Chapitre 31: Mai (10)

Parcourir une si grande cité qui tenait encore debout avait quelque chose de particulièrement étrange.

Oh, Caméone n'était pas intacte, comme en témoignaient certaines façades brûlées, aux trous rebouchés à l'arrache et aux dalles du sol pas toujours de la même couleur, mais en comparaison avec Astras, c'était le jour et la nuit.

Les bâtiments n'étaient pas écroulés. L'atmosphère n'était ni lourde, ni angoissante, ni silencieuse, exactement comme Heberen qui débordait autrefois de vie. Et, surtout, il y avait bien de plus de monde dans les rues que Valiammée n'avait l'habitude de voir.

Monde qui, actuellement, la dévisageait elle et ses camarades qui venaient de traverser le portail en provenance du campement Ifrayen.

Les murmures s'élevèrent et les gens se figèrent pour les observer, sur leurs gardes. Comme ils ne connaissaient pas encore le principe des portails, Valiammée se doutait qu'ils devaient les prendre pour des magiciens de Solen, même s'ils n'en portaient pas l'uniforme – tout ce qui était argenté avait été proscrit de leurs tenues. Leur première mission serait de les mettre en confiance, puis qu'ils les mènent jusqu'à leur gouvernement provisoire.

- Ils n'ont pas l'air emballés, commenta Brimari.

- C'est à ce demander pourquoi. Après tout, nous ne sommes que des étrangers qui envahissent leurs rues et dont les objectifs ne sont pas écrits sur nos visages, ironisa Anthropa.

- Tu as oublié de préciser que l'on est arrivés ici par un trou dans l'air, ajouta Adan.

Tout de même, ils n'étaient pas habillés pour combattre. Même les quelques soldats en leur compagnie, à savoir Makar, Nyma et les deux subordonnés de Herin, ne portaient ni armure, ni arme. Seule Brimari, qui avait des protections sur ses avant-bras, arborait un minimum d'équipement. Le reste n'avait rien d'hostile, plutôt d'ostentatoire.

Parmi eux, Valiammée était celle qui attirait le plus l'attention.

Les artisans de la forge du campement avaient passé la nuit à fabriquer la diadème posé sur le haut de son crâne. Ariane et la soldate qui créait des goshénites s'étaient chargées de le décorer au mieux, pour qu'il ne la fasse pas passer pour trop austère.

Il était fait d'un alliage de métaux qui lui conférait une couleur dorée, en contraste avec le gris de ses cheveux. De courts pics s'étendaient de la base vers le ciel pour imiter une auréole de lumière. Les cristaux de goshénite et les pépites de verre disséminés dessus ressemblaient à des gouttes d'eau gelées posées dessus.

Ses cheveux avaient été partiellement coiffés par Vénérios à la mode Phébéienne. Autrement dit, son visage était dégagé et un enchevêtrement de tresses à l'arrière de son crâne laissait les mèches libres glisser dans son dos. Pour la tenue, elle avait enfilé celle, bleu sombre, que le général avait fait confectionner pour elle. Les détails brodés de doré s'accordaient parfaitement avec le diadème.

Valiammée n'avait jamais été aussi bien parée de sa vie. Enfin, Gyalan, Herin et même Miranda non plus.

Le général avait toujours été élégant, puisqu'il pouvait se le permettre et devait avoir l'habitude, en tant que noble pas déchu de ses titres. Il s'était revêtu de son uniforme le plus neuf, d'une couleur identique à celui de Valiammée. Elle supposait qu'il s'agissait du même tissus que le sien.

Pour Herin, qui vivait dans la poussière et la pénombre, le changement avait lui aussi été radical. Pour créer une unité entre eux trois, qui représentaient les détenteurs du pouvoir, elle portait une tenue de la même couleur qu'eux, même si la sienne ne comptait pas de dorures, faute de temps, et était plus sobre dans son allure générale. Quand elle s'était vue dans le miroir pour la première fois, Herin avait explosé de rire et insisté qu'il devait s'agir de sa jumelle maléfique. Ensuite, elle avait manqué de fondre en larmes, puis retrouvé son calme et demandé si elle pourrait garder la tenue. Gyalan avait dit oui et Brimari avait dit non.

