Chapitre 32: Mai (11)
Le palais, structure de pierre et de verre s'élevant devant ses yeux, était imposant.
Les seules fois où Valiammée était entrée dans celui d'Astras, à l'époque, c'était pour le bien son éducation au temple, mais il lui semblait alors gigantesque. Là, c'était complètement différent. Elle n'était plus une enfant. Tout du moins en taille.
Caméone avait toujours eu un attrait pour la hauteur.
- Je ne sais pas à quoi ressemble le palais d'Astras, mais le notre a la classe, dit Faylin. Galinée avait demandé à nos artisans et ingénieurs de venir améliorer le leur, il y a vingt ou trente ans.
- Vingt-six, compléta son père.
- Astras est plus sobre, expliqua Valiammée. Il n'y a pas autant de vitraux et il ne s'élève pas aussi haut.
Elle détailla la façade où, aux rebords métalliques des fenêtres, des drapeaux avaient été accrochés et flottaient faiblement dans l'air. Dessus étaient brodés des motifs en arabesques argentées typiques de Solen, où le tissus rouge sombre prenait la majorité de l'espace. Le message était clair : ils voulaient voir couler leur sang.
- Je vais chercher quelqu'un pour vous accueillir, annonça Faylin. Ne bougez pas, il n'y a pas grand monde à l'intérieur donc ça risque de prendre du temps.
L'adolescente poussa la lourde porte de bois de ses deux bras et disparut de l'autre côté, dans un couloir à la luminosité ténue. Valiammée ne parvint pas à voir davantage que les battants s'étaient déjà refermés.
Lysandre, jusque là en file du groupe aux côtés de Vénérios, Ariane et Makar, s'avança de quelques pas. Il planta son regard rouge de Phébéien en direction du père de Faylin.
- Excusez-moi ?
L'homme se tourna vers lui, non sans devoir lever la tête à cause de sa taille.
- Le palais n'est pas sécurisé ? s'étonna Lysandre.
- Bien évidemment que si.
- Votre fille vient d'entrer sans que personne ne vérifie son identité.
- Les personnes à l'intérieur du palais sont protégées, corrigea le magicien. Pas le lieu en lui-même.
- Je vois. Merci.
Lysandre reprit sa position en fin de cortège, où Vénérios lui chuchota des paroles que Valiammée n'entendit pas.
La Madrigane sentait que dès son ascension au pouvoir, Lysandre voudrait revoir entièrement la sécurité des lieux. Elle-même le voyait déjà comme une étape obligatoire.
Il s'écoula quinze longues minutes avant que Faylin ne revienne. Pour meubler l'attente et faire en sorte que la population soit moins suspicieuse à leur propos, Anthropa et Adan expliquèrent des principes des sciences de la magie à plusieurs curieux qui les avaient suivis depuis leur point d'arrivée. La plupart avaient des questions sur les portails. Anthropa alla jusqu'à demander à Miranda de la rejoindre pour faire une démonstration.
La prêtresse posa sa main gauche au sol, concentra sa magie et récita la formule du portail. La dalle du sol ondoya jusqu'à ce que son gris clair soit remplacé par le haut du crâne d'Anthropa. Miranda passa sa main libre à travers et posa un doigt sur la tête de la sorcière.
La population observa avec la scène avec incrédulité. Même le père de Faylin s'était pris au jeu et écoutait avec attention les explications détaillées d'Anthropa. Sans doute pour cette raison, ils ne remarquèrent pas tout de suite le retour de Faylin.
- J'ai trouvé Hui, annonça-t-elle.
Anthropa cessa son monologue et Miranda dissipa son portail. Valiammée, elle, observa avec intérêt la nouvelle figure qui attendait sagement en haut des cinq marches qui séparaient la rue de la porte du palais.
Il s'agissait d'un homme, à peine plus grand qu'elle, vêtu de rouge sombre des pieds à la tête. Il était albinos, comme l'était autrefois Mara, la disciple d'Anthropa. Ses longs cheveux blancs descendaient jusqu'à ses coudes et ses yeux violacés observaient les nouveaux venus avec curiosité.
