Chapitre 8
Même arrivé au club, J-Kay a du mal à retrouver sa décontraction habituelle. Son esprit est encore ailleurs, tourmenté. Les remords mettent du temps à s'effacer et affectent l'instant présent. L'enveloppe charnelle du dragueur est là, mais son sourire n'apparaît pas et son regard mi-clos est terne. Un simple « mauvais mood » pour ses collègues ; après tout, tout le monde à ses humeurs.
Il se glisse derrière le bar pour s'atteler aux premières commandes. Une question hante Jungkook, en coulisses. Comment se fait-il qu'il ne puisse s'assembler alors qu'il est censé avoir été sauvé il y a sept ans ? qu'il a à ses côtés le garçon le plus doux, et à la fois le plus fort, en tant que protecteur ? Pour quelle raison n'est-il pas redevenu comme tous ces gens à la personnalité simple ? Il devrait être Jungkook, jeune homme de vingt-trois ans, serveur enjoué et sympathique. Sain. Pourtant, il ne s'est toujours rien produit.
La foule commence à s'agglutiner dans les vestiaires en ce début de soirée. Les collègues s'activent et l'agitation cérébrale est forcée de s'évaporer. Aussi sérieux qu'à son habitude – bien que plus tendu, encore –, Taehyung fournit les directives pour la nuit. À la fin de ses instructions, son regard dévie sur J-Kay. Son calme et son désintérêt anormal en sa présence le surprennent. Pas un mot, pas même un clin d'œil agaçant. Rien. Jeon Jungkook se met juste au travail et revêt ses oreilles de lapin pour le thème sexy du jour comme s'il enfilait une paire de chaussettes. Après ce satané rêve érotique, rien de plus bénéfique qu'une distance pour redescendre en pression. Se faire coller au train aujourd'hui aurait été intolérable. Et cette nuit, le business doit commencer à tourner.
Hyunsuk apparaît à l'entrée. Enfin, les choses sérieuses démarrent.
Dans son salon, Zhan fait défiler les émissions TV sans qu'aucun programme ne le tente. Ses pensées sont loin, son cœur est lourd. La malveillance de ce sale type aura bien fait son travail...
Tant que Jungkook ne se sera pas assemblé et sain d'esprit, il devra prendre sur lui afin de le protéger de ce monde en noir et blanc. C'est le devoir qu'il s'est imposé. S'il a perdu sa famille, il a au moins pu le sauver, lui.
Un extrait furtif de Breaking Bad éveille une nouvelle idée. Ses yeux se posent sur son ordinateur. Impossible de lutter plus longtemps – ce n'était qu'une question de jours avant qu'il ne cède....
Il ouvre l'écran et se lance dans la recherche...
Wang Yibo origines... Wang Yibo bijouterie... Affaire bijouterie Lion D'acier...
Bien sûr, sauf résultats et informations conventionnels, rien de bien exceptionnel. Il se mord la lèvre et tripote son téléphone. À cela non plus il ne résistera pas.
— Salut, Daesung ! Oui, ça fait longtemps... Excuse-moi de te déranger, mais es-tu de garde au poste, ce soir ? ... OK, c'est tranquille, donc. Dis-moi, pourrais-tu me rendre un petit service en cherchant quelques renseignements sur mon nouveau patron ?
Satisfait de la séance, Hyunsuk tapote l'épaule de son poulain et ils redescendent ensemble jusqu'à l'entrée. Les choses se sont bien déroulées, Taehyung semble strict et prévoyant. Un rapport encourageant.
— Allez, on se voit demain, garçon.
La voix grave qui tonne derrière eux les fait sursauter tous les deux.
— Demain ?
Ils se tournent et découvrent, le souffle coupé, Wang Yibo au milieu du petit hall sombre, dans une tenue chic et fluide noire de haute couture coréenne.
— J'y vais, Taehyung...
Transpercé par le regard assassin du Lion D'acier, Hyunsuk n'attend pas pour filer à l'anglaise, le menton bas. C'est Taehyung qui hérite de son air réprobateur.
— Aish ! Pourquoi tu me fixes comme ça, Hyung ? geint-il avec une moue dont l'innocence ne trompe pas son aîné.
Le silence de son mentor lui glace le sang. En marche vers le carré VIP aux côtés de ses trois hommes, Yibo glisse au passage quelques mots à son oreille.
— Sois prêt à assumer les conséquences de tes actes.