Une nouvelle robe de prêtresse avait également été confectionnée pour Miranda, ce qui l'avait sincèrement étonnée. Lavée, celle qu'elle portait habituellement, rouge et blanche, restait potable même si le tissus était usé, alors que Gyalan gaspille ses ressources pour elle ?

Valiammée en comprenait le raisonnement, puisque Miranda était l'un des piliers de leur plan, mais c'était toujours plus simple d'estimer les autres plus méritants que soi-même. La réaction de Miranda ne l'étonnait pas.

Pour les autres, qui n'avaient pas eu le droit à des accoutrements aussi sophistiqués, ils avaient fait de leur mieux pour paraître à leur avantage. Ariane et Lysandre s'étaient tressé les cheveux comme ils avaient l'habitude de le faire autrefois et portaient des tenues blanches. Vénérios, avec ses cheveux trop courts pour y faire quoi que ce soit, s'était contenté de la tenue.

Brimari était vêtue de noir des pieds à la tête et ses épaules étaient couvertes d'une cape. Tous les autres portaient leurs vêtements habituels, qui avaient été lavés et rapiécés quand c'était nécessaire.

En tout cas, Valiammée ne voyait pas en quoi leur apparence pouvait paraître inquiétante.

Un homme à la carrure impressionnante – il faisait la taille d'Ariane et avait la musculature de Nyma, sans doute un combattant – s'approcha d'eux, plus que suspicieux.

- Qui êtes-vous et d'où vous sortez ? On n'entre pas comme ça dans Caméone.

Valiammée demanda aux autres de rester en retrait et s'avança vers le magicien, qui fit un pas en arrière par précaution. Elle ne voyait pas trop en quoi elle et son visage encore enfantin avaient l'air hostiles, mais savait aussi que les apparences pouvaient être trompeuses.

- Je m'appelle Valiammée Astrada, répondit-elle. Je suis une élue du temple d'Astras. Je viens pour vous prendre le contrôle de la cité et vous aider à stopper Solen.

Pas de réponse. D'autres passants avaient entendu sa réponse, puisqu'elle avait fait l'effort de hausser la voix – ce qui était à son sens très inconfortable – et la dévisagèrent d'un air mitigé.

- Non, annonça simplement le magicien.

- Je n'attendais pas de réponse, répliqua Valiammée, j'énonçais un fait.

- Tu as quel âge, petite ? Tu ne penses pas que tu prends un peu tes rêves pour la réalité ?

Valiammée sentit son sang déserter son visage pour gagner ses pieds. Elle ne s'était pas attendue à un accueil particulièrement chaleureux, mais pas hostile à ce point non plus. Elle détestait particulièrement qu'on la prenne de haut.

La magicienne resta calme. Si elle se rappelait d'une chose essentielle de son éducation au temple d'Astras, c'était de toujours garder son sang froid, même si on lui manquait ouvertement de respect.

- J'ai besoin que quelqu'un me mène jusqu'aux dirigeants actuels de Caméone, reprit-elle.

- Ce ne sera certainement pas moi, répliqua l'homme. Les questions, c'est moi q...

- Dans ce cas je ne vois pas d'intérêt à vous parler davantage. Au revoir.

Valiammée se détourna sèchement pour rejoindre son groupe. Simplement, le magicien lui saisit le bras avant qu'elle n'ait pu faire un pas et la ramena face à lui. Son flot de magie s'agita dans un réflexe, mais Valiammée se retint d'attaquer.

- Si tu parles à la population comme ça, ne t'attends pas à ce qu'on t'accepte. Enfin, à supposer que tu dises la vérité, ce dont je doute. Des imposteurs, on en a déjà eu.