Valiammée remarqua qu'il avait une large cicatrice sur la partie droite de son visage, comme si quelqu'un avait tenté de le lui ouvrir en deux avec une lame.
Vu le contexte actuel, c'était plausible.
- Bonjour, leur dit Hui d'une voix étonament grave.
- Bonjour, répondit Valiammée, on aimerait s'entretenir avec les dirigeants actuels de Caméone. C'est important.
- Vous êtes ?
- Valiammée Astrada, élue du temple d'Astras.
Hui la dévisagea de haut de bas, particulièrement son diadème et sa tenue.
- J'ai cru comprendre de la part de la jeune demoiselle qui est venue me chercher que vous êtes là pour réclamer le trône.
- Oui, confirma Valiammée. Nous avons un plan pour mettre un terme à la guerre.
- Ce qui est une grande ambition. Je serais ravi d'en apprendre plus à ce sujet, mais je dois d'abord faire une vérification. Puis-je ?
Il lui tendit sa main, dans l'attente que Valiammée fasse quelque chose en retour. Hui dut comprendre sa confusion, puisqu'il ajouta que c'était pour lui prélever un peu de sang.
- Si vous êtes véritablement une élue, je partirai du principe que vous dites la vérité sur tout. Nous pourrons ensuite discuter de ce qu'il vous plaît.
- Oh, très bien.
Valiammée lui donna son bras, qu'il retourna délicatement pour que sa paume se retrouve face au ciel. À l'aide d'un des poignards accrochés à sa ceinture, et après en avoir désinfecté la lame d'un sortilège de magie rouge, il fit une très légère entaille au bout de l'annulaire de la magicienne. Elle ne sentit pratiquement rien.
Gyalan, d'un simple jeu de regards, demanda à Brimari de surveiller les moindres faits et gestes de Hui. La Chevaleresse lui répondit d'un hochement de tête discret.
S'il faisait quoi que ce soit à Valiammée, elle lui règlerait son compte.
Hui se saisit d'une simple goutte de sang, qu'il fit rouler au creux de sa paume. Valiammée récupéra son bras et l'observa opérer.
Des paroles incompréhensibles s'échappèrent de la bouche de Hui – sans doute de l'Astréien. La goutte de sang se mit à vibrer, puis se divisa en une multitude de fragments de la taille d'une pointe d'aiguille. Ils se déplacèrent sur sa paume jusqu'à se recomposer dans une spirale, puis s'évaporèrent dans l'air.
Hui baissa le bras.
- Suivez-moi.
- Alors c'est bien une élue ? vérifia le père de Faylin.
- C'est une élue, confirma Hui.
Quand Valiammée et le reste de son groupe entrèrent dans le palais à la suite du mage rouge, elle vit Faylin donner un coup de coude dans les côtes de son père en se vantant d'avoir eu le bon instinct.
Ensuite, la porte du palais se referma derrière eux et les bruits extérieurs furent étouffés.
Ils se retrouvèrent dans un couloir plongé dans la pénombre, où la fraîcheur était étrangement agréable.
La plupart des vitraux qu'ils apercevaient depuis l'extérieur étaient ici couverts par des rideaux opaques, qui ne laissaient pénétrer que quelques faibles rayons lumineux. Le sol, fait d'une pierre lisse fissurée par endroits, faisait résonner chacun de leurs pas.
Guidés par une rangée de piliers, ils parvinrent à deux escaliers incurvés, qui menaient vers la même porte de bois. Hui s'arrêta.
- Tout le monde ne pourra pas monter, annonça-t-il, je m'en excuse. Ordre du dirigeant.
- Tout le monde, c'est à dire ? demanda Gyalan.
- Je peux ramener cinq personnes, mais difficilement plus. Il y a déjà eu des incidents par le passé et des règles de sécurité ont été imposées pour protéger notre gouvernement. Je vous laisse décider qui accompagnera la jeune élue.
Valiammée comprit dès qu'elle se retourna que plusieurs voix étaient prêtes à s'élever pour se proposer. Elle n'en laissa le temps à personne et imposa son choix.
- Général Cartaris, Herin, Brimari et Anthropa.
