Chapitre 44: Mai (23)

Anthropa ne retrouva pas son frère dans l'atelier.

Au départ, elle ne s'en inquiéta pas plus que ça, même si une faible trace de magie rouge se faisait ressentir au niveau du toit. Il devait simplement être parti aux toilettes. Cependant, quand ce fut cette fois-ci une explosion à l'extérieur du palais et une quantité énorme de magie rouge relâchée vers le sous-sol, Anthropa abandonna tout ce qu'elle était en train de faire pour s'élancer dans le couloir. Elle jeta un regard nerveux vers son bras et son cœur rata un battement.

Le nom d'Ariane avait disparu.

Comment était-ce arrivé ?

Elle n'eut plus qu'une certitude : il fallait qu'elle retrouve Adan.

Alors qu'elle atteignait les escaliers, Anthropa tomba nez-à-nez avec Hui. Lui aussi devait aller vérifier ce qui se passait.

Il retint la sorcière par les épaules avant que tous les deux ne se rentrent dedans.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? s'étonna-t-il. Va te mettre ne sécurité. Je vais voir ce qui se passe.

- Est-ce que tu as vu Adan ? l'interrogea Anthropa.

- Non, je pensais qu'il était resté avec toi.

La détresse dans le regard d'Anthropa le fit hésiter à reprendre son chemin. Il avisa la porte qui menait au rez-de-chaussée en bas des marches, le couloir vide dans lequel ils se trouvaient, puis poussa un soupir.

- Reste derrière moi. Je t'aiderai à le chercher après.

- Merci beaucoup.

Cette fois, ce fut au tour d'Anthropa de se dépêcher pour ne pas que Hui la sème. Ils firent une escale dans l'entrée pour glaner des informations. Le peu de personnes encore sur place pour leur répondre étaient effrayées.

- On n'a vu personne entrer dans le palais, indiqua un jeune garçon, mais peut-être que les ennemis ont trouvé une autre issue.

- Quelqu'un est descendu ? vérifia Hui.

- Un soldat d'Ifraya qui était ici avec nous. Ça doit faire deux ou trois minutes.

- J'y vais. Anthropa ?

- Je reste derrière toi, promit la sorcière.

Hui s'activa vers les escaliers menant au sous-sol, dissimulés derrière une porte en bois étroite, Anthropa sur les talons. L'odeur de la magie bleue leur sauta immédiatement au nez, même si elle n'était pas aussi prenante que l'air saturé de magie rouge.

Ils trouvèrent la porte de la salle privatisée par les généraux Ifrayens entrouverte. Et, dans le carré de lumière à regarder le carnage de corps encore en train de se consumer dans la magie bleue, se tenait Makar.

Le second de Brimari se retourna en entendant leurs pas précipités. Il avait l'air bouleversé, même s'il tentait de garder une expression neutre.

Anthropa sentit son sang descendre jusqu'à ses pieds.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Hui.

- Un mage bleu a dû s'infiltrer jusqu'ici, répondit platement Makar. Je ne vois pas d'autre possibilité. Ils sont tous morts.

- Et l'origine de la magie rouge ?

- Brimari était là.

- Elle n'a pas réussi à tuer l'intrus avec tout ce qu'elle a utilisé ?

Makar haussa les épaules. Hui cessa d'insister en comprenant qu'il n'en savait pas plus et qu'il devait déjà avoir dû mal à réaliser la situation. Il poserait davantage de questions plus tard, que ce soit à lui ou aux autres personnes qui se trouvaient dans le palais à ce moment.

Anthropa, qui refusait de croire que Brimari ou Gyalan était morts, voulut entrer dans la pièce pour s'en assurer. Hui l'en empêcha.

- N'y va pas, tu ne veux pas voir ça.

- Mais je ne peux pas... articula Anthropa. Déjà Ariane...

- Ariane ? s'horrifia Makar.

Anthropa hocha la tête, puis remonta la manche de son pull pour leur montrer les tatouages sur son bras comme confirmation.

Ce quoi elle ne s'attendit cependant pas fut de découvrir que dans les dernières minutes, davantage d'encre avait disparue de sa peau.

