Chapitre 42: Mai (21)

L'arrivée en trombe d'Anthropa fit cesser toutes les conversations. Le souffle court, les cheveux en bataille, elle désigna le morceau de papier plié entre ses mains avec une fierté non dissimulée.

- J'ai trouvé !

Brimari, d'un regard circulaire, jaugea la réaction des généraux Ifrayens qui se tenaient autour de leur table improvisée. Ils avaient l'air perplexes. Gyalan Cartaris, lui, se leva, intrigué.

- Je suis ravi de l'apprendre, mais qu'est-ce que tu as trouvé exactement ?

- La raison pour lesquelles les bombes à magie bleue ne fonctionnaient pas.

Ce fut comme si un courant traversa la pièce exiguë du sous-sol qu'ils avaient investi. Brimari, après un hochement de tête entendu de la part de Gyalan, saisit le bras d'Anthropa et l'amena dans les escaliers pour qu'elle puisse tout lui expliquer au calme. Elle ferma doucement la porte derrière elles.

- Désolée, on est en pleine négociations, expliqua-t-elle. C'est plus simple que tu me fasses part de tes découvertes, je transmettrai quand le moment sera plus opportun.

Anthropa s'en formalisa à peine. Elle n'attendit pas que Brimari l'y invite pour relater les dix dernières minutes non sans un entrain qui lui était caractéristique. Brimari, même incommodée par ce flot d'informations soudain et prononcé à une vitesse un peu trop rapide, ne l'interrompit pas une seule fois. Ce fut uniquement quand Anthropa referma la bouche plus d'une seconde – ce qui signifiait qu'elle en avait terminé – qu'elle se décida à parler.

- Autant je suis impressionnée que tu aies réussi à trouver alors que c'était mal parti, autant je suis navrée de t'informer que c'est un peu trop tard.

- Je ne vois pas pourquoi ça le serait, contra Anthropa. Ça demande juste un peu plus d'organisation.

- La petite fille qui pouvait nous créer des saphirs est morte, rappela Brimari. On ne peut rien faire de plus.

- Il suffit de trouver quelqu'un d'autre.

- Tu sais aussi bien que moi que ça n'a rien de facile. On n'a pas pu tester un dixième de la population de Caméone et des souterrains d'Astras, on ne sait pas s'il y a quelqu'un pour la remplacer.

Anthropa, ennuyée, se pinça les lèvres.

- Et chez un Ifrayen ? Contrairement à nous, vous saviez que les gens avaient des essences magiques.

- Sauf que personne n'était testé. Soit le pouvoir se déclenchait de lui-même, soit il restait dans l'oubli. Je te rappelle que ni moi, ni Gyalan ne connaissions la notre.

- Statistiquement, vous avez déjà plus de chance de trouver quelqu'un chez vous que chez nous.

Brimari se passa une main sur le front et appuya son épaule contre le mur de pierre à sa droite.

- Je vais essayer de voir avec les autres généraux, mais je ne garantis absolument rien. C'est bien que tu aies trouvé la solution, mais ce ne sera pas, je pense, la priorité actuelle. On doit rester réalistes.

Anthropa acquiesça.

- Si jamais la situation évolue, tu pourras me tenir au courant ?

- Je passerai dans ton atelier, promit Brimari. On va essayer d'établir un plan rapidement, vu comme la situation évolue dehors, mais on n'a pas énormément de possibilités.

- Et envoyer des anges combattre les mages bleus ?

- Il y en a trop dans le ciel. Ils ne vont pas tenir deux minutes. Ce serait du gâchis.

Brimari jeta un regard derrière son épaule, en direction de la porte. Anthropa prit cela comme une invitation à se dépêcher de finir pour qu'elle puisse retourner à ses négociations.

Elle lui tendit la feuille pliée qu'elle agrippait fermement entre ses doigts.

- Tiens. J'ai marqué toutes les étapes pour créer les bombes là-dessus. Si jamais vous trouvez quelqu'un pour nous créer des saphirs, n'hésite surtout pas à t'en servir.

- Merci, lui dit Brimari en saisissant le papier.

Elle le déplia pour jeter un œil à l'intérieur. L'écriture d'Anthropa était particulièrement chaotique, mais c'était lisible.

- Tu es occupée, je vais te laisser, indiqua la sorcière.

- D'accord. Fais bien attention à toi, et surtout, reste en sécurité.

- Ne t'inquiète pas, je ne compte pas quitter le palais.