Entre autres ses deux soutiens diplomatiques, leur meilleure combattante et leur experte en magie. Valiammée aurait aimé avoir ses camarades de longue date à ses côtés, pour être plus rassurée, mais mieux valait rester sur des choix rationnels.
C'était d'eux dont elle avait le plus besoin dans pareille situation.
- Parfait, trancha Hui. Allons-y.
Il monta les marches. Les quatre magiciens appelés s'avancèrent aux côtés de Valiammée, qui renvoya un regard d'excuse aux autres. Elle eut droit à un sourire encourageant de la part de Lysandre et Miranda, ce qui ne manqua pas de lui mettre du baume au cœur.
Ils gravirent les escaliers à la suite de Hui sans plus s'attarder.
Tout comme la large pièce qui constituait l'entrée du palais, le premier étage était très sombre, les fenêtres couvertes par des rideaux épais. Quand Valiammée demanda pourquoi, Hui lui expliqua que c'était, encore une fois, pour des raisons de sécurité.
- Il y a des sortilèges sur les rideaux. Si quelqu'un infiltre le palais en brisant les vitraux, ils vont s'enrouler autour de lui et l'immobiliser, au moins le temps que quelqu'un vienne régler le problème.
- Ça arrive souvent ?
- Régulièrement.
- Eole, Solen ou Ifraya ?
- Solen. Les rideaux sont ignifugés au possible.
Une précaution judicieuse. Même si Solen n'avait pas attaqué cette cité autant que les autres, Valiammée comprenait comment le gouvernement actuel avait tenu.
- Je préfère vous prévenir que notre dirigeant ne va pas aimer votre venue, reprit Hui. Ce n'est pas la première fois que quelqu'un tente de le déloger.
- Ce n'est pas un problème, assura Gyalan. Nous avons des arguments.
- Il s'en fiche.
Le général Cartaris fronça à peine les sourcils, mais sa perplexité se ressentait.
- Je peux savoir par quels moyens cette personne est arrivée au pouvoir et quel titre elle se donne ?
- C'est un ancien conseiller de la reine, du temps où la guerre n'était pas encore là, expliqua Hui. La population l'a accepté quand il s'est proposé pour succéder au précédent gouvernement provisoire, justement à cause de son expérience. Il se considère comme le roi actuel.
- Il y a eu un couronnement ou quelque chose qui atteste de ses droits actuels ? vérifia Herin.
- Oui.
- Vous êtes son conseiller ? demanda Valiammée.
Hui ne répondit pas tout de suite. Il ralentit l'allure, sans doute pour leur laisser l'occasion de prolonger leur conversation. Ce qui signifiait qu'il avait plus à dire, même s'il ne le verbalisait pas.
- Je suis sa protection, admit-il. Il peut m'écouter, mais dans la finalité, il gère la cité pratiquement à lui seul.
- Très mauvaise idée, commenta Gyalan.
- Comparé au précédent gouvernement provisoire, il sait ce qu'il fait.
- Ce n'est pas parce qu'il est meilleur qu'il est bon pour autant.
- Il l'est suffisamment et nous n'avons personne d'autre.
Ils montèrent une nouvelle série de marches et arrivèrent dans un énième couloir sombre. Le roi était-il installé à l'écart pour être difficile à retrouver si le palais était assiégé ?
- Je suis prêt à écouter ce que vous avez à dire, poursuivit Hui, mais je ne pense pas que ce soit son cas. Son autorité a assez été remise en cause ces dernières années pour qu'il ait épuisé sa patience.
- Il y a toujours moyen de négocier, argua Valiammée.
- Nous verrons.
Hui se stoppa devant une porte située au beau milieu du couloir. Dans cette zone du palais, il n'y avait aucune fenêtre. Il toqua, puis entra sans attendre de réponse.
- Tu as des visiteurs.
Valiammée fut la première à s'engouffrer dans la pièce, suivie par Gyalan, Herin, Anthropa, et enfin Brimari pour fermer la marche.
