Chapitre 30: Mai (9)

Brimari n'avait pas attendu d'aller mieux pour faire le pacte entre Gyalan Cartaris et Herin Soehrt. Et, puisqu'elle avait par la suite manqué de s'évanouir, c'était Gyalan lui-même qui l'avait portée sur son dos le temps que leur groupe retourne au campement Ifrayen. Valiammée, qui n'avait pas la force de marcher, avait été recueillie par Lysandre, qui l'avait lui aussi hissée sur son dos. C'était toujours particulier, de voir le monde de si haut.

Miranda, de nouveau éveillée, s'était chargée de créer les différents portails pour les mener à la bonne destination. Puisque Herin voulait récupérer plusieurs de ses subordonnés pour ensuite les suivre au campement, Vénérios et Ariane étaient retournés avec eux dans les souterrains, qui tentaient tant bien que mal de reboucher l'entrée détruite par Solen.

À vrai dire, Valiammée ne se rappelait pas le moment où ils avaient passé le portail, puisqu'elle s'était endormie. Quand elle se réveilla, allongée sur le lit qu'elle occupait depuis quelques semaines dans la tente de leur groupe, sa migraine s'était partiellement estompée, mais elle se sentait toujours fiévreuse.

Les autres n'étaient pas à ses côtés. Du moins, elle repéra la haute stature de Lysandre, qui avait dû insister pour veiller sur elle, assis dans un coin. Elle se redressa, remit ses cheveux en place, puis contempla la chemise mauve et le pantalon noir qui se trouvaient sur elle. Avait-elle oublié qu'elle s'était changée ?

Lysandre se tourna dans sa direction en l'entendant remuer et comprit sa question silencieuse en la voyant observer ses vêtements.

- C'est Ariane qui t'a changée, l'informa-t-il. Le général a insisté pour qu'on lave ta belle tenue après tout ce qui s'était passé aujourd'hui.

- Je ne l'ai pas abîmée, j'espère ?

- Rien qui n'est pas réparable, ne t'inquiète pas. De toute manière, après ce que tu as fait aujourd'hui, je doute que je général Cartatis ose te reprocher quoi que ce soit.

- Oh... Tu as eu des nouvelles des souterrains ? Enfin, de ce qui s'est passé après notre départ.

Lysandre se releva et s'approcha d'elle. Il lui demanda d'un geste s'il pouvait s'asseoir à ses côtés, ce à quoi Valiammée répondit en hochant la tête. Bientôt, ils furent deux installés sur le bord du lit.

- Tu as tué la plupart des soldats de Solen qui étaient descendus, expliqua-t-il. Les autres ont été neutralisés par des magiciens des souterrains.

- Il y a eu des morts ?

- Plusieurs centaines dans les zones où vous n'étiez pas. Aucun de votre côté.

Au moins, Valiammée avait été utile, même si elle aurait aimé limiter encore davantage les pertes. Simplement, elle ne devinait pas les embranchements que souhaitaient emprunter Solen.

Elle tenta de rester rationnelle. La situation aurait pu être bien pire.

- J'ai dormi combien de temps ?

- À peine deux heures, admit Lysandre.

- Oh, je ne pensais pas si peu. J'ai manqué quelque chose ?

- Pas vraiment, non. Actuellement, Herin est avec Nyma et les autres aux côtés d'Anthropa et d'Adan. Ils lui expliquent tout ce qu'elle a besoin de savoir pour s'engager dans le combat avec nous. Je suis resté pour te surveiller, au cas où.

- On ne devrait pas les rejoindre ? Si le général est là, il doit m'attendre.

- Tu veux bien patienter un peu ? J'ai à te parler.

Il n'allait quand même pas lui reprocher d'avoir utilisé de la magie bleue, si ? Vu son expression hésitante, elle en doutait.

À bien y réfléchir, il avait déjà tenté de lui parler d'une chose, quelques temps auparavant. Maintenant qu'ils étaient seuls tous les deux, voulait-il remettre le sujet sur le tapis ?

- Ce n'est pas grave, j'espère ? s'assura-t-elle.

