Chapitre 36: Mai (15)

La première chose que Gyalan fit en quittant le toit du palais fut de contacter ses supérieurs de l'armée Ifrayenne. Valiammée, même si elle aurait fortement souhaité se joindre à l'échange – elle lui faisait confiance, mais pas à ses collègues – n'en eut pas la possibilité.

Il y avait des choses bien plus pressantes à gérer.

Aussi, les deux heures qui suivirent la fin de l'affrontement, elle s'affaira à dépêcher des émissaires compter le nombre de victimes dans chaque camp, aider les blessés, faire prisonniers les rares mages bleus encore en vie et recenser les habitants qui pouvaient toujours se battre.

Après ça, il leur faudrait revérifier tous leurs stocks de pierre et retrouver celles qui avaient potentiellement été perdues sur le champ de bataille. Sans compter toute la réorganisation de leur stratégie qui allait devoir survenir.

Valiammée aurait adoré savoir combien de temps ils avaient sous la main pour s'occuper de tout. Aucun doute que Solen chercherait à profiter de l'entaille qu'ils avaient fait dans leur défense pour en rajouter une couche. Ils devaient déjà rassembler des forces pour lancer un nouvel assaut sous peu.

- Si on tient bon au suivant, on a gagné, déclara Brimari.

Elle et Hui étaient revenus, plus couverts de sang que ne l'était Gyalan, quelques dix minutes plus tôt. Valiammée était soulagée de les savoir sains et saufs, même si tout ce rouge sur eux la mettait mal à l'aise.

Installés dans le bureau de la reine, la porte ouverte au cas où quelqu'un aurait des informations à rapporter, ils discutaient de la présente situation avec tout le monde.

- Rien ne dit que la prochaine sera la dernière, argua Ariane. Des forces, ils en ont un paquet sur leur continent. Ils peuvent aller en récupérer.

- Leurs terres sont loin, contesta Brimari, ils en auraient pour des semaines. Ça nous laisserait le temps d'armer toutes les cités du continent et d'encore mieux les repousser. Ils le savent, s'ils n'ont plus de soldats sur place et qu'on continue à prendre en puissance, c'est cuit pour eux.

Ça avait l'air si simple, énoncé ainsi.

- Sauf qu'ils vont changer de stratégie, avança Hui. On a beau avoir gagné, ils ont vu aussi bien nos points forts que nos points faibles. Ils vont vouloir jouer là-dessus.

- Dans ce cas on change de stratégie également, proposa Valiammée.

Elle écopa de regards perplexes et repoussa la gêne qui l'envahit immédiatement.

- On ne peut pas changer de stratégie, répondit Brimari, parce qu'elle se repose sur les pierres et que c'est la seule qui peut nous faire gagner. On vient à peine de l'établir et tu le sais très bien.

- Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire, se corrigea Valiammée. Mais si Solen change de stratégie, ce sera pour profiter de nos faiblesses, non ? Donc il vont utiliser plus de mages aériens ?

- C'est la supposition. C'est de cette façon qu'ils ont éliminé le plus d'entre nous, alors il n'y a pas de raison qu'ils ne poursuivent pas sur cette voie.

- Donc on doit exploiter les moyens que l'on a pour se débarrasser de ceux là, qui vont être le plus gros problème. Il nous faut davantage des armes faites par Anthropa et les forgerons.

Une fois encore, ses paroles ne furent pas convaincantes aux yeux des autres, même si davantage que les précédentes. Brimari secoua la tête, imitée par Hui.

- Valiammée, si tu fais référence à ton sceptre et à la chasse que tu as faite plus tôt, ça fonctionne uniquement parce que c'est toi et Miranda, objecta la Chevaleresse. Personne d'autre n'aura votre précision. On parle d'une élue, qui a un sens extrêmement poussé de l'énergie intérieure, et d'une prêtresse, pour qui c'est l'énergie extérieure qui n'a aucun secret. Personne ne pourra jamais surpasser votre association.

- Et c'est une très mauvaise idée de vous laisser vous battre, compléta Gyalan.

