Chapitre 25: Mai (4)

Quand Valiammée se réveilla, son mal de crâne de la veille ne l'avait pas quittée. Pire que ça, il s'était empiré. Son corps était si perclus de courbatures que simplement se redresser la fit grimacer. Puisqu'elle ne se trouvait pas dans son lit et qu'elle avait des obligations auprès d'Ifraya, elle se força cependant à s'activer.

La première chose qu'elle vit en inspectant la tente fut un amas de tissus posé sur la caisse installée à côté du lit. Ce n'était pas là la veille, si ? Valiammée, curieuse, vérifia que personne n'approchait et déplia le tissus pour l'observer.

Elle se rendit très vite compte qu'il s'agissait de vêtements. Plus que ça, ils paraissaient adaptés à sa stature – en tout cas, ce n'était pas le style du général et il serait incapable de rentrer dedans. Le haut, d'un riche bleu sombre, possédait de longues manches évasées et un col serti de dorures brodées à la main. Le dos était ouvert et le bas, qui se mettait au dessus d'un pantalon, comptait de longues bandes qui se fixaient à la taille.

Était-ce pour elle ? Vu la qualité du tissus et la beauté de la coupe, elle n'osait même pas l'imaginer, elle qui traînait les mêmes vêtements à moitié usés depuis des mois. D'où sortait une pareille pièce ?

Valiammée replia soigneusement la tenue et la reposa sur la caisse. Hors de question de l'enfiler tant qu'elle n'était pas certaine du destinataire. Elle lissa sa chemise pour en effacer un peu les plis – mission impossible, mais cela ne l'empêchait pas d'essayer – et s'aventura de l'autre côté de la bâche qui servait de cloison.

Là, elle y trouva Gyalan Cartaris, occupé à feuilleter l'un des ouvrages d'Anthropa sur la minéralogie. Lui aussi essayait de comprendre le problème des saphirs ?

Valiammée n'eut pas besoin de s'annoncer, puisqu'il la repéra dès qu'elle mis un pied dans son champ de vision.

- Te voilà, constata-t-il.

- Bonjour, répondit la Madrigane.

Le général était déjà habillé de l'uniforme gris qu'il portait habituellement. Ses cheveux bruns étaient peignés vers l'arrière et lui donnaient un air particulièrement propre sur lui-même. Valiammée faisait tâche, à côté de lui.

- Excusez-moi... s'essaya-t-elle. D'où sort la tenue dans votre chambre ?

Gyalan haussa un sourcil. Ses yeux quittèrent la page qu'il lisait pour la dévisager.

- De plusieurs soldats qui savaient bien coudre.

- Oh.

Valiammée hésita. Elle se sentirait honteuse de faire des suppositions erronées.

- C'est pour moi ?

- Oui. Autrement je ne l'aurais pas posée à côté de toi.

- Vous êtes entrés ?

- J'aurais volontiers attendu que tu te lèves pour te le donner, mais j'avais beaucoup de choses à régler ce matin. Je suis venu vérifier que tu étais encore en vie et j'ai posé les vêtements au passage.

- En vie... ?

- Tu ne te réveillais pas. Il est quatorze heures.

La surprise s'afficha sur le visage de Valiammée. Si tard ? Cela ne lui était encore jamais arrivé jusque là, même lorsqu'elle vivait encore au temple.

Gyalan referma le livre d'Anthropa et le reposa sur la table.

- Tu as dû suffisamment te reposer. Enfile la tenue, nous partons dans le camp. Je t'attends dehors.

Il ne lui laissa pas l'occasion de répliquer quoi que ce soit et quitta la tente. Valiammée se retrouva seule à l'intérieur, ce qui la mit moins mal à l'aise pour s'y changer.

Elle eut au départ un peu de mal à rentrer dans la tenue. Non qu'elle soit trop serrée, elle était même encore un peu large par endroits, mais le système de fermeture lui était inconnu. Ce fut après cinq longues minutes de difficultés qu'elle rejoignit Gyalan, gênée. Il la détailla de haut en bas, sans doute pour s'assurer qu'elle l'avait mise correctement.

- Très bien, commenta-t-il. Allons-y.

