Chapitre 11: Mars (11)
Valiammée se rappelait à peine des cinq dernières minutes.
Quand le brouillard dans son esprit s'était finalement levé et qu'elle avait repris pleinement conscience du monde, elle se trouvait dans l'atelier d'Anthropa, le bras de Lysandre sur les épaules. Valiammée cligna frénétiquement des paupières.
Anthropa, les bras pleins de livres, attrapait ce qu'elle pouvait sur les étagères de sa bibliothèque. Vénérios et Miranda faisaient leur maximum pour lui venir en aide. Quant à Ténèbres et Ariane, ils surveillaient la porte. L'un avec son livre de sorts ouvert devant lui, l'autre une épée à la main.
Valiammée tourna la tête de tous les côtés.
Où étaient Adan, Mara et Nyma ?
- Tout va bien ? lui demanda Lysandre. Ça faisait plusieurs minutes que tu ne réagissais pas...
- Je suis désolée, répondit Valiammée. Ça va. Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Une attaque de Solen. La population les retient pour le moment. Anthropa en profite pour rassembler un maximum d'affaires et éviter que tout soit détruit.
Si Solen faisait disparaître tout le savoir d'Anthropa... C'était définitivement la fin.
- Comment elle compte le mettre en sureté ?
- Apparemment, des protocoles d'urgence ont été établis avec la population, mais je n'en sais pas plus que toi, avoua Lysandre.
Valiammée, même si elle aurait voulu rester immobile et disparaître, repoussa le bras de Lysandre et s'élança vers Anthropa. La sorcière, qui comprit aussitôt son intention, lui désigna l'étagère de gauche.
- Prends tous les ouvrages sur la minéralogie et l'optique que tu vois. On déjà rassemblé le minimum vital pour ce qui concernait la magie.
Valiammée s'exécuta. Lysandre, qui n'avait plus à la surveiller, partit assurer leur défense au niveau de la porte. Ariane et Ténèbres l'y accueillirent avec joie.
Les livres défilèrent entre es mains tremblantes de Valiammée. Son cœur battait si fort qu'il lui paraissait résonner contre les murs de l'atelier.
- Où est-ce que tu vas tout mettre ? demanda-t-elle.
- Il y a une sorte de cave sous nos pieds qui a été créée spécialement pour cette occasion, expliqua Anthropa sans ralentir le rythme. On cachera tout là.
- Et une fois qu'on aura terminé ?
- On va se battre et on essaie de ne pas mourir.
Rien que d'y penser, Valiammée avait la nausée. Contre des mages bleus, à moins qu'ils ne soient en faible nombre, ils n'avaient strictement aucune chance. Ils pouvaient abattre tout le monde depuis le ciel.
Elle remarqua cependant que les bruits de lutte à l'extérieur restaient faibles. Si seulement elle ne s'était pas déconnectée du monde réel à un moment crucial, elle aurait su ce qui se passait dehors.
- Tu ne comptes pas te battre, quand même ? demanda Valiammée, inquiète.
- Bien sûr que si, répliqua Anthropa.
- Mais... La cité et le continent ont besoin de toi. Tu as dit que tu détenais peut-être la solution pour stopper la guerre !
Anthropa demanda de l'aide à Vénérios pour atteindre les étagères les plus hautes. Le Phébéien et ses deux mètres dix la firent monter sur ses épaules pour qu'elle continue son tri. Anthropa jeta les livres en direction de Miranda, toujours au sol, qui les empila dans des coffres en métal disposés au sol.
- J'ai l'impression d'entendre mon frère, grommela Anthropa. Oui, vous avez besoin de mon savoir, mais je refuse de laisser tomber ma cité alors qu'elle a besoin de moi.
- Tu lui rendrais un service en restant vivante, fit remarquer Vénérios.
- Tout le monde peut faire ce que je fais tant que mes recherches sont intactes et accessibles.
- Non, contra Valiammée. Tout le monde ne peut pas, autrement on serait en paix depuis des années.
La Madrigane saisit les ouvrages recueillis selon les indications d'Anthropa et partit les déposer dans les coffres.
- Je suis d'accord, renchérit Vénérios. Anthropa, on ne peut pas te laisser mourir.
Pour la première fois depuis qu'ils étaient entrés dans l'atelier, la sorcière interrompit ses mouvements et garda sa main serrée contre le dos d'un livre d'alchimie.