Brimari, Miranda et Adan.

Adan.

C'était impossible. Pas lui. Pas son frère, la dernière famille qu'il lui restait.

- Quoi ? souffla-t-elle. Non. Il y avait plus de noms. Il doit y avoir un problème.

Makar et Hui, le regard rivé sur son avant-bras, restèrent silencieux. Anthropa leur demanda si la mort de Brimari pouvait avoir altéré le sortilège qui les liait, si les noms pouvaient s'être effacés ainsi, mais la réponse qu'elle obtint ne fut pas celle qu'elle espérait.

- Je suis vraiment désolé, murmura Hui.

À ce moment précis, ce fut comme si le monde entier s'effondra autour d'Anthropa. Comme si tout ce qui lui restait venait de lui être arraché. Pourtant, d'extérieur, elle resta parfaitement immobile, sous le choc.

Ce fut quand Makar l'entraîna vers les escaliers pour remonter au rez-de-chaussée qu'elle reprit contact avec la réalité, le souffle court.

- Si tous les généraux Ifrayens sont morts, qui a le pouvoir décisionnel pour Ifraya, maintenant ? demanda Hui.

- C'est moi, avoua Makar.

- Tu t'en sens capable ?

- Est-ce que j'ai vraiment le choix ? Il n'y a personne d'autre.

Anthropa, prise de vertiges, s'arrêta brusquement et se retint au mur. Makar passa un bras sur ses épaules pour l'encourager à avancer.

- Je sais que c'est dur, mais il faut que tu tiennes encore un peu. On doit te mettre en sécurité.

- Tu pourras rester avec moi, Valiammée et Herin, indiqua Hui.

Anthropa reprit sa respiration, cligna des paupières, puis acquiesça. Soutenue par Makar, elle reprit son ascension des marches jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dans l'entrée.

Là où quelqu'un les y attendait de pied ferme.

- Excusez-moi... Ce n'est peut-être pas le moment, mais j'ai une question importante.

Il s'agissait d'une femme à l'air effrayé. Sur son bras droit nu se trouvait un tatouage Ifrayen dont l'encre blanche tranchait sur sa peau cuivrée.

Elle ressemblait à une citoyenne Ifrayenne lambda, pas à une soldate. Comment était-elle arrivée là ? Vivait-elle à Caméone depuis le début ? Non, Anthropa ne se rappelait pas avoir vu son visage auparavant et les Ifrayens ne passaient pas inaperçus, ici.

- Laquelle ? s'enquit Hui.

- On m'a fait venir sur ce continent parce que je pouvais être utile, mais on me laisse sur le côté depuis le début de l'attaque. C'est normal ?

- Qui vous a fait venir ?

- Le général Haroan, indiqua Makar à sa place. Il est arrivé ici avec elle, mais n'a jamais dit pourquoi. Tu n'es pas une soldate, n'est-ce pas ?

- Non, confirma la femme. Apparemment il a retourné le continent pour me trouver, alors je m'attendais à servir à autre chose que la distribution des armes...

Hui fronça les sourcils et jeta un regard à la dérobée vers Makar, qui n'était absolument pas au courant des plans de l'ancien général.

- Vous savez pourquoi il vous cherchait ? l'interrogea Hui. Il vous l'avait dit ?

- Je peux créer des saphirs. Enfin, j'ai cru comprendre que c'était ça qui l'intéressait...

Anthropa releva vivement la tête vers la magicienne. Pendant un instant, elle oublia absolument tout. La guerre, son frère, et même le danger imminent qui planait sur eux.

Tout ce qu'elle avait entreprit jusqu'ici n'allait pas être vain.

La solution était là, sous ses yeux.

La magie pulsait à travers les veines de Valiammée, qui avait presque l'impression de se dissocier de son propre corps.

Quand elle fermait les yeux, le monde tanguait autour d'elle jusqu'à ce qu'elle ne les rouvre. Elle avait peur d'avoir un vertige trop prononcé, de tomber et de ne jamais se relever.

Neuf pierres de courant contre ses chevilles, bien trop pour une seule personne. Anthropa aurait fait une crise cardiaque en la voyant.