Valiammée le suivit sans un mot. Au moins, elle avait l'air d'avoir enfilé la tenue correctement. Le tissus était très agréable contre sa peau, chose dont elle n'avait pas spécialement l'habitude. Elle avait l'impression d'avoir investi le corps de quelqu'un d'autre en provenance d'une sphère noble non impactée par la guerre.

Elle n'avait aucune idée d'où Gyalan sortait ce tissus, ni de la raison pour laquelle il lui avait fait ce cadeau. Encore une fois, elle supposait que c'était pour l'amadouer en vue d'une future alliance, mais ne se risquerait pas à lui poser la question.

- Où allons-nous ? demanda-t-elle quand ils s'approchèrent des abords du camp.

- Voir tes camarades. Ils sont en plein travail avec les pierres. Anthropa voulait faire des tests.

- Je vois. Toujours rien par rapport aux saphirs, je suppose.

- Non, et je doute qu'on trouve une solution. La magie bleue est imprévisible.

Si Anthropa avait été là, elle aurait nié au bloc en affirmant que tout problème avait une solution tant qu'on trouvait les variables qui le constituaient. Or, ce n'était que Valiammée, aussi se contenta-t-elle de hocher la tête. Elle ne savait absolument pas quoi répondre de plus, elle qui n'y connaissait pas grand chose sur le sujet.

Valiammée entendit ses camarades avant de les voir. Entre les éclats de voix où celle de Brimari était particulièrement audible, les sifflements de la magie et les bruits sourds d'impacts, c'était difficile de les manquer. Quand Gyalan et elle eurent contourné les dernières tentes avant d'arriver à leur terrain d'entraînement habituel, Valiammée put observer les magiciens en action.

Anthropa, Adan et Brimari, même s'ils avaient tous une pierre en main, supervisaient davantage qu'ils ne prenaient part à l'entraînement. Le reste des magiciens étaient en face à face, hormis Miranda, assise en tailleurs dans un cercle de concentration quelque peu à l'écart. Vénérios affrontait Ariane et Lysandre était contre Tenèbres. Du peu que Valiammée vit, ils travaillaient la répartition de la force dans leur corps, aussi bien pour l'attaque que pour la défense.

- C'est l'heure de la pause, déclara Gyalan quand il fut à portée de voix.

- On est en plein exercice, répliqua Brimari, attends au moins que...

Sa phrase mourut au bord de ses lèvres quand elle aperçut Valiammée. À vrai dire, ce furent tous les mouvements qui cessèrent et les visages qui se tournèrent pour la dévisager.

Le silence fut presque assourdissant.

Valiammée ne sut pas trop si c'était à cause de sa tenue, de son arrivée tardive aux côtés du général, ou des deux. En tout cas, elle n'aimait pas ce surplus d'attention.

- Désolée, leur dit-elle, je me suis réveillée il y a peu.

- Tu étais malade, tu n'as aucune justification à apporter, trancha Gyalan.

- Tu lui as fait confectionner des vêtements ? s'étonna Brimari, presque agacée par ce constat.

- À quoi ça ressemble, selon toi ?

- Il nous reste peu de tissus. Il aurait pu être utilisé pour autre chose, mais non, il faut habiller correctement la gamine.

- Tu penses que quiconque à Caméone l'aurait prise au sérieux si je ne l'avais pas fait ? On parle de prendre le contrôle d'une cité, Brimari. Ce n'est pas qu'une question de volonté.

Alors c'était donc pour ça. Valiammée devait admettre qu'avec sa chemise tachée et son pantalon trop grand pour ses jambes, elle faisait pâle figure. Là, bien apprêtée, elle renvoyait une image bien différente. L'image d'une élue venue récupérer le trône de Caméone et mener Solen vers sa perte.

Du moins dans la théorie.

Brimari, même si elle secoua la tête d'agacement par réflexe, ne répondit rien. Au fond, elle savait que le général avait raison de s'y prendre ainsi.

- Je suppose que c'est pour nous annoncer que la prise de Caméone est proche ? demanda Adan.

- Effectivement, confirma Gyalan. J'ai lancé les préparatifs chez les soldats. Nous partirons d'ici quelques jours.

- Caméone ne va pas percevoir l'arrivée d'Ifraya comme une agression ?