- J'ai peur de ne pas y arriver, avoua-t-elle. J'ai l'impression que rien de ce que je fais n'est au point et le monde part en morceaux devant mes yeux.
- Tu ne pars pas de zéro, rappela Vénérios. Tu as déjà fait un long chemin, ce n'est certainement pas le moment d'abandonner.
- Je sais, mais...
Une secousse fit trembler le sol. Anthropa dut s'agripper aux étagères pour ne pas chuter des épaules de Vénérios, qui tenta de la stabiliser.
- Activez-vous ! s'écria Ariane depuis la porte.
Valiammée saisit trois ouvrages supplémentaires et Anthropa jeta les derniers qui l'intéressaient dans les bras de Miranda. Les deux premiers coffres furent fermés.
La sorcière regagna le sol au moment où Adan, les bras chargés de carnets, dévalait les escaliers en colimaçon de l'atelier quatre par quatre. Le chignon qui retenait ses cheveux blond vénitien rebondissait à l'arrière de son crâne dans un rythme effréné.
- Tu as tout ? lui demanda Anthropa.
- Suffisamment. J'espère que l'atelier ne va pas être touché, j'ai mis des années à collecter tous les échantillons pour les tests d'essences magiques...
- On va déjà commencer par rester en vie. Le reste est secondaire.
Adan poussa un soupir et acquiesça.
- Quelle est la situation dehors ? demanda-t-il.
- La population tient bon à peu près partout, annonça Lysandre, qui jetait un œil à travers le battant entrouvert. Il y a des trous, mais les magiciens au sol s'en occupent.
- Ça ne va pas durer, s'empressa d'ajouter Ariane. Les gens faiblissent.
Valiammée jeta un regard interrogateur en direction de Miranda, qui lui expliqua que Heberen, pour ce genre d'attaque, avait attribué des rôles aux habitants. La grande majorité devaient coordonner leurs forces pour créer un gigantesque bouclier au dessus de la cité et ainsi empêcher les mages bleus de les atteindre. Le reste, dont Mara et Nyma faisaient partie, devait les combattre si jamais certains passaient néanmoins. Bien rodé, mais pas indéfini.
Il fallait éliminer Solen avant qu'ils ne puissent les atteindre, surtout qu'ils devaient déjà être en train d'établir une stratégie de leur côté.
Ténèbres feuilletait son livre de magie dans l'espoir de trouver un sortilège utile, mais la crispation de son visage était un bon indicateur de son absence de conviction. Anthropa et Adan fermèrent les coffres, et avec l'aide de Vénérios, les installèrent dans la fameuse cave, dont la trappe était dissimulée par un sortilège d'illusion.
- Il y a plusieurs brèches, les informa Miranda. J'en sens au moins trois, dont une proche d'ici.
- Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Ariane.
Anthropa avisa les armes encore accrochées au dessus de l'escalier.
- On va se battre.
- Tu n'y va pas, contra Adan. Cache-toi.
- C'est hors de question. Je viens avec vous.
- Il ne faut surtout pas que tu meures, insista son frère. S'il y a une personne à sauver dans cette cité, c'est toi.
- Alors faisons en sorte d'écraser Solen et de garder tout le monde ici en vie.
Adan céda, mais surtout parce qu'ils n'avaient pas le temps d'argumenter. Des armes furent distribuées à la hâte et faute de mieux – essentiellement de force dans ses bras – Valiammée se retrouva avec deux malheureux poignards, qu'elle glissa dans sa ceinture. Miranda ne fut pas mieux lotie et Ténèbres décida de ne simplement pas en prendre.
Adan et Anthropa avaient des arcs, Lysandre et Vénérios des épées, et Ariane avait récupéré une lance. Pour le reste, ils devraient se débrouiller avec leur magie.
La porte fut ouverte et l'odeur âcre de la magie bleue s'engouffra dans les poumons de Valiammée, qui sentit son angoisse former une boule compacte dans sa gorge.
Elle devait se rappeler de son entraînement. Ne pas hésiter et frapper. Faire confiance à son instinct.
Le ciel était un patchwork de différents courants magiques, couche lumineuse translucide où perçaient à certains endroits la noirceur de la nuit – des brèches dans le bouclier. Les mages bleus tentaient de s'engouffrer par là. Valiammée aperçut leurs pouvoirs brûlants lécher la surface des bâtiments alentours.