- Non, ne t'inquiète pas. Ça fait de longues années que j'aurais dû te le dire, je pense.

Valiammée fronça les sourcils. Même s'il tenta de la rassurer, elle fut prise d'une certaine inquiétude.

- C'est à propos de ta vie avant la guerre, c'est ça ? La chose dont tu avais déjà voulu me parler mais où l'on avait été interrompus ?

- C'est ça, confirma Lysandre.

Il lui saisit délicatement la main et la serra entre les siennes. Son regard resta rivé dessus, chose inhabituelle venant de sa part.

- J'avais une petite sœur, commença-t-il. Elle s'appelait Arina. Elle est de la même année de naissance que toi.

Une sœur ? Lysandre avait parlé à de nombreuses reprises de son frère aîné, Herol Anaxagoras, qu'il comptait rechercher à la fin de la guerre, mais jamais d'une quelconque sœur.

Malheureusement, Valiammée avait un pressentiment de pourquoi.

Arina Anaxagoras aurait dû avoir huit ans au moment où la guerre s'était déclenchée. Sachant que les parents de Lysandre étaient décédés et qu'elle n'était pas en sa compagnie quand lui et Vénérios étaient descendus dans les souterrains...

Alors Arina Anaxagoras était morte neuf ans plus tôt.

- Je suis désolée, lui répondit Valiammée.

- Tu n'y es pour rien, soupira Lysandre. Solen sont les seuls responsables de sa mort. J'ai désespérément tenté de la sauver, ce jour là, mais je n'ai pas eu le temps. D'ailleurs, si Vénérios ne m'avait pas tiré loin de l'affrontement, j'aurais été le suivant sur la liste.

- Elle est morte devant toi ?

Lysandre acquiesça. Valiammée ne savait pas à quel point ce souvenir était vif – c'était dur de se mettre à la place des autres quand sa propre mémoire ne s'altérait pas – mais supposait qu'il ne le quittait pas, peu importe à quel point il s'était étiolé avec les années.

- Mes parents avaient eu beaucoup de soucis diplomatiques à régler, les premières années de sa vie, alors c'est moi qui ai beaucoup contribué à l'élever. C'était l'une des personnes les plus précieuses à mes yeux. Alors la perdre... Ça a été très difficile. Même si je sais que dans cette guerre, tout le monde a perdu quelqu'un.

Il n'avait pas tort. Valiammée n'avait jamais eu vent d'histoires où des familles entières avaient survécu, et s'il y en avait, alors il s'agissait d'exceptions.

Peut-être que sa propre famille biologique était encore en vie, quelque part. Elle en doutait, mais puisqu'elle ne la connaissait pas, c'était une possibilité.

- Ce jour dans les rues d'Astras, quand je t'ai vue tomber alors que Vénérios et moi partions vers les souterrains, je n'ai pas pu t'abandonner, poursuivit Lysandre. Parce que j'avais vu ma petite sœur du même âge que toi se faire tuer vingt minutes plus tôt et parce que pour toi, je pouvais arriver à temps.

- Oh...

- Vénérios ne l'a pas vu venir, alors il n'a pas eu d'autre choix que de me suivre. De toute manière, c'était moi qui avais l'arc. La suite, tu la connais.

- Tu m'a emmenée dans les souterrains, oui, confirma Valiammée. Et on a passé neuf ans ensemble jusqu'à aujourd'hui.

Lysandre acquiesça. Enfin, il leva la tête pour la regarder.

- Ça va sans doute te paraître étrange dit comme ça, mais m'occuper de toi pendant toutes ces années m'a permis de penser à autre chose qu'à notre situation. Et puis tu me rappelais énormément ma sœur.

Valiammée considérait Lysandre comme son propre frère et savait que l'inverse était vraie, mais apprendre qu'il lui avait tant fait penser à sa sœur biologique avait quelque chose de touchant. Elle n'avait été qu'une inconnue à ses yeux, neuf ans plus tôt, et pourtant, il avait risqué sa vie pour elle.

