Chapitre 15: Avril (3)
Valiammée avait toujours du mal à se faire aux regards méfiants que leur adressaient les soldats Ifrayens qui croisaient leur route, même six jours après l'annonce officielle de l'alliance à l'entièreté du camp. Il n'y avait certes plus autant d'animosité qu'au début, mais elle attendait avec impatience le jour où le monde ne ferait simplement plus attention à eux – en supposant qu'il arrive.
Tandis qu'une Brimari ravie donnait des cours de magie rouge à Ténèbres, c'était son second, Makar, qui s'occupait de former le reste des magiciens au combat au corps à corps. Il était très doué dans le domaine, et également doué pour ne pas faire remarquer à ses élèves à quel point ils étaient mauvais.
Anthropa et Adan, occupés à travailler sur le vernis alchimique qui permettrait de garder la magie ancrée dans une pierre, avaient de la chance d'y couper court.
Valiammée répéta pour la énième fois un enchaînement de coups supposés mettre au tapis un ennemi qui tentait de l'immobiliser. Makar, qui lui servait de pantin, observa ses moindres faits et gestes.
- Plus vive avec ton bras gauche, la corrigea-t-il. Ne baisse pas le regard et ne te projette pas trop en avant. Ton adversaire en profitera pour te déstabiliser.
Valiammée, le souffle court, se recula et frotta ses poignets. Elle fatiguait avec l'impression de n'arriver à rien. Au moins, Miranda en était au même point. Elles avaient toutes les deux des facilités en magie, mais pas ailleurs.
Lysandre, Ariane et Vénérios étaient quant à eux bien plus à l'aise. Ce genre de pratiques avaient fait partie de leur éducation noble écourtée par la guerre, même s'ils se débrouillaient bien mieux avec des armes qu'avec leurs simples poings.
Makar leur accorda une pause méritée et Valiammée en profita pour s'asseoir à même l'herbe du camp. Ils avaient privatisé l'une des zones dédiées aux entraînements, la plus petite à en croire ce que Gyalan leur avait transmis – le général passait parfois voir leur avancée, même s'il avait plutôt tendance à accaparer Anthropa et Adan. Il n'y avait pas grand chose autour d'eux à part diverses cibles et pantins.
- Brimari, j'ai besoin de toi, l'appela Makar.
- Je dois m'occuper du petit, répondit la magicienne en tapotant les épaules de Ténèbres.
Brimari portait un grand intérêt à Ténèbres depuis leur rencontre. Ses prédispositions à la magie rouge et le fait qu'il soit à moitié Ifrayen devaient jouer pour beaucoup.
- Deux minutes, insista Makar. C'est toi qui maîtrise mieux ce genre de choses.
- Quel genre de chose ?
- Manier magie et combat.
- Ah, oui. Bon, j'arrive.
Elle s'excusa auprès de Ténèbres, qui avait comme à son habitude le livre d'Emirah ouvert entre les mains, et s'avança sur l'herbe sèche. Du peu que Valiammée avait observé, son camarade avait repris les bases de la magie rouge pour éviter de se blesser en cas d'affrontement. Et vu l'humeur de plus en plus joyeuse de Brimari, il progressait très vite.
La Chevaleresse, vêtue de noir comme à son habitude, vint se poster devant les magiciens, bras croisés. Valiammée se releva et épousseta son pantalon.
- C'est pour les deux petites, dit Makar à sa camarade en désignant Miranda et Valiammée.
Les trois Phébéiens, perplexe, furent priés de reprendre les exercices qu'ils exécutaient depuis deux heures déjà. Pendant ce temps, Brimari dévisagea les deux Madriganes.
Valiammée avait beau la savoir sympathique maintenant qu'elle la connaissait un peu, Brimari n'en restait pas moins intimidante, elle et son regard acéré.
- Visiblement, mon second vous trouve nulles, puisqu'il veut que je vous enseigne ça.
- Je n'ai pas dit ça, contra Makar.
- C'est toujours ce que tu fais avec les recrues médiocres. Tu ne l'as pas dit, mais tu le penses.