Une main saisit le poignet de l'homme et le força à lâcher Valiammée, qui tourna la tête pour apercevoir Gyalan Cartaris. En plus de sa colonne vertébrale raide qui le faisait paraître plus grand qu'il ne l'était déjà, ses yeux verts et orageux dévisageaient le magicien avec un air de menace presque palpable.

- Vu la façon dont vous-même vous adressez à elle, je l'ai au contraire trouvée très courtoise, dit-il platement. Nous sommes certes en guerre, mais ça ne vous empêche pas d'être poli. Je me trompe ?

L'homme se recula d'un pas, moins serein qu'avant. Gyalan lâcha son bras.

- Et vous êtes qui, vous ?

- Vous aimeriez le savoir, n'est-ce pas ? ironisa le général.

Valiammée ne savait pas si elle devait être impressionnée, effrayée ou remercier Gyalan de son aide. Elle hésita aussi à intervenir, de peur que la situation dérape, mais le général savait très bien ce qu'il faisait.

- Où se trouvent vos dirigeants ? demanda-t-il quand l'homme ne trouva plus rien à répondre.

- Pourquoi vous tenez tant à mettre une gamine au pouvoir ? Ça vous apporte quoi ?

- Vous le saurez bien assez tôt. Maintenant, excusez-nous, mais nous devons trouver quelqu'un qui nous conduira à vos dirigeants, puisque vous n'avez pas l'air décidé.

Gyalan posa une main dans le dos de Valiammée pour l'inciter à retourner avec les autres en sa compagnie. Du moins, il s'arrêtèrent à mi-chemin.

- Si tu ne le fais pas, je vais les y emmener.

C'était la voix d'une adolescente. Comme beaucoup de gens dans cette rue, elle avait suivi l'échange avec attention, avant de finalement oser s'approcher. Gyalan et Valiammée se retournèrent vers elle.

- Certainement pas, contra l'autre magicien.

- Papa, regarde la situation en face deux minutes, insista la fille. Ces gens ont débarqué en passant par un trou dans le vide. Tu as déjà vu Solen ? Ils passent toujours par le ciel.

- Ils auraient pu changer leurs méthodes.

L'adolescente roula des yeux comme s'il avait prononcé une énormité.

- Solen sont plus forts justement parce qu'ils attaquent par le ciel, ce qui leur permet de faire des dégâts. Là comme ça, on les bat.

- Ça pourrait être Ifraya, argua l'homme.

- Ça fait quatre ans qu'Ifraya n'a pas attaqué ici. Tu penses qu'ils recommenceraient en envoyant...

Elle compta les magiciens sur ses doigts tout en remuant les lèvres.

- Quinze personnes habillées comme des nobles ? compléta-t-elle.

- Il y a des soldats parmi eux.

- Ils n'ont pas d'armes.

- Ils ont des pouvoirs.

- C'est marrant, nous aussi.

Un attroupement se forma, comme si d'un coup, leur groupe avait l'air bien moins terrifiant, défendu par une adolescente. Valiammée ne pouvait lâcher le regard de la fille, qui risquait de leur faciliter grandement la vie.

- Comment tu t'appelles ?

Elle se tourna vers elle et, étonnamment, lui sourit.

- Faylin. Valiammée, c'est ça ? Je ne savais pas que le temple d'Astras avait survécu à la guerre.

- Parce qu'il ne l'a pas fait. J'ai habité dans les souterrains jusqu'à récemment.

- Oh ! Je comprends mieux. Désolée de l'indiscrétion, mais comment vous avez fait pour débarquer de nulle part ?

- Par un portail.

- On dirait des manigances dignes de Solen, marmonna le père de Faylin.

- Je suis de Chaolä, pas de Solen, contra Anthropa.

La sorcière s'immisça dans la conversation, maintenant qu'elle sentait son expertise judicieuse.

- Tout ce que je sais sur les portails, je l'ai trouvé dans la bibliothèque d'Heberen, poursuivit-elle. Contrairement à ce que vous pensez, c'est bien une invention d'Eole, majoritairement menée par Heberen, mais aussi par la cité de Galinée. Ça fonctionne sur le principe des flux telluriques, si jamais vous êtes familiers avec le concept.