Tae déglutit, livide, avant de lui emboîter le pas comme un collégien honteux.
À la table dix, Yibo enchaîne les verres – sa tolérance à l'alcool ne connaît aucune limite. Son ignorance à son égard perturbe Taehyung au plus haut point. Est-il déjà au courant ? Non. Hyunsuk trempe dans de nombreux trafics, cette réaction menaçante n'était qu'une mise en garde. Une prévention qu'il bafoue allègrement, ceci dit. Mais son ami n'en saura rien. Du moins, pas avant qu'il n'ait fait ses preuves dans le milieu, dans l'ombre.
— Eh, mais c'est... Zhan Hyung ?!
Surpris, Tae se lève pour aller trouver son hyung, perdu dans le flot de clubbeurs survoltés du samedi soir... un verre à la main ? Lui qui a du mal avec les foules oppressantes et n'est pas un fana d'alcool, pourquoi est-il en train de boire seul à cet endroit ? Il s'agrippe à son épaule.
— Taehyung, qu'est-ce que tu fais là ? s'étonne Zhan, hébété.
— Tu te rappelles que c'est mon club ? pouffe le jeune gérant. Serais-tu... saoul ?
— Hein ? Non, c'est juste mon troisième.
Il brandit son verre quasi vide.
— Ouais, donc vu à quand remonte ta dernière vraie soirée, t'en es pas bien loin.
Avec un « aish » blasé, Tae le conduit jusqu'au carré. Dès lors que Zhan tombe nez à nez avec son patron, il bloque.
— Qu'est-ce qu'il fait là ?!
Plus stupéfait que lui encore par sa remarque, Yibo reste médusé. Face à l'expression horrifiée que son employé lui renvoie – sa sincérité est toujours sans filtre –, il lâche un pouffement. La légèreté de sa réaction surprend à son tour Tae ; depuis quand Wang Yibo fait-il preuve d'une telle décontraction ?
Ce dernier invite Zhan à s'assoir d'un geste cordial, malgré sa réticence. Son alcoolémie semble tout à coup envolée par magie.
— Je dors très peu, vous savez, déclare Yibo. Certains soirs, l'envie me prend de me distraire au Diamond, lorsque je ne passe pas la nuit à étudier. D'ailleurs, je pense venir plus souvent, à partir de maintenant...
Il fixe Tae, marquant un sous-entendu que celui-ci ne tarde pas à capter.
— Je... je vais nous chercher un bon whisky, ne bougez pas ! lance l'accusé avec un rictus nerveux étiré jusqu'aux oreilles.
Abandonné seul avec Yibo et ses hommes, Zhan crispe ses mains sur ses genoux. Lui qui était venu voir Jungkook...
En fait, non. En vérité, ce soir, il n'est pas là pour son frère. À vingt-neuf ans, sa vie défile devant ses yeux sans qu'elle ne lui appartienne. L'échec lui colle à la peau. Les images de ses cauchemars le hantent à nouveau depuis aujourd'hui, et elles sont l'unique raison pour laquelle il se retrouve ici. Il est venu pour boire, rien d'autre. Pour assommer son esprit sous les basses de tech. Faire vrombir son cerveau jusqu'à le mettre sur pause. Mais rencontrer son supérieur... tout ce qu'il fallait pour crever sa bulle. Pourquoi doit-il le fréquenter aussi la nuit ? De plus, son camarade à la brigade n'a encore rien pu découvrir de convaincant.
En le voyant bâiller, les yeux mi-clos, Yibo se doute du niveau de fatigue que son artiste va continuer à cumuler au cours des prochains jours.
— Vous savez, qu'un patron rencontre un subordonné en boîte de nuit, en train de boire après avoir fourni une journée de travail peu convenable, ce n'est pas ce que j'appelle du sérieux, très cher employé modèle... dit-il en haussant un sourcil déçu derrière son verre.
Zhan se décompose. C'est vrai, à cause de leur ami commun, de son ancien poste au club et de leur première soirée ensemble ici, il en a totalement oublié les principes de bases. Ses joues s'empourprent et il porte une main honteuse à sa bouche. À quel point est-il condamnable ? Il se lève brusquement, penaud, prêt à s'enfuir.
— J-je... je suis...
Un instant de malaise, puis Yibo rit cette fois de bon cœur ; choqués, ses hommes posent sur lui un regard effaré.
— Allons, je vous charriais, Xiao Zhan. Ne vous échappez pas pour si peu.
— M-mais vous avez dit que...