Lysandre était proche de Vénérios depuis l'enfance et d'Ariane depuis leur rencontre dans les souterrains. Tous les trois Phébéiens, ils n'avaient pas eu de mal à trouver des points communs à partager pour se rapprocher. Pour Miranda, qui s'était greffée à leur groupe quatre ans plus tôt, et Ténèbres, peu après, c'était un peu différent. Bien sûr, tous s'entendaient bien, mais c'était avec Valiammée que Lysandre avait toujours été le plus proche.

Il lui avait consacré tant de temps et d'attention qu'il en avait souvent occulté le reste.

- Bien sûr, tu n'es pas elle, reprit Lysandre. Personne ne pourra jamais la remplacer, tout comme personne ne pourra jamais te remplacer toi. Tu n'es pas la sœur que j'ai perdue, tu es celle que j'ai trouvée.

- Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça maintenant ? demanda Valiammée le plus doucement possible.

- Parce que ta vie est en danger une nouvelle fois.

La notion de danger était abstraite aux yeux de Valiammée. Quoi qu'ils fassent, ils courraient des risques. Rester statiques. Attaquer. Défendre. C'était du pareil au même.

Elle était en danger, mais l'avait toujours été. C'était la même chose pour tout le monde.

- S'il te plaît, fais attention à toi, poursuivit Lysandre. Je sais que c'est sans doute déplacé de ma part de te demander ça compte tenu des circonstances, mais avec toute ces histoires de magie bleue...

- Je sais ce que je fais, répondit Valiammée. Ne t'inquiète pas.

Si à une époque, cela aurait été un mensonge, la Madrigane pouvait maintenant affirmer que ce n'était plus le cas. À mesure qu'ils avançaient dans le plan, elle avait enfin le sentiment de prendre ses repères au milieu des autres. Ce n'était pas toujours simple, mais le temps corrigerait ça pour elle.

Quant aux dégâts de la magie bleue sur son corps, elle y penserait plus tard. Là n'était pas le moment opportun.

- On devrait rejoindre les autres, décréta-t-elle. Je ne veux pas manquer les prises de décision, puisque je suis directement concernée par ce qui se passe.

Lysandre acquiesça. Il lui demanda si elle avait besoin d'aide pour marcher, ce à quoi elle répondit que non. Valiammée se hissa sur ses jambes non sans tiraillements désagréables dans tout son corps, puis quitta la tente pour rejoindre celle du général aux côtés de Lysandre.

Dans le campement, la présence des soldats était plus ténue que d'habitude. Avec ce qui se préparait, ils devaient être occupés soit à s'entraîner, soit à régler les derniers préparatifs. En tout cas, Valiammée et Lysandre n'avaient pas pour habitude d'entendre le bruit de leurs pas sur la terre sèche lorsqu'ils marchaient.

Dès qu'ils entrèrent dans la tente du général, la voix d'Anthropa fut le premier son qui parvint à leurs oreilles. Si Valiammée ne se trompait pas, elle devait expliquer à Herin et ses trois subordonnés, debout devant la table, le lien entre l'énergie magique et la lumière.

Gyalan Cartaris, aux côtés de Brimari, se trouvait en retrait à observer ce qui se déroulait devant lui. Adan et Nyma n'étaient pas très loin et échangeaient à voix basse. Quant à Ariane, Vénérios, Ténèbres et Miranda, ils étaient tous les quatre assis sur des caisses, à écouter distraitement le discours d'Anthropa qu'ils avaient déjà entendu de nombreuses fois maintenant. C'était presque si Vénérios ne bougeait pas les lèvres en même temps, à force d'anticiper toutes ses paroles.

- Bonjour, dit Lysandre pour ramener l'attention vers eux. Valiammée est réveillée.

Anthropa cessa de parler et tous les magiciens se tournèrent dans leur direction. Étonnamment, ce ne fut pas elle qui vint à sa rencontre en premier, mais son frère Adan. Pour une fois, il avait laissé ses longs cheveux blond vénitien retomber sur ses épaules et son visage était rayonnant.

- On m'a dit, pour ton essence magique, commença-t-il.

Valiammée fronça les sourcils, avant de se souvenir de l'instant dans les souterrains où ses bras s'étaient illuminés. C'était venu si naturellement qu'elle y avait à peine fait attention.