Elle espérait qu'aucun magicien ne se trouvait dans la déflagration, mais savait que ce n'était sans doute pas le cas. La population, effrayée, faisait de son mieux pour rester en vie tout en repoussant les ennemis de plus en plus nombreux.
Adan tira les premières flèches dès qu'il eut un adversaire en ligne de mire. Anthropa l'imita. Ils n'étaient pas les meilleurs tireurs, mais réussirent à au moins immobiliser les opposants et les touchant dans le bas du corps.
Valiammée aperçut une dizaine de corps jonchant les pavés. Parmi eux, un seul était vêtu d'une cape aux arabesques argentées couvertes de sang. Elle le savait depuis l'attaque d'Astras, il fallait sacrifier beaucoup de vies pour seulement affaiblir Solen. Or, elle n'avait aucune idée de combien ils étaient...
Plusieurs magiciens tiraient des flèches de magie en direction de la brèche pour empêcher d'autres ennemis de descendre. À en croire leurs carquois vides, ils n'avaient rien de mieux. Cela ne les retiendrait pas longtemps.
Vénérios fut le premier à se lancer dans la bataille. Lysandre, son épée brandie devant lui, assura ses arrières.
- Écartez-vous ! hurla Ariane à la population.
- Refermez la brèche ! ordonna Anthropa.
La plupart des magiciens ne se firent pas prier et s'éloignèrent en courant. Les plus expérimentés, eux, prirent leurs distances pour rétablir la barrière.
Valiammée fut prise d'un vent de panique. Son regard défila sur les différentes nuances de chaos autour d'elle. Elle était là, en plein milieu du combat, mais quel était son rôle ? Attaque ? Défense ? Ils n'avaient établi aucune stratégie et ses connaissances inexistantes en combat ne l'aidaient pas.
Miranda, pas beaucoup plus assurée, prit les devants. Elle lui saisit la main pour qu'elles restent côte à côte et désigna Lysandre et Vénérios. Les mages bleus se massaient en leur direction, et avec Anthropa et Adan déjà occupés à entourer Ariane, ils devenaient les cibles prisées de Solen.
- On les éloigne, décréta Miranda.
- D'accord, approuva Valiammée.
- Ténèbres, on peut compter sur ton aide ?
Le magicien, terrifié, ouvrit son livre là où se trouvait un marque page. Il répondit par un hochement sec de la tête.
Cette fois, il ne se détournerait pas.
Miranda entraîna Valiammée plus proche de Lysandre et Vénérios. Elle posa sa main libre au sol et demanda à sa camarade de faire de même. Un sortilège Madrigan passa la barrière de ses lèvres et sa magie, rouge et éclatante, serpenta sur le sol jusqu'en dessous de l'ennemi le plus proche de Vénérios. La fumée forma des fils de magie par dizaine qui vinrent entourer ses bras et ses jambes. Il fut immobilisé suffisamment de temps pour être abattu par Lysandre.
Valiammée récita elle aussi la formule. Miranda avait fait très attention à retenir en priorité les bras de leur opposant pour éviter qu'il utilise sa magie. Elle se décida à suivre son exemple et visa la femme de l'autre côté.
Derrière elles, Ténèbres s'occupa des mages bleus en dehors de leur portée avec ses propres sortilèges. Livre ouvert dans une main, magie noire dans l'autre, il plongea ses yeux dorés dans l'encre de la page et prononça la formule qui se trouvait en plein centre.
Un éclair sombre traversa l'air depuis son bras et s'écrasa aux pieds de ses cibles, qui bondirent en arrière afin éviter l'impact. La magie noire s'étendit et les poursuivit. Elle s'enroula autour de leurs mains dont elle étouffa les flammes bleues, remonta vers leurs bustes et les plaqua sur les pavés.
Valiammée n'était pas la seule à s'être entraînée d'arrache pied. Ténèbres, le visage crispé, se courba pour reprendre son souffle. Au dessus d'eux, la brèche fut enfin refermée et la nuit disparut.
Il y avait tellement d'énergie autour d'eux que Miranda ne parvenait plus à identifier quoi que ce soit. Elle fut contrainte d'utiliser sa vue au détriment de ses sens de prêtresse.
- Quatre, cinq... murmura-t-elle. Où est le sixième ?
- Attends, quel... commença Valiammée.
