°2022°

Taehyun fixait le robinet ouvert, le jet craché en son bout et les infimes gouttes que la pulsion projetait. Il passait parfois son doigt sous l'eau glacé, et de sa seconde main caressait pensivement son ventre.

Des centaines de réflexions défilaient à la seconde, des nuages noirs assez épais pour alourdir son crâne, et il tentait de tout chasser derrière l'image de la madeleine qu'il avait avalé plus tôt.

Elle était bonne, cette madeleine.

Elle était trop sucré.

Elle avait été préparé avec amour.

Elle était trop grasse.

Son père, Beomgyu, ils avaient été si ému de le voir manger.

Taehyun, lui, se sentait lourd et nauséeux.

Il passa un jet d'eau sur son visage, deux, trois, des vagues glacées qui lui giflaient la peau. Puis il regarda le robinet cracher les gouttes par millier, il observa l'évier de remplir, et tentait de respirer.

Pourquoi n'arrivait-il pas à allez au-delà ?

Pourquoi un simple événement, une simple parole, le faisait trébucher ?

Pourquoi il était si faible ?

"Il semblait fragile"

Taehyun plongea sa tête dans l'évier, laissa ses sens se perdre dans l'eau et son souffle s'étouffer.

Il voulait réfléchir, il ne voulait pas penser.

Il voulait se calmer, il voulait tout déchirer.

Il voulait être fort.

Il voulait vomir.

Sa tête émergea, il inspira, éteignit le robinet et tourna le regard vers les toilettes. L'envie d'enfoncer ses doigts dans sa gorge, jusqu'à en irriter les parois, se faisait si grande qu'il en tremblait.

- Si tu vomis, tu es faible, murmura-t-il.

Yeonjun lui avait dit ces mots autrefois, croyant sûrement que ça l'aiderait, croyant que c'était aussi facile.
Et Taehyun l'écoutait, parce-qu'il était aussi idiot que son ami. Il se répétait que chaque passage aux toilettes était un échec, et qu'il ne faisait qu'échouer.

Ça ne l'empêchait pas de vomir, jamais, mais il y croyait.

Son lui du lycée, si stupide et perdu, voulait croire en les conseils de cet aîné, cet ami, qui n'y comprenait rien.

"Il avait l'air fragile"

Taehyun s'agenouilla devant ses toilettes, observa longtemps le fond de la cuvette, puis déposa le bout de ses doigts sur ses lèvres. Sa peau vibrait, des milliards de frissons parcouraient son épiderme à mesure que les larmes lui montaient.
Pourquoi il faisait ça ?

Juste parce-que Beomgyu lui avait dit que Yeonjun avait l'air fragile ?

Juste parce-qu'il avait sous-entendu que l'ainé de leur groupe, ce bloc de confiance et de force, n'était plus celui d'autrefois ? Qu'il se détruisait ?

Oui, c'était pour ça, en grande partie pour ça.

- J'ai pas le droit d'être faible... mais toi non plus Choi Yeonjun, murmura-t-il.

Il ne voulait pas y croire, il était incapable d'y croire.

Et pourtant, au fond de lui, il savait que Beomgyu ne se serait pas trompé, sur ces choses-là il ne se trompait jamais.
Même s'il se disait le moins intégré à l'époque, même si Taehyun devait bien avouer qu'il y avait de la vérité dans cette impression, il avait toujours été celui qui remarquait ce qu'aucun d'eux ne voyait. Les rictus agacés, les traces de tristesse, d'embarras ou encore de joie, rien n'échappait jamais à Beomgyu.

- À quoi ça rime tout ça ? À quoi servent tout mes efforts si tu t'affaiblis, Yeonjun ?

Sa voix tremblait plus que son corps, elle s'effritait en de milliards de petites pointes tranchantes qui lui griffaient la gorge, les poumons, le coeur, mais surtout l'estomac.

Ses doigts de déposèrent sur sa langue, incapable de glisser plus loin, de tripoter la limite qui lui ferait recracher cette foutu madeleine. Il ne voulait pas allez plus loin, retomber dans ce travers-là, son corps le lui demandait mais quelque-chose l'en empêchait.

