Chapitre 26: Mai (5)
- On ne peut pas les laisser attaquer, déclara Anthropa.
Elle avait réagi au quart de tour, à peine Miranda avait-elle annoncé la destination des magiciens de Solen.
- Il vont forcer l'accès aux souterrains et tuer tout le monde, poursuivit-elle. On a besoin de ces gens pour nous aider à garder Caméone.
Gyalan, les yeux rivés vers le ciel d'où les ennemis venaient de disparaître, laissa couler un silence avant de prendre la parole.
- Ils sont une trentaine de mages, et ce n'est que l'unité de renfort. Ils sont bien trop nombreux pour qu'on lance une riposte contre eux. L'important est avant tout de garder Caméone.
- Astras fait partie du plan, insista Anthropa.
- Mais ce n'est pas la partie la plus essentielle. Il y a des risques que l'on ne parvienne pas à stopper Solen dans les souterrains et que l'on y perdre bien trop d'effectifs. Ça remettrait en cause l'intégralité de ton plan, Anthropa.
- Si on fonce dans le tas, oui, mais face à Solen, la meilleure solution est encore de ruser.
- Très bien. Est-ce que tu as une idée, dans ce cas ?
Anthropa se frotta les tempes, désespérément en train de faire travailler ses neurones. Son absence de réponse immédiate conforta Gyalan dans sa supposition première : elle n'avait pas de plan, cette fois. Il se détourna, prêt à retourner vers sa tente et à laisser toute cette histoire derrière lui.
Du moins, il fut stoppé juste avant.
- Je sais quoi faire, annonça Ariane.
Ils s'étaient attendus à tout sauf à Ariane pour intervenir et sauver la situation.
La Phébéienne s'avança vers Gyalan, imposante.
- Vous ne pouvez pas demander à Anthropa, qui est avant tout une scientifique, d'établir des plans de bataille précis. Elle n'est pas tacticienne de guerre. Ce qui ne veut pas dire que le reste des magiciens ici sont dans la même situation. Chacun à ses forces et ses faiblesses.
- Ce n'est pas le moment de faire des discours inspirants, rétorqua Gyalan. Si tu as un plan, alors explique le. Sinon, cesse de nous faire perdre du temps.
Aucun doute que la façon dont Ariane lui parlait le dérangeait davantage que sa prétendue perte de temps.
- On pose des pièges, déclara Ariane. Si vous ne voulez pas les affronter directement, alors c'est la solution.
- Et tu penses que ce sera suffisant ?
- Oui. C'est ce que font les souterrains d'Astras depuis des années. Ils n'éliminent pas Solen par poignées, mais ne subissent aucune perte de leur côté.
- Je le répète, ils vont être nombreux.
- Je sais. Les pièges posés par les combattants d'Astras, que ce soit ceux de la surface ou des souterrains, sont très rudimentaires parce qu'ils n'ont pas de ressources sous la main. Ce n'est pas votre cas. Mettez les à contribution.
Gyalan n'était pas convaincu par son intervention.
- J'ai besoin de concret. Tout ça n'en est pas.
- Très bien, trancha Ariane. Brimari est une Chevaleresse, je pense qu'elle peut facilement trouver des sortilèges qui lui permettront d'éliminer Solen en grand nombre tant qu'ils ne la voient pas. Autrement dit, s'ils cherchent l'entrée des souterrains, elle pose les pièges à la surface et se cache sous terre en attendant qu'ils meurent.
- Ils vont sentir la magie rouge, argua Brimari.
- Alors crée un leurre pour leur faire croire qu'elle a une autre provenance.
- Et pour les sortilèges dont tu parles, tu en as sous la main ?
- Moi non, Ténèbres oui.
Immédiatement, Brimari se tourna vers son élève, qui s'était déjà mis à tourner les pages de son livre avec pour objectif de trouver de quoi mettre à mal Solen. Elle le rejoignit pour l'aider dans sa tâche, puisque bien plus expérimentée que lui.
- Ce plan est viable, mais ça ne suffira pas, reprit le général.
