Chapitre 17 : Le signe dans les nuages

"Allez, à trois ! Un, deux, trois !"

Une violente bourrasque se mit à souffler dans les montagnes. Certains arbres, alourdis par la neige, perdirent tout à coup leur charge blanche. Un effritement dans la roche s'accéléra soudainement et de petits cailloux couleur cendre devalèrent des escaliers de pierre creusés à même la montagne.

En haut des escaliers se trouvait une bâtisse solitaire balayée par les vents. Elle semblait inhabitée, bien que ce ne soit pas le cas. En effet, une petite silhouette se tenait devant le bâtiment de pierre qui paraissait assez âgé.

Ou plutôt... Elle tentait de ne pas tomber en se raccrochant aux tuiles qui parsemaient le toit.

Un soupir bruyant se fit entendre. La silhouette battit des pieds dans le vide avant de s'arrêter. Elle releva la tête vers ses mains occupées... Et les lâcha.

Mais au lieu d'avoir une chute rapide et bruyante, elle atterrit en douceur, légèrement voûtée, les mains tendues vers le bas. Une sorte de scintillement se fit apercevoir un court instant, puis elle posa ses pieds au sol.

Marie rangea une mèche de cheveux noirs derrière son oreille. Depuis la scène de l'autel, des milliers de questions se bousculaient dans sa tête auxquelles il y avait sûrement des millions de réponses. Elle était persuadée qu'en entraînant son pouvoir, elle pourrait répondre à certaines d'elles.

Seulement, l'entraînement prenait du temps. En une semaine à peu près, elle pouvait à peine soulever une masse d'air suffisante pour réussir à décoller. Et encore, elle n'arrivait même pas à atteindre le toit de la demeure qui semblait ne pas dépasser la dizaine de mètres de haut. Elle se demandait si cela était dû au fait qu'elle manquait tout simplement de puissance ou bien qu'elle se trouvait trop en hauteur pour réussir à décoller- elle ignorait si l'air était plus rare en hauteur, ici. Pour affirmer cette théorie, il lui faudrait descendre les innombrables marches qui menaient au pied des montagnes et elle avouait ne pas être tellement emballée. Alors, à la place, elle s'entraînait jour après jour jusque tard dans la nuit pour améliorer son pouvoir. Il lui arrivait de retourner dans le dortoir tellement ankylosee qu'elle trouvait le sommeil avant même que sa tête ait touché l'oreiller.

Elle regarda le haut du toit, dépitée. Quelques jours plus tôt, elle avait découvert un grenier vide et poussiéreux qui possédait une ouverture sur le toit d'ardoise. Elle utilisait pour le moment une échelle, mais dès qu'elle arriverait à décoller convenablement, elle utiliserait son pouvoir pour se hisser d'elle-même jusqu'à l'orifice d'où on voyait se découper un bout de ciel bleu ponctué de nuages. Elle avait placé, sur une tuile relativement plate, un plat de pâtes ainsi que le mystérieux grimoire qui l'avait accompagnée jusqu'à cette planète. Le principe était simple : si elle n'arrivait pas à atteindre la limite qu'était le toit, elle ne déjeunerait pas. Son ventre gargouilla en pensant au petit déjeuner qu'elle avait, lui aussi, dû sauter. Même si cela faisait longtemps qu'elle ne prenait plus ce repas en dépit des protestations de ses parents et ses amies, elle avait l'impression qu'ici elle aurait besoin de beaucoup plus d'énergie, et pas uniquement lorsqu'elle utilisait ses pouvoirs. Son corps devait sans doute s'habituer à recevoir la magie contenue dans l'atmosphère de cette planète. Elle avait également deux théories à ce sujet : le lieu où elle se trouvait se nommait "Montagnes de l'air", air qui était à présent son élément. Il était très possible que ce lieu regorge le plus de magie de l'air qu'aucun autre endroit de cette planète. Ensuite, elle savait que son organisme absorbait la magie, il était normal qu'il doive s'habituer à celle-ci. Voilà pourquoi elle se sentait plus lourde et encore plus lente que d'ordinaire, même avec son pouvoir. Elle était un peu comme une malade en convalescence, même si les symptômes qu'elle éprouvait étaient externes et non pas liés à un quelconque corps étranger ayant pénétré dans son organisme. Bref, elle prouverait que ses théories étaient légitimes - sinon elle ne saurait pas comment expliquer son état et ce serait assez inquiétant.