Anthropa, après un dernier regard vers son morceau de papier froissé, remonta les escaliers vers le rez-de-chaussée quatre à quatre. Brimari, elle, redescendit vers la porte et s'engouffra de l'autre côté.

Elle était partie deux minutes à peine, pourtant, les conversations s'étaient presque taries.

- Anthropa t'a donné la solution ? vérifia Gyalan.

- Oui, confirma Brimari.

- Quel était le problème ?

- Apparemment, il fallait des saphirs issus d'essences magiques. Une histoire de différences infimes entre celles-là et les naturelles.

Le regard mélange de surprise et de réjouissance qui s'afficha sur les visages face à elle ne la rassurèrent pas. Elle sentait le coup fourré.

- Gyalan ? l'interrogea Brimari. Est-ce qu'il y a une information que je n'ai pas ?

- On a quelqu'un avec la bonne essence magique, expliqua le général Haroan pour clarifier la situation.

Brimari fronça les sourcils, confuse. Comment ça ?

- Je leur ai demandé de chercher quelqu'un avant de nous rejoindre sur Eole, indiqua Gyalan. Au cas où Anthropa trouverait la solution au problème et qu'il nous faudrait plus de stocks. Ce que je ne savais pas, en revanche, c'était à quel point ce serait de bonne augure.

- Vous avez sérieusement trouvé quelqu'un avec l'essence magique du saphir ?

- Bien sûr, confirma le général Haroan. Je ne dis pas que ça a été facile, parce que ça n'a pas été le cas, mais elle est présentement en train d'aider à la distribution des pierres de courant au rez-de-chaussée.

Brimari n'en revenait pas. C'était presque trop facile pour qu'elle accepte d'y croire. Le général Haroan devait avoir remué ciel et terre sur Ifraya pour mettre la main sur la perle rare. Enfin, en tant que personnalité la plus importante de la pièce, il en avait largement les moyens. Il avait gagné tant que pouvoir depuis le début de la guerre que c'était presque comme s'il avait pris le contrôle de tout Ifraya, même s'il faisait mine de rien.

S'il avait fait tant d'efforts pour un continent qui n'était pas le sien, c'était qu'il comptait bien tirer profit de la situation.

- Je crois qu'il est temps que nous discutions sérieusement, annonça Haroan.

- Discuter de quoi ? demanda sa voisine. On n'a pas encore terminé d'établir un plan face à Solen.

- Les gens d'Eole peuvent bien se débrouiller dix minutes supplémentaires sans nous. Il est temps de sérieusement inclure Ifraya dans l'équation de la victoire.

Voilà exactement ce que Brimari redoutait.

- On n'a pas le temps, contesta-t-elle. Les attaques sont au dessus du palais.

- Personne ne t'a demandé ton avis, Brimari. Si tu veux aller combattre, personne ne te retient, je te demanderais juste de laisser ici le papier que la chercheuse t'a donné.

Brimari resta immobile, toujours debout face aux douze généraux assis. Elle rangea discrètement la feuille d'explications dans la poche arrière de son pantalon tandis que l'attention se portait ailleurs que sur sa personne.

- Peut-être qu'Eole ont trouvé eux-mêmes les armes qui vont leur conférer la victoire, mais sans nous, ils n'auraient jamais pu les fabriquer, fit remarquer Haroan. C'est toi qui les a recueillis et qui leur a donné des ressources, Gyalan.

- Certes, admit l'intéressé. Et donc ?

- Il nous faudra bien une contrepartie. C'est grâce à nous si leur continent ne va pas être complètement éradiqué.

- La contrepartie, c'est les armes pour nous protéger nous.

- Oui, ça, j'avais compris. Ma question, c'est pourquoi on se contenterait de ça ?

Gyalan s'enfonça dans sa chaise, stoïque. Les autres généraux élevèrent la voix un à un, soit pour donner leur approbation, soit pour faire remarquer que cela risquait simplement de rajouter de l'huile sur le feu dans une guerre qui durait depuis déjà trop longtemps – ceux-là étaient plus minoritaires.

- Gyalan, tu as le contrôle de Caméone, non ? demanda le général Haroan suffisamment fort pour que tout le monde se taise. Il te suffit de le garder.

L'effet fut immédiat. Le silence revint à la charge.

- Non, je ne l'ai pas, contra Gyalan. C'est Valiammée la reine, c'est elle qui gère.

- Mais tu la secondes, non ? Tu n'as qu'à l'épouser. De toute manière, tu voulais divorcer de ton mari. C'est l'occasion.

