Chapitre 29: Mai (8)

Quelqu'un passait une main dans ses cheveux.

- Donc vous avez désespérément besoin de nous pour prendre Caméone, résuma Herin.

- Personne ici à part vous n'est désespéré, répondit Gyalan. Vous venez d'échapper à une mort certaine grâce à nous.

- Après toutes les horreurs que vous avez faites sur ce continent, je ne suis certainement pas redevable d'Ifraya.

- Non, mais notre alliance va définir votre survie à tous. Le continent Ifrayen en lui-même n'est pas aussi attaqué que le votre, nous n'avons pas autant à perdre.

Valiammée avait les sinus qui la brûlaient et une migraine épouvantable. Quand elle ouvrit les yeux, elle crut que la luminosité allait lui percer le crâne en deux.

Il y avait toujours une odeur distante de magie bleue qui s'infiltrait dans ses narines. Elle remua faiblement pour tenter de se redresser.

- Valiammée vient de se réveiller, arrêtez de vous disputer deux minutes.

C'était la voix de Brimari, et elle provenait d'au dessus d'elle. Valiammée se rendit compte que la surface sur laquelle sa tête était posée n'était autre que ses jambes.

La main dans ses cheveux se déplaça jusqu'à ses épaules. Brimari, encore pâle, l'aida à se mettre en position assise à ses côtés et s'assura que ses cheveux et ses vêtements lui donnaient une allure correcte. Sa douceur était inhabituelle, mais pas désagréable.

Valiammée jeta un regard circulaire autour d'elle. Disparus, les souterrains d'Astras. Elle était à la surface, mais pas dans le campement de l'armée Ifrayenne. Il s'agissait d'une pièce lumineuse sans aucun meuble et aux fenêtres brisées où les débris de verre avaient été poussés dans un coin.

Elle repéra Miranda en train de dormir à l'exact opposé de sa position, surveillée par Lysandre, qui avait cependant détourné le regard pour la détailler elle. Plus loin et cette fois debout, Vénérios, Ariane et Ténèbres avaient eux aussi l'air sains et saufs, ce qui fut un véritable soulagement. Valiammée, obnubilée par ses camarades, ne se rendit pas tout de suite compte de la quatrième personne qui se trouvait quelque peu en retrait.

Une femme toute en muscles à la peau sombre et à la posture assurée. Valiammée n'en crut pas ses yeux. Nyma ? Mais si elle était présente, cela voulait dire qu'ils étaient toujours à Astras ? Ou alors Miranda avait-elle fait un nouveau portail ?

Gyalan et Herin cessèrent leur échange pour l'observer. Ils avaient l'air inquiets, ce qui était une première pour l'un comme pour l'autre.

- Comment tu te sens ? lui demanda le général.

- Pas très bien, admit Valiammée.

- Suffisamment tout de même pour te lever ?

- Je n'en ai aucune idée...

Honnêtement, Valiammée n'avait pas très envie d'essayer. Le sol était confortable et si les deux dirigeants étaient occupés à négocier, ils n'avaient pas besoin d'elle debout.

Du moins, elle remit cette dernière pensée en question en voyant Gyalan s'approcher d'elle et Brimari l'inciter à se redresser. En quoi avaient-ils besoin d'elle ?

Gyalan lui attrapa les avant-bras et la hissa sur ses jambes. Il s'assura qu'elle ne tomba pas, puis l'aida à marcher jusqu'à Herin. Puisque Valiammée était raide et épuisée, ce fut laborieux – il était à ses yeux davantage en train de la traîner qu'autre chose –, mais personne ne s'en plaignit, plutôt le contraire. Les regards étaient encourageants.

- Nous sommes au sud d'Astras, dans un bâtiment gardé par un groupe de combattants de la surface, lui expliqua Gyalan. Puisque Herin ne souhaitait pas faire les négociations dans notre campement, c'est moi qui ai dû me déplacer jusqu'ici.

Valiammée supposait que Nyma faisait partie de ces fameux combattants et qu'elle avait plaidé leur cause auprès d'eux.