Elle fixa de nouveau le toit. Elle allait réussir, elle le devait. Elle savait que son pouvoir lui serait vital dans ce monde. C'est pourquoi il lui fallait s'améliorer des maintenant.

Coûte que coûte.

Elle inspira profondément, sans fermer les yeux - il avait semblé qu'elle avait besoin d'un contact visuel avec son environnement bien que son élément soit invisible à l'œil nu. Elle appela mentalement l'air et il répondit. Elle sentit son élément l'entourer, venant de tous côtés, et d'un coup le propulsa vers le bas.

Elle fit un bond phénoménal avant d'atterrir assez violemment sur le toit, quelques mètres derrière le bord, envoyant quelques morceaux d'ardoise s'arracher sur son passage.

Elle se releva en grognant. Elle qui haïssait les montagnes russes, son pire ennemi venait de refaire surface. Elle sentait qu'elle allait devoir mettre sa phobie de côté si elle voulait s'améliorer... En même temps que son estomac. Heureusement qu'elle n'avait rien mangé.

Bon. C'était plus facile de sortir tout son pouvoir d'un coup que de s'élèver petit à petit, c'était noté. Évidemment, pile la méthode qu'elle affectionnait le moins.

Elle toussa, ce qui fit s'envoler un nuage de poussière. Le balai n'avait pas été passé depuis longtemps, ici. En même temps, elle devait être la seule à vouloir s'aventurer sur les toits... Bref, elle l'avait cherché. Elle épousseta un peu sa jupe qu'elle avait été contrainte de porter et se mit en quête de la tuile plate où reposait son déjeuner. Elle la répéra, située juste en bordure du toit -  par chance, elle ne l'avait pas fait s'envoler. La jeune fille aux cheveux de jais y parvint après avoir failli glisser quatre ou cinq fois. Elle fit souffler un léger vent afin de chasser la poussière millénaire qui reposait sur la tuile sur laquelle avait jeté son dévolu et s'y assit. Elle empoigna son assiette et commença à manger ses pâtes encore tièdes, savourant le plat autant que le paysage.

Une sensation de plénitude l'envahit. Devant ce paysage idyllique où elle voyait des montagnes à perte de vue, rien ne semblait pouvoir troubler le calme qui l'imprégnait. Si ça se trouvait, elle n'était ici que pour s'émerveiller de la beauté de la nature...

... Et elle rejeta aussitôt cette idée. Son âme de poète qu'elle avait juré cadenassé avait repris le dessus. Si elle avait été emmenée de force dans un monde inconnu où elle contrôlait l'air, son élément préféré, il y avait peu de chance que ce fût juste pour des raisons touristiques. La plupart du temps, dans les livres, il y avait des dangers interplanétaires avec un grand méchant qui voulait dominer le monde en poussant des grands rires diaboliques.

Si elle se référait à ce qui était écrit dans le livre qui changeait de monde comme de chemise - ou plutôt de couverture dans ce cas-ci -, ça risquait fort d'être le cas.

Elle ne savait pas trop quoi penser de ce livre. Il n'y avait aucun doute sur le fait que c'était le même qu'à la bibliothèque, la texture des feuilles, la couleur de l'encre, la police inégale, et même le parfum de la couverture, tout était identique. Même le rituel était retranscrit noir sur blanc à la page 394 du livre. La couverture où trônaient quatre emplacements vides était également là pour témoigner des récents événements.