Gyalan jeta un regard si discret vers Brimari que la Chevaleresse ne s'en rendit pas compte.

- J'avais d'autres plans, argua-t-il.

- Ils attendront.

- J'avais déjà convenu de former une alliance avec Valiammée. Une alliance qui ne se reposerait pas sur ça.

- Donc une alliance qui ne sera pas fiable. Laisse tomber. Le mariage est une assurance que la situation ne nous échappera pas.

Gyalan arqua un sourcil. Il ne voyait pas trop en quoi, mais soit. Le général Haroan se décida à exposer le plan précis qu'il avait établi à son arrivée ici.

Faire en sorte que Gyalan obtienne le pouvoir à Caméone par le biais de Valiammée. Ensuite, lentement propager son influence sur les autres cités du continent – après tout, Caméone était celle qui allait les aider à se relever. Il ne resterait plus qu'à faire bannir les armes issues de magie, comme les bombes à magie bleue ou les pierres de courant, en prétextant qu'elles étaient trop dangereuses et à n'utiliser qu'en cas d'extrême urgence. Tout ceci tandis qu'Ifraya garderaient leur stock bien au chaud.

En quelques années, Eole pourraient devenir complètement dépendant d'eux. Tout ceci sans aucun combat, juste avec un peu de manipulation. Alors ils pourraient en tirer ce qu'ils voulaient.

- À quoi ça nous avance de faire ça ? demanda Brimari.

- À garder l'ascendant sur Eole. Si jamais Solen retourne nous poser problème à l'avenir, il faudra bien que l'on ait une alliance solide.

Brimari se garda bien de faire remarquer qu'il n'y avait rien de solide là-dedans. Il espérait bien plus que ce qu'il affichait publiquement, c'était certain.

- Tu le ferais, Gyalan, n'est-ce pas ? l'interrogea le général Haroan d'un ton sec.

Gyalan garda le silence. Il ne voulait pas accepter, mais ne pouvait pas se permettre de refuser catégoriquement pour autant.

- Ce n'est pas notre place, répondit-il finalement. Une simple alliance ou chaque continent aura la même influence est selon moi plus correct.

- Je n'ai jamais dit qu'Eole n'auraient pas d'influence.

- Permets-moi d'en douter.

Haroan se tourna vers les autres généraux, qui n'osaient pas prendre la parole ou partageaient simplement son avis.

- D'autres objections ?

Trois mains se levèrent. Même si Gyalan resta neutre dans son expression, il fut ravi de voir qu'il n'était pas seul à tenir ses positions. Cependant, cela déplut à Haroan.

Depuis le début de la guerre, nombreux étaient ceux à le suivre aveuglément. Il avait perdu l'habitude de l'opposition.

- Soyons clairs, présentement, c'est nous qui avons le pouvoir de créer les bombes, asséna-t-il. C'est nous qui pouvons renverser la situation. Eole vont devoir s'y faire.

- C'est déraisonnable, tenta quelqu'un, on ne peut pas jouer avec leurs vies de cette façon alors même que l'idée des armes vient d'eux.

- Ils ont voulu faire confiance à l'ennemi, ils devaient s'y attendre.

- Tu sais aussi bien que nous que nous aurions été contraints de faire alliance avec eux pour s'en sortir dans tous les cas, fit remarquer la voisine de Gyalan. Tu en as toi-même parlé quelques semaines plus tôt.

- Oui, et je m'adapte à la situation. Il y a des opportunités à saisir. Eole est un continent minuscule par rapport à Ifraya, il est normal que nous prenions l'ascendant.

Brimari observa avec consternation les objections devenir de plus en plus maigres à mesure que le général Haroan les repoussait et affirmait que sa solution était la meilleure pour les deux continents. Il ne parvenait pas à convaincre davantage les réfractaires, mais savait que de toute manière, sa décision passerait avant la leur et serait bien accueillie sur Ifraya. Eole étaient technologiquement plus avancés, ce serait l'occasion de se mettre à leur niveau.

Son dernier obstacle était Gyalan Cartaris.

- Gyalan, insista Haroan, même si tu n'en a pas envie, tu dois convaincre la gamine au pouvoir de t'épouser. Peu importe comment tu t'y prends.

- Je ne peux pas faire ça, contesta Gyalan.

- Parce que tu as pitié d'Eole ? Je te rappelle que cette guerre, ce n'est pas pour eux que tu la mènes. Tu es Ifrayen. Nos intérêts avant les leurs.

Le général Haroan n'attendit pas de réponse de sa part et Gyalan ne se fatigua pas à en formuler une. À la place, il s'enfonça dans sa chaise, bras croisés et mine sévère.

