Part III - 13
°2022°
Soobin n'avait aucune idée de ce qu'il faisait là, assit dans une herbe qui tâchait son pantalon, les doigts serrés autour du cône d'une glace à la fraise et en compagnie des personnes qu'il avait autrefois cru rayer de sa vie.
À ses côtés Kai dégustait une glace parfum vanille alors qu'un sourire extraordinaire lui tirait les lèvres, adossé à un Yeonjun qui terminait déjà sa sucrerie au goût chocolat menthe. Un mélange que Soobin avait toujours détesté et que le plus vieux vantait sans cesse comme l'une des meilleures saveur, ça avait pendant longtemps été un sujet de débat entre eux.
Un débat stupide, mais qui les amusait autrefois.
Beomgyu fermait leur cercle, laissant sa glace fondre sur ses doigts puisqu'il parlait plus qu'il ne mangeait. À l'époque du lycée déjà le jeune homme pouvait être bavard quand il était de bonne humeur, mais Soobin avait l'impression que cette particularité s'était emplifier.
Voilà dix minutes maintenant qu'il leur racontait sa vie, il parlait de ses études de musique, de ses compositions, de sa popularité sur les réseaux sociaux et l'argent qu'il mettait de côté depuis que des marques le contactaient pour des collaborations. Une petite célébrité en devenir, jamais ils ne se seraient attendu à ça de sa part.
Ils connaissaient tous sa passion pour la musique depuis son plus jeune âge, mais Soobin aurait mis sa main à couper en pariant qu'il finirait par abandonner cette voie pour suivre les ambitions de son père, qu'il choisirait ce paternel dure avec lui plutôt que ces rêves. Parce-que Beomgyu avait toujours été comme ça, il recherchait l'approbation des autres plus que tout.
Mais sûrement que cette approbation il le trouvait de la part d'inconnus sur les réseaux, ou alors juste en l'unique personne de Taehyun.
"Je suis la cinquième roue de notre putain de carosse ! Vous ne faites jamais vraiment attention à moi ! Vous ne me demandez jamais comment je vais !"
Soobin grimaça, pourquoi fallait-il que dans un moment paisible comme celui-ci de mauvais souvenir du passé vienne le hanter ?
Peut-être parce-que, après les centaines de reproches que Beomgyu leur avait faite à l'époque, il ne se serait jamais attendu à le revoir en leur compagnie, souriant et bavard.
C'est pour cette raison d'ailleurs que Soobin se tenait ici avec eux, en cette après-midi où il devrait se trouver en cours. Yeonjun leur avait proposé d'allez manger une glace et il avait d'abord refusé, mais en voyant que Kai et Beomgyu s'y rendaient une vive hésitation l'avait gagné.
Est-ce que leur bande n'était-elle pas en train de doucement se relier ? Est-ce qu'il ne devrait pas se tenir parmi eux alors qu'une nouvelle partie de leur puzzle informe se rattachait ? C'est les questions qui l'avait hanté alors qu'il griffonnait sur son cahier, peu attentif aux paroles du professeur qui leur répétait pourtant souvent qu'il s'agissait d'une matière importante dans son cursus.
Puis à l'inter-cours il s'était rendu compte qu'il avait dessiné un paysage du Magic Island sur son cahier. Alors il avait rangé ses affaires, quitté l'amphithéâtre et couru jusqu'au point de rendez-vous donné par les garçons.
Sans réfléchir, poussé par une pulsion insondable, comme le soir de la fête où ils s'étaient tout les cinq revu après tout ce temps.
Soobin voulait être présent, il voulait s'intégrer à des retrouvailles qu'il ne pensait pas possible, alors même que son cœur s'écrasait rien qu'à l'idée de les voir.
Il devait comprendre ce qu'il se passait, pourquoi une voix sortie de nul part lui murmurait "Souviens-toi" depuis que le contact se refaisait entre eux.
Et aucun de ses trois anciens amis n'avaient émit de réticences à sa présence, ni même posé de question sur pourquoi il avait changé d'avis. Ils avaient juste sourit et lui avaient commandé une glace.
- Comment vous êtes arrivé à vous reparler Taehyun et toi ? Demanda Kai, qui tendait un mouchoir pour que Beomgyu essuie la glace fondu sur ses doigts.