Le bureau était petit, couvert d'étagères du sol au plafond, avec seule une table métallique et une chaise installée au centre. La fenêtre était barricadée par des planches de bois, couvertes par le même rideau qui se trouvait partout ailleurs dans le palais.
Le roi releva la tête, sourcils froncés.
- Comment ça, des visiteurs ?
Une unique flamme orange servait à éclairer la pièce, au bord de la table. Certes, elle était vive, mais Valiammée avait l'impression d'être de retour dans les souterrains d'Astras – elle crut entendre Herin marmonner la même chose.
Le roi se leva de la chaise, méfiant. Une cape noire lui couvrait les épaules et il avait le crâne rasé de près. Entre toutes les armes accrochées à son corps, ses lèvres pincées et son regard acéré, il avait l'air tout sauf sympathique. Intimidée, Valiammée en oublia de se présenter d'emblée.
- Je peux savoir qui vous êtes ? demanda-t-il.
- Un groupe de magiciens d'Eole avec pour ambition de repousser Solen une bonne fois pour toutes, répondit Valiammée. Nous sommes là pour discuter avec vous. Nous avons un plan.
Elle préférait ne pas aborder le sujet du trône dès le début. Il fallait déjà que le roi écoute ce qu'ils avaient à offrir sans se sentir agressé.
- D'où vous venez ?
- Astras, majoritairement.
- Et vous avez fait le déplacement jusqu'ici ? Vous avez du courage. Approchez-vous.
Tous s'exécutèrent. Jusque là, Valiammée avait l'impression de faire les bons choix.
- Si vous n'êtes pas encore morts, je suppose que vous savez ce que vous faites, concéda le roi. Votre plan, il a quelconque valeur ou c'est une vaste blague ? Des gens comme vous, j'en ai déjà eu un paquet, et je n'ai pas envie de perdre mon temps.
- Il est planifié dans les grandes lignes, répondit Valiammée, mais il nous manque les détails, puisqu'on a besoin de Caméone pour le compléter. C'est du sur mesure.
Elle invita Anthropa à prendre la parole pour qu'elle fasse toutes les explications elle-même. En revanche, vu la patience limitée que le roi avait l'air d'avoir, la sorcière tâcha de rester la plus brève possible.
Hui était bien plus attentif que lui.
- Des armes qui fonctionnent avec des pierres ? répéta le roi, perplexe. Et vous dites que ça fonctionne ?
- Oui, on peut vous faire une démonstration, si vous voulez, proposa Anthropa.
- Après, j'ai encore des questions. Cela suffirait pour contrer les assauts de Solen ?
- Dans la théorie, oui.
- C'est à dire ?
- Eh bien, la magie bleue est bien plus agressive que la magie blanche, alors il en faut plus pour compenser. Les pierres sont la compensation.
Le roi, pensif, se frotta la joue droite.
- Donc vous vous basez uniquement sur des spéculations. Vous n'avez jamais testé la chose sur le terrain.
- Très peu, concéda Anthropa, mais bien plus en entraînements. Ça vaut la peine de l'essayer à plus grande échelle.
- Je déterminerai ça après la démonstration. Est-ce que c'est facilement utilisable ?
- Oui, mais il vaut mieux que des magiciens avec un minimum de pratique s'en occupent car il y a une manœuvre plus complexe.
- Je vois. Et pour en créer davantage ?
- Il va me falloir du matériel, mais il devrait y en avoir amplement sur place.
Le roi acquiesça. Anthropa, pas à l'aise, le regarda demander à Hui de s'avancer. C'était l'heure de montrer leurs inventions.
- Hui servira de testeur, décréta le roi. Vous avez vos pierres sur vous ?
Elles étaient accrochés aux chevilles de tout le monde sauf Herin, qui ne savait pas s'en servir. Ce fut Brimari qui se porta volontaire pour montrer leur fonctionnement.
- Ce serait mieux de sortir, tout de même, proposa-t-elle.
- Pas besoin, décréta le roi. Faites ici.
Brimari jeta un regard à Hui, comme pour lui signifier qu'elle risquait de faire des dégâts, mais le mage rouge se contenta de secouer la tête dans un geste discret. Eh bien tant pis, si elle cassait quelque chose, ce serait leur problème.