Elle n'eut pas le temps de formuler sa question, la réponse s'imposa à elle. Une Soléenne, jusque là masquée par un sort d'invisibilité, réapparut à la vue de tous.
Juste derrière Lysandre.
Le Phébéien, qui remarqua le mouvement du coin de l'œil, se retourna pour la voir charger de la magie bleue entre ses doigts plein de sang.
Le sang de Valiammée ne fit qu'un tour. Elle lâcha la main de Miranda et bondit sur ses jambes. Quatre mètres la séparaient de Lysandre, distance qu'elle ne parviendrait pas à couvrir à temps, même si elle courrait à s'en décrocher les jambes.
Un sentiment de peur qui lui fit oublier le monde autour d'elle imprégna chaque fibre de son être. Il lui sembla que quelque chose en elle s'activa, comme si une lumière s'était allumée dans son cerveau.
Son corps disparut dans une explosion de fumée grise et réapparut juste devant Lysandre en un battement de cil. Valiammée, déséquilibrée, eut à peine l'occasion de comprendre ce qui lui arrivait – venait-elle vraiment de se téléporter ?
Une trombe de magie bleue fut propulsée droit sur elle.
La lumière s'imprima sur les rétines de Valiammée. Sa main gauche se leva dans un réflexe. Elle contracta sa mâchoire. Les veines de son bras furent parcourues de fourmillements et ses pouvoirs effleurèrent sa peau dans une brise froide.
La barrière qui se forma devant elle fut en magie bleue. Elle absorba le choc sans se briser, même si des zébrures la recouvrirent.
L'ennemie, sidérée, recula d'un pas. Valiammée profita de l'effet de surprise pour appliquer ce qu'elle avait appris les derniers jours.
Homogénéiser sa magie à l'intérieur de son corps.
La diriger vers ses doigts.
Concentrer son énergie sous forme de la plus petite sphère possible.
Valiammée dissipa son bouclier d'une main. De l'autre, elle tira sur la mage bleue.
Le sifflement de l'air lui perça les tympans. La sphère traversa le crâne de la magicienne comme s'il ne s'agissait que d'un nuage, avant de finir sa course contre un mur.
L'explosion provoquée tua les soldats immobilisés par Ténèbres sur le coup. Le souffle rejeta violemment les cheveux de Valiammée en arrière.
Ses poumons la brûlaient. Était-ce vraiment elle qui venait de faire tout ça ? Elle avait eu l'impression, pendant un court instant, que son corps agissait avant qu'elle ne lui en donne l'ordre.
Lysandre la saisit par le buste pour l'écarter alors qu'elle reprenait ses esprits. Vénérios avait les yeux écarquillés comme des soucoupes.
- ... Valiammée ?
- Je ne sais pas comment j'ai fait, bredouilla-t-elle. Je n'ai pas vraiment réfléchi.
Elle avait sauvé Lysandre. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, elle avait enfin réussi à lui rendre la pareille et à le protéger du danger. Ses yeux se baissèrent vers ses mains tremblantes.
Avec la magie bleue, Valiammée pouvait faire la différence. Il lui suffisait de...
- Ne le refais pas ! s'écria Anthropa.
Valiammée sursauta quand les mains chaudes de Lysandre entourèrent les siennes. Cette fois seulement, ce n'était pas pour la réconforter. C'était pour l'empêcher d'user sa magie.
L'adrénaline retomba. Valiammée eut la nausée et se sentit fiévreuse. Anthropa accourut jusqu'à elle et saisit son visage entre ses paumes. Son expression était sérieuse, exactement lorsqu'elle parlait de ses théories.
- Ne le refais pas, répéta-t-elle. Si tu veux utiliser de la magie bleue, je t'en conjure, fais le uniquement pour les bombes.
- Mais... répliqua Valiammée. Ça nous donne un avantage.
Anthropa secoua la tête et lui lâcha le visage. Là où ses doigts avaient effleuré ses oreilles, ils étaient tâchés de sang. Valiammée, abasourdie, arracha ses mains à celles Lysandre pour les porter à ses lobes. Elle sentit un liquide tiède rouler sous sa peau.
Elle saignait des oreilles ? Était-ce pour ça que Lysandre et Vénérios la fixaient avec horreur ?
Une pensée oppressante la gagna. À quel point l'espérance de vie des mages rouges était-elle courte ?
- Aucun avantage, contra Anthropa. J'ai besoin de toi en vie.