- Oh, je vois, répondit-elle.

- D'ailleurs, félicitations pour le bon déroulement de la mission. Tes camarades te doivent la vie.

- La population des souterrains également, ajouta Herin. Merci.

Brimari poussa un soupir d'agacement suffisamment fort pour que les magiciens se tournent dans sa direction. C'était étrange, de la voir ainsi assise par terre. Elle devait avoir perdu trop de sang pour rester debout longtemps.

- La remercier d'avoir sauvé des gens, soit, concéda-t-elle. La féliciter, certainement pas. Vu la quantité de magie bleue que tu as utilisée, Valiammée, j'espère que tu te rends compte de l'espérance de vie que tu viens de t'arracher.

- J'apprécie ton avis, Brimari, mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire, répliqua Gyalan.

- Elle aurait pu en mourir. Il y a des mages bleus qui brûlent la limite de leur corps en une seule salve de magie ou presque pour faire des dégâts monstrueux. C'est la personne la plus précieuse de cette pièce, je vous rappelle.

- Et elle serait morte avec vous tous si elle n'avait pas agi comme elle l'a fait. Le débat est clos.

Valiammée aurait souhaité participer à l'échange, puisqu'elle était la première concernée, mais ce ne devait pas être le moment opportun. Elle s'en occuperait une fois au campement.

- Peu importe, trancha Herin. Maintenant qu'elle est là, on peut discuter.

- Vous avez besoin de moi ? s'étonna Valiammée.

- Herin veut que tu prennes part aux négociations, expliqua Gyalan.

- Mais... Pourquoi ?

- Parce qu'ils veulent t'utiliser pour prendre le contrôle de Caméone, ce qui fait de toi la principale interlocutrice de pouvoir du côté d'Eole, répondit Herin.

- La prise de Caméone n'est pas encore faite...

- Non, mais je doute que vous échouiez, donc je considère la chose actée. En conséquence, tu es désormais notre égale et tu vas négocier avec nous.

Mais elle n'y connaissait rien, en politique ! Comment pouvaient-ils s'attendre à ce que sa collaboration soit utile ?

- Nous avons très peu de combattants expérimentés, dans les souterrains, expliqua Herin. Je ne doute pas que les habitants de la surface voudront nous aider si on part vers un endroit sûr, mais il va nous falloir la confirmation que votre plan n'est pas voué à l'échec.

- Quand bien même ce serait le cas, vous ne seriez pas mieux lotis en restant à Astras, répliqua Gyalan. Il sera simplement question de quel endroit vous tuera en premier.

- Je ne vais pas prétendre le contraire, mais beaucoup préféreront encore mourir dans un endroit familier si les deux destinations leur offrent la même finalité.

- Ce qui n'arrivera pas. Vous n'aurez jamais un meilleur plan que celui de Caméone, sachant qu'avec votre collaboration, nous aurons tous les outils pour le mener à bien, et ce sans accro.

Herin désigna Valiammée d'un geste de la tête.

- Parce qu'elle est une élue, et donc automatiquement garantie d'obtenir le trône si elle le demande ?

- Et parce que nous avons des armes pour protéger la cité. Pourquoi croyez-vous que les magiciens que vous avez vu combattre ont une magie nettement plus puissante que la normale ?

Herin observa ceux qu'elle avait vu en action. Elle ne pouvait nier l'anormalité de leur puissance.

- Comment vous faites ?

- Il y aura une réponse à cette question uniquement si vous acceptez l'alliance, répondit Gyalan. Nos plans ne sont pas gratuits.

- Je n'accepterai rien sans davantage de précisions.

- Nous voulons transformer Caméone en forteresse imprenable, s'immisça Valiammée. Tant qu'on parvient à repousser Solen avec nos armes et notre nombre, tout ce qu'ils pourront faire est soit de se battre et de sacrifier leurs soldats, soit d'abandonner.

Gyalan exerça une légère pression sur ses avant-bras, ce qu'elle ne sut trop comment interpréter. Elle n'avait rien dévoilé de sensible, juste la trame principale, alors était-ce un encouragement ou un reproche ?