- Ils pourront considérer ça comme ils voudront, de toute façon, ils n'auront pas les moyens de répliquer. Les discussions serviront à dissiper les malentendus.

Valiammée, dont l'attention était tournée dans l'autre direction, remarqua à peine quand Miranda se glissa à ses côtés. Un sourire éclaira son visage déjà rayonnant.

- Tu es magnifique, comme ça.

Valiammée rougit du compliment, mais davantage encore quand Miranda passa une main attentive dans ses cheveux.

- Mais tu le serais davantage encore si tu étais mieux coiffée, admit-elle.

- J'ai à peine eu le temps de me brosser les cheveux, avoua Valiammée.

- Je suis sûre qu'Ariane ou Vénérios se feraient un plaisir de te faire des tresses, si tu as du mal à les faire sur toi.

Une chose était sûre, ce n'était pas Lysandre qui allait s'en charger. Au mieux, il réussirait à ne pas lui emmêler les cheveux plus que de raison.

- Je leur demanderai le jour où j'en aurais besoin, acquiesça Valiammée.

- Tu feras, je l'espère, bonne impression à Caméone.

- Être propre doit influencer, avec un peu de chance...

Le but n'était pas non plus qu'elle détonne complètement avec le reste de la population. Si un fossé existait dès le début entre elle et les magiciens de la cité, cela n'aiderait pas leurs affaires. Elle devait inspirer un sentiment d'accessibilité tout en gardant le pouvoir.

- Alors, comment se passe l'entraînement avec les pierres ? demanda Gyalan.

- Bien, répondit Brimari. Il faut simplement apprendre à les utiliser correctement et sans se blesser.

- Le fameux problème de la gestion de la force ?

- Il ne disparaîtra pas, ajouta Anthropa, il va falloir faire avec ou le contourner.

- Je serais curieux d'apprendre ce que tu sous-entends par contourner.

Anthropa leva sa baguette devant son visage et montra la pierre de lune qu'elle tenait dans l'autre main. Voilà, elle était prête à partir dans des explications à rallonge.

- Adan et moi avons remarqué qu'avec nos baguettes, une certaine quantité de force de la magie était redirigée dessus, puisqu'elle y transite. Autrement dit, c'est elle qui encaisse partiellement et non notre bras. Comme il s'agit d'un objet assez petit et qui manque de robustesse, on peut supposer qu'avec quelque chose de plus grand et plus solide, on pourrait déléguer la force et éviter plus facilement les blessures. Plus que ça, on pourrait en faire une véritable arme.

- Tu as des plans ? vérifia Gyalan.

- Oui et non, répondit Anthropa. Adan, Ariane et Vénérios ont travaillé dessus avec moi, mais ce n'est pas encore complètement au point.

- J'attends de les voir.

- Tout à l'heure. La forge serait capable de s'en occuper ?

- Si l'idée a vraiment du potentiel, oui.

Valiammée se demandait sincèrement comment Anthropa faisait pour avoir réponse à tout. Est-ce que son esprit cessait parfois de concevoir des solutions à leurs problèmes ou était-ce une machine qui tournait en permanence ? Elle penchait plutôt pour la seconde option.

Miranda se redressa brutalement à ses côtés. Son regard alarmé se redressa vers le ciel, qu'elle guetta avec empressement. Valiammée voulut lui demander ce qui n'allait pas, mais n'en eut pas l'utilité.

- Magie bleue en approche, dit Miranda suffisamment fort pour que tout le monde l'entende. Je sens de nombreuses présences se diriger ici.

- Quoi ? s'exclama Brimari. Solen n'a aucune raison de venir jusqu'ici. Ils ne connaissent pas l'existence de notre camp.

- Ils approchent vite...

- Ils doivent survoler, trancha Gyalan. Brimari, fait sonner l'alerte.

La Chevaleresse s'accroupit dans la terre et y posa sa main libre. Valiammée fut trop loin pour entendre la formule qu'elle marmonna, mais sentit la magie rouge s'élever dans l'air et le sol gronder sous ses pieds dans une onde de choc qui traversa le campement. Aussitôt, les soldats sortirent des tentes et levèrent la tête pour tenter d'apercevoir l'ennemi. Les arcs furent récupérés à la hâte et tout le monde se mit en position pour tirer.

Leur organisation était impressionnante.