Valiammée ne voyait pourtant pas d'autre issue. Il fallait qu'Eole puisse répliquer, et il fallait qu'ils le fassent vite. Solen étaient en train de percer leur défense. Cela revenait désormais à elle de les contrer.

Elle descendit au rez-de-chaussée en s'assurant de ne pas croiser Hui – il lui ferait la peau, s'il décryptait ses intentions – et laissa son regard vagabonder entre les colonnes de pierre plongées dans l'obscurité de l'entrée. Là où tout était auparavant chaos, il semblait que le calme était revenu.

Il n'y avait plus autant de magiciens qu'avant. Les caisses de pierres étaient vides et le peu de personnes restantes s'agitaient sans savoir quoi faire.

Valiammée fut immédiatement repérée. Un garçon qui devait être plus jeune qu'elle accourut dans sa direction et lui attrapa le bras d'un air inquiet. Les trois autres personnes que Valiammée aperçut l'encouragèrent à partir.

Il s'était passé quelque chose ? Ou était-ce simplement lié à la magie rouge sentie un peu plus tôt ?

- Vous ne pouvez pas rester ici, annonça le garçon. C'est dangereux. Des ennemis se sont infiltrés dans le palais.

- Comment ça ?

- On n'a rien vu, mais avec toute cette magie rouge au sous-sol, et puis la magie bleue qui s'est rajoutée... Hui, une fille et un soldat d'Ifraya sont allés voir ce qui se passait. Ils ne devraient pas tarder à remonter.

Hui ? Dans ce cas, il fallait vite qu'elle mette les pieds hors d'ici. Même si Valiammée admettait être inquiète. Si le palais n'était plus un endroit sûr, il faudrait déplacer ses amis ailleurs. Elle ne voulait pas qu'il leur arrive quoi que ce soit.

Elle posa une main sur son avant-bras droit. Ne pas regarder les noms.

Quand quelqu'un derrière elle posa une main sur son épaule, Valiammée sursauta et se retourna brusquement. L'angoisse qui l'envahit à l'idée d'être confrontée à Hui s'évapora aussi vite quand elle fit face à Lysandre. Vénérios, interrogatif, se trouvait derrière son ami.

Ils allaient bien.

- Valiammée, ça va ? demanda Lysandre. Tu n'es pas supposée rester en sécurité dans ton bureau ?

- Je vous cherchais, répondit-elle. J'ai besoin de votre aide.

- Où est Hui ?

Le garçon aux côtés de Valiammée s'apprêta à répondre, mais elle l'en empêcha en s'excusant et en amenant les deux Phébéiens à l'écart pour qu'ils ne soient pas dérangés. Ils s'installèrent derrière un pilier près de l'entrée du palais.

- Il faut que j'aille dehors, annonça-t-elle. Vous voulez bien m'accompagner ?

- Valiammée, tu dois rester en sécurité, plaida Lysandre. Tu n'aurais pas dû quitter ton bureau sans Hui en premier lieu.

- On va perdre la bataille si je ne fais pas quelque chose maintenant. Vous le savez.

- Je sais que tu n'aimes pas laisser les autres dans l'embarras, mais tu ne peux pas retourner le cours de la bataille à toi toute seule. Tu dois rester en vie pour diriger Caméone.

- Hui a dû partir parce que des ennemis se sont infiltrés dans le palais, annonça-t-elle. Vous sentez toute la magie rouge autour de nous. Je ne suis pas en sécurité ici. Laissez-moi agir. Aidez-moi.

- Valiammée... tenta Lysandre.

- Elle n'a pas tort, plaida Vénérios. On a tous les deux vu des ennemis passer de l'autre côté des boucliers. Écoute la, au moins.

Valiammée remerciait Vénérios de toujours être là pour assurer ses arrières et raisonner Lysandre quand il se plongeait dans son obstination.

- Très bien, soupira Lysandre. Tu veux faire quelque chose, donc je suppose que tu as un plan ?

- Faire un bouclier qui va surplomber toute la cité, répondit Valiammée. De cette façon, ça nous laissera le temps de préparer notre réplique.

- Il y a déjà un bouclier...

- Créé par nos magiciens, ce qui les empêche d'attaquer. Je veux le faire à moi seule.