- Brimari, peux-tu me donner les instructions de la chercheuse ? lui demanda Haroan.

Toute l'attention se déplaça en direction de Brimari, comme lors de son retour de sa petite conversation avec Anthropa. Sauf qu'après ce qu'elle venait d'entendre, elle n'était pas déterminée à coopérer.

Même si Eole gagnaient la guerre dans ces conditions, ils risquaient d'en rester les grands perdants. Ifraya pourraient les asservir tout autant que Solen.

Il était temps que ça cesse. Que chacun retrouve sa propre normalité.

Brimari espérait qu'Anthropa la pardonnerait pour ce qu'elle comptait faire. Elle croyait suffisamment en Eole pour qu'ils s'en sortent, même sans les bombes.

Après avoir sorti la feuille pliée de sa poche, elle la serra avec force entre ses doigts et laissa la magie rouge la réduire en poussière. Quand elle ouvrit sa paume sous le regard hébété des généraux, elle laissa lentement glisser le peu qu'il en restait vers le sol.

Il y eut un instant de flottement.

- Brimari, gronda Haroan en se redressant, ce que tu viens de faire, c'est de la trahison. J'espère que tu en es consciente.

- Oui, confirma-t-elle. Vu ce que je viens d'entendre, je préfère trahir Ifraya si ça peut protéger Eole de votre cupidité.

Gyalan l'observa avec horreur. Sachant que Brimari était sa subordonnée, les problèmes retomberaient sur lui aussi.

- Va trouver la chercheuse, ordonna Haroan à Gyalan. Elle te fait confiance, elle pourra te faire un autre plan.

- Personne ne sort de cette pièce, trancha Brimari.

Elle se recula jusqu'à être adossée à la porte. Elle en avait assez. Si le général Haroan tenait tant à exécuter son plan, il allait falloir qu'il lui passe sur le corps.

- J'ai dédié neuf ans de ma vie à cette guerre, rappela-t-elle amère. Neuf ans quand aucun d'entre vous n'a assisté à plus d'un affrontement en entier. Et vous pensez avoir la science infuse sur ce qui est le mieux pour les deux continents ? Vous n'avez aucune vision de la réalité des choses. Laissons Eole tranquille et retournons chez nous.

- Pas après les avoir aidés sans contrepartie, refusa Haroan. Cesse d'aggraver ton cas et tais-toi.

- Tout ce que vous allez faire, c'est prolonger la guerre, poursuivit néanmoins Brimari. Eole sont ceux à avoir eu le plus de pertes de loin. Pourquoi vouloir continuer à leur marcher dessus ? Parce qu'ils sont plus petits ? Plus faibles ? Ou alors parce que vous avez peur d'eux ?

Elle braqua son regard dans celui du général Haroan, qui était presque aussi furieux que le sien.

- Rappelez-vous pourquoi nous sommes entrés en guerre. Arrêtez de prétendre qu'avec le temps vous avez oublié ou que tout s'est effacé.

Tout avait commencé par un simple désaccord. Une tentative d'alliance pour qu'Ifraya obtienne la même avancée technologique d'Eole, qui avait été refusée encore et encore à cause des conditions jamais assez satisfaisantes. Solen avaient fini par rejoindre les négociations en se sentant mis sur le côté. À partir de là, les échanges étaient devenus plus houleux.

Tout s'était lentement enflammé jusqu'à exploser.

Alors quoi, Ifraya n'avait jamais pu obtenir son accord et voulait maintenant le prendre par la force en offrant l'illusion d'une alliance en contrepartie ?

- Écarte-toi, ordonna Haroan.

- Certainement pas, répliqua Brimari.

- Nous sommes douze et tu es seule. Que tu sois une Chevaleresse, je m'en fiche, ce n'est pas ce qui va nous arrêter.

- Vous en êtes certains ?

Brimari enfonça ses ongles dans ses paumes de main jusqu'au sang.

Beaucoup trop de gens avaient souffert et s'étaient sacrifiés pour un conflit qui ne rimait plus à rien. Quelques morts de plus ne changeraient rien si cela en sauvait des milliers, voire des millions.

Si pour mettre un terme à tout cela elle devait être élevée en traîtresse de son continent et perdre tout ce qu'elle possédait, soit.

Brimari acceptait le rôle.