- Je sais, je n'ai pas terminé, fit remarquer Ariane. Ce n'est que la première partie.
Gyalan haussa les sourcils. Il connaissait peu les magiciens d'Eole alors même qu'ils vivaient ici depuis un moment maintenant. Dès qu'ils dépassaient ses attentes, il avait ainsi la chance d'être surpris.
Or, Ariane avait toujours été une bonne tacticienne, même si elle avait rarement pu mettre ses talents à contribution.
- On ne peut pas mettre uniquement les magiciens expérimentés à contribution. Vos soldats ont des arcs, aussi tant qu'ils ont une protection et un emplacement adapté, ils peuvent tirer.
Si la magie bleue était le plus grand risque à surmonter, une bonne quantité de magie blanche serait capable de la contrer. C'était ici que les pierres entraient en jeu.
- Les soldats attaquent pendant que des magiciens canalisent leur énergie dans des boucliers pour repousser la magie bleue, déclara Ariane. Du moins s'ils doivent attaquer. Le mieux serait de dissimuler les différents groupes avec des sortilèges d'illusion. Tant que Solen ne perce pas au travers, les magiciens pourront eux aussi attaquer.
Avec une puissance et une distance suffisante, une sphère de magie pouvait tuer quelqu'un sur le coup en lui brisant les os. Sans compter que certaines essences magiques, utilisées à bon escient, pouvaient devenir mortelles. Ariane et ses pics de verre en étaient l'exemple parfait.
Avec des groupes équilibrés, ils pouvaient assurer un mélange d'attaque, de défense et de dissimulation.
- Si je résume bien, tu veux disperser nos effectifs, poursuivit Gyalan.
- Je veux faire des groupes hétérogènes placés à des endroits stratégiques à proximité des entrées aux souterrains, oui, confirma Ariane.
- C'est trop dangereux.
La Phébéienne fronça les sourcils. Trop dangereux ? C'était le sans doute le plan le plus sûr qu'ils pourraient créer en si peu de temps !
- Vous ne pourrez pas faire mieux, la défendit Lysandre. Ariane a raison. Ça va fonctionner.
- Nous n'avons aucune certitude que les pierres seront suffisantes pour créer des boucliers résistants à la magie bleue, argua Gyalan. Si Solen se masse sur un groupe en particulier, ils vont y passer.
- Ce qui donnera le temps aux autres de les exterminer, contesta Ariane. Pas besoin de mettre plus de trois ou quatre personnes dans un groupe, les pertes seront moindres.
- Elles seront néanmoins existantes. Je ne peux pas me permettre de perdre des Maîtres Magiciens sachant qu'il ne m'en reste que très peu.
- Alors on met plus de soldats qui se sacrifieront à leur place si besoin.
- Tu as toujours réponse à tout, n'est-ce pas ?
Ariane le foudroya du regard. Elle n'aimait pas du tout la façon dont il lui parlait, emplie de condescendance.
- Vous ne voulez vraiment pas aider Astras, comprit-elle. Peu importe le plan, même le plus infaillible, vous comptez le refuser.
- Je l'ai dit, je ne veux pas de pertes dans une mission qui pourrait mettre à mal nos chances de venir à bout de Solen à Caméone.
Le général Cartaris fixa les magiciens un à un pour leur signifier qu'ils n'avaient plus rien à dire concernant sa décision. Une fois encore, il voulut se détourner et partir. Une fois encore, il fut retenu avant d'en avoir l'occasion.
- J'irai à Astras, avec ou sans votre aide.
Gyalan se tourna lentement vers Valiammée, qui avait prononcé ces mots avant de réfléchir.
Autant il n'avait aucune véritable raison d'écouter Ariane, autant dans son cas, c'était bien différent. Il ne pouvait pas l'ignorer, car le ressentiment de Valiammée à son égard pourrait un jour se retourner contre lui.
C'était Gyalan lui-même qui avait voulu former une alliance avec elle, la bientôt reine de Caméone. Jusque là, Valiammée avait subi, mais désormais, elle comptait bien en négocier les termes.