Valiammée savait à quel point dit ainsi, cela paraissait ridicule. Mais elle se devait d'essayer, au moins au dessus du palais, là où les ennemis étaient les plus nombreux.

Lysandre digéra l'information, de même pour Vénérios. Ils étaient plus que dubitatifs.

- Même si tu y parviens, on ne pourra pas attaquer sans briser ton bouclier, contesta Lysandre.

- Ça laissera au moins le temps d'établir une stratégie. Au pire, les mages bleus pourront s'épuiser à vouloir le briser.

- Ça ne tiendra jamais, dit doucement Vénérios.

- Ça tiendra, promit Valiammée. J'ai tout prévu.

Elle leur montra ses chevilles, où neuf pierres de courant étaient fixées par des bandes de tissus. C'était inconfortable, de sentir les angles lui rentrer dans la peau, mais ce n'était pas le moment de s'en plaindre.

Lysandre en fut horrifié. Et, cette fois-ci, Vénérios aussi.

- Anthropa m'a dit que ce n'était pas dangereux, mentit Valiammée. Hui avait testé.

- Elle en est certaine ? insista Lysandre.

- Oui. S'il te plaît, Lysandre. C'est la seule solution et on n'a plus beaucoup de temps. Est-ce que vous pouvez m'accompagner dans une zone dégagée à proximité du palais ?

Le magicien, les lèvres pincées, finit par capituler.

- D'accord. Tu vas avoir besoin de ton sceptre ?

- Oui, confirma Valiammée.

- Attendez-moi dehors. Je vais le chercher.

Parfait. Si elle sortait, elle aurait moins de chances de tomber sur Hui. Elle commençait à sérieusement s'inquiéter qu'il remonte du sous-sol quand elle serait encore ici.

Tandis que Lysandre disparut à leur vue, Valiammée et Vénérios sortirent du palais, sur leurs gardes.

Après avoir passé plusieurs heures dans la pénombre, la lumière de l'après-midi fit presque mal aux yeux de Valiammée, qui ramena sa main en visière devant son visage.

À l'extérieur, l'air était saturé de magie bleue et le bruit était perpétuel. Impacts de magie contre le bouclier, cris, ordres formulés à l'arrache... C'était difficile de savoir d'où ils provenaient tant ils étaient omniprésents.

Les magiciens qui entouraient le palais tenaient bon, mais fatiguaient à vue d'œil.

- Ça ne fait qu'empirer, commenta Vénérios.

- Plus pour longtemps, assura Valiammée. On va renverser la tendance.

- Je sais que tu mentais quand tu affirmais qu'autant de magie n'était pas dangereux.

Valiammée déglutit. Voilà ce qu'elle redoutait.

- J'ai passé suffisamment de temps avec Anthropa pour le savoir, reprit Vénérios. Peut-être que Lysandre peut y croire, mais pas moi.

- Il faut que je le fasse, plaida la Madrigane. Il y a beaucoup trop de vies en jeu et personne pour le faire à ma place. Tous les magiciens expérimentés sont déjà sur le terrain.

Vénérios jeta un coup d'œil vers les noms sur son bras, soudain bien plus sombre.

- Écoute, on a déjà perdu...

- Je ne veux pas savoir, le coupa Valiammée. Ne me dis rien, s'il te plaît.

Vénérios, d'abord immobile, finit par baisser la manche de sa veste.

- D'accord.

Valiammée le remercia du regard. Peu importait qui était mort. Elle ne voulait pas se détourner de son objectif.

Quand Lysandre fut de retour, il avait ramené son épée et celle de Vénérios en plus du sceptre, que Valiammée s'empressa de saisir.

- Tu as croisé Hui ? vérifia-t-elle.

- Non, personne, répondit Lysandre.

Parfait. Maintenant, ils devaient vite partir. Valiammée supposait qu'ils s'étaient évités de peu et que Herin allait cracher le morceau sur sa fuite dès que Hui serait de retour. S'il la rattrapait, il l'empêcherait de mettre son plan à exécution.