— Aiyo... ne croyez pas tout ce que je dis, sourit-il avant de viser ses gardes du corps d'un mauvais œil. Et vous, là ! Pourquoi ces têtes ?! Ne m'avez-vous jamais vu plaisanter ?!
Bouche bée, les trois restent ahuris, bafouillants.
— Yah ! Je vais vous apprendre à penser que je ne suis pas drôle ! Riez !
Sa main se lève, menaçante. En entendant le petit gloussement chantant de Zhan, il repose les yeux sur lui, surpris.
— Moi, en tout cas, vous me faites rire, s'exclame Zhan, aussi lumineux qu'un soleil.
Inconcevable pour les trois hommes ; l'un d'entre eux ne peut s'empêcher de pouffer. Yibo le foudroie du regard et brandit une bouteille vide en l'air en sa direction.
— Aish ! Toi ! Tu veux mourir ?!
— Ah, Hyung ! Je te retrouve ! s'esclaffe Tae, rajoutant une énième couche à son image implacable de glaçon tueur.
Bougon, Yibo lui arrache le whisky des mains et se serre un verre, aussitôt enfilé en une poignée de secondes.
— Comment va Jungkook ? s'enquiert Zhan.
La joie de Tae retombe. Ses belles amandes, éclaircies par des lentilles bleues, se plissent. Il lui sert son scotch, sans se préoccuper d'un potentiel refus.
— Il bosse. Il est calme. C'est bizarre. Il va faire moins de chiffre, le con.
— Je croyais que tu préférais quand il ne faisait pas le chaud lapin, siffle son aîné.
— Ne me... relance pas sur ça, grommèle Tae entre ses dents.
Loin de se soucier de ses états d'âme, Yibo secoue la tête, moqueur.
— Quand on a un besoin, il faut le satisfaire...
Tout en se léchant la lèvre, ses yeux dérivent sur Zhan à la fin de sa phrase. Un regard lourd de sens que Tae intercepte. Sa mâchoire se décroche.
— Wang Yibo ! Non !
— Non ? Non quoi ?
— Pas...
Il se rapproche de son oreille et articule de tous les muscles de son visage fin.
— Pas lui... !
— Et pourquoi pas ?
— Parce qu'il est comme moi, hétéro... !
Dubitatif, Yibo penche la tête en direction du concerné qui, de son côté, sirote son verre comme un adolescent.
— Wang Yibo !
— Eh ! Quoi ?! Tu as peur que je puisse le corrompre ?! que je le dévore tout cru ?! Je ne suis pas le diable, tout de même !
Les trois gardes rentrent le menton. Leurs expressions fuyantes amusent Tae.
— Pas le diable, non. Juste le diable d'Asie, pouffe-t-il.
Loin d'apprécier cette remarque comme il l'aurait fait dans d'autres circonstances plus professionnelles, Yibo se renfrogne dans son assise et déguste un nouveau verre avec son habituelle et froide impassibilité.
— Si moi je suis le diable d'Asie, alors je t'invite à rencontrer mon paternel.
Interpellé par ses deux dernières paroles, Zhan tend une oreille attentive.
— Pourquoi tu ne... pourquoi tu obéis toujours ton père ? réplique Tae à voix plus basse.
— Est-ce que j'ai déjà eu le choix ? tonne Yibo.
Sa rigidité irritée laisse Tae interdit. En effet, à question stupide, réponse électrique. Son ami ne pourra jamais se payer le luxe de s'offrir une autre vie. Les héritiers des lignées royales ou impériales sont rarissimes et n'ont que des devoirs, aussi funestes soient-ils. En cela, Tae s'estime heureux : lui, a tous pouvoirs sur son destin.
La main d'une fille s'élève dans la foule, derrière la corde en velours qui sépare leur coin du reste de la boîte. Un geste qui s'adresse à Zhan. L'appelé finit par reconnaître sa vieille connaissance chinoise et se dirige vers elle, au milieu de l'agitation. Les nouvelles ne sont pas des meilleures.
— Tu crois vraiment que son frère va l'attendre quelque part ? Putain... Quelle plaie, ce type. Pourquoi il ne lâche pas l'affaire ?
— J-Kay est tombé sur une folle dingue qui s'est fait des films, et elle est ultra possessive. À un moment, on sait tous que ça devait arriver, se désole-t-elle.
Il soupire, déjà rattrapé par les soucis.
— O.K. Je vais m'en occuper.