Les têtes se tournèrent vers le général lorsqu'il passa le pas de la porte. Il s'était changé et lavé, comme en témoignaient son uniforme propre et ses cheveux humides. Malgré cela, Valiammée voyait encore des tâches de sang consteller sa peau, signe qu'il avait du s'en occuper en vitesse et sans vraiment regarder ce qu'il faisait.

Elle le questionnerait immédiatement après sur l'arrivée potentielle de renforts Ifrayens.

- Si on trouve des endroits stratégiques où placer des magiciens, ce ne sera pas nécessaire de nous utiliser nous, dit Miranda. Après tout, Caméone est une cité construite sur la hauteur.

- On a deux autres prêtresses, ajouta Valiammée, et il y en a sans doute d'autres qui s'ignorent dans les souterrains. Sachant que je ne suis pas une élue très entraînée, un Maître Magicien sera amplement suffisant pour me remplacer, s'il est uniquement question de gérer sa force. La visée, ce sont les prêtresses qui s'en occupent.

Enfin, Valiammée perçut un intérêt naître pour son plan. Elle remercia Miranda d'un regard d'être venue l'aider dans son argumentaire.

- Deux groupes de tireurs ne feront pas une grande différence si tout Solen reste dans les airs, mais c'est mieux que rien, concéda Gyalan. Je demanderai à deux de mes Maîtres Magiciens de s'arranger avec les prêtresses et à la forge de faire davantage de sceptres.

- Il faudra bien les dissimuler, si on veut éviter qu'ils se fassent éliminer trop rapidement, fit remarquer Brimari. Ils seront très exposés.

- On pourra mettre quelqu'un qui servira de défense avec eux. Ça ne change pas grand chose.

- Mon sortilège de dissimulation a plutôt bien fonctionné au palais, ajouta Ténèbres. Je pourrais en placer d'autres.

Gyalan approuva d'un hochement de tête.

- Je ne sais pas si ça tiendra longtemps, aussi il faudra trouver des endroits où la fuite sera facile. Hors de question de perdre des Maîtres Magiciens si facilement.

Même si Valiammée soutenait que son idée pourrait être utile, elle savait aussi que les mages bleus risquaient de partir en quête des tireurs dès le début, qu'ils fassent trop de dégâts ou non. Elle hocha la tête pour approuver les propos de Gyalan.

Tant qu'ils parvenaient à déstabiliser Solen ne serait-ce qu'un peu, ce serait une avancée.

- Il faut partir du principe qu'à moins d'avoir une idée brillante dans les heures ou les jours qui suivent, Solen connaissent nos stratégies et ne pourront plus être surpris, conclut Gyalan. C'est un désavantage conséquent.

- Nous connaissons aussi les leurs, répliqua Vénérios.

- Oui, sauf qu'eux n'ont jamais eu besoin de ruser pour gagner. Depuis le temps, si cela avait été le seul facteur déterminant pour les vaincre, la guerre serait terminée.

Anthropa, après avoir échangé à voix basse avec son frère, leva presque timidement la main.

- Les bombes à magie bleue... commença-t-elle.

- ... Seraient la solution idéale, oui, compléta Gyalan. Si seulement on en avait plus que deux.

Nouvelle hésitation d'Anthropa. Elle inspira, expira longuement, puis ferma les yeux et passa une main dans ses cheveux clairs.

- Est-ce que vous avez besoin de moi et d'Adan dans les jours qui viennent ?

- Rien où vous ne pouvez pas être remplacés, répondit Gyalan.

- Alors on trouvera la solution, annonça Anthropa. On trouvera pourquoi toutes les pierres ne fonctionnent pas et comment en créer d'autres avant le retour de Solen.

Valiammée tordit le tissus du bas de sa chemise dans un geste nerveux. Anthropa elle-même n'avait pas l'air convaincue par ses paroles et tous s'en rendaient compte. Pourtant, Gyalan approuva immédiatement son initiative.

Comment lui reprocher de vouloir tenter une nouvelle fois ce qui paraissait impossible quand il n'avaient rien de mieux sous la main ?