Hors de question qu'il soit le seul à tirer profit de la situation.
- Non, répondit sobrement Gyalan. Non, tu n'iras pas.
- Je n'ai pas besoin de votre permission, fit remarquer Valiammée.
- Nous avons un accord.
Valiammée secoua la tête. Bon, il était temps pour elle de rassembler son courage et de faire preuve d'honnêteté.
- L'accord se résume à notre exploitation pour vaincre Solen. Vous avez plus à y gagner que nous, puisque c'est Ifraya qui va probablement récolter les mérites des plans et des recherches d'Anthropa. Après tout, c'est votre armée qui combat, pas celle d'Eole.
- Ce qui reste de celle d'Eole sera mise à contribution.
- Mais c'est vous qui allez la diriger, ce qui revient au même.
Même Brimari et Ténèbres avaient interrompu leur recherche de sortilèges pour écouter l'échange sans en rater une miette. Valiammée était intimidée.
- Je refuse d'abandonner ma cité d'origine parce que vous ne voulez pas agir, conclut-elle. Peu importe votre décision, je pars à Astras.
- Ce n'est pas le moment de faire du chantage, répondit sèchement Gyalan.
- Je ne vous demande rien en retour. Ce n'est pas du chantage, c'est ma décision. Faites ce que vous voulez, ça m'est égal.
- Je viens avec elle, annonça Miranda.
Le prêtresse vint enrouler ses doigts à la peau cuivrée entre les siens, pâles. Valiammée lui renvoya un regard reconnaissant. Jamais encore Miranda ne l'avait abandonnée.
- Vous n'allez arriver à rien à deux, dit Brimari.
La Chevaleresse se leva et les rejoignit tandis que Gyalan approuvait ses propos.
- Pour cette raison, je vous accompagne, décréta-t-elle.
- Brimari... l'avertit le général.
- Je suis d'accord avec eux, on doit aller à Astras. Leur plan est correct. On peut renverser la situation. Pourquoi ne pas le tenter ?
- Je vais le répéter une énième fois : c'est trop dangereux.
- Et alors ? s'impatienta Ariane. Le risque zéro n'existe pas dans une zone infestée par Solen, et ça représente la quasi totalité des cités du continent. Au moins, on aura fait en sorte de minimiser le danger.
- Les magiciens qu'on aura récupérés à Astras et qui estimeront avoir une dette envers nous auront peut-être plus d'impact que votre propre armée, ajouta Vénérios. On parle potentiellement de milliers de personnes.
Certes, la plupart des habitants des souterrains étaient malnutris et incapables de se battre, mais il y avait parmi eux des exceptions. Si leur proportion était faible, cela n'en restait pas moins une quantité non négligeable.
Leur venir en aide était l'occasion parfaite pour les rallier à leur cause.
- Vous n'avez pas l'air de vouloir lâcher le morceau, constata Gyalan. Soit. Vous tenez vraiment à prendre des risques ? Établissons un plan défini, avec les positions de chacun, et je déciderai ensuite si on l'exécute ou si on laisse tomber.
Valiammée retint un soupir de soulagement. Avec Lysandre, Ariane, Vénérios qui connaissaient le terrain, Anthropa qui ne manquait jamais d'idées, et Brimari qui maîtrisait la magie rouge, ils avaient à ses yeux toutes les chances de convaincre le général.
Tous se déplacèrent jusque dans sa tente.
Adan partit chercher du papier pour écrire leur stratégie. Pendant ce temps là, Gyalan récupéra les cartes d'Astras en sa possession et les trois Phébéiens lui indiquèrent les accès aux souterrains d'une croix. Ils discutèrent des possibles cachettes aux alentours – majoritairement dans les maisons en ruines – et des groupes qui pourraient se dissimuler à chaque emplacement.
Étonnamment, Gyalan était très impliqué dans la construction du plan. Soit il était sérieux peu importait la situation, soit il ne voulait pas admettre qu'il voyait réellement du potentiel à leur plan.
