Chapitre 3


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     Andy se prépara un thé, en renversa la moitié par terre, puis s'installa sur son canapé, le magazine en main. De ce qu'elle savait, le magnolia était un symbole du printemps et du renouveau. S'il était blanc, il représentait la fidélité. Des pétales roses signifiaient un amour que l'on n'ose déclarer avec des mots.

     Au sommaire de ce mois-ci, un article sur les atouts du compostage et des recettes de cuisine avec des légumes oubliés. Elle les survola, pressée d'atteindre les témoignages. Comme annoncé par Amélia, il s'agissait d'interviews de femmes ayant une activité en lien avec la nature et menant un combat particulier.

     Le premier portrait était celui de Meiko, 36 ans. Arrivée en France à l'âge de 10 ans, elle avait enchaîné les familles d'accueil et les foyers ; puis avait épousé un homme qu'elle pensait bien connaître. Il lui avait fallu cinq séjours à l'hôpital et une opération pour oser porter plainte et trouver le courage de fuir l'enfer de la violence conjugale. Après des années de thérapie, elle organisait désormais des cours de jardinage et des promenades en forêts, réservés aux femmes battues. En petit groupe dans un environnement calme et apaisant, ces victimes pouvaient se confier et réapprendre à vivre. Meiko se battait également pour que plus de moyens soient mis en place pour protéger ces femmes.

     Le second article traitait de Marie, 50 ans. Souffrant de douleurs chroniques et d'un vaste éventail de symptômes depuis l'adolescence, elle avait vécu l'enfer de la route menant au diagnostic. On lui avait affirmé que ses maux de ventre étaient dûs au stress et que ses migraines n'étaient que de simples céphalées. On lui avait dit que son hypermobilité était simplement un fait normal à son âge et que ses douleurs étaient de l'ordre du psychique. Des années durant, elle avait souffert en silence, commençant à penser qu'elle était folle. De médecins en médecins, de spécialistes en spécialistes, on lui donnait des noms de pathologies au hasard et des traitements qui ne lui servaient à rien. Ce fut à l'âge de 40 ans, alors que sa fille de 7 ans présentait des symptômes similaires aux siens, qu'on leur offrit enfin un diagnostic. "Ehlers-Danlos". Marie fut soulagée d'avoir un nom, de savoir qu'elle n'était pas folle. Elle était heureuse qu'on lui donnât enfin des médicaments et des accessoires adaptés. Cependant, la tristesse et la colère la rattrapèrent très vite, lorsque son enfant se luxa une fois encore le genou droit. À cause de son absence de diagnostic, elle avait pris le risque d'enfanter; et maintenant sa fille adorée était condamnée à souffrir elle aussi de cette maudite pathologie. La culpabilité commença à la ronger et elle ne trouva la paix que dans ses longues promenades au cœur de ses champs de lavande. Elle avait fini par abandonner son métier d'avocate pour se consacrer totalement à la vente de ces fleurs à la senteur si particulière. Elle se battait également pour faire connaître sa maladie et pour que le moins de patients possible ne passe tant d'années dans les méandres de l'errance médicale.

     La troisième interview était celle de Mélanie, 31 ans. Après plusieurs années de maltraitance médicale et gynécologique car elle souhaitait se faire opérer afin de ne pas avoir d'enfants; son endométriose avait été diagnostiquée. Elle fut soulagée et vit en cette pathologie l'espoir qu'on lui accorde enfin le droit de subir son intervention. Mélanie comprit vite qu'elle s'était montrée naïve car personne n'acceptait de l'opérer, sous prétexte qu'elle était trop jeune et qu'elle changerait d'avis. Sa famille, certains de ses amis et le corps médical ne pouvaient se faire à l'idée qu'une femme, qui plus est, mariée, ne souhaite pas donner la vie. À cause des souvenirs traumatisants, mélange de maltraitance physique et mentale, elle avait sombré dans une profonde dépression et quitté son emploi de caissière. Mélanie quitta alors la ville et s'installa dans une maison à la campagne, isolée dans un petit village. Elle commença à s'occuper du gigantesque jardin, l'améliorant et le redessinant peu à peu. Ce fut le début de sa reconversion en paysagiste. Aujourd'hui, elle se battait à la fois pour la reconnaissance de l'endométriose mais aussi pour le droit des femmes à ne pas vouloir enfanter. Elle attendait actuellement un rendez-vous avec un grand professeur, avec, peut-être, un nouvel espoir à la clé.

     Andy fut touchée par ces témoignages, elle qui vivait avec plusieurs pathologies invisibles et qui avait souffert et souffrait toujours de l'excès de validisme de ses proches et des gens en général. Elle tourna rapidement la page, ayant plus que hâte de découvrir l'article consacrée à Amélia.