- Et moi je refusais de laisser Lysandre mourir, rétorqua Valiammée en retour.
Anthropa se pinça les lèvres. Au même moment, des hurlements s'élevèrent derrière eux. L'un des Soléens soufflé par l'attaque de Valiammée venait de se relever. Malgré son corps à moitié brûlé qui devait le faire affreusement souffrir, il entreprit d'abattre les habitants d'Heberen qui maintenaient la barrière en place.
Si la brèche se rouvrait...
Lysandre attrapa l'un des poignards accroché à la ceinture de Valiammée et le lança vers l'ennemi, qui abandonna ses cibles. À la place, il s'élança à toutes jambes à travers les rues d'Heberen.
Il fallut une seconde au groupe pour se concerter. Ils se lancèrent à sa poursuite, Vénérios pour ouvrir la marche et Adan pour la fermer. Lysandre ne quitta pas Valiammée d'une semelle, elle qui n'était pas au meilleur de sa forme après sa dernière attaque.
Le mage bleu courrait à une vitesse impressionnante. Il traversa une rue commerçante désertée et poursuivit son chemin là où des arbres perçaient au dessus des bâtiments.
- Où il va ? demanda Miranda.
- Je ne sais pas, admit Anthropa entre deux respirations.
La sorcière fit défiler le plan de la cité dans son esprit, mais abandonna bien vite l'idée. Leurs opposants ne devaient pas la connaître. S'ils allaient dans cette direction, alors il devait s'y trouver un avantage pratique.
Un avantage qui lui sauta aux yeux quand elle remarqua que la luminosité avait baissé.
Il y avait moins de magiciens pour entretenir la barrière de ce côté, ce qui la rendait plus fine.
- Il veut créer une autre brèche, affirma Anthropa.
Valiammée leva la tête. Au travers de la couche translucide, elle crut aperçut des figures ailées s'attaquer aux capes argentées, mais c'était difficile de discerner quoi que ce soit. Personne d'autre ne le notifia.
- Alors ça, ça reste à voir, rétorqua Vénérios.
Plusieurs loups apparurent autour de lui. D'un geste, Vénérios leur commanda de rattraper l'ennemi, ce qui le contraignit à ralentir pour ne pas user ses forces. Anthropa le saisit par le bras pour qu'il n'ait pas en plus à diviser sa concentration. Vénérios ne maîtrisait pas suffisamment son essence magique pour se le permettre.
Les loups rattrapèrent le magicien de Solen en un rien de temps, mais il parvint à les esquiver. Une salve de magie bleue en détruisit deux et il battit en retraite en direction d'un large bâtiment. Il passa à travers la brique et disparut à leur vue.
Dommage pour lui, ce sortilège n'était certainement pas inconnu à ses poursuivants, puisqu'il s'agissait du même qu'ils utilisaient pour quitter les souterrains d'Astras. En trois bonds, tout le monde se retrouva à l'intérieur du bâtiment.
Il s'agissait d'une forge, heureusement vidée de la plupart de ses armes.
Le mage bleu profita qu'ils soient dans un espace plus exigu pour faire pleuvoir des flammes dans leur direction. Les magiciens, qui avaient à peine eu le temps de prendre une inspiration, se dispersèrent derrière des tables de confection en se jetant pratiquement au sol. Ariane, Lysandre et Miranda se retrouvèrent prostrés dans un coin, tandis que Vénérios et Anthropa avaient davantage pu s'approcher et que Valiammée était coincée avec Adan à deux pas du mur qu'ils avaient traversé.
En revanche, Valiammée n'avait plus Ténèbres dans son champ de vision. Où avait-il pu disparaître aussi vite ?
Elle eut sa réponse en le voyant ramper en direction d'un abri plus proche de l'ennemi, son livre de magie contre sa poitrine. Il ne fallut pas plus de temps au Soléen pour le repérer.
Quand il se retourna pour faire face à Ténèbres, Adan saisit sa baguette, passa la tête au dessus de la table et visa l'arrière de son crâne. Le tir rata, mais permit à Ténèbres de se relever et de courir se cacher. Valiammée, le cœur battant, croisa les doigts pour qu'il reste sain et sauf.
Son sang descendit jusqu'à ses pieds quand sa maigre silhouette réapparut et contourna la table de confection. Son précieux livre était ouvert dans sa seconde moitié.
Magie rouge.