Le général Cartaris s'avança vers Adan pour lui demander une émeraude et un diamant chargé de magie. Quand il eut pris ses précautions et attrapé sa pierre, il ramena la seconde à Valiammée, qui se dépêcha de la saisir. L'énergie qui la traversa ne la rassura pas pour autant concernant ce qui s'annonçait.

- Les Maîtres Magiciens en ont une ? demanda Gyalan.

- Oui, confirma Brimari.

- Parfait. Tout le monde a obligation de tirer à vue.

Le général répéta ces paroles aux soldats les plus proches, qui firent passer le mot dans une vague qui parcourut l'entièreté du camp.

Le regard rivé vers le ciel bleu, ils n'avaient pour l'instant que Miranda pour leur servir de guide.

- Ils vont être au dessus de nous d'ici peu, déclara-t-elle. J'en repère une vingtaine, peut-être une trentaine.

- Tous des mages bleus ? s'enquit Lysandre.

- Je n'en ai aucune idée. Une partie l'est, mais je ne sais pas déterminer plus que ça.

Ariane forma des pics de verre tout autour d'elle, prête à les projeter vers le ciel. Lysandre et Vénérios, placés à ses côtés, lui serviraient de bouclier en même temps qu'ils l'assisteraient.

Anthropa et Adan firent le compte des pierres en leur possession, au cas où il faudrait en remplacer certaines. À leur droite, Brimari s'entailla la paume pour former des projectiles de magie rouge et Ténèbres ouvrit le livre de sortilège qui ne le quittait jamais.

Valiammée et Miranda s'interrogèrent sur leur rôle dans l'affrontement.

- Restez à côté de moi, leur ordonna Gyalan.

- On pourrait être utiles ailleurs, fit remarquer Valiammée, la plupart des magiciens qualifiés du camp sont déjà ici.

- Les Maîtres Magiciens sont dispersés, ils sauront se débrouiller. Vous deux devez rester en vie en priorité, donc restez à côté de moi.

Valiammée se doutait que Gyalan, même s'il était un bon magicien, serait incapable de les défendre contre Solen. En revanche, en tant que général d'une division de l'armée, il était une cible à protéger en priorité.

Si elles étaient à côté, cela s'étendait à elles.

Les premiers mages aériens de Solen furent aperçus en provenance du sud-est. Ils volaient à une vitesse ahurissante, plusieurs centaines de mètres au dessus de leurs têtes.

Du moins, cinq ou six d'entre eux ralentirent et baissèrent d'altitude en approchant du camp.

Les flèches volèrent dans leur direction dès qu'ils furent à portée de tir, aussi vite repoussées et brûlées par les éclats de magie bleue qui poursuivirent leur route vers le sol. Les champ de forces se levèrent pour les repousser.

Valiammée fut la première à répliquer. Un rayon de magie fut projeté de sa main gauche jusqu'au magicien le plus proche du sol, qui l'évita de justesse. Le recul manqua de la faire tomber en arrière et Miranda passa ses bras autour d'elle pour la stabiliser.

- N'attaquez pas, leur commanda Gyalan. Ils s'en vont.

Effectivement, les quelques magiciens de Solen qui étaient descendus remontèrent aussi sec hors de leur portée quand ils comprirent que leurs adversaires ne comptait pas se laisser faire. Les flèches cessèrent de pleuvoir et le calme revint prendre possession du camp à mesure que Solen s'éloignait.

Ariane dissipa ses pics de verre et posa une main sur les épaules de ses camarades Phébéiens pour les remercier d'assurer ses arrières. Brimari pansa sa plaie avec le bas de sa chemise tandis que Ténèbres refermait son livre. Derrière eux, Adan prit sa sœur dans ses bras, soulagé d'avoir évité un affrontement.

Valiammée, elle, était dubitative. Où allait Solen ?

- C'était rapide, constata Brimari.

- Ce qui signifie que ce sont des unités de renforts, répliqua Gyalan. Ils n'allaient pas s'arrêter pour nous s'ils sont attendus ailleurs.

Les têtes se levèrent. Ils partaient en direction du nord-ouest du continent. Cela ne pouvait signifier qu'une chose.

- Ils vont vers Astras, déclara Miranda.

Les souterrains.

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