La magicienne chassa cette pensée de son esprit. Ici et maintenant, elle était élevée au même rang qu'eux. Elle avait tous les droits de dire ce qu'elle estimait pertinent, que ça leur plaise ou non.

- Ça m'a l'air beaucoup trop simple et optimiste, avoua Herin du tac au tac. Au mieux, Solen vont continuer à s'attaquer au reste du continent. Au pire, ils vont s'acharner jusqu'à trouver un moyen de nous détruire.

- Nous avons des armes, répéta Gyalan. Si en général, un mage bleu vaut cinq mages blancs, je vous ferais remarquer que Valiammée en a tué une vingtaine en une poignée de secondes.

- Avec de la magie bleue.

- Bien plus puissante que la leur. Même si nous voulions jouer leur jeu et former des mages bleus, nous prendrions bien vite l'ascendant, même en nombre inférieur. Vous saisissez ?

- On se bat à la magie blanche, insista Herin.

- Et avec seulement Ténèbres et moi, on arrivait à les repousser, tout à l'heure, compléta Valiammée. C'est certes plus facile dans un espace restreint, mais ça prouve que nos armes fonctionnent contre eux.

Les pierres étaient formées à partir des pouvoirs de huit personnes, ce qui signifiait que pour qui savait s'en servir correctement, en y additionnant sa propre puissance, un magicien en possession d'une en valait au maximum neuf – Valiammée estimait que pour quelqu'un qui maîtrisait moins la chose, il descendrait à trois ou quatre, ce qui était déjà considérable. Dans ce cas précis, le rapport de force entre Eole et Solen était renversé.

Surtout que les mages bleus de Solen s'épuisaient et finissaient par mourir. Ce ne serait pas le cas d'Eole.

- Tant qu'on garde Caméone, ça nous donne l'occasion de produire plus d'armes, poursuivit-elle. Armes qu'on pourra ensuite donner aux autres cités jusqu'à ce qu'elles deviennent toutes imprenables. Solen sera contraint d'abandonner, surtout si on gagne suffisamment de puissance pour retourner la situation et les attaquer de front.

- Vous ne voulez pas me dire précisément quelles sont ces armes, soit, répondit Herin, j'ai bien vu qu'elles étaient efficaces. Maintenant, ce que je veux savoir, c'est si vous obtenez facilement des ressources pour en fabriquer. Autrement, toute votre bonne volonté ne sert à rien.

- Facilement, pas nécessairement, concéda Gyalan. Ce pourrait être particulièrement aisé si nous trouvions des magiciens capable de nous fournir ce dont on a besoin. Vu la quantité de gens dans les souterrains d'Astras, je ne doute pas de le faire.

Il parlait forcément des essences magiques relatives aux différentes pierres. De la même façon qu'Adan avait mis la main sur un soldat Ifrayen capable de leur donner toute la goshénite qu'ils voulaient, ils pouvaient tester les habitants d'Astras ou de Caméone à la recherche des pierres des neuf courants. À partir de là, ils avaient potentiellement un stock inépuisable sous la main.

Valiammée doutait que Herin soit familière avec le concept d'essence magique, puisque c'était Anthropa et Adan qui le leur avait expliqué. Mieux valait garder les détails pour plus tard.

- Donc vous n'avez aucune certitude, résuma Herin.

- Combien de fois faut-il vous répéter que nous avons déjà les moyens d'opérer ? s'impatienta Gyalan. Peu importe comment la situation évolue, la seule variable où nous n'avons pas de certitude est le temps que ça prendra pour venir à bout de Solen.

- Je ne vais pas m'excuser d'être pointilleuse quand ça concerna la survie de milliers de gens.

- Non, et je le conçois tout à fait, mais personne ici ne compte s'embarquer dans une mission suicide. Si je me tiens aujourd'hui devant vous pour négocier alors même qu'en temps normal je suis votre ennemi, c'est que j'estime que tout cela en vaut la peine et sera bénéfique aussi bien pour vous que pour nous.