Il fallait dire que la quantité de magie bleue utilisée juste avant n'avait pas aidé à lui laisser les idées en place.

- Oh, oui, c'est vrai qu'il y a ça. Mais je ne comprends pas, tu m'as dit que je n'en avais pas... Tu es sûr que c'est bien ça ?

- Ça ne peut pas être de la magie pure, donc oui. Je suis désolé de m'être trompé, maintenant je sais pourquoi tu n'as pas bougé, le jour où je t'ai testé.

- Vraiment ?

- Tu étais assise sous la lumière. Tu étais littéralement entourée par ton essence magique. Pourquoi est-ce que tu aurais fais quoi que ce soit ?

Valiammée ouvrit la bouche, puis la referma. Elle qui avait déjà fait le deuil de son essence magique, voilà qu'elle s'en découvrait une. Ça n'avait aucun sens.

- En tout cas, ça a fait son effet, fit remarquer Herin. Tous ceux que tu as sauvé et qui t'on vue à l'œuvre m'ont demandé qui tu étais et si tu étais une envoyée des dieux.

- ... Pardon ? s'étonna Valiammée, sidérée.

- Ils ne savent pas ce qu'est une essence magique et tu as sauvé la vie de tout le monde, ajouta Brimari. Bien sûr qu'ils allaient tourner la situation dans ce sens en voyant un magicien s'illuminer de l'intérieur.

- Ce qui n'est pas plus mal, puisque nous avons besoin qu'ils te suivent aveuglément, compléta Gyalan.

Anthropa, elle, demanda immédiatement à avoir une démonstration. Valiammée leva une main devant elle et, aussi facilement qu'elle aurait inspiré, fit jaillir la lumière sur sa peau. Elle fut si vive que beaucoup durent détourner les yeux. Valiammée baissa son intensité jusqu'à la faire disparaître complètement.

- Une envoyée des dieux, soupira Anthropa. Ce qu'il ne faut pas inventer pour rationnaliser ce qu'on ne comprend pas.

- Je ne vois pas en quoi c'est si insensé, s'immisça Miranda. Si Valiammée est notre clé pour gagner la guerre et récupérer nos vies, alors je suis moi-même prête à y croire. C'est quand même amusant, qu'elle maîtrise la lumière.

Anthropa, l'éternelle sceptique, arqua un sourcil, mais n'ajouta rien. Miranda avait toujours été celle de leur groupe qui croyait le plus en une ou plusieurs forces supérieures, alors sa prise de position allait dans cette continuité. Valiammée était gênée qu'elle puisse la considérer ainsi, elle qui n'avait pas grand chose de spécial si l'on y regardait de près.

- Tu tombes bien, Valiammée, déclara le général pour recentrer la conversation. Il va falloir que l'on discute sérieusement de Caméone.

- Vous avez convenu d'une date et d'un plan précis pour que l'on prenne le contrôle ? demanda la Madrigane.

- Le plan est prêt, oui, je te l'expliquerai. Pour la date, il va falloir opérer demain.

Cette fois au moins, Valiammée ne fut pas la seule personne surprise.

- Demain ? s'inquiéta Anthropa. Ce n'est pas un peu tôt ?

- On ne sait pas quand Solen va frapper de nouveau et il faut déplacer l'intégralité de la population des souterrains d'Astras vers Caméone, répondit Gyalan. Nous n'avons pas le temps.

- On doit avoir plusieurs jours devant nous, puisque Solen doit rassembler ses forces, fit remarquer Vénérios.

- Sauf que je ne veux prendre aucun risque. Le plus tôt sera le mieux et mon armée sera prête pour intervenir demain.

- Je suis d'accord avec lui, ajouta Herin.

Deux des personnes de pouvoir sur trois qui se trouvaient sur la même longueur d'onde. Même si Valiammée contestait la décision, sa voix ne pèserait pas face aux leurs.

De toute façon, que cela étonne ou non ses camarades, elle aussi était d'accord.

Le regard inquiet de Lysandre lui transperça le dos, aussi elle tenta d'en faire abstraction.

Elle allait devoir rassembler ses forces.

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