Elle avala une fourchette de pâtes qu'elle avait réussi à ne pas faire brûler, ce qui était un exploit vu son piètre talent de cuisinière, puis posa la fourchette ainsi que son assiette avant de soulever le livre. Il n'était pas plus lourd que la moyenne, pourtant sa taille semblait avoir changé du tout au tout. Sur Terre, il ne dépassait pas la largeur d'un manga. Ici, il avait tant grossi qu'elle avait trébuché dessus. Elle pensait que cela était dû au fait qu'une partie qu'une partie du savoir contenu dans ce grimoire s'était probablement déverrouillée à son arrivée ici. Comme si les personnes ne venant pas d'Estralis n'étaient pas autorisés à en lire plus que la page du titre et le sommaire qui ne contenait que le numéro de la page du titre.

Mais dans ce cas, comment avait-elle fait pour découvrir le rituel ?

À moins qu'elle ne fût destinée à venir ici...

Elle posa son livre sur ses cuisses afin d'éviter de s'aventurer trop loin et laissa son esprit errer au hasard. Là, comme dans la chambre, les pages s'agiterent comme sous l'effet d'un énorme coup de vent avant de s'arrêter, brusquement, sur une double-page dont la première était ornée du titre : "L'histoire de la famille royale".

Marie haussa un sourcil étonné. Après la "Genèse d'Estralis", c'était maintenant l'histoire de la famille qui régnait sur la planète ? Planète qui, au départ inadaptée à la vie, avait vu surgir de nulle part quatre déesses qui l'avaient remplie de magie : Feuille avait créé les forêts et plaines et avaient fait sortir montagnes et volcans de terre : Écume avait fait s'abattre des torrents de pluie et la planète s'est vue offrir mers, lacs et fleuves : Cendre lui donna de la chaleur et lui insuffla son feu intérieur : enfin, Brise l'avait pourvue d'une atmosphère et d'un souffle lui avait apporté le vent. Elle n'avait pas pu obtenir d'autres informations, car la phrase que Marie lisait - "Une fois leur tâche accomplie, les déesses"- s'était mystérieusement interrompue au beau milieu de la page. Apparemment, en plus de lui faire découvrir des choses dans l'ordre chronologique, le livre aimait les mystères... Ses yeux dépassèrent le titre écrit en gros en haut de la feuille et elle se plongea dans la lecture.

Les mots narraient la mise en place d'une famille régnante choisie par les Déesses à qui elles auraient accordé de mystérieux pouvoirs dont la maîtrise se transmettait de génération en génération. Une particularité qui étonna Marie, c'était que les pouvoirs changeaient en fonction de l'individu. 

"Sans doute pour empêcher un usurpateur de se faire passer pour l'actuel souverain, pensa-t-elle. A moins que le pouvoir ne se modifient selon la qualité d'âme de chacune des personnes... C'est très intéressant."

Elle rangea cette réflexion dans un coin de sa tête en se faisant la promesse d'y revenir plus tard. 

Elle lut la suite d'une traite. Le premier roi à être monté sur le trône fut le roi Aldenir. Dans le livre, il était décrit comme un souverain sage et juste. Il n'avait pas fait construire de palais et menait une vie itinérante afin de recevoir ses sujets, s'arrêtant dans des auberges lorsque venait la nuit. "S'il y avait eu des souverains comme ça sur Terre, le monde serait bien différent", se dit-elle, ne pouvant s'empêcher d'admirer la bonté d'âme et la dignité qui furent celles du premier roi. Son règne fut connu comme l'un des meilleurs, mais le problème de sa descendance se causa bientôt : le roi avait deux filles, toutes aussi inaptes à gouverner l'une autant que l'autre. L'aînée, qu'on disait folle à lier, mourut dans un incendie qu'elle aurait elle-même provoqué. La cadette avait toute sa qualité d'âme, mais elle était cupide et implorait sans cesse son père afin qu'il prélève des taxes sur les récoltes/marchandises/déplacements et même naissances dont on n'aurait même pas eu ne serait-ce que l'ombre d'une idée. Qui placer sur le trône ? Le roi mourant prit la décision la plus juste qui soit en donnant les rênes d'Estralis à ceux qui en furent les premiers habitants. Chaque peuple elfe envoya un représentant régner aux côtés de leurs confrères - air, eau, feu et terre.