Pouvait-il être fort finalement ?

Il essaya de penser à son père, sa mère, sa soeur, ses amis, toute ces personnes qui seraient déçu s'il se relâchait.

Il repensa à Yeonjun, à ses expressions irritées, son ton rocailleux ou ses yeux enflammés quand il le surprenait à vomir au lycée. Toute les fois où ce garçon lui avait tendu de la nourriture, puis observé d'un oeil autoritaire pour que Taehyun en avale au moins une bouchée.

Il repensa à Soobin, qui venait lui confier toute ses peines et ses fardeaux, qui s'autorisait parfois à pleurer devant lui, puis lui affirmait qu'il pouvait lui aussi devenir une oreille attentive si Taehyun voulait parler. Ce qu'il ne faisait jamais, il lui souriait juste, et s'autorisait une étreinte parfois.

Il repensa à Kai, qui le fixait toujours d'un air inquiet, qui parfois prenait ses bras et constatait leur maigreur en silence, qui lui jettait des coups d'oeil furtif dans les vestiaires des cours de sports, toujours avec cette triste lueur dans le regard.

Puis il pensa à Beomgyu.

Beomgyu qui, au lycée, ne faisait pas grand-chose.

Qui ne l'avait jamais forcé à manger, invité à se confier, ou encore regardé d'une manière significative.

Au lycée ils n'étaient pas aussi proche qu'aujourd'hui, mais Taehyun se rendit soudainement compte que Beomgyu n'avait jamais agit comme s'il était en compagnie d'un malade.

Ses doigts se crispèrent au point de griffer sa langue, et il les sortit de sa bouche. Il ravala sa salive et tourna son regard vers le miroir, pour y rencontrer le visage de son reflet.

Bien lointain du petit adolescent fébrile qui se faisait vomir, à la peau blanche et creusé, le garçon face à lui avait une peau légèrement rosé, des joues douces et une touffe de mèches blondes qui virvoltaient sur son crâne. Il s'offrit un sourire, un sourire chargée de larmes, de dépit et de tristesse, puis ferma les yeux.

Il en ouvrit un, le gauche, et laissa la magie le guider dans le passé.

À l'époque où il avait décidé de se teindre les cheveux, à l'époque où était née le nouveau Kang Taehyun.

Il y a un an.

À cette période il venait de terminer le lycée et rentrait en première année de fac, pour étudier la musique. Une année le séparait de sa sortie de l'hôpital, on l'avait gavé à souhait avant de le relâcher, comme s'il était guéri.
Ses parents, gentil mais trop naïf, y croyaient, sa grande soeur le surveillait du coin de l'œil mais l'imaginait également plus ou moins rétabli. Quant à ses amis, Jake, Jay et Sunghoon, ils pensaient que ça allait mieux malgré quelques rechutes.
Alors Taehyun entrait dans leur jeu, il souriait et mangeait un peu, évitait les miroirs et les balances, évitait à tout prix de regarder son corps. Parfois encore il se faisait vomir, mais bien moins qu'avant. Dès que l'envie lui prenait, et même s'il haïssait cette nouvelle manie, il pensait à Yeonjun, Soobin, Beomgyu et Kai. Même s'il avait coupé les ponts et qu'il ne voulait plus jamais les contacter, il se disait que ses anciens amis seraient déçu et triste s'ils le savaient en train de se faire vomir. Après tout, Taehyun ne les détestait pas autant qu'il l'affirmait, seulement il préférait les tenir à distance pour des raisons qu'il avait évité de leur confier.

Il venait de rentrer à la fac, jouait un rôle dans lequel tout allait bien, souriait à ses parents, sa soeur, ses amis, comme un parfait petit comédien. Ils n'y voyaient que du feu, trop heureux de le voir avancer, sans se douter un seul instant qu'il se sentait si creux et tordu à l'intérieur.

Puis Choi Beomgyu avait débarqué dans sa classe, leurs regards s'étaient croisé, et le sourire de Taehyun avait dégringolé.