Faylin et son père ne connaissaient visiblement rien à ce sujet, ce qui n'entacha pas la joie d'Anthropa d'étaler son savoir. Elle tendit sa main vers eux, sourire aux lèvres.

- Je m'appelle Anthropa Holloway, chercheuse et experte en sciences de la magie. Ravie.

Faylin lui serra la main avec enthousiasme.

- Et donc vous êtes tout un groupe de gens de différentes cités ? demanda-t-elle. Vous vous êtes rassemblés dans le but d'éloigner Solen ?

- Entre autres, confirma Anthropa. On a développé tout un plan sur la base de mes recherches, qui va nous permettre de prendre l'ascendant sur eux, mais pour ça, on a besoin de la collaboration de votre cité.

- Pourquoi Caméone ? l'interrogea le père de Faylin.

- Parce que contrairement à la quasi totalité du continent, votre cité tient encore debout, répondit Gyalan. Et le but est que ça reste ainsi afin d'ensuite aider les autres.

- Donc vous avez retrouvé une élue pour qu'elle prenne le pouvoir ?

L'homme se tourna vers Valiammée et la foudroya du regard.

- Comment peut-on être sûr qu'elle est vraiment une élue ?

- Vous devez bien avoir des registres... tenta Valiammée.

- Ils ont brûlé. De toute façon, ça ne prouve en rien ton identité.

- Si c'est vraiment une élue, Hui peut le déterminer, trancha Faylin.

Elle se tourna vers Valiammée, Anthropa et Gyalan.

- C'est le mage rouge du gouvernement. Il est extrêmement doué.

- Tu peux nous amener à lui ? demanda Valiammée.

- Bien sûr !

Faylin adressa un regard mauvais à son père, qui la laissa faire en prétextant que si Hui trouvait quoi que ce soit de suspect, il n'hésiterait pas à les tuer tous. En revanche, il refusa qu'elle les y mène seule et resta sagement à ses côtés.

Pour une raison qui échappa à Valiammée, beaucoup de magiciens les suivirent à la trace tandis qu'ils traversaient les rues de Caméone en direction du palais, un kilomètre plus loin. Était-ce par curiosité ou pour les attaquer au moindre mouvement de travers ?

- N'hésite pas à être plus ferme quand on te manque de respect, dit Gyalan à l'intention de Valiammée, ce qui la coupa dans ses réflexions.

- J'essayais simplement de ne pas paraître hostile, expliqua Valiammée. Ils ne savent pas qui on est, alors ça peut être pire que mieux.

- Je comprends ton intention, mais tant que tu ne les attaques pas, tu ne risques rien. Normalement.

Elle ferait en sorte de mieux s'y prendre la prochaine fois. Même si, avec un peu de chance, personne ne lui manquerait plus de respect dès qu'elle serait au pouvoir.

Oh, Valiammée ne doutait pas qu'il risquait d'y avoir des contestataires, mais au moins, elle ne s'embarquait pas seule là-dedans.

Tandis qu'ils avançaient, Faylin expliquait ce qu'il y avait de judicieux à savoir concernant Caméone. Même s'ils se portaient bien, ils avaient régulièrement des attaques de faible ampleur causées par Solen. Ils savaient à peu près s'en protéger maintenant, mais uniquement tant que les ennemis n'augmentaient pas leurs effectifs. Si au départ, son père fut réticent à ce qu'elle leur en dise autant, il finit par se dérider et rajouter quelques détails.

Quand, enfin, ils atteignirent le palais, Valiammée sentit son appréhension monter. Gyalan, qui était étrangement compatissant aujourd'hui, lui assura que tout allait bien se passer.

Il était temps de déloger quelqu'un du trône.


(Hello ! Juste pour vous dire que je reprends bientôt les cours. Je vais essayer de continuer à poster une fois par semaine, mais il risque d'y avoir des décalages les périodes où j'aurai beaucoup de travail. Bonne journée !)

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