Le jeune homme afficha un air gêné en goûtant enfin à sa sucrerie. Toute les trois secondes le nom de Taehyun s'était immiscé dans son discours, sans réellement entrer dans les détails de son amitié avec le plus jeune mais comme un élément omniprésent de sa vie. Alors évidemment cela portait à question, Soobin mentirait s'il disait ne pas avoir la folle envie de savoir comment ses deux anciens amis étaient parvenu à renouer malgré tout ce qu'il s'était passé.
Taehyun avait toujours été le plus renfermé d'entre eux, une vrai coquille hermétique quand il le voulait, Soobin ne pouvait jamais lire en lui comme il le faisait avec les trois autres. Pourtant ça ne les avait pas empêcher d'être proche, Taehyun avait beau être plus jeune c'était toujours auprès de lui qu'il allait se confier et demander des conseils, il avait toujours trouvé plus facile de parler en sa compagnie.
À bien y penser il avait eu une relation différente avec chacun des garçons. Taehyun avait été son confident, Kai celui qui le reconfortait toujours en un sourire et qui le laissait volontier se plaindre ou pleurer sur son épaule, Beomgyu celui avec qui il pouvait se relâcher, plaisanter, taquiner et rire sans limite.
Et puis il y avait Yeonjun, qui lui apportait tout ça à la fois et plus encore, le seul avec qui tout était trop compliqué.
- Ça n'a pas été simple d'approcher Taehyun, vous le connaissez il est plus sauvage d'un animal quand il veut, répondit finalement Beomgyu. On s'était retrouvé dans la même classe à la fac, puisque j'ai redoublé. J'ai tout de suite insisté auprès de lui, beaucoup insisté, trop insisté. Il m'a menacé de porter plainte pour harcèlement le soir ou je suis venu sonner chez lui.
- Il a pas changé, murmura Yeonjun.
Un petit sourire se dessinait sur ses traits, une étincelle de nostalgie dont Soobin devinait bien la cause. C'était du Taehyun tout craché de lancer des menaces à tout va, tout en sachant lui-même qu'il n'en ferait jamais rien.
Beomgyu également partagea ce sourire, puis essuya encore un peu de sa glace fondu avant de reprendre:
- Malheureusement pour lui son père était présent ce soir-là, je lui ai dit que j'étais un très bon ami de son fils et il m'a invité à dîner. Je suis resté tellement tard à discuter avec sa famille qu'ils ont refusé de me laisser rentrer chez moi et m'ont proposé de rester dormir. Taehyun m'avait installé un matelas dans sa chambre mais je me suis faufilé dans son lit, il m'a de nouveau menacé, je l'ai pas écouté, on a discuté, puis il a accepté qu'on continue de se voir.
- Toi non plus t'as pas changé, un vrai forceur, continua Yeonjun.
Beomgyu laissa échapper un rire en marmonnant qu'il prenait exemple sur lui, puis lâcha:
- J'avais pas me choix, je devais insister.
- Pourquoi ? Demanda Kai.
- Parce-que c'est le destin.
Ses traits se detendirent à ses mots, son sourire resta présent mais teinté d'un sentiment différents, tandis que ses yeux se perdaient dans le vide. Les trois autres restèrent silencieux à l'observer, ne comprenant pas la raison de ce changement soudain, et quand il remarqua leurs regards Beomgyu eu un petit rire gêné.
Et alors Soobin compris, avant même que le garçon s'exprime il devina de quoi il était question.
Il reconnaissait ce regard, lui-même l'avait souvent à l'époque quand il évoquait la personne qui tordait son cœur.
- En fait Taehyun est... Depuis le lycée j'ai jamais été capable de tomber amoureux de qui que ce soit, toute les personnes que je rencontrais je les comparais à lui et je les trouvais moins bien. Du coup quand je l'ai vu dans ma classe, en redoublant ma première année de fac, je me suis dis que c'était le destin.
Les yeux de Kai et Yeonjun s'écarquillèrent. Soobin, lui, hocha doucement la tête.
- Tu veux dire que...
- Au lycée Taehyun me plaisait, depuis notre toute première rencontre. Je ne vous l'ai jamais dit et je ne lui ai jamais dit non plus.
- Vous n'étiez pas vraiment très proche, limite mal à l'aise l'un avec l'autre. Et puis vous êtes si... Différent, murmura Yeonjun.