- Ça se sentait dans les énergies, avoua Miranda.
Makar secoua la tête, en partie pour cacher sa gêne. Chez lui, l'apparence imposante contrastait vivement avec sa personnalité. Un homme calme et réservé, dont les muscles de ses bras devaient faire la taille des cuisses de Valiammée.
- Bien, commença Brimari, je suppose que vous n'avez jamais mélangé corps à corps et magie.
- Pas vraiment, confessa Valiammée.
- Nous n'avons jamais vraiment eu à nous battre avant, ajouta Miranda.
- C'est donc l'occasion d'élargir vos horizons.
Brimari se lança dans des explications techniques de ce qui les attendait. Manier combat et magie était bien plus complexe que de simplement taper de plus près, c'était une façon de rendre ses coups plus vifs, d'améliorer sa vitesse et sa puissance. Comment, Valiammée ne voyait pas trop, mais ce devait être le genre de choses qui ne venait qu'après des heures et des heures d'entraînement.
- Le principe est d'agrémenter la moindre de ses actions à l'aide de magie, poursuivit Brimari. La force créée par le dégagement d'énergie peut doubler voire tripler la votre.
Elle fit signe à Makar de se préparer et se positionna face à lui. Après un hochement de tête entendu, ils s'engagèrent dans un affrontement démonstratif mais néanmoins musclé.
Makar et Brimari, même s'ils usaient de techniques similaires, avaient deux façons bien distinctes de se les approprier. Valiammée avait du mal à cerner les différences tant ils se mouvaient rapidement, mais voyait bien que leurs gestes et leurs postures ne concordaient pas.
Les mains et les jambes de Brimari, couvertes d'un fin filet de magie rose pâle, repoussaient sans mal les attaques de Makar, qui avait pourtant bien davantage de force. Dès qu'elle le touchait ou que l'inverse se produisait, la magie autour d'elle se densifiait pour lui offrir une barrière comme une arme. Ses pieds se déplaçaient avec adresse et elle ne restait jamais statique.
Brimari décréta que la démonstration avait assez duré et la magie sur sa main gauche s'étendit comme une flamme. Quand elle frappa Makar de plein fouet après avoir trouvé une ouverture, il fut propulsé deux mètres en arrière et roula dans l'herbe en étouffant un grognement. Valiammée était sidérée.
- J'ai été gentille, précisa Brimari en se frottant le poignet.
Makar se releva, grimaçant, une main sur la poitrine.
- Si on veut, oui.
- Tu as déjà roulé plus loin.
- Moins loin également.
- À quoi servent tous ces muscles s'ils ne peuvent pas amortir ta chute ?
Makar ne prit pas la peine de répondre, à croire qu'il était habitué à ce genre de brimades. Brimari lui tapota l'épaule pour le remercier de l'avoir aidée dans sa démonstration et lui proposa d'aller poursuivre l'entraînement de Lysandre, Ariane et Vénérios. Son second s'exécuta aussi sec, sans doute un peu trop habitué à suivre des ordres.
Brimari replaça une mèche noire échappée de son chignon derrière son oreille et se posta devant Miranda et Valiammée.
- Alors, les filles, qu'est-ce que vous avez remarqué de particulier ?
- Les fluctuations de ta magie étaient bien plus fortes que celles de Makar, qui étaient dans l'ensemble linéaire. Elles étaient en quelque sorte synchronisées à tes gestes, répondit Miranda.
- Ça, c'est bien une réponse de prêtresse. Valiammée ?
- Chaque mouvement et chaque once de magie utilisée avait l'air calculée pour maximiser les dégâts.
- Exactement. C'est le principe même de ces techniques.
- Dans ce cas, pourquoi la maîtrise de Makar était-elle différente ? s'enquit Miranda.
Brimari haussa les sourcils, ravie que la question soit soulevée.
- Makar et moi n'avons pas la même formation. Il est soldat et je suis magicienne.
- Les deux ne sont pas supposés se rejoindre ?
- Si, bien sûr, mais on ne travaille pas sur les mêmes choses, même si les exercices peuvent être similaires. Lui va se focaliser davantage sur ses capacités physiques et moi sur ma magie.