Les généraux se levèrent pour la déloger de sa position quand Haroan le leur ordonna. Gyalan planta son regard dans le sien pour l'implorer de s'écarter. Brimari le connaissait suffisamment pour savoir qu'il bataillerait bec et ongles pour défendre son cas, même si cela l'enfonçait lui-même. Qu'il ne se fatigue pas trop. Personne ici ne vivrait assez longtemps pour voir le jour suivant.

Brimari remua ses doigts ensanglantés et marmonna des paroles inaudibles entre ses lèvres. Elle sentit ses veines s'enflammer une à une et une douleur sourdre emplir son crâne.

Sa vision se constella de points blancs, puis elle vit double, triple, quadruple. Les sons se déformèrent et il lui sembla que le temps ralentit autour d'elle jusqu'à presque s'effacer.

Elle prit une longue inspiration, si longue qu'elle se demanda comment ses poumons pouvaient retenir autant d'air.

Est-ce que quiconque la pardonnerait un jour ?

Ce fut sa dernière pensée avant que sa conscience ne soit totalement écrasée sous le poids de sa magie rouge.

La tête de Brimari tomba vers l'avant, puis se redressa tout aussi vite. Les généraux se figèrent à sa vue.

Ses iris étaient devenus écarlates et toutes les veines visibles sous sa peau s'étaient assombries. La magie rouge qui s'échappa de son corps emplit la pièce exiguë et la rendit si étouffante que l'air sembla plus épais et plus difficile à respirer.

Les ordres du général Haroan ne firent aucun sens à ses oreilles. Le bruit, en revanche, l'encouragèrent à le tuer en premier.

Brimari se jeta sur lui avant qu'il ne puisse réagir et planta des doigts aux longues griffes de sang au creux de cou. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ceux qui tentèrent de l'écarter furent projetés contre les murs et transpercés par autant de fils sanglants, tout comme ceux qui voulurent quitter la pièce. Ils eurent beau poignarder Brimari où ils le purent, la magie rouge qui la portait lui fit ignorer la moindre once de douleur et utiliser ses blessures comme davantage d'armes.

Ce fut un carnage. En une minute à peine, elle tua onze généraux et réduisit leur plan ridicule au néant.

Il ne resta plus qu'elle et Gyalan, qui s'approcha lentement.

Brimari lui avait enseigné suffisamment de magie rouge pour qu'il puisse résister face à elle un court moment. S'il parvenait à la ramener à la normale maintenant, il deviendrait le dernier général Ifrayen à pouvoir prendre les décisions. Il passerait sous silence tout ce qui venait de se passer et formerait une alliance en bonne et due forme avec Eole.

Tout irait bien.

Oui, tout irait bien.

- Brimari, l'appela-t-il.

La Chevaleresse le remarqua enfin, haute silhouette encore indemne et calme malgré le chaos ambiant. Elle fonça sur lui pout l'abattre.

Gyalan l'évita et attrapa à pleines mains les fils de sang qui volèrent jusqu'à lui. Il grimaça dès qu'ils touchèrent sa peau. Cela faisait un mal de chien.

- Brimari ! Réveille-toi !

Aucune réaction autre qu'une nouvelle offensive, qu'il évita de justesse. Le doute le saisit. Pouvait-elle seulement y parvenir ? N'avait-elle pas déjà abandonné ?

S'il fallait que Gyalan la ramène de force, il le ferait.

Il évita les fils de sang, se protégea d'un bouclier quand ils furent trop proche et avança progressivement jusqu'à elle. Quand il parvint à lui enserrer le poignet après un coup de chance, il ne la lâcha pas.

Gyalan concentra sa propre magie rouge pour tenter de ramener la conscience de Brimari à la surface. Il ne savait pas exactement comment il était supposé s'y prendre, mais cela ne l'empêcha pas d'essayer.

La magicienne cessa d'attaquer. À la place, elle tituba, visiblement prise de douleur. Gyalan la serra contre lui de son bras libre dans l'espoir que cela aurait quelconque effet.

- Je comptais divorcer pour toi.

Gyalan avait longtemps attendu avant de le lui annoncer, principalement parce qu'il ne savait absolument pas comment elle aurait réagi et qu'il n'aimait pas l'incertain. Là n'était sans doute pas le moment idéal pour le faire, mais il le savait, ce serait sans doute le dernier.

Il s'était éloigné d'Ifraya pour éviter de rester confronté à celui qu'il avait épousé et pour qui tous ses sentiments avaient progressivement disparu. Cependant, il ne s'était pas attendu à trouver quelqu'un d'autre en Brimari, et ce pendant la guerre, même si leur relation n'avait jamais été officielle.