Soobin sentit le regard en coin que le plus vieux lui lança et fit mine de l'ignorer. Ses doigts tremblotaient doucement contre le cône de sa glace, jamais il n'aurait cru avoir une discussion basé sur l'amour avec ces garçons. Soudainement le moment lui sembla irréaliste.
- À l'époque Taehyun aimait encore son pote de collège, expliqua Beomgyu. Tant qu'il ne l'avait pas oublié je ne voulais rien tenter avec lui. Du coup je me suis mis un peu à distance, trop à distance sûrement, pour qu'il ne devine rien. Je me disais que j'essayerais plus tard de flirter, mais je n'avais pas imaginer qu'on...
Il se figea et parut embarassé, il ne fallait pas être un génie pour deviner la fin de sa phrase, et une tension soudaine leur tomba dessus.
"Je n'avais pas imaginer qu'on finirait par tous se séparer" est sûrement ce que Beomgyu aurait voulu dire, tous le savait et désormais ils prenaient tout les quatre conscience qu'ils n'étaient pas n'importe quel groupe d'ami en train de manger des glaces dans un parc.
Ils étaient un ancien groupe d'amis, réuni par une île magique et la solitude de leur quotidien. Un groupe d'amis qui avait surmonté tant d'épreuve ensemble, leurs sentiments et tourments au premier plan. Un groupe qu'une dispute avait dispersé et qui se réunissait après cinq longues années, sans que personne n'ai prit le temps de s'excuser ni même de s'expliquer.
- Vous avez vu l'heure ? Faut que je file sinon mon père va s'énerver tout seul parce que je rentre tard.
Sur ces mots Beomgyu se leva, sa glace à peine entamé et complètement fondu lui glissa entre les doigts et s'écrasa sur le sol. Tous fixèrent la sucrerie avec des sentiments bouilli dans la poitrine, comme si cette crème gelé était un symbole, celui d'une vieille histoire qu'ils avaient écrasé.
Était-il possible de la réparer après tout ça temps ? Ça Soobin ne saurait le dire.
- C'était sympa...de vous revoir après tout ce temps. Pardon d'avoir un peu gâché l'ambiance, murmura Beomgyu, avant de s'en allez.
Les trois garçons restèrent plusieurs secondes silencieux, assit sous un ciel grisonnant. Puis Kai se leva à son tour, son éternel doux sourire sur les lèvres.
- Moi aussi je dois y allez, j'ai un exam demain. J'ai passé un bon moment avec vous, vraiment.
Il ramassa son sac et partir dans la direction opposé à Beomgyu, le regard levé vers l'horizon et le pas presque sautillant. Malgré la finalité un peu mitigé de leur rendez-vous, le plus jeune semblait avoir réellement apprécié ce moment.
Soobin posa son regard sur le dernier de ses camarades, aussi immobile que lui dans l'herbe. Yeonjun observait le ciel en grignotant son cône, puis s'enquit à nettoyer la glace renversé par Beomgyu.
Plus il le regardait et plus Soobin se disait qu'il ne l'avait jamais trouvé aussi beau. Était-ce dû au manque ? À la distance ? Au temps ? Il ne saurait le dire, mais ce Yeonjun, dénué de maquillage, aux cheveux teint dans sa couleur naturel, habillé de la manière la plus simple possible, qui laissait le vent faire flotter ses vêtements et ses mèches noir, lui paraissait irréel.
Comme un vieux mirage, une version plus adulte du garçon qu'il avait connu, plus naturelle, plus mature, plus belle.
Et au regard pourtant aussi envoûtant qu'autrefois.
Soobin secoua la tête pour chasser ces pensées. Après tout ce qu'il s'était passé, après ce qu'il avait fait, il n'avait pas le droit de regarder Yeonjun avec ces yeux-là.
- Tu comptes rester ici ? Demanda le garçon, qui devait sentir les yeux figé sur lui.
- J'ai... pas d'impératif. Et toi ?
- J'ai pas d'impératif non plus.
Et pourtant ils se levèrent, tapotèrent leurs habits abîmé par la terre et eurent un moment embarrassant où aucun n'osait dire quoi que ce soit. Ils ne savaient sûrement plus comment se parler, ni comment se regarder, alors ils se murmurèrent simplement des au-revoirs bancal avant de prendre chacun un chemin.