Les elfes... Marie avait récemment lu un passage sur eux. Ils étaient les plus directs descendants des Déesses, Cendre, déesse du Feu, protectrice des Elfes de Feu. Feuille, déesse de la Terre, protectrice des Elfes de Terre. Et Brise, déesse de l'air, protectrice des Elfes de Terre. D'après ce qu'elle avait lu, seul le Grand Sage, le chef de chaque peuple Elfe, maîtrisait l'élément qui lui était prédestiné dans son intégralité. Pour les autres elfes, il semblait exister une sorte de partage, une démarcation entre ce que chacun savait faire ou ne pas faire. Chez les elfes du feu, par exemple, le Grand Sage se nommait Calden, et le reste du peuple était séparé en deux familles : les elfes de Volcan qui, comme leur nom l'indiquait, vivaient dans des volcans en activité où la chaleur leur était la plus propice à la vie. Ils étaient passés maître dans tout ce qui touchait au métal et à la forge et manipulaient le magma qui de leur lieu d'habitation avec une dextérité sans pareille, contrairement à leurs cousins, les Elfes de Désert, plus habitués aux chaleurs sèches et vivaient dans un désert situé au sud des "Volcans du Feu". Les Elfes d'eau étaient, eux, guidés par la Grande Sage Aquilis. Ils étaient composés des Elfes de Pluie qui vivaient en bordure des lacs, rivières ou fleuves et avaient la capacité de manipuler l'eau contenue dans l'atmosphère, et des Elfes de Vague vivant sous l'océan et manipulaient uniquement sous forme liquide, mais avaient une technique de combat aguerrie (Marie se demandait bien à quoi cela pouvait leur servir, ils ne devaient pas avoir beaucoup d'ennemis au fond de l'océan). Chez les elfes de Terre, c'était Alitern qui protégeait les Elfes de Caverne, situés dans les souterrains et se servaient principalement de leur maîtrise de la roche dans laquelle ils creusaient des tunnels (contrairement aux autres peuples, la lumière ne leur était pas indispensable) et les Elfes de Forêt qui puisaient leur force dans la nature elle-même. Enfin, pour les Elfes de l'Air, le Grand Sage Kixin qui possédait les pleins pouvoirs sur les Elfes de Nuage, dont la particularité était d'utiliser l'air pour opérer des changements physiques comme se rendre invisible ou flotter dans les airs, et les Elfes de Brouillard qui se servaient plus de cet élément pour faire souffler des bises fraîches aux pires tempêtes. De nouveau, Marie ne put empêcher mille questions de jaillir dans son esprit : À quoi cela servait-il de départager les elfes en fonction de leur pouvoir ? Cette démarcation influençait-elle le mode de vie des elfes ? Les Grands Sages étaient-ils seuls pour gouverner ? Mais encore une fois, le livre demeurait muet à ses questionnements.

Marie sentait qu'elle commençait à s'éloigner du sujet principal, surtout qu'elle avait déjà eu l'occasion de rencontrer en personne un de ces étranges êtres. Elle était persuadée que le "fantôme" n'en était pas un, qu'il était simplement un elfe de Nuage ayant utilisé l'air pour se rendre totalement invisible. Elle dut se reprendre une seconde fois et revint sur la lignée royale. Les premières années de la succession d'Aldemir se passèrent sans aucun problème, mais une soudaine discorde éclata et la fin de ce règne se solda par une guerre. Les familles élémentaires s'entretuèrent sous les regards désolés des déesses qui assistaient impuissantes, au massacre de leurs enfants.