Ténèbres jeta pourtant le sortilège sans la moindre hésitation. Adan manqua de s'étouffer. Valiammée dut le retenir pour ne pas qu'il se propulse au milieu de l'affrontement.
Ténèbres n'avait pratiqué la magie rouge qu'une fois dans sa vie. Il était bien loin d'avoir un niveau suffisant pour utiliser les sortilèges d'Emirah, ancienne Chevaleresse avec des années d'expérience. Il allait au mieux se blesser, au pire se tuer.
Ténèbres releva ses manches quand ses bras se couvrirent de plaies et que son sang s'en échappa en rubans qui flottèrent autour de lui. Une grimace de douleur s'étala sur son visage. Face à lui, le mage bleu meurtri couvrit ses mains de flammes.
Les bras de Ténèbres se relevèrent et son sang voleta jusqu'à former une boule, qui explosa dans une myriade d'éclats tranchants. Il tomba au sol dans un cri.
Le Soléen se protégea d'un puissant rideau de flamme qui réduisit les pics au néant. Il observa Ténèbres, accroupi et en souffrance, puis tendit calmement son bras dans sa direction.
Une flèche s'échoua dans son crâne et les flammes moururent. Le mage bleu s'écroula dans un bruit sourd qui résonna contre les murs.
Valiammée se redressa avec empressement, pourtant, elle fut la dernière debout. Adan lui enserra le bras pour ne pas qu'elle bouge.
Cinq magiciens inconnus – dont l'un tenait un arc – venaient d'entrer dans la forge par les murs. Une jeune femme à la longue chevelure noire était penchée sur Ténèbres et, à en croire l'énergie qui circula dans l'air, absorba le reste de magie rouge qui le rongeait. Ténèbres, le visage couvert de sueur et les bras ensanglantés, retrouva peu à peu un souffle normal à mesure que la douleur refluait.
- Attaque de large portée, hein ? lui dit l'inconnue. Belle tentative, mais tu n'es définitivement pas Chevalier. Si c'est quelque chose qui t'intéresse, en revanche, je peux te donner des cours.
Elle l'aida à se redresser avec une délicatesse surprenante. Ses camarades, armés jusqu'aux dents, vérifièrent que Valiammée et les autres n'attaquaient pas. Valiammée ne comprit pas immédiatement pourquoi, jusqu'à ce qu'elle ne remarque les tatouages qu'ils arboraient tous sur leur bras droit.
C'étaient des Ifrayens.
- Fais attention, petit, poursuivit la Chevaleresse. Rappelle-toi, l'objectif est avant tout de tuer les magiciens de Solen. Eole, on s'en fiche.
- ... Quoi ? bredouilla Ténèbres.
- Tu as déjà oublié les ordres ? C'est la magie rouge qui te provoque des trous de mémoire ?
- Brimari, l'interpella une autre Ifrayenne, tu es sûre que c'est l'un des nôtres ? Je ne le reconnais pas.
- C'est parce que c'est notre ami et pas un de vos soldats, s'immisça Anthropa. Merci de l'avoir sauvé.
Brimari lâcha précautionneusement le bras de Ténèbres, qui, apeuré, ne bougea pas d'un millimètre. Elle s'en formalisa à peine, trop occupée à dévisager Anthropa.
- Il faut qu'on parle, poursuivit la sorcière.
- Nous n'avons pas de temps à vous accorder, répliqua Brimari. Restons-en là.
- J'ai une proposition qui pourrait vous intéresser. Vous avez profité de l'attaque de Solen ici pour vous en prendre à eux et les affaiblir, n'est-ce pas ?
- Une proposition inclurait que je vous fasse confiance, ce qui n'est pas le cas.
Anthropa, en dépit des avertissements de Vénérios, contourna la table de confection qui l'avait abritée et s'avança vers Brimari, qui porta machinalement la main vers ses armes. Valiammée sentit la pression s'accroître sur son bras, là où Adan le serait.
- Anthropa, mais qu'est-ce que tu fais ? murmura-t-il.
Plutôt que de les menacer comme les Ifrayens semblait anticiper, Anthropa sourit et tendit une main amicale vers Brimari, qui cacha bien mal sa surprise.
- Eole et Ifraya n'ont aucune raison de se battre, affirma-t-elle. Nous voulons la même chose, à savoir éliminer Solen. Or il se trouve que je sais comment faire.
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