Brimari, qui n'avait pas envie de mettre beaucoup d'efforts dans cette démonstration, décréta qu'un seul coup suffirait. Elle écarta ses pieds pour être solide sur ses appuis, concentra sa magie dans tout son corps en la puisant dans la pierre, puis forma une simple sphère de magie. Elle était de la taille de son poing, si concentrée que la lumière rose qui s'en échappait faisait mal aux yeux.
Sifflement d'air, puis la sphère fut projetée vers Hui. Ce dernier voulu la briser d'une lance de magie rouge, mais la puissance qu'il mit fut largement insuffisante et elle explosa sans altérer la sphère. En désespoir de cause, il se téléporta deux mètres plus loin au moment où la magie allait le toucher afin de ne pas se retrouver encastré dans le mur.
Le choc fut violent. Valiammée et Gyalan, dans un réflexe de dernière seconde, levèrent un champ de force devant les étagères pour ne pas que leur contenu soit abîmé. Celui du général se brisa sur le coup, mais atténua suffisamment la force de l'attaque pour que celui de Valiammée résiste, non sans accuser le coup.
L'air vibra de magie et le bruit de l'explosion résonna autour d'eux. La seule flamme qui éclairait la pièce s'éteignit.
Dès que Valiammée dissipa son bouclier, elle leva ses mains devant elle. La lumière s'en échappa dans un torrent qui dévoila le regard stupéfait du roi.
- Les étagères n'ont rien, commenta Brimari.
Hui se rapprocha, le visage fermé.
- C'est extrêmement puissant.
- Et suffisamment convainquant, ajouta le roi. J'accepte votre aide si vous pouvez nous en fournir un stock suffisant. Nous ferons des essais en situation réelle dès que possible.
- Dans ce cas nous avons une condition, annonça Valiammée.
À leur arrivée dans le bureau du roi, l'ambiance était soupçonneuse. Après l'attaque, elle était devenue plus détendue. Maintenant, elle était électrique.
- Je t'écoute, mais je ne garantis rien, trancha le dirigeant.
- On a besoin d'amener la population des souterrains d'Astras ici.
- Non.
La réponse avait été immédiate. Il n'avait pas dépensé trop d'énergie à y réfléchir.
Il était donc temps pour Valiammée de prendre ses responsabilités.
- Je ne vous laisse pas le choix, objecta-t-elle.
- Ben voyons. C'est moi qui vais avoir le dernier mot. Tu comptes faire quoi ?
- Prendre le trône. Je suis une élue.
Le roi se crispa. Il la détailla de haut en bas, comme pour déterminer si une once de son être méritait de prendre sa place. Sa tenue devait enfin faire sens à ses yeux. Il se tourna vers Hui, sourcils haussés.
- C'est vraiment une élue, confirma le mage rouge. J'ai vérifié.
- Alors vous n'aviez aucune intention de composer avec moi ? résuma le roi. Vous vouliez juste m'évincer ?
- C'est pour le bien de la cité, se justifia Valiammée. Si vous ne pouvez pas adhérer avec nos conditions, ça ne fonctionnera pas.
- C'est hors de question. Allez tenter votre chance à Galinée, ils seront plus enclins à vous laissez réaliser vos magouilles.
- On essaie de vous empêcher de crever, vous devriez nous remercier, fit remarquer Brimari en haussant le ton. Que vous le vouliez ou non, vous allez bien gentiment abandonner la gouvernance.
- Puis vous n'avez pas le droit de refuser, insista Valiammée. C'est la loi. Selon la dynastie des élus, si je demande la cité, alors elle me revient de droit.
- Oui, mais sans soutien diplomatique derrière toi, on pourrait aussi te tuer et on resterait dans notre bon droit, contra le roi. Avec tout le continent sauf nous et Galinée détruit, j'aimerais savoir où tu l'as déniché.
- Dans les souterrains d'Astras, répondit Valiammée. Et dans l'armée Ifrayenne.