Mais comme toute guerre, celle-là eut une fin. Et ce fut le petit-fils d'Aldemir qui apporta la paix. Contre toute attente, un héritier possesseur d'un pouvoir s'était manifesté, choisi par les déesses. Il se rendit en personne sur le champ de bataille et n'eut besoin que d'écarter les bras pour ainsi faire apparaître des champs de force qui stoppèrent les quatre armées. Leurs ardeurs s'étant presque éteinte, le prince héritier prôna dans un discours plein de sens les valeurs de paix, justice et égalité. Les factions se repplièrent après mains débats et il fut décidé, toujours avec de longs débats, de placer le prince Crisim de son nom sur le trône d'Estralis.

Malheureusement, il sombra dans la folie durant ses dernières années de règne. Il écarta les Elfes, devenus ses conseillers, et manœuvra en solitaire jusqu'à sa mort. Le monde était alors au bord de la déchéance.

Marie passa rapidement en revue les rois qui tour à tour avaient réussi à redresser Estralis. Elle n'avait jamais beaucoup apprécié l'histoire et malheureusement pour elle, celle de la planète magique ne semblait pas faire exception à la règle. Seulement, elle se força à recommencer un paragraphe alors que la dernière phrase du chapitre ne connaissait pas de fin :

"... Après le décès du roi Meric, l'aîné de ses enfants, le prince Yvel, fut désigné pour recevoir la couronne. Malheureusement, lorsque lui et sa jeune sœur moururent dans une embuscade, la place du trône devint vacante. D'autant plus que les Estraliens commencèrent à à accuser les Elfes de Terre d'avoir planifié cette embuscade, les héritiers étant en partance pour la Jungle mythique lors de l'incident. À l'aube d'une guerre nouvelle, un nouveau roi fut-".

" « Fut »? Fut quoi ?" se demanda-t-elle.

Elle rapprocha son visage des pages abîmées, mais comme à chaque fois que ses yeux se posaient sur le point final d'un chapitre, le livre se referma d'un claquement sec, manquant de lui arracher quelques touffes de cheveux au passage.

Marie soupira. À force de lui montrer des parties inachevées, elle allait finir par croire que ce livre ne l'aimait pas. Elle aurait bien aimé en savoir plus sur le souverain qui avait régné après Meric :  s'il était encore en vie, il pouvait très bien être le terrible grand méchant de l'histoire, ce qui expliquerait pourquoi le livre s'interrompait si soudainement. Et puis, les mystérieux pouvoirs de la lignée royale l'intriguaient également... Plongée dans ses réflexions, elle. Ne comprit que trop tard qu'elle avait baissé sa garde.

Au moment même où un carreau d'arbalète tiré par un soldat en armure grise vint se ficher dans la tuile d'ardoise située juste derrière elle.

Marie déposa sans ménagement sa besace sur la table. Elle était si lourde qu'elle fit craquer le bois en un ensemble harmonieux. Sur la planche de bois soutenue par quatre pieds se trouvaient une sorte de nécessaire de survie : du pain, des fruits, une sorte de fromage qui curieusement ne fondait pas, une corde bien qu'elle doutât de son utilité (de même pour la pelle, comme si elle allait cacher un cadavre ! En fin de compte, elle la laissa sagement contre un mur du salon), une fiole qui se remplissait elle-même d'eau potable, ses affaires, métamorphosées lors de son arrivée et enfin son grimoire.