Il savait. En un coup d'oeil Beomgyu avait tout de suite su que ça n'allait pas, il voyait bien au-delà de sa fausse joie.
Et Taehyun eu beau le rejeter, le jeune homme insistait. Il s'asseyait à côté de lui et le suivait dans les couloirs, jusqu'à venir jusqu'à chez lui.

Jusqu'à être invité à dîner par son père trop naïf, puis rester dormir, puis se glisser dans le lit de Taehyun comme s'ils étaient toujours amis.

"Ton faux sourire, il est super moche" avait murmuré Beomgyu, lorsqu'il était venu se blottir face à lui.

"Dégage de mon lit" répondait Taehyun, qui poussait son aîné loin de son corps.

"Il fait froid par terre, tu ne vas tout de même pas laisser ton ami mourir de froid ?"

"On est pas amis, à partir de demain je ne veux plus jamais te revoir"

Beomgyu s'était mit à rire, puis bloqua les bras de Taehyun pour l'empêcher de le propulser hors du lit.

"Tu vas leur montrer un faux sourire encore longtemps ? À ta famille et tes amis ?" Avait-il demandé.

"Ce n'est pas un faux sourire"

"Kang Taehyun, t'as toujours été un mauvais menteur"

"Je vais mieux"

"Mieux c'est pas assez, moi je veux que tu ailles bien. Tu sais ce que ça signifie, être bien dans sa peau ?"

Taehyun avait tenté de le repousser avec plus de force. Mais plutôt que de s'éloigner, son aîné profita de cet élan pour le tirer contre lui.

"Ça veut dire qu'on se sent tous comme dans une prison, notre corps est comme une prison à laquelle on ne pourra jamais échapper. On aura beau la décorer pour qu'elle soit plus jolie que celle des autres et y ajouter des tas d'artifices, c'est inutile. Parce-que dans cette prison on est tout seul"

À mesure que Beomgyu parlait Taehyun se débattait. Il ne voulait pas entendre ça, des discours moralisateurs on lui en avait déjà craché des tonnes à l'hôpital.
Mais la poigne contre lui était plus forte que la sienne, il ne pouvait pas fuir.

"Alors la rendre belle pour les autres c'est inutile, ils n'y vivront jamais, ils ne sauront jamais à quel point elle est réellement belle. On est seul dedans, c'est une prison mais c'est aussi un cocon, chaud et agréable, qui nous permet de vivre. Ce cocon c'est pas un ennemi, il faut avancer avec lui et en prendre soin, le serrer dans nos bras pour qu'il nous enlace à son tour. C'est ça être bien dans sa peau, c'est aimer ces murs de chairs, de sang et de peaux qui nous composent"

Taehyun s'était figé, la gorge tellement serrée qu'il se sentait à peine respirer.

"Ton corps te permet de vivre, et je suis certain que tu n'as jamais prit le temps d'y penser, tu n'as jamais prit le temps de le remercier. Il en a besoin pourtant, ce corps si courageux, ce corps qui se bat pour vivre dans un monde difficile, ce corps qui te permet d'être l'une des plus belle personne en ce monde"

Beomgyu s'était mit à le bercer, à lui caresser les cheveux, sûrement bien conscient des larmes que ses mots faisaient naître dans les yeux de son cadet.

"C'est ce que j'aurais voulu te dire au lycée. Désolé d'être en retard. Et merci d'être en vie Taehyun"

Le lendemain, alors que Beomgyu dormait encore dans son lit, Taehyun s'était regardé dans le miroir de sa chambre pour la première fois depuis très longtemps. Et pour la première fois tout court, il ressentit l'envie d'apprécier le garçon aux grands yeux qui le fixait depuis son reflet.

"Ça te dirait de te teindre les cheveux en blond ? Je me suis toujours dit que cette couleur t'irait bien, ça te rendrait lumineux, comme une petite étoile" avait murmuré Beomgyu, qui le regardait d'un oeil endormi depuis le lit.

L'après-midi même ils s'étaient rendu chez le coiffeur, pour étouffer ses mèches brunes et ternes derrière la teinte brillante des astres.