Ou alors il s'agissait d'un test ?
Non, Valiammée devait trop lire entre les lignes.
Ténèbres, qui fouillait frénétiquement son livre de sortilèges, releva la tête. À côté de lui, Brimari faisait remuer ses doigts, comme pour visualiser un sortilège.
- J'ai de quoi les déstabiliser, annonça-t-il.
Gyalan lui fit signe de le rejoindre, aussi Ténèbres partit lui expliquer sa découverte. Elle fut ajoutée à la construction du plan et de nouvelles écritures apparurent sur la carte d'Astras. Curieuse, Valiammée s'approcha pour observer.
- Si on échange deux magiciens entre ces groupes et qu'on place le premier un peu plus loin, ça fonctionnera mieux, affirma Ariane. On peut en avancer un autre juste ici.
- Vu son essence magique ce ne serait pas plus logique d'échanger plutôt ceux là ? rétorqua Vénérios.
- Pas de mon avis, objecta Gyalan. Ariane a raison.
Valiammée observa leurs doigts se déplacer sur la carte pour désigner les différents points stratégiques. Elle n'y comprenait pas grand chose.
Le manège dura dix bonnes minutes chargées d'échanges d'idées, de modifications et de propositions refusées. Enfin, ils obtinrent un plan à peu près complet. Gyalan s'écarta de deux pas de la table pour l'observer avec du recul.
Trente six magiciens seraient affiliés à la surface, de façon à créer douze groupes différents. Parmi eux, Lysandre, Ariane et Vénérios, qui avaient connaissance du terrain et pourraient former une alliance avec les Eolens sur place si besoin. Chaque unité regrouperait deux soldats et un magicien expérimenté équipé d'une pierre afin d'assurer aussi bien l'attaque que la défense. Les soldats, eux, seraient en possession d'arcs pour éliminer les cibles à distance et éviter des combats directs. Pour compléter, ils seraient entourés de sortilèges de dissimulation.
Brimari et Ténèbres, eux, seraient chargés de poser les pièges à la magie rouge sur chaque entrée aux souterrains, le tout en faisant croire que leur origine était différente pour ne pas vendre la mèche auprès de Solen – Brimari avait déjà plusieurs idées pour s'en charger. Puisqu'ils devraient se déplacer dans la cité entre les points d'accès, Miranda devrait être présente pour ouvrir des portails.
Ainsi, Ariane, Vénérios et Lysandre seraient à la surface, tandis que Brimari, Miranda, Ténèbres et Valiammée iraient dans les souterrains une fois leur part du marché réalisée.
Anthropa et Adan, eux n'étaient simplement pas conviés. Gyalan ne voulait pas les mettre en danger et préférait qu'ils continuent à travailler sur leurs projets dans le camp.
- Est-ce qu'il est possible de créer des portails ailleurs qu'au dessus d'un nœud tellurique ? demanda le général.
- Oui, confirma Anthropa sans même vérifier ses notes. Juste que ça demandera bien plus d'énergie.
- On pourrait donc déplacer les différents groupes directement à leurs emplacements ?
- Techniquement, oui. À voir si Miranda maîtrise le processus, mais je n'en doute pas.
Gyalan, les bras croisés, jeta un dernier coup d'œil à la carte. Ses sourcils se froncèrent et se défroncèrent par intermittence.
- Bien, ça me semble correct.
- Alors c'est approuvé ? s'assura Vénérios.
- Ça l'est.
Le soulagement fut général, bien que discret. Ils n'allaient pas laisser tomber Astras.
- Quand est-ce qu'on part ? demanda Brimari.
- Maintenant. Va chercher les soldats.
Brimari s'exécuta. Valiammée, elle, sentit son sang descendre jusqu'à ses pieds. Certes, c'était soudain, mais Gyalan avait raison. C'était ça ou laisser une chance aux renforts de Solen de s'organiser.
Ils voulaient se battre ? Très bien, mais ils n'avaient plus une minute à perdre.
- Miranda, la suite dépend de toi, conclut Gyalan Cartaris.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top