— Attends, à ce que j'ai compris, ils seront plusieurs.... Tu as beau savoir te battre, tu n'es pas troisième dan de ju-jitsu ! Ils vont te massacrer !
— C'est mon problème, ne t'inquiète pas pour ça, la rassure Zhan.
— Ah... Zhan Zhan, souffle la jeune femme en posant une paume sur son épaule. Plus ça va, plus tu prends des risques...
Des risques, oui, et alors ? N'ont-ils tous que ce mot à la bouche ?
Il renvoie à son amie un hochement de tête reconnaissant, suivi d'une recommandation de prudence, puis tourne les talons... et se prend un grand gaillard d'au moins un mètre quatre-vingt-quinze (soit moins de quinze centimètres en plus).
— Pardon, dit-il en se faufilant derrière l'armoire à glace.
Une main atterrit sur ses fesses, brutale. Ses yeux s'exorbitent. Les murmures crasseux que le baraqué lui glisse à l'oreille le font sortir de ses gonds.
— Toi, j'me vois bien te soulever dans les chiottes.
L'idée d'apprendre le respect à ce sale type par une douloureuse clef de bras devient tentante. Mais pour si peu, rien ne sert de répliquer. Ce genre d'approche est plus que commune, dans les clubs. De plus, face à lui, Taehyung et Yibo sont en train de le fixer. Et il ne tient à faire aucune démonstration de force qui mettrait la puce à l'oreille de son supérieur à son sujet. Ce dernier ne manque d'ailleurs pas une miette de sa réaction.
— Je l'ai déjà vu maîtriser un gars de plus de deux mètres parce qu'il harcelait Jungkook dans la rue, confie Tae.
— Ah, vraiment ? Il sait se battre ?
— Hmm... J'ai cru comprendre qu'il se défendait bien, en tout cas.
Yibo étire un petit sourire satisfait. Nouveau renseignement à propos de l'objet de sa convoitise. Ainsi, l'employé modèle cache bien des compétences... En aurait-il d'autres, dissimulées à d'autre endroit plus... secret ? Il se lèche la lèvre, happé par son fantasme. Il doit voir Minho de toute urgence pour se défouler.
Lorsque Zhan s'apprête à franchir les poteaux métalliques, le lourdaud le saisit au poignet et le retourne.
— J'ai des capotes...
Hors de lui, Zhan le repousse avec violence et se retient d'exploser en plein vol. En pareille situation, l'alcool ne l'a jamais aidé à garder sa sérénité légendaire.
Contre toute attente, et sous les yeux surpris de son patron, il s'échappe dans la foule... suivi par l'autre.
Yibo se lève d'un bond, en réflexe.
— Mais qu'est-ce qu'il...
— Hyung ?
Déconcerté, Yibo hésite, entre deux feux. L'un qui le pousse à rester de marbre, comme le vampire froid et détaché qu'il a toujours été, le second...
— Junho, dit-il en s'adressant à son garde.
— Monsieur Wang ?
— On y va. On va chercher Kim Minho. Maintenant.
... Le second feu, inacceptable. Dévorant. Il doit se décharger sur ce métis, relâcher ce trop-plein d'émotions qu'il condamne tant chez Taehyung. Ensuite, il se sentira plus léger. Comme son géniteur lui a si bien appris. Et si le besoin persiste, alors il cèdera à ses pulsions et utilisera son artiste pour calmer ses nerfs, pour de bon.
Dans la rue, à l'écart de l'entrée, Zhan s'appuie au mur et attend le pervers, bras croisés. Il pourrait bien mesurer trois mètres que cela lui serait bien égal. La cible finit par le rejoindre. La lubricité de son sourire est à la hauteur de sa stupidité.
— Toi, t'es chaud, j'vais...
D'un geste vif, Zhan lui attrape l'épaule, lui déboîte l'articulation et relève son coude dans son dos avant de le plaquer contre le crépi.
— Tire-toi vite fait ou je vais calmer tes ardeurs à coup de genou là où tu sais. C'est clair ?
Pris au dépourvu – et fort alcoolisé – le forceur s'en va en chancelant sans demander son reste.
— Quelle espèce de...
— Bonsoir, Xiao Zhan, lance Yibo en pénétrant à l'arrière de sa berline, amenée devant l'entrée.
— B-bonsoir, monsieur Wang... !
Son rictus cordial s'efface vite.
— C'était utile de sortir pour que tu me voies finalement éclater ce con au mur...
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