Brimari leva son bras, où apparut un fin filet de magie semblable à un fil de fumée. Rien qu'à voir la façon dont l'énergie serpentait contre ses vêtements, il était facile de reconnaître sa maîtrise excellente.
- Puisque vous deux êtes bonnes en magie, c'est la raison pour laquelle c'est à moi qu'il demande de vous enseigner ça. La façon que lui et moi avons d'appréhender ces techniques est différente et c'est ma version qui vous conviendra davantage. En revanche, j'ai quinze ans d'entraînement derrière moi, donc ne vous attendez pas à faire des miracles.
- Quand est-ce que tu as commencé ? voulut savoir Valiammée.
- Quand j'avais dix-sept ans.
Oh. Au même âge que Valiammée, donc. Ce qui donnait trente-deux ans à Brimari.
- Vous allez reproduire les mêmes mouvements que moi, leur ordonna la Chevaleresse. Pied gauche devant, poings vers le bas.
Miranda et Valiammée, surprises de déjà devoir s'engager dans la partie technique, se mirent en position avec un temps de latence.
Brimari observa leurs postures, redressa la tête de Miranda et baissa les épaules de Valiammée, puis continua à les guider de façon orale uniquement.
- Visualisez les fluctuations de la magie dans votre corps. Quand vous bougez le bras vers l'ennemi, la magie remonte vers vos poings. Quand il cherche à vous frapper, une partie se déplace vers le potentiel point d'impact pour en absorber une partie. Allez-y, mimez le geste.
Miranda fut la première à s'exécuter. Elle imagina un adversaire face à elle et projeta son bras dans sa direction. Sa magie, d'un rouge vif, s'échappa de ses doigts quand son coude se déplia.
- Presque, commenta Brimari. Pas assez rapide dans ton exécution. En condition réelles, ton coup va être bien plus vif.
Miranda s'exécuta une nouvelle fois. Valiammée, à ses côtés, se décida d'elle aussi se lancer tout en gardant en mémoire les remarques que Brimari venait juste de formuler. L'une après l'autre, les deux magiciennes répétèrent les gestes encore et encore jusqu'à ce que Brimari soit à peu près satisfaite.
- Bien, on a une bonne base, décréta-t-elle. Essayez contre moi, maintenant.
- Quoi ? s'inquiéta Valiammée.
- Tu veux passer la journée à frapper le vide ? Ce n'est pas ce qui va te faire progresser. Allez, face à moi.
Valiammée passait première ? Elle anticipait déjà la catastrophe.
Elle se déplaça jusqu'à être face à Brimari, qui l'invita d'un mouvement de tête à se lancer. Valiammée chassa ses doutes du mieux qu'elle put et projeta son bras droit en avant comme elle l'avait répété. Brimari l'arrêta immédiatement.
- La rapidité, rappela-t-elle. Là, je suis ton ennemie, pas ton amie. Ne te retiens surtout pas.
Valiammée se replaça. À sa seconde tentative, Brimari immobilisa son bras avant même qu'elle n'ait terminé de le tendre.
Valiammée ne comprit pas trop l'instinct qui s'empara d'elle à partir de ce moment. C'était le même que lors des deux dernières attaques auxquelles elle avait été confrontée. Comme si soudainement, sa magie prenait vie et ne faisait plus qu'un avec le reste de son corps.
Elle projeta son poing avec force sur Brimari qui, même si elle parvint à l'arrêter, ne put cacher sa surprise devant le changement radical d'attitude de Valiammée.
- C'est ça ! C'est très...
Avant qu'elle ne puisse terminer sa phrase, Valiammée déplaça une partie de sa magie vers ses pieds pour stabiliser ses appuis. Elle concentra sa puissance dans son bras gauche et le lança vers Brimari, qui cette fois, l'évita et se prépara à répliquer. Avant que le coup ne la touche, Valiammée se téléporta derrière Brimari et la frappa en plein dos. Elle sentit sa force résonner le long de son bras comme une vibration.
Toutes ces sensations lui étaient aussi naturelles qu'étrangères.