Elle se sentait plus en sécurité si elle l'emportait. Elle avait hâte qu'il lui montre un chapitre sur les pouvoirs de la famille royale, ou encore mieux, un chapitre dédiée à ce qu'elle était censée faire ici, même si elle se doutait bien que si elle représentait un des quatre éléments, et que si les autres avaient également été accordés à trois autres personnes se trouvant sur cette planète, elle allait devoir retrouver les autres. Mais ensuite ? Elle n'appartenait pas à ce monde, et ne connaissait pas le but de sa présence. Un chapitre pour m'aider serait le bienvenu, pensa-t-elle. Si cela se trouvait, elle allait devoir battre le grand méchant investi de grands pouvoirs avant qu'il ne commette ses crimes interplanétaires. Cela donnerait une raison à la présence des soldats qui s'étaient écrasés - euh, "posés avec délicatesse"- derrière la montagne. Compte tenu de ses pouvoirs, elle représentait sans doute une menace aux yeux du grand roi méchant et celui-ci avait sans doute envoyé des soldats pour la "convier" dans son château où elle aurait assisté, impuissante, à la dévastation des mondes en compagnie d'un personnage troublé mentalement qui poussait des grands rires maléfiques, etc. Bref, dès que le roi aura appris l'échec de ses soldats pour la capturer, il en envoierait sûrement d'autres et ceux-ci feraient nettement plus de dégâts que leurs prédécesseurs. En restant ici, elle n'attirerait que des ennuis. Même si partir lui brisait le cœur, car elle sentait qu'une partie d'elle se trouvait ici -, sa partie qu'elle ne connaissait même pas avant de poser les pieds au sommet de cette montagne.

Elle rabattit la capuche de sa sacoche. Elle n'avait rien oublié, normalement. Normalement. C'était fou, cette impression de toujours tout oublier. Quand elle partait en vacances, elle devait toujours vérifier le contenu de son sac, et encore ! Pendant un instant, l'image de plages ensoleillées la fit sourire. Mais sa situation actuelle lui revint à la figure et son sourire se ternit.

"Courage ! se dit-elle mentalement. Je parie qu'aussi ici il y a de belles plages !"

Elle passa la bandoulière de son sac autour de son cou. Il était réellement enchanté : alors qu'elle venait de le remplir à ras bord, il ne dépassait pas d'un pouce sa taille habituelle - il était même aussi léger que s'il était vide. Elle s'assura qu'il ne risquait pas de s'ouvrir et sortit du dortoir qu'elle venait de nettoyer, comme à chaque fois qu'elle sortait d'un endroit qui l'avait hébergée. Les nuits qu'elle y avait passées avaient été peuplées des rêves les plus agréables. Avec un soupir chargé de regrets, elle se dirigea vers la sortie.

Elle ferma la porte d'entrée qui émit un bruit sonore suivit d'un discret cliquetis. La première fois qu'elle était arrivée, elle n'avait pas remarqué le mécanisme qui se situait dans la serrure et était passée à travers sous la forme d'un courant d'air. Mais en vérité, sous une épaisse couche de poussière se trouvait un complexe ensemble de rouages que seul un souffle d'air provoqué par une action magique pouvait activer. À ce contact, les  roues dentées s'actionnaient et déverouillaient la porte. Pour la revérouiller, la même force exercée dans le sens contraire suffisait. Elle passa rapidement la main sur la serrure tout en usant de sa magie et un claquement l'informa que désormais seul un être possédant la magie de l'air pourrait entrer. Le cœur lourd, elle tourna les talons et descendit à toute allure les marches marquées par les bottes de métal des soldats, seuls souvenirs des malheureux qui s'étaient retrouvés expulsés du haut des marches, quelques instants plus tôt.

Elle courait. Elle courait à en perdre haleine, les jambes ainsi que les joues en feu. Sur son chemin, des cailloux délogés du sol dégringolaient, emplissant l'air de son écho. Ses cheveux couleur de jais fouettaient son visage, mais elle n'avait ni le temps ni l'attention nécessaires pour s'en soucier.

Elle était poursuivie. À peine était-elle arrivée au pied de la montagne après une heure passée pour descendre les escaliers de pierre qu'un grondement sourd retentissait. Elle n'eut que le temps de tourner la tête et d'apercevoir un vol d'espèces de croisements entre un vautour et une chauve-souris que déjà les rapaces fondaient sur elle.