Lancer les bombes dans les airs serait non seulement prendre Solen à leur propre jeu, mais aussi un moyen d'éviter le moindre dommage dans leur camp.

C'était presque trop beau.

Anthropa et Adan, qui ne voulaient pas perdre une seconde, partirent immédiatement commencer leur travail dans la pièce du palais que Valiammée leur avait offerte. Gyalan demanda à Lysandre, Ariane et Vénérios de partir pour les forges pour que les sceptres soient prêts le plus tôt possible, à Miranda de trouver ses Maîtres Magiciens pour qu'ils s'arrangent avec les prêtresses, et à Ténèbres de rejoindre Nyma dans l'entrée du palais pour trouver des points de tir stratégiques.

Le bureau de Valiammée se vida jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'elle, Gyalan, Brimari et Hui.

La tension qui s'était quelque peu dissipée revint à la charge.

- Il faut qu'on discute, leur dit le général.

- Qu'on dit vos supérieurs de l'armée ? l'interrogea Valiammée.

- Qu'ils allaient nous envoyer plus de magiciens, mais pas autant que l'on aurait besoin. C'est moi qui ai fait l'alliance avec Eole, pas eux, et il faut croire que cela leur déplaît dans une certaine mesure.

- Ils font qu'on s'en inquiète ?

- Non, ils me font confiance. Simplement, ils aimeraient beaucoup discuter avec toi et Hui. Ils viendront très bientôt avec des renforts.

- Si jamais la situation dérape... gronda Hui.

- Ça n'arrivera pas, trancha Gyalan. Je n'ai peut-être pas les pleins pouvoirs, mais suffisamment pour qu'on m'écoute et qu'on respecte mes décisions. De plus, ils savent aussi bien que moi où vont les intérêts d'Ifraya. Qu'on soit clairs, la prochaine attaque sera bien pire, or si Eole bat Solen, le continent Ifrayen est automatiquement épargné. Nous sommes les suivant sur la liste. Il faut donc brûler la liste.

Valiammée admettait qu'hormis Gyalan et sa petite armée, elle ne faisait pas confiance à Ifraya. Mais elle savait que leur position devenait de plus en plus instable et que leur alliance était devenue une étape obligatoire, surtout si Eole pouvait ensuite leur fournir des armes.

Ifraya n'avaient aucun intérêt à les trahir. Elle tenta de s'en convaincre en plongeant le regard dans celui, sérieux en toutes circonstances, de Gyalan.

- Dites-moi quand ils arriveront, conclut Valiammée. On gérera la situation.

Décidément, ce n'était pas aujourd'hui qu'Anthropa aurait le droit à un peu de vacances. Enfin, elle était la seule à blâmer, après s'être proposée pour reprendre les recherches sur les bombes à magie bleue. Heureusement, Adan était là pour la soutenir, même s'il l'avait présentement abandonnée pour gagner quelques heures de sommeil.

Elle remerciait l'univers de lui avoir donné un frère aussi prévenant.

Plus tôt, Brimari était passée la voir pour prendre un échantillon de son sang et l'analyser à l'aide de sortilèges de magie rouge. Anthropa espérait que ce n'était pas trop grave. Elle admettait que l'inquiétude de Miranda à son sujet n'avait pas de quoi la rassurer.

La prêtresse lui avait avoué un peu plus tôt qu'elle sentait quelque chose de différent chez elle, mais qu'elle était incapable d'identifier ce dont il s'agissait. Or, c'était la première fois que cela lui arrivait.

Anthropa baissa les yeux vers ses notes, qui restaient désespérément statiques.

Il fallait absolument qu'elle les complète. Il fallait absolument qu'elle trouve le paramètre qui faisait varier l'efficacité des bombes. Si jamais il lui arrivait quoi que ce soit avant...

La porte de son bureau s'ouvrit et Brimari entra, la faisant sursauter. Elle s'était nettoyée et avait changé de tenue, aussi plus aucune trace de sang ne subsistait sur elle.

Sa mine, en revanche, était grave.

Anthropa repoussa ses notes et tenta de s'éclaircir les idées.