- Je donnerai l'ordre de rapporter le maximum de ressources dès que je serai au pouvoir, annonça Valiammée. De cette façon, nous pourrons rapidement produire des armes.

- Mais est-ce qu'il y en a seulement à Caméone ? insista Herin. Si je peux me permettre, les Ifrayens ne doivent pas en avoir la moindre idée, et je doute que vous autres, qui venez d'Eole, n'avez jamais mis les pieds là-bas. D'une cité à l'autre, même si elles sont proches, tout n'est pas identique.

- Si nous en avons trouvé dans Astras en ruines, alors il y en aura bien plus à Caméone.

Tout le monde se tourna vers Nyma, qui venait de prendre la parole. Quand elle s'avança jusqu'à Valiammée, Gyalan et Herin, les armes fixées dans son dos s'entrechoquèrent les unes contre les autres dans un tintement métallique.

- Je sais qu'ils veulent garder beaucoup de choses pour eux tant que vous n'avez pas accepté de les aider, poursuivit-elle, mais ce n'est honnêtement pas mon problème et j'aimerais que ce débat avance. Ils cherchent différents types de cristaux. Vous en conviendrez, il y en aura à Caméone.

Herin, confuse, acquiesça néanmoins.

- Vos armes fonctionnent avec des cristaux ?

- Oui, répondit Valiammée.

- J'adorerais demander leur fonctionnement précis, mais je sais que je n'aurais pas de réponse.

- Non, en tout cas pas sans conditions...

- C'est Anthropa Holloway qui gère leurs armes, reprit Nyma. Peu importe comment ça fonctionne, nous avons toutes les deux vu le résultat tout à l'heure, et il n'y a strictement rien à redire dessus. Il n'y a pas de doute à avoir sur la bonne lancée de leurs opérations.

Herin fronça les sourcils.

- Qui ça ?

- Si vous ne connaissez pas encore son nom, je pense qu'après la guerre, ça changera, ironisa Nyma. C'est actuellement elle qui porte notre survie à bout de bras.

Elle désigna d'un geste les magiciens disséminés dans la pièce.

- Elle et toutes les personnes ici présentes. Celles qui ont sauvé votre vie à vous et à votre peuple.

Nyma était d'Astras. Elle protégeait les souterrains où Herin gouvernait tant bien que mal. Que cette dernière ne fasse pas confiance à Ifraya, c'était compréhensible, mais concernant Nyma, c'était bien différent. Si Valiammée pouvait aider à renforcer sa confiance, Nyma était l'argument décisif.

Herin poussa un soupir de fatigue. Elle passa une main dans ses cheveux pour retirer ce qui restait de poussière à l'intérieur.

- Si je résume correctement, vous comptez prendre le contrôle de Caméone en utilisant Valiammée, puis profiter de votre autorité pour créer plus d'armes. Avec suffisamment de magiciens pour les utiliser et en supposant leur efficacité, vous pourrez repousser Solen indéfiniment, et saisir cette occasion pour aider les autres cités à reprendre le contrôle face à eux. Si vous prenez l'avantage, vous pourrez poser les conditions de fin de cette fichue guerre.

- C'est exactement ça, confirma Gyalan. Maintenant, osez affirmer que ce plan est voué à l'échec.

- Avec l'aide des souterrains d'Astras, nous aurions encore plus de chances de résister, ajouta Valiammée. Sans compter que cela mettra tout le monde en sécurité.

Herin croisa les bras, en sérieuse réflexion. Valiammée préparait déjà de nouveaux arguments, au cas où elle refuserait même avec tout ce qui avait déjà été mis sur le tapis.

Elle n'en eut pas l'occasion.

- Général Cartaris, il va falloir demander à votre Chevaleresse de faire un pacte entre nous dès qu'elle aura retrouvé des forces, déclara Herin. J'accepte de vous aider à cette seule condition.

Et, aussi simplement que ça, ils venaient de faire un grand pas en avant vers la victoire totale.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top