Gyalan aurait aimé qu'elle le devienne.

Toutes ses tentatives pour la ramener se soldèrent par un échec. Il ne savait pas quel sortilège Brimari s'était lancé sur elle-même, mais il ne devait pas être supposé garder l'hôte en vie.

Le faible contrôle qu'il exerçait sur elle s'étiola. Lentement, Brimari retrouva sa violence et chercha à le repousser. Gyalan garda son bras serré contre elle pour ne pas qu'elle s'échappe. De l'autre, il lâcha son poignet et attrapa le poignard accroché à sa ceinture.

Il n'avait aucune autre option.

Gyalan le lui planta dans le dos. Brimari se raidit, mais de la même façon que les agressions des autres généraux avaient été inutiles, la blessure ne fut qu'une réserve de sang supplémentaire à user comme munitions. Alors il leva la lame et poignarda son corps encore, et encore, et encore.

La magie rouge devint plus forte. Brimari, dans un dernier effort, transperça le torse de Gyalan de tant de fils de sang qu'il fut incapable de les compter. Le monde entier se transforma en douleur et il dut lutter pour tenir sur ses jambes quelques instants supplémentaires.

Enfin, Brimari cessa de remuer complètement. Gyalan, soulagé, lâcha complètement prise.

Tous deux s'effondrèrent contre le sol, là où s'étalaient déjà onze autres corps.

C'était sans doute mieux ainsi.

Makar ouvrit lentement la porte, le cœur battant. Il était peut-être un excellent combattant, mais en ce qui concernait la magie, il restait novice malgré les tentatives de Brimari pour le lui enseigner. Il s'était rapidement rendu à l'évidence, tout le monde n'était pas fait pour ça et il valait mieux placer ses priorités ailleurs.

Aujourd'hui, il regrettait un peu. La quantité déraisonnable de magie rouge qu'il sentait dans la pièce n'était pas là pour le rassurer, même si elle s'était tarie depuis quelques minutes.

Personne du palais n'avait osé descendre dans le sous-sol après ce qu'ils y avaient senti. Ceux qui restaient étaient encore moins des combattants que Makar, alors il s'était porté volontaire pour y aller.

Il fit face à un véritable massacre.

Makar ne sut pas combien de temps il resta à la porte, choqué, à observer tous les corps qui s'étalaient à terre dans des flaques de sang. Il se fit violence pour enfin avancer à l'intérieur, même si ce fut d'un pas hésitant.

Que s'était-il passé ?

Il identifia les cadavres un à un et arriva à une conclusion qui l'horrifia plus encore.

Brimari avait tué tout le monde.

Personne n'était descendu. Personne n'était remonté. Or, elle était la seule magicienne qui se trouvait dans cette pièce à maîtriser suffisamment la magie rouge pour tuer douze personnes en un rien de temps.

Makar, sans même s'en rendre compte, s'avança jusqu'au corps de Brimari.

Pourquoi ?

Pourquoi avait-elle fait ça ?

Il redoutait de n'avoir jamais de réponse à cette question.

Le choc passé, Makar retrouva son sang froid et les rouages de son cerveau s'activèrent à toute vitesse.

Il faisait aveuglément confiance à Brimari. Quoi qu'aient pu être ses raisons, il se rangeait derrière et acceptait la situation. Il restait son bras-droit, même si elle n'était plus en vie. C'était son rôle de la protéger, même dans la mort.

Makar prit une décision. Il usa d'un atout qu'il avait jusque là caché sous ordre direct de Brimari. Atout qu'elle lui avait elle-même enseigné.

Sa main droite se couvrit de flammes de magie bleue. Il laissa passer une seconde, envahi par une horrible tristesse, puis chassa ce qui restait de ses émotions pour brûler tous les corps devant lui et effacer toutes traces de leurs blessures fatales.

Il lui suffirait de prétendre que des mages bleus s'étaient infiltrés ici et avaient tué tout le monde. Brimari avait tenté de les défendre, raison pour laquelle il y avait autant de magie rouge, mais n'avait pas réussi. Tant pis si personne n'avait vu descendre d'ennemis jusqu'ici, Makar n'aurait qu'à affirmer le contraire pour semer le doute parmi tous les magiciens terrifiés.

Comme ça au moins, personne ne pourrait considérer Brimari comme une traîtresse.

Comme ça au moins, sa mémoire serait conservée comme celle d'une magicienne qui avait donné sa vie pour les autres.

Car Makar savait que c'était la seule vérité qui méritait de subsister.

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