     La jeune femme avait donc fêté ses 26 ans et était fille unique. Sa passion pour les plantes lui venait de l'enfance et plus précisément de sa grand-mère, fleuriste. Elle aurait aimé reprendre cette boutique, mais son petit-ami de l'époque l'en avait dissuadé. À 20 ans, elle sortit de cette relation toxique où elle avait perdu amis et estime de soi grâce à ses parents. Ce fut à cet instant précis, n'ayant plus grand-chose à perdre, qu'elle leur annonça sa bisexualité. Par bonheur, ils acceptèrent parfaitement la situation et elle put enfin leur avouer ses doutes d'adolescente et ses peurs de jeune adulte. Amélia eut ensuite une relation avec une femme de 10 ans son aînée. D'une jalousie maladive,cette dernière l'embaucha comme secrétaire dans son entreprise et ne la laissait jamais sortir seule. Ses parents l'ayant déjà aidé tant de fois, elle n'osa pas se tourner vers eux et sombra peu à peu sous cette emprise malveillante. Un an. Pendant une année entière, elle endura cette possessivité malsaine, ce chantage affectif et cette isolation forcée. Dans la rue, contrainte de tenir la main de sa compagne et de l'embrasser, même dans les lieux à risques, elle fut la cible de nombreuses attaques homophobes. Ce fut grâce à un court séjour à l'hôpital, suite à une chute, que ses parents apprirent la vérité et purent lui venir en aide. La jeune femme démissionna et déménagea, avec ses parents, dans une autre ville. Elle reprit ses études afin de réaliser son rêve, celui d'ouvrir sa propre boutique de fleurs. Aujourd'hui propriétaire de son magasin, elle se battait contre l'homophobie et soutenait les actions visant à sortir les femmes de relations toxiques.

     Perturbée, Andy posa doucement le magazine sur sa table basse. Elle était à la fois en colère contre ceux qui avait fait souffrir Amélia ; mais aussi heureuse que cette dernière soit bi. Elle n'y connaissait pas grand-chose en amour, mais elle était certaine que la fleuriste avait voulu lui faire passer un message. Andy aurait adoré se lever, courir jusqu'à la boutique et dire à Amélia qu'elle voulait sortir avec elle. Au lieu de ça, elle s'enfonça dans son canapé, rongée par l'inquiétude. Si elle empruntait ce chemin, comment ses proches réagiraient-ils ? Se sentait-elle capable d'assumer cette différence en plus de son handicap ? Elle avait désespérément besoin d'un avis. Anxieuse, elle attrapa son téléphone et composa le numéro de son aîné. Il était le seul à qui elle faisait suffisamment confiance pour se confier, du moins en partie.

   -Salut grand frère ...

   -Bonjour toi. C'est si rare d'entendre ta voix, toi qui est accro aux mails.

   -Je sais mais ... J'ai besoin de tes conseils. Juste ... Ne parle pas de cette conversation à nos parents ; je t'en supplie.

   -Tu me fais peur-là mais c'est ok, je te le promets. Tu ne vas pas mourir, hein ?

     Andy soupira.

   -Mais non voyons ! Comme tu le sais, papa et maman ont beaucoup de mal à accepter mon handicap et font tout pour que j'ai l'air normale. Il se trouve que j'ai la possibilité d'avoir une relation avec une personne que j'adore, qui accepte mes maladies et surtout qui me rend heureuse. Le problème, c'est que ce n'est pas le genre de relation qui va leur plaire ...

     La jeune femme se tut quelques instants avant de trouver le courage de reprendre.

   -J'ai l'impression que je n'ai pas le droit d'avoir cette relation, même si j'en meurs d'envie. Je ne sais pas quoi faire, Eliott.

     Son frère resta silencieux quelques instants, avant de lui répondre d'une voix douce.

   -Andy, tu dois choisir ce qui te rend heureuse. Quoi qu'il arrive. Il s'agit de ta vie et pas de celles de nos parents ou des autres. Tu mérites de partager tes journées avec une personne qui te fera sourire. Rien ne t'oblige à faire ton coming-out à nos parents, mais ne te prive pas de l'amour pour eux.

     Il toussa.

   -Et puis, leur besoin de normalité et leur envie de devenir grand-parents a été assouvi grâce à moi. Tu n'auras même pas à te sentir coupable de les priver de ça. Andy, pour une fois, je t'en conjure, obéis-moi : va retrouver ta jolie princesse et sois heureuse avec elle.

     Andy manqua de recracher sa gorgée de thé.

   -Ne t'étouffe pas, je m'en voudrais. Je me fiche que tu aimes les femmes, du moment que ça te convient. À l'occasion, j'adorerai rencontrer celle qui a réussi à entrer dans ton monde.

   -Merci Eliott.

   -Je t'en prie. Prends-bien soin de toi.

     Andy raccrocha en souriant. Sa décision était prise.

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