Justine en plein éclat de rire à côté de moi dans un stade.
Je regardais le visage de l'ostéopathe et essayais de l'imprimer indélébilement dans ma tête. Ses cheveux châtains, ses yeux bruns, son beau sourire...
Elle était belle. Pas comme la beauté tape à l'œil de Lara mais belle plus discrètement. Comme si elle ne s'en rendait pas compte ou qu'elle le cachait.

Je rougis en repensant à notre nuit passée ensemble. Son corps frais contre le miens. Son odeur dans mes draps.

Je me relevai et pris la peluche que je lui avais prêté cette soirée là. Son odeur y était encore présente. Une odeur d'océan, de plantes sauvages et de lys des sables.

Pour la première fois depuis des soirs et des soirs, je n'eu absolument pas envie de me couper et ma respiration resta calme.

Pour la première fois depuis des années, je me sentais bien.

Je serrai la peluche contre moi et sombrai dans un profond sommeil.

Pdv de Justine :

23h00, 22/06/2024, Hôpital Gustave Roussi, Paris

Je me réveillai en sursaut.

- Alexandre !

Sa main serra la mienne.

- Je suis là...

Il prit une grande inspiration.

- Tu sais, Justine, je pense que je t'ai toujours aimé. Malgré notre séparation, je pense que je t'aimais toujours et que je t'aime encore...

- Moi aussi Alexandre, je t'aime...

Des sanglots secouaient mon corps.

- Moi aussi je t'aime... Et je ne t'oublierai jamais...

Mes lèvres se penchèrent lentement vers les siennes et se posèrent délicatement sur sa bouche.
Ce n'était pas un baiser anodin, c'était une promesse.
Je le sentis tout doucement rendre son dernier souffle, nos lèvres toujours jointes, sa main sur la mienne.
Son corps refroidi, ses membres se crispèrent et un appareil se mit à sonner.
Les infirmières arrivèrent quelques instants plus tard et me trouvèrent debout, seule, devant le corps sans vie d'Alexandre. Le maillot de Bobigny dans la main, la boîte au sol.

Je partis silencieusement rejoindre mes amis au rez-de-chaussée sans un regard en arrière.

Je descends les marches des escaliers et me retrouvai devant l'équipe de Boboche, plus Charlotte et son petit copain Oscar qui avait fait le déplacement.
Je fis "non" de la tête et les autres comprirent aussitôt.
Charlotte me pris dans ses bras pendant que chacun faisait face à la nouvelle de sa manière.
Cyprien pria pour que Dieu l'accueil au Paradis même si Alexandre (comme nous tous) ne croyait pas en Dieu.
Raphaël pleura, pris ses lunettes et les brisa de rages contre le sol.
Basile posa juste sa main sur mon épaule, en signe de soutien.

Charlotte s'éloigna un peu et pris mes mains entre les siennes.

- Tu veux dormir chez nous ?

Je voulus répondre mais les mots restèrent bloqués dans ma gorge.
Je fis juste le signe "non" de la tête.

- Justine. Promet moi de ne rien faire de stupide. Je sais que tu es triste, je sais que tu as mal mais fais attention à toi.

J'aquiescai, pris chacun de mes amis dans mes bras puis sortis du bâtiment.

Mon corps se fit absorber par la nuit sombre. Je rabattus ma capuche sur ma tête et marchai sur le trottoir de la rue.
Je m'arrêtai devant une épicerie.
Je répartis quelques instants plus tard, une lourde bouteille d'alcool à la main, le maillot dans l'autre.
Je marchais sans pensé, me laissant guider par mes pas à travers la capitale. Les boulevards, les voitures, les rues, les trottoirs... Tout dégageait un atmosphère particulier, mélange de richesse et de misère. La fumée des pots d'échappement s'infiltrait dans mon corps et noircissait mes poumons. Les fines goutelettes de pluie ruisselaient sur mes habits. Même le ciel pleurait la mort d'Alexandre.
Ici, la lumière des lampadaires remplaçait celle des étoiles et le bruit des moteurs remplaçait celui des cigales.
Dans les grandes avenues, les gens marchaient, couraient, se bousculaient. Des gens de toutes origines, de toutes couleurs de peaux. Un arc-en-ciel parmi les bâtiments gris. Mes pas me menèrent en face de la Tour Eiffel, la Dame de Fer. Ses lumières illuminaient Paris.
Dans le parc au pied des piliers de ferrailles, légèrement à l'écart, se trouvait un pin.
Je vis, gravé sur l'écorce, nos de prénoms : Alexandre et Justine. Nous n'étions pas très romantique mais poussé par nos amis, nous avions inscrit nos noms sur cet arbre.

Je levai ma bouteille en face de l'arbre.

- À ta mort.

Et je portais le récipient de verre à ma bouche puis bu une longue gorgée. L'alcool me brûla l'œsophage.
Je lâchai la bouteille et m'approchai du conifère.

- Je t'avais promis Alex' qu'à notre séparation, je détruirai nos noms. Eh bien, notre séparation c'est aujourd'hui.
Tu resteras toujours dans mon cœur Alexandre.

Mon poing coigna contre l'écorce et arracha un éclat de bois. Puis un deuxième, un troisième...
Chaque choc se répercutait dans mes bras, chaque éclat blessait ma peau, écorchait mes phalanges. La poussière volait et se collait à mon visage.
Je tombai à genoux sur les graviers, la tristesse reprenant le dessus.
Les gravillons égratignèrent mon épiderme et du sang coula de mes mains et de mes genoux, se mêlant à la boue.
Je finis par balancer de rage la bouteille contre l'arbre. Elle explosa en mille morceaux projetant du verre au pied de l'arbre.
Je rebroussai chemin et rejoignis la gare aux premières lueurs de l'aube.
Je payais mon billet et m'assis dans le train, ignorant les regards posés sur moi.

Pdv de Louis :

10h12, 23/06/2024, Stade Chaban-Delmas, Bordeaux

Je stressai. Justine était sensée arriver d'un moment à l'autre.

- Nicolas !

- Quoi Louis, c'est bon, calme toi. Elle arrive.

- Mais imagine que son urgence soit à propos d'un copain ! Et si elle ne veut pas me parler !

- T'inquiète...

Une porte claqua et elle apparut. Seule l'encadrement de bois.
Ses yeux étaient rouges, cernés de noir. De la boue était étalée sur sa joue. Ses genoux étaient écorchés et des croûtes commençaient à se former. Ses mains tremblantes avaient leurs phalanges ouvertes. Sa main gauche tenait fermement un T-shirt gris et rouge.

- Si vous avez besoin de moi, je serai dans l'infirmerie.

Dit-elle de sa voix cassé.

Et elle se retourna et pénétra dans le couloir sombre du stade.
Après passé le choc de cette vision, je la poursuivie à travers le stade.

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Et voici le 19ème chapitre.
Avec le petit texte au début du chapitre, je voulais rendre hommage à la diversité de Paris et de notre pays.

Désolé si le chapitre était un peu triste. Il a été très dur à écrire pour moi car la mort et le deuil sont des sujets très difficiles à aborder.

Que pensez vous de ce chapitre ? N'hésitez pas à me le dire dans les commentaires.

Bonne vacances et bon J.O !

(2615 mots)

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