Et à se voir ainsi, à travers les yeux tendre de son ami, Taehyun aurait presque pu dire qu'il ne se trouvait pas si moche.

Beomgyu aimait dire qu'il n'avait pas été d'une grande aide dans son combat contre la maladie, il aimait dire qu'il avait rajouté sa petite pierre à un édifice déjà établit. Mais il se trompait, cette nuit-là, caché sous la couverture et murmurant dans la nuit, il avait prononcé les mots qu'il fallait.

C'était grâce à lui, et à lui seul, qu'aujourd'hui Taehyun était capable de se regarder dans le miroir sans se trouver trop gros ou trop maigre, sans se maudire d'être un homme, sans ressentir le moindre dégoût face à son visage, ses bras, son torse, sa taille ou ses jambes. Juste de la reconnaissance, pour ce corps avec lequel il existait.

Ses yeux s'ouvrirent de nouveau dans le présent. Il se leva et essuya ses larmes puis, sans quitter son reflet des yeux, se déshabilla pour s'octroyer une bonne douche chaude.
Par la fenêtre de la salle de bain il entendait la pluie exalté ainsi que les coups du tonnerre, sous la chaleur de l'eau il se laissa le temps de respirer.

Et de pleurer, un tout petit peu.

Son esprit restait focalisé sur ce que Beomgyu lui avait dit à propos de Yeonjun, il avait fait de son mieux pour ne pas montrer à son ami à quel point ses paroles le pertubaient, mais l'idée de son aîné affaiblit allait le hanter sur la durée.
Pourquoi il fallait qu'ils en arrivent là ?
Était-ce réellement aussi grave que Taehyun le présageait ? Aussi horrible qu'il le craignait ?

Il ferma les yeux et ouvrit de nouveau le gauche, la peur mordait son ventre mais il n'avait pas le choix.

Tout ses efforts ne serviraient à rien s'il arrivait quelque-chose à Yeonjun.

C'était en grande partie pour protéger cet idiot que Taehyun s'était séparé du groupe il y a cinq ans.

La salle de bain disparu de son champ de vision, il ouvrait son oeil dans le présent mais perçait les limites de l'espace, comme il le faisait si souvent auparavant.
Une prairie calme lui apparut, remplie par des fleurs violettes et entourée d'une forêt aux arbres morts.

Rongés par le feu des querelles d'autrefois.

Aucune étoiles ne décoraient le ciel sombre, à l'exception des fleurs il n'y avait aucune vie en ce lieu.

Pas d'étoile, pas de plantes hormis les pétales violet, pas de voix, pas d'être vivant.

Personne.

Taehyun soupira. Ce moment présent là il l'avait regardé comme le futur quand il était au lycée, cette nature morte l'obsédait au point de ne plus en dormir la nuit, il avait cherché par tout les moyens à empêcher que le Magic Island devienne ainsi.
Au final il avait échoué, mais il ne ressentait aucune déception, à ses yeux il s'agissait d'une fatalité. Il n'aurait jamais pu changer ça.

Non, mais il avait bien réussi à changer quelque-chose.

Il avait sauvé le plus important.

Autrefois, quand il observait le futur, il y avait un corps au cœur des fleurs violettes, un corps qu'elles recouvraient en grande partie mais dont il ne pouvait pas nier l'identité.
Un visage éteint, clos, comme perdu dans le plus malheureux des sommeils. La blancheur de sa peau s'évaporait sous un teint grisâtre, froid, glacé, sur lequel des gouttes d'un liquide violet à la texture du sang glissaient lentement. Une pâle figure de marbre, immobile et griffé par les tiges épineuses des fleurs. L'unique détail lumineux qui égayait ce corps sans vie restait la chevelure brillante du garçon, des mèches colorées d'un jaune vif qui se collaient, poisseuses, contre sa peau.

Le cadavre de Yeonjun.

Au lycée Taehyun le voyait dès qu'il épiait le futur, toujours cette même image d'un ami mort, toujours ce même avertissement de ce que le destin leur réservait.