Le groupe se mit en marche au pas de course. Vénérios désigna l'un des parcs aériens de la cité en indiquant que ce serait un lieu judicieux pour que Valiammée opère, puisqu'il était partiellement dissimulé par les arbres.

Seulement, il y aurait plusieurs centaines de mètres à parcourir avant de l'atteindre.

- On n'aura rien de mieux, reconnut Lysandre, alors ça ira. Tant que le bouclier tient.

Valiammée leva les yeux vers le patchwork de magie qui les surplombait. Elle voyait à peine les ennemis au travers tant ils projetaient de magie bleue dessus. Elle avait confiance en leur défense pour poursuivre ses efforts.

Pourtant, la première brèche se forma alors qu'ils n'avaient parcouru que la moitié du chemin. Plusieurs mages bleus passèrent au travers avant qu'elle ne soit colmatée.

- C'est clairement pas le bon moment, grommela Vénérios.

- Je m'en occupe, dit Valiammée.

Essoufflée par sa course, elle s'arrêta et brandit son sceptre vers le ciel, d'où les ennemis descendaient un peu vite à son goût. Il lui suffit de concentrer une fraction de la magie qui la traversait pour éliminer le premier d'un rayon de magie. Le deuxième suivit presque aussitôt.

Le dernier, en revanche, anticipa son attaque et se déplaça dans les airs de façon à ce que Valiammée ne puisse pas le garder en ligne de mire.

Il fonçait droit sur eux, prêt à les brûler sur place.

Le sang de Valiammée ne fit qu'un tour. Elle jeta son sceptre au sol, leva les mains, puis projeta une gigantesque colonne de magie bleue sur le magicien avant que lui-même ne le fasse.

Le souffle froid de ses pouvoirs rejeta ses cheveux en arrière et força Lysandre et Vénérios à s'éloigner. Elle avait clairement mal dosé sa force. Elle n'aurait pas dû en utiliser autant, comme la douleur dans ses muscles lui faisait remarquer.

Ce qui restait de l'ennemi s'écrasa sur le sol dans une boule de flammes bleues. Valiammée, elle, cracha du sang sur les pavés – elle ne savait pas si c'était l'effet de la magie bleue ou si c'était la réaction de son corps face à tant de magie.

Lysandre s'assura qu'elle allait bien. Vénérios, de son côté, ramassa le sceptre pour le lui rendre.

- Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit, dit doucement Lysandre. Tu es sûre que tu veux poursuivre ?

Valiammée hocha la tête. C'était bien trop tard pour reculer.

- Dépêchons-nous.

Vénérios lui tendit son sceptre, non sans faire remarquer à quel point il se sentait inutile face à des magiciens aussi puissants. Valiammée, qui aurait voulu le rassurer, se ravisa. Vénérios pouvait affirmer ce qu'il voulait, dans la finalité des choses, il avait pratiqué bien plus longtemps qu'elle. Si besoin, il saurait quoi faire, son instinct prendrait le dessus. En tout cas, elle essayait de s'en convaincre.

Ils reprirent leur route, cette fois-ci en observant le ciel avec davantage d'insistance.

Quand ils arrivèrent au pied du parc aérien, Valiammée était à deux doigts de cracher ses poumons. Courir avec un objet qui pesait son poids entre les mains n'était pas dans ses habitudes. Ça ne risquait pas d'en devenir une.

Elle contracta la mâchoire.

Il était l'heure pour elle de poursuivre sa route seule.

- Séparons-nous, dit-elle.

Un silence suivit sa déclaration.

- Quoi ? répliqua Lysandre, perplexe.

- J'ai besoin que vous surveillez les alentours du parc, se justifia Valiammée, au cas où des ennemis s'approcheraient. Je ne pourrais pas me défendre pendant que je ferais le bouclier.

- C'est plus simple si on reste à tes côtés, contesta Vénérios.

- Vous aurez une moins bonne visibilité, avec les arbres.

En réalité, ils auraient très bien pu la suivre. Simplement, Valiammée ne le voulait pas, aussi elle cherchait des excuses pour les éloigner.

Si elle montait dans ce parc aérien, elle le savait, elle n'en redescendrait jamais. Elle ne voulait pas qu'ils assistent à ça.