- Tu arrives à travailler malgré la fatigue ? demanda Brimari sur un ton qui se voulait léger.

- Oui, répliqua Anthropa, j'ai l'habitude. Mais ça ne veut pas dire que j'avance pour autant.

- Toujours ce fameux problème insoluble ?

- Toujours.

Anthropa se frotta le haut du crâne. Si seulement Brimari avait pu l'aider, elle n'aurait pas dit non.

- Tu as fini de tester mon sang, non ? vérifia-t-elle. C'est pour ça que tu es là ?

- Oui, confirma Brimari.

Les battements du cœur d'Anthropa s'accélérèrent.

- Tu as trouvé quelque chose ? C'est grave ?

- J'ai trouvé quelque chose, et non, ce n'est rien. Enfin, pas dans le sens où tu l'entends.

Anthropa, qui nageait dans l'incompréhension et détestait ça, fronça les sourcils dans l'attente que la Chevaleresse développe davantage.

Brimari planta son regard dans le sien. Elle laissa couler une pause.

- Tu es enceinte.

Anthropa se figea. Lentement, les traits de son visage se détendirent et elle ramena une mèche de cheveux blond vénitien derrière son oreille. Alors seulement la panique s'empara d'elle.

- Quoi ? couina-t-elle.

- C'est Vénérios, je me trompe ? demanda Brimari.

- Mais c'est pas possible !

Brimari contourna la table pour saisir les épaules d'Anthropa et l'obliger à s'asseoir sur la chaise de bois abandonnée contre le mur. Elle récupéra le verre d'eau à moitié vide qui trônait en bord de table et lui fourra entre les mains.

- Selon mes estimations, ça ne fait que quelques jours, ce qui explique pourquoi Miranda a seulement commencé à remarquer le changement. Tu avais pris une contraception ?

Anthropa hocha la tête, maintenant livide.

- Alchimie ?

Nouveau hochement de tête. Brimari poussa un long soupir, les mains toujours posées sur les épaules de la sorcière.

- Anthropa, si tu avais vraiment eu besoin, tu aurais pu me demander. Il y a des sortilèges de magie rouge pour ça, qui sont bien plus fiables que l'alchimie.

- Mais je ne pouvais pas savoir...

- La magie rouge est liée au sang et au corps, c'est forcément plus efficace. Sache que je ne t'aurais pas jugée, tu serais étonnée de combien de fois j'ai lancé ce genre de sortilèges par le passé.

Anthropa, qui ne savait absolument pas quoi répondre à tout ça, finit son verre d'eau d'une traite. Elle avait l'impression que son cerveau tournait dans le vide.

Elle n'avait jamais anticipé un tel scénario.

La sorcière reposa délicatement le verre au bord de la table et posa ses mains sur ses genoux.

- Vénérios, admit-elle.

- Donc j'avais vu juste, répondit Brimari. Ce qui n'était pas très dur.

- Qu'est-ce que je fais ?

- Eh bien, ça dépend. Tu veux le garder ? Il y aussi des sortilèges de magie rouge pour ça.

Anthropa fut prise au dépourvu. Elle ne pouvait pas décemment prendre une décision pareille quand elle venait à peine d'apprendre qu'elle était enceinte.

- Je n'en aucune idée. Je devrais sans doute en parler à Vénérios avant.

- Tu devrais, oui. Mais quoi qu'il arrive, c'est ton corps. La décision finale te revient.

Brimari s'accroupit devant elle et saisit ses mains entre le siennes. Ce n'était définitivement pas la première fois qu'elle était confrontée à ce genre de situation.

- Quoi que tu décides, ça va aller, d'accord ?

Anthropa hocha la tête, même si le cœur n'y était pas.

Elle n'avait aucune idée de comment elle allait annoncer la chose à Vénérios, ni comment il réagirait.

La guerre – les bombes à magie bleue – était la priorité. D'innombrables vies étaient en jeu et reposaient malheureusement sur ses épaules.

Anthropa doutait plus que jamais de sa capacité à renverser la situation.

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