Seulement, la course n'était absolument pas son fort. Elle faisait de son mieux pour tenter de semer les volatiles mais à défaut de se laisser distancer, ceux-ci se rapprochaient dangereusement. Elle entendit même un bec claquer tout près de son oreille.

De plus, le terrain, couvert d'herbe fraîche et parsemé de fleurs, était inégal et elle manqua de trébucher plus d'une fois. À chaque faux pas, la nuée volante se rapprochait un peu plus, et ses chances de réussites étaient plus que minces.

À cet instant précis, Marie regretta amèrement de ne pas avoir fait plus de jogging.

Soudain, elle sentit sa jambe se dérober sous elle et elle tomba à la renverse sur le sol. Elle jeta un œil rapide à ce qui avait causé sa chute et son visage traduisait une terreur sans nom.

"Un nid de taupe !" pensa-t-elle, horrifiée.

C'était le nom qu'elle donnait à toue les trous dans la terre qui étaient si profonds et étroits qu'ils semblaient avoir été creusés par ce mammifère connu pour sa myopie. Malheureusement, son pied y était coincé et elle n'arrivait pas à le déloger.

"Allez, bon sang ! Allez !"

Une douleur fulgurante lui transperça soudain la cheville. En essayant de la tirer hors du nid, elle se l'était complètement tordue. Une peur indescriptible s'empara d'elle au moment où la masse grouillante d'oiseaux lui bloqua les rares rayons de soleil qui lui parvenaient en dépit des nuages et commença à lui asséner de puissants coups de griffes.

Malheureusement, comme lors de la course-poursuite, la peur et l'affolement bloquaient son pouvoir. Elle tenta de repousser les serres et bec qui lui frôlaient la tête mais chaque coup évité était remplacé par trois autres, encore plus puissants que les précédents. La douleur lancinante s'insinua dans sa jambe et menaça de lui faire perdre connaissance. Elle commençait à perdre espoir lorsqu'un grand bruit ébranla le paysage.

Suivi d'un autre. Et d'un troisième. Les rapaces qui s'acharnaient sur la jeune fille prirent soudainement de l'altitude, la laissant partiellement libre de ses mouvements. Lentement, elle baissa les bras qu'elle avait instinctivement placés au-dessus de sa tête et vit que les volatiles avaient tous le regard uniformément rivé sur le ciel. Intriguée, elle suivit ce que leurs yeux désignaient et elle comprit.

Les nuages s'agitaient dans le ciel. Ou plutôt, ils s'orientaient. C'était comme s'ils formaient des symboles indéchiffrables aux yeux de la jeune fille.

Mais les volatiles, eux, semblaient comprendre. Marie eut l'impression qu'ils avaient tous hoché la tête d'un air entendu avant de s'envoler. Quelques minutes plus tard, il ne restait aucune trace d'eux dans le ciel.

La douleur ramena soudain Marie à la réalité. C'était la première fois qu'elle se tordait la cheville et bon sang ce que ça faisait mal. Elle réussir néanmoins à l'extirper, maintenant que la peur ne brouillait plus ses capacités intellectuelles.

Mais être libérée de ce piège ne faisait pas disparaître la douleur. Le souffle court, les cheveux encore plus désorganisés que d'habitude, des points noirs dansaient devant ses yeux. C'était si douloureux de se tordre la cheville ? À ce train-là, elle avait carrément dû se casser quelque chose... Il ne fallait pas qu'elle s'évanouisse ici. Pas dans un endroit inconnu où le danger pouvait se cacher derrière le moindre petit brin d'herbe.

Un mouvement dans son sac attira son attention. Les mains tremblantes, elle souleva la capuche de son sac et vit que livre s'agitait à l'intérieur. Elle l'extirpa aussi délicatement que possible et, comme à chaque fois qu'elle le prenait dans ses mains, il s'ouvrit et les pages défilèrent à toute allure. Quand enfin elles s'arrêtèrent, la première page était ornée du titre :

"La magie de l'air, ou l'histoire d'un peuple".

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