Soobin ne prenait même pas le sentier qui menait chez lui, simplement s'était-il dirigé vers la direction opposé à celle de Yeonjun.
Comme pour s'envoyer le message clair et précis qu'il ne retombrait jamais là-dedans, il ne se laisserait plus avoir par la beauté envoûtante de son aîné, il ne ferait plus l'erreur de se perdre dans ses yeux, de se perdre sur ses lèvres, de rêver d'un avenir possible à deux.
"Souviens-toi"
Il se figea. De nouveau cette voix résonnait, venu d'ailleurs et de nul part à la fois.
Un frisson serpenta dans son dos et, sans même parvenir à contrôler ses propres pulsions, il se retourna et cria:
- Yeonjun !
Son aîné stoppa le pas à son tour, puis hésita quelques secondes avant de lui refaire face.
- Oui ?
- Je...
"Je suis désolé". Voilà les mots que Soobin aimerait dire.
Ceux qu'il devrait dire.
Ceux qu'il n'était pas parvenu à prononcer à l'époque.
Mais il se retrouva muet, bloqué, la gorge encrassé des regrets qu'il avait toujours été trop lâche pour exprimer. Des émotions qu'il s'était toujours efforcé d'avaler comme un idiot, faisant ainsi le choix d'écraser le coeur battant du garçon qui lui faisait face.
Soobin n'était plus un enfant, il n'était plus un lycéen perdu entre ses sentiments et la peur de ce qu'on pourrait penser de lui. C'est en adulte qu'il se présentait aujourd'hui, capable de prendre ses décisions tout seul.
Et pourtant, alors que Yeonjun attendait patiemment qu'il parle, encore une fois il recula d'un pas.
Et sur le visage de son aîné un sourire cassé se dressa. Il comprenait ce que Soobin n'arrivait pas à dire, il comprenait que le plus jeune n'avait pas changé, que même après toute ces années il n'était pas capable d'assumer.
Que finalement, au fond, il était toujours un gamin perdu.
- J'ai été content de te revoir, Soobin.
C'est sans perdre son sourire que Yeonjun affirma cela, un sourire fébrile et pourtant si grand que dans ses yeux brillait une étendu étoilé.
- Je serais content de te revoir encore, continua-t-il. Ça fait mal, je vais pas te le cacher, après toute ces années ça me fait encore mal. Mais je peux passer outre, parce-que c'est encore plus douloureux d'être séparé de vous.
Soobin se recula d'un autre pas alors que dans sa poitrine quelque-chose se mettait à trembler. Ce Yeonjun qui lui faisait face, ce n'était pas le Yeonjun qu'il avait connu. Ce n'était pas ce garçon fier, confiant, capable de soulever le monde à la seule force de ses bras, qui brillait qu'importe ce qu'il disait, ce qu'il portait, l'environnement où il se trouvait. Ce n'était plus ce garçon trop franc, trop insistant, mais rempli de bonne volonté, de gentillesse, d'amour à ne plus savoir qu'en faire.
Ce garçon là était cassé.
Soobin l'avait cassé.
- Alors faisons juste... Comme si il ne s'était rien passé entre nous, ok ? Soyons juste le garçon à la corne brisé et celui aux oreilles pointu, pas Soobin et Yeonjun, sinon je ne pourrais pas m'empêcher de t'aimer de cette manière que tu détestes.
Soobin recula encore, les larmes picorant le coin de ses yeux, le coeur déchiré et le désir intense de courir vers son camarade pour l'enfermer dans ses bras.
Et pourtant il n'en fit rien.
- Je suis désolé de t'aimer, termina Yeonjun.
Puis il s'en alla, et Soobin ne le rattrapa pas.
Il aurait dû pourtant, il le savait, il le sentait, à cet instant il aurait dû courir et enlacer Yeonjun. Lui demander pardon, encore et encore, et essayer de le réparer.
Puis murmurer qu'il ne voulait pas faire comme si rien ne s'était passé, parce-que même après cinq ans son coeur battait encore dans l'espoir de rejoindre celui de Choi Yeonjun.
Mais il fit l'erreur de rester immobile.
L'erreur de ne pas assumer, encore une fois.
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