Chapitre 5

    En retrouvant son frère dehors au lever du jour, à moitié somnolent contre un mur, une tendresse – indésirable pour son image actuelle – rattrape Jungkook. Il pince une moue coupable qui s'efface vite. Il est J-Kay. En ces lieux, il a encore le contrôle.

— Hyung, pourquoi t'es resté là ? dit-il en lui tapotant l'épaule.

— Hmm... tu as fini ?

    Dans sa peau d'ultra sociable, J-Kay salue d'un geste énergique les derniers habitués qui déambulent devant l'entrée.

— Pourquoi tu te fais chier pour moi comme ça, sérieux ? J'ai pas besoin de t... de protection. Tu as pris cette baffe pour rien, sache-le.

    Sans un mot, Zhan regarde autour de lui puis passe une main dans son dos et l'entraîne à sa suite, toujours aussi calme. Le conflit de Jungkook est imminent, exacerbé par les dernières paroles que son moi profond trouve odieuses. Il secoue la tête. Plus ils s'éloignent de la boîte, plus l'enfant responsable de ses bêtises se profile. L'arrogance dont a fait preuve J-Kay comprime son cœur d'une culpabilité éprouvante. Il se sent comme un gosse qui se fait raccompagner chez lui en silence par son patient grand frère.

    Ses lèvres se mettent à trembler. Il rabat son cardigan clair sur son cou comme si son corps entier se rafraîchissait, et son expression se décompose en même temps que son menton se baisse. Kookie émerge brusquement, reflet de sa sensibilité ; accuse le blâme.

    Au bout de quelques mètres, il s'arrête, le cœur enserré dans un étau. Son visage échauffé s'enfouit dans ses paumes.

— Hyung...

    Zhan se retourne, paisible, et enlace son petit frère avec tendresse. Puis les sanglots de ce dernier éclatent au creux de son cou.

— Je suis désolé, Hyung ! Tellement désolé... ! gémit-il en le serrant dans ses bras. C'est pas moi ! C'est pas moi, lui ! Dis-moi que tu le sais ! Pardonne-moi !

     La main douce de Zhan glisse dans ses cheveux tandis qu'il lui murmure quelques mots rassurants ; rituels.

— Ça va, Kookie, je sais... Je ne t'abandonnerai pas, je suis là.

— Hyung... !

— Chut... Tout va bien, tout va bien. Allez, on rentre. Je vais te préparer un lait banane, sourit Zhan.

    L'oreille basse et les manches tirées sur ses doigts pour les recouvrir, Jungkook reste blotti contre aux creux de son bras tandis qu'ils reprennent ensemble leur marche.

 

    Sur le grand parking désert de l'immense bâtiment portuaire, les rayons cuivrés du jour se frayent un chemin à travers l'horizon nuageux. Quelques cris de mouettes rieuses brisent le silence depuis le ciel. Taehyung écrase une