Aujourd'hui la prairie ne présentait aucun cadavre, et il s'autorisa un petit sourire dépité. Il avait sauvé son aîné mais l'avait-il sauvé pour de bon ? Les avait-il tous sauvé ?

Il voulut faire un pas en avant, se diriger vers le futur et prier pour n'y retrouver aucun cadavre, confirmer ainsi qu'il avait bien agit, qu'il ne faisait pas d'erreur en brisant son amitié avec eux. Mais son pied refusa de se lever pour avancer, il eu beau tirer ses jambes demeuraient immobile.
Son attention se tourna alors vers le sol et un hocquet d'horreur souleva sa gorge en constatant qu'il ne se tenait pas sur de la terre, mais sur une substance violacé assez visqueuse pour l'avaler peu à peu. Il ne voyait déjà plus ses pieds, il s'enfonçait dans le sol et aucun de ses efforts ne suffisait à l'en libérer.
Autour de lui les fleurs semblaient danser dans un vent qui se levait peu à peu, il les entendrait presque rire de son malheur. Les branches des arbres morts aussi gigotaient, mais pas au grès d'un caprice de l'air, il y avait quelque-chose qui les faisait bouger.

Quelque-chose approchait, une ombre que Taehyun n'arrivait pas à identifier. Il aperçu des yeux, un iris violet et un vert, mais la peur le saisissait à un point qu'il ne voulait pas connaître l'identité de cette forme sombre.
Son oeil droit s'ouvrit, et il quitta ce Magic Island horrifique.

Il était de retour dans sa douche, agressé par un jet d'eau brûlant, et se laissa tomber sur le sol. Son regard se déposa sur ses pieds nus et, évidement, la substance violette ne les dévorait plus. Son souffle sortait difficilement, si bien qu'il déposa ses deux mains sur sa poitrine et resta immobile durant cinq bonnes minutes.
À la sortit douche sa peau rougissait sur chaque petit centimètre, il se sécha et s'habilla sous la maladresse de ses tremblements.

Quelque-chose ne voulait pas qu'il voit le futur. Cette impression se répéta en boucle dans son crâne, traînant derrière elle son lot de frisson.

Taehyun attrapa son portable et ouvrit l'application de messagerie qu'il avait supprimé le matin même, et qui n'avait pas tardé à réapparaître, encore.

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Son doigt flotta longtemps devant le premier "accepter", son instinct lui criait de prévenir les quatre autres qu'il se passait quelque-chose d'étrange au Magic Island.
Et pourtant il n'en fit rien, craignant que la brèche s'ouvre complètement s'il prenait contact avec eux, et que la magie les propulse tous là-bas.

Taehyun devait garder le lien cassé, il devait éloigner la magie, le danger.

Il devait les protéger.

Il ne fallait pas retourner là-bas.

Il soupira et supprima de nouveau la messagerie, n'ayant que faire que son geste soit inutile. Puis il répondit aux messages de Sunghoon, Jake et Jay qui lui disaient qu'ils devraient annuler leur petite soirée. La tempête les bloquait chacun chez eux, et en levant les yeux vers la fenêtre Taehyun comprit pourquoi.
La pluie tapait tellement fort contre la vitre que celle-ci pourrait exploser, accompagné par les cris d'un tonnerre violent. Il avait rarement vu une tempête pareille, le déchirement des intempéries en soif de destruction.

Quelqu'un frappa à la porte de la salle de bain et, croyant qu'il s'agissait de sa soeur prête à le sermonner pour y être resté trop longtemps, il s'empressa d'ouvrir. Mais alors qu'il se rappelait tout juste qu'Eunbi était chez une amie, la vision du couloir vide s'offrit à lui.

Sûrement avait-il rêvé, la tempête résonnait si fort dehors qu'il avait dû confondre.
Il décida de retourner dans sa chambre, s'accorder une lourde nuit de sommeil afin de remettre ses idées en place. Mais à peine eut-il fait un pas en avant que de nouveau des coups resonnèrent.

Cinq coups, cette fois venu de l'intérieur de la salle de bain.