Brimari chuta dans l'herbe sèche. Elle roula sur le dos dans une quinte de toux et se mit à rire.
- Alors ça, je me m'y attendais pas.
Valiammée sentit le rouge lui monter aux joues. Elle espérait ne pas l'avoir blessée, même si elle supposait Brimari solide.
La Chevaleresse se redressa sur ses pieds et épousseta ses vêtements.
- Les élus ont un historique impressionnant question maîtrise de la magie, déclara-t-elle. Tu n'y fais pas exception.
- Je ne sais pas trop comment ça fonctionne, avoua Valiammée. Je ne fais pas exprès.
- C'est normal. C'est un instinct naturel chez toi, mais que tu ne maîtrises pas encore. Tu as l'impression que ça prend le dessus sur toi, n'est-ce pas ?
Valiammée hocha la tête.
- Ce n'est pas le cas, expliqua Brimari. Pour le commun des magiciens, on doit beaucoup travailler pour acquérir une bonne maîtrise de la magie, tandis que pour toi, toutes les capacités sont déjà là. Forcément, si tu n'y es pas habituée, ça te paraît en décalage avec toi-même. Ça finira par passer.
- Les énergies qui émanaient de toi ont toujours été plus homogènes que la normale, s'immisça Miranda.
Valiammée ne l'avait même pas entendue se glisser à ses côtés. Il fallait qu'elle cesse d'être aussi désorientée à chaque fois qu'elle poussait sur sa magie.
- Tu ne me l'avais jamais dit, répondit Valiammée.
- Je supposais ça normal parce que tu es une élue.
- Entre vous deux, on se demande qui a le sens le plus poussé de la magie, plaisanta Brimari. Vos capacités additionnées seraient incroyables.
Valiammée et Miranda échangèrent un regard. Ni l'une ni l'autre n'arrivait à se figurer l'étendue de son potentiel. Valiammée en particulier. Que se serait-il passé si elle avait eu l'occasion d'avoir une véritable formation de magicienne au temple d'Astras ?
Une raison pour laquelle la dynastie des élus avait été mise en place était la capacité accrue de ceux qui avaient ce gène à se défendre. Tous étaient considérés comme des surdoués de la magie.
Il en était de même pour les prêtres et les prêtresses, même si cela ne se manifestait pas de la même façon. Les élus avaient une conscience aiguë de leurs propres pouvoirs. Les prêtresses de tous ceux qui l'entouraient.
Brimari avait raison. Leurs deux capacités réunies chez un seul magicien le rendrait anormalement talentueux.
- Je crois que Solen avait essayé à une époque, dit Brimari.
- Quoi donc ? voulut savoir Miranda.
- Engendrer des magiciens aussi bien prêtres qu'élus. En revanche, je ne sais pas ce que ça a donné, même si je suppose que c'était un échec.
- On ne sait jamais, avança Valiammée. Ils ont une population bien plus large que la notre.
- Vos deux gènes sont plus communs chez les femmes, en particulier celui de prêtresse. Je ne dis pas qu'il est impossible de trouver un homme avec, mais les recherches sont compliquées. Sans compter que même avec deux candidats parfaits, il est possible que l'enfant n'obtienne au final aucune capacité particulière.
Valiammée savait que les familles qui comptaient des élus n'en avaient jamais plus d'un, même si l'élu engendrait une descendance. L'apparition du gène était trop aléatoire pour être transmise à coup sur.
Elle se tourna vers Miranda. Hypothétiquement, si elles avaient eu la possibilité d'avoir des enfants ensemble, les chances qu'ils soient autre chose que des magiciens ordinaires étaient faibles.
Valiammée rougit. Elle et Miranda. Voilà une pensée qu'elle n'aurait pas cru voir traverser son esprit.
Brimari frappa dans ses mains et la ramena à la réalité.
- Allez, décréta-t-elle. L'entraînement n'est pas terminé. Vous avez encore du travail, aussi je peux vous assurer que vous allez bien dormir cette nuit.
Valiammée se demandait, entre Miranda et elle, qui appréciait le moins cette perspective.
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