Chapitre 45: Mai (24)

Anthropa avait l'impression que le monde entier s'était effondré autour d'elle.

Là, sous un ciel dégagé sur la large place face au palais, elle observait les dernières flammes de magie rouge consumer ce qui restait de ses amis. À ses côtés, séparés de la foule silencieuse par plusieurs magiciens assurant la sécurité, se tenaient Hui, Herin, Makar et Nyma.

Anthropa avait déjà vidé toutes les larmes de son corps, pourtant, elle parvenait à en retrouver à chaque fois par un quelconque miracle. Agrippée à Nyma, dernier vestige de sa vie à Heberen, elle tentait tant bien que mal d'accepter cette réalité si injuste.

Ils avaient été huit, à Heberen, après leur rencontre ce jour où Mara lui avait annoncé que des magiciens étranges étaient à la porte de la cité. Huit à aller vers le camp Ifrayen pour former une alliance avec Gyalan et Brimari. Toujours huit pour arriver à Caméone, en prendre le contrôle et gagner la guerre.

Pourtant, aujourd'hui, il n'y avait plus qu'elle.

Voilà trois jours qu'ils avaient obtenu une victoire écrasante face à Solen, qui avaient dû capituler en comprenant que des armes, ils en avaient désormais bien plus qu'eux. Trois jours que Solen et Ifraya se retiraient progressivement du continent pour rentrer chez eux, parfois dans le calme, parfois aidés de violence.

Les traités de paix officiels entre les trois continents avaient été signés la veille par Hui et elle pour représenter Eole. Makar avait lui pris la responsabilité d'Ifraya, même si cela ne l'avait pas enchanté plus que ça. Personne d'autre n'avait pu endosser ce rôle. Du côté de Solen, ils avaient fait face à une homme résigné, qui avait à peine parlé et était parti dès que possible. L'humiliation devait être grande, de leur côté, mais ils l'avaient cherché.

Réaliser que la guerre était enfin terminée après neuf ans d'enfer était presque aussi difficile pour Anthropa. On ne cessait de lui répéter que c'était grâce à elle, qu'elle était une héroïne et avait sauvé tout le monde. Elle refusait que tous les lauriers lui soient attribués quand elle avait été grandement aidée sur son chemin.

C'était Vénérios qui avait trouvé la solution du vernis alchimique.

C'était Miranda qui leur avait ouvert des portails sans relâche.

C'était Adan qui l'avait assistée dans tous ses travaux depuis aussi loin qu'elle se souvenait.

C'était Valiammée qui avait recouvert la cité d'un bouclier pour leur permettre de riposter.

C'était Lysandre, Ariane et Ténèbres, qui avaient fait en sorte que tous restent en vie le plus longtemps possible.

Anthropa refusait qu'ils soient oubliés par l'histoire, seul endroit où elle aurait encore pu être accompagnée de leur présence.

Après que Valiammée se soit sacrifiée pour former le bouclier au dessus de Caméone, Anthropa, Hui, Makar et la femme Ifrayenne à l'essence magique du saphir avaient créé des bombes sans relâche. C'était Nyma et Herin qui avaient cherché des volontaires capables de maîtriser la magie bleue pour les aider dans leur entreprise. Ils en avaient trouvé plusieurs, fort heureusement.

Ensuite, Anthropa avait expliqué à Hui comment ouvrir des portails.

Tandis que la quasi totalité de leurs forces étaient restées au sol pour s'occuper des magiciens ennemis qui survivraient, Hui, Makar et elle avaient lancé des bombes à travers les portails. Cela avait demandé des ajustements pour les premiers jets – Solen surveillaient leurs apparitions dans le ciel, alors il avait fallu les ouvrir plus haut –, mais une fois fait, c'était un véritable carnage qui s'était déversé sur leurs têtes.

Une pluie de magie bleue lancée sur eux, tandis qu'ils avaient peu d'option pour fuir, coincés entre le ciel et le bouclier de Valiammée.

La victoire avait été totale, même si par précaution, Eole avaient gardé un stock de bombes sous la main.

Anthropa doutait que Solen, bien trop affaiblis, attaquent de nouveau, mais elle se méfiait. Ils risquaient de vouloir un jour prendre leur revanche. Ou alors ils laisseraient le temps effacer leur défaite et tourneraient la page.

Elle espérait que ce serait la seconde option. Des guerres, elle ne voulait plus jamais en vivre.

Désormais, ils étaient dans le monde d'après. Avec la mort de Valiammée, c'était Hui qui avait pris le pouvoir de Caméone, lui qui avait le soutient total de la population. Il serait en charge de la reconstruction de la cité et de l'aide qui serait fournie à toutes les autres qui tenaient encore debout. La tâche était grande, mais Hui avait de l'expérience, après un bon paquet d'années à servir de second pour les précédents dirigeants. Il s'en sortirait.

En plus de simplement reconstruire tout ce qui était matériel, il faudrait repeupler un peu après toutes les pertes subies.

Machinalement, Anthropa porta la main vers son ventre. Nyma, qui remarqua son geste, lui demanda si tout allait bien. Elle acquiesça. Elle avait dû annoncer aux magiciens présentement à ses côtés, pour l'enfant. Depuis, ils faisaient excessivement attention à elle.

Anthropa n'avait rien dit à Vénérios. Aurait-elle dû le faire avant ?

Peut-être, mais il était trop tard pour regretter. De toute manière, cela n'aurait pas changé la finalité des choses. Elle ne pourrait jamais l'élever avec lui. Ou tout du moins si elle laissait les choses reprendre leur cours normal.

Depuis trois jours, certaines paroles de Brimari tournaient en boucle dans son esprit.

Quand ils avaient voyagé vers le camp Ifrayen pour la première fois, elle lui avait dit de repousser les limites de ce qui était possible, comme Solen l'avaient fait de leur côté. Jusque là, Anthropa n'avait pas su comment interpréter la chose – elle créait déjà des bombes à magie bleue, comment aurait-elle pu faire plus ?

Maintenant qu'elle retournait la chose dans tous les sens, les choses se clarifiaient. Voir au delà des limites était abstrait à moins d'avoir une idée précise de l'idéal à atteindre.

Anthropa devait avancer, elle le savait, mais elle ne pouvait pas laisser le passé derrière elle aussi facilement. Son idéal, à mesure que les heures passaient, était de plus en plus clair dans son esprit.

Elle remerciait Brimari pour cela. Grâce à elle, Anthropa entrevoyait de la lumière là où il n'aurait dû y avoir que de l'obscurité.

Ce matin, elle s'était fait une nouvelle promesse.

Anthropa les ramènerait tous. Tant pis si elle devait y passer l'éternité.

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