Taehyun les avait entendu clairement, il ne pouvait pas avoir rêvé, il ouvrit la porte dans un geste si précipité qu'elle se heurta au mur. Il espérait ne rien y trouver, se prouver que des hallucinations lui jouaient de mauvais tours.

Mais il y avait bien quelqu'un dans la salle de bain.

Il y avait un garçon devant le miroir.

- Kai ?

Taehyun resta figé au pas de la porte, incapable de réaliser ce qu'il voyait, de comprendre pourquoi son ancien ami se trouvait dans sa salle de bain.

C'était un rêve, ou un cauchemar, il ne voyait pas d'autre explication.

Kai tourna lentement la tête vers lui, un air absent éteignait son visage, mais lorsque leurs regard se rencontrèrent un immence sourire étira ses lèvres.

- Taehyun, qu'est-ce que tu fais ici ? Quelqu'un pourrait nous voir, et tu ne veux pas que les autres nous voit ensemble.

La voix du garçon était la même qu'à l'époque, cette douceur enjoué qu'il y mettait, ses sourires interminables, son regard compréhensif.

Ce Kai était identique à celui du lycée, pourquoi n'avait-il pas changé en cinq ans ?

- De quoi tu parles ? Toi qu'est-ce que tu fais ici ?

- Tu devrais t'en allez Taehyun, les autres vont nous voir, il vont arriver et nous voir parler. Il vont te voir, tu détestes ça n'est-ce pas ?

Son sourire devenait plus grand, trop grand, il tirait ses lèvres à tel point qu'elles semblaient prête à se déchirer.

- Kai... qu'est-ce que tu racontes ?

- Est-ce que tu me détestes Taehyun ? Je t'aime tellement, mais parfois j'ai l'impression que tu me détestes. Je suis trop bruyant, trop visible, c'est pour ça que tu ne veux pas me parler. Dis, est-ce que tu me détestes ?

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

Taehyun reculait, ce n'était pas Kai devant lui, ça ne pouvait pas être Kai. Il était dans un rêve, dans un cauchemar, dans une cassure du réel, dans n'importe quoi d'autre plutôt que dans la vrai vie.

- C'est votre faute, votre faute à tout les quatre, si j'en suis là. Mais je vous aime tellement, je n'arrive pas à vous en vouloir.

Kai cessa de le regarder, il fixa le miroir, et alors que Taehyun constatait que le corps de son ami ne produisait aucun reflet, l'image se brouilla.

- Je ne vous en veux pas, de m'avoir abandonné.

C'était les derniers mots qu'il entendit, avant d'ouvrir les yeux sur un mur blanc et trempé.
De nouveau Taehyun se trouvait dans sa douche, le jet brûlant faisant rougir son corps et les jambes chancelante au point qu'il en tomba. Son premier réflexe fut de se pincer le bras, tellement fort que ses ongles perforaient sa peau, pour s'assurer d'être bien de retour dans la réalité, en dehors de la magie.

Il pressa sa main contre se coeur, sentit sa poitrine qui tressautait tandis qu'il étouffait, les sanglots accumulés dans une gorge obstrué.

Il voulait crier, mais aucun son ne parvenait à franchir ses lèvres, seulement un souffle écrasé sous la panique.

Le tonnerre, la pluie, la tempête, les bruits des intempéries lui semblaient tellement puissant que ses tympans se bouchaient. Toujours assit dans la douche, Taehyun parvient à tourner le regard vers le miroir, craignant d'y trouver quelqu'un.

Mais il était seul dans la pièce, complètement seul, tout ce qu'il avait vu n'était que le fruit de la magie, les brèches entre le temps et l'espace qu'il parvenait à pénétrer. Peut-être qu'avec ces cinq années sans pratique régulière il s'était quelque-peu déréglé ? au point que son pouvoir devenait défaillant ? Lui montrait des visions dénué de sens ? C'est ce qu'il voulait croire.

C'est ce qu'il se répétait en boucle, alors qu'il fixait son propre reflet dans le miroir, incapable de détourner la tête en constatant que son oeil gauche était devenu entièrement noir, et qu'une étoile clignotait à l'intérieur.

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