Gyalan et Herin s'avancèrent à ses côtés sans qu'elle ne leur demande quoi que ce soit. C'était étrange de les savoir ses meilleurs soutiens quand l'un était prêt à la sacrifier pour réaliser les bombes à magie bleue et que l'autre l'avait jetée vers une possible mort sous prétexte qu'elle était une Madrigane.
Le roi se recula et porta une main à sa ceinture, où plusieurs armes étaient accrochées.
- Ifraya ? Vous avez fait une alliance avec Ifraya ?
- Nos intérêts sont communs, confirma Gyalan. Autant s'allier contre Solen et retourner à nos vies respectives ensuite.
- Après tout ce que vous avez fait ? Certainement pas. Votre présence ici est une honte.
- Il y a des choix à faire, s'immisça Herin. Je n'étais pas non plus encline à accepter l'aide d'Ifraya, mais c'est non négligeable pour mettre fin à cette guerre. S'il y a des comptes à rendre entre Eole et Ifraya, ce sera fait après.
Le roi ne pouvait rien contre eux. Il pouvait s'échiner tant qu'il souhaitait à refuser le trône à Valiammée, Brimari pouvait le renverser, lui et Hui, à elle seule.
Au delà de la colère qu'il exprimait face à leur coup d'état, la Madrigane décela une forme de sidération. Parce qu'elle avait pu non seulement rallier avec elle le peuple de la cité voisine, mais également une partie de leurs ennemis.
Bien sûr, ce n'était pas de son fait, mais ce n'était pas ce qui importait ici. Elle arrivait à Caméone avec bien plus de pouvoir entre ses mains qu'il n'en aurait jamais. Et ça, ça ne lui plaisait pas du tout.
- Ce qu'on a montré, et bien plus encore, nous appartient, conclut Valiammée. Si vous ne me cédez pas le trône, vous ne l'aurez jamais. Ça revient à condamner la cité. Ce n'est pas ce que vous voulez.
- Vous ne...
Le mouvement de Hui fut rapide. Une seconde, il s'entailla la main avec l'un de ses poignards. La suivante, il projeta des fils de sang vers le roi, qui le transpercèrent en de nombreux points et s'étendirent dans son corps telles les branches d'un arbre. Il ne termina jamais sa phrase et s'effondra lentement sur le sol, les yeux écarquillés.
Inconsciemment, Valiammée baissa l'intensité de sa lumière pour masquer la violence de la scène. Tous étaient abasourdis.
- Effectivement, ce n'est pas ce que l'on veut, confirma Hui. Raison pour laquelle vous aurez le trône.
Valiammée savait qu'elle aurait dû répondre quelque chose, mais son esprit était vide. Elle compta sur Gyalan ou n'importe quel autre magicien pour le faire à sa place.
- On vous promet de changer l'avenir de la cité, dit Anthropa à son grand soulagement.
Hui hocha la tête, satisfait.
- Considérez-moi à votre service à partir de cet instant.
La flaque de sang qui se formait sous le corps du roi s'étendit jusqu'aux semelles de Valiammée, qui s'en sentit mal à l'aise. Brimari leva une main et, d'un peu de magie rouge, dévia son cours pour qu'il ne la touche plus. Hui et elle se dévisagèrent, sorte de reconnaissance silencieuse entre pairs. Valiammée, elle, remercia discrètement Brimari.
- Notre travail commence maintenant, dans ce cas, reprit Gyalan. Et il y a beaucoup à faire.
Anthropa se glissa aux côtés de Valiammée et redressa le diadème qui s'était légèrement désaxé du haut de son crâne.
- Ça aurait pu mieux se passer, murmura-t-elle, mais ça aurait aussi pu être pire. Je savais que tu irais loin, si tu étais bien entourée.
Valiammée réussit à esquisser un sourire maladroit.
Le destin qui lui avait autrefois été arraché fut recousu au creux de ses paumes. Elle en était aussi terrifiée que soulagée, car cela signifiait que rien n'était jamais perdu, même quand tout semblait indiquer le contraire.
Bientôt, son nom allait être gravé dans la pierre du palais au côté de nombreux autres auxquels elle succédait.
Valiammée Astrada, première du nom, reine de Caméone.
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