Il fallait simplement qu'ils acceptent. Qu'ils croient que dès le bouclier terminé, ils se retrouveraient et retourneraient au palais.

Valiammée ne sut pas si Vénérios comprit sa stratégie, lui qu'elle n'avait pas pu duper sur le danger d'autant de pierres, mais il accepta sa proposition.

- On se retrouve après, promit-il.

- Bon... soupira Lysandre. Fais attention, Valiammée, d'accord ?

Elle hocha la tête. Malgré le nœud qui se forma dans sa gorge, elle lui adressa un sourire, puis gravit les marches qui la menèrent au parc.

Les silhouettes des deux Phébéiens s'effacèrent. Elle le savait, c'était mieux ainsi.

Valiammée déambula sur le sentier à la recherche de l'emplacement parfait, qu'elle trouva presque immédiatement. Une large étendue d'herbe entourée par des arbres centenaires, où des cailloux avaient été disposés dans un arc de cercle et par endroit renversés.

D'un pas assuré, Valiammée traversa la ligne qu'ils formaient et planta son sceptre dans le sol. Les mains fermement agrippées au manche, elle tâcha de calmer les battement de son cœur. Elle ferma les yeux. Détendit sa respiration. Tout irait bien.

Le bouclier, qui répandait une faible lueur bleue au dessus de sa tête, se brisa complètement sous les assauts de Solen. Le bruit sourd des flammes qui traversèrent le ciel la forcèrent à agir et à cesser de repousser ce qu'elle avait elle-même engendré.

Valiammée rouvrit les yeux et observa les ennemis s'infiltrer dans la faille pour mieux détruire Caméone.

Elle ne savait pas si utiliser le sortilège d'Anthropa pour sceller la magie dans les pierres allait suffire, voire même fonctionner, mais c'était ça ou rien. Si elle mourrait, il faudrait que ses pouvoirs continuent d'agir, elle ne pouvait se reposer que sur son sceptre.

Alors elle récita le sortilège dessus, puis après une dernière inspiration, libéra le pouvoir des neufs pierres de courant additionné au sien.

La magie traversa le sceptre et fut projetée vers le ciel dans un sifflement assourdissant. La douleur qui traversa le corps de Valiammée fut si vive qu'elle manqua de s'évanouir à la première seconde. Pourtant, elle tint bon, conscience que si elle se laissait dériver maintenant, tout ceci n'aurait rimé à rien.

Son sceptre l'aida à tenir debout. Sa peau se craquela entre ses doigts, puis sur ses paumes et ses avant-bras, d'où elle vit le sang s'échapper. Alors voilà ce que faisait autant de magie sur l'organisme ?

Elle qui voulait à tout prix éviter de voir qui était mort avant elle, son regard tomba accidentellement sur les tatouages créés par Brimari. Avec tous ces mages bleus qui venaient de déferler sur eux, aurait-elle dû être surprise de n'y voir déjà plus qu'un seul et unique nom ?

Pour Lysandre et Vénérios, elle en prenait l'entière responsabilité. Elle avait été obligée de les emmener avec elle. Autrement, ils ne l'auraient jamais laissée partir seule et Hui l'aurait ramenée en sureté. Elle n'avait pas eu le choix.

Valiammée repoussa sa culpabilité et redoubla d'efforts.

Elle n'entendit plus rien.

Tout devint flou.

Ne resta plus que la douleur mélangée à sa volonté.

Comment en était-elle arrivée là ?

Valiammée n'avait jamais eu l'étoffe d'une reine. Elle avait accepté de le devenir par nécessité, mais elle le savait, elle n'aurait jamais pu y dédier sa vie. Elle avait eu dix-huit ans le jour même, elle était encore une enfant, certainement pas prête à assumer un rôle pareil sur le long terme.

Pendant longtemps, elle n'avait pas su ce qu'elle voulait devenir, ni même ce qu'elle aimait réellement. Si aujourd'hui tout n'était pas encore clair dans sa tête, une partie d'une brouillard s'était tout de même effacé.

Tout le monde n'était pas destiné à voir le monde d'après la guerre.

Et désormais, elle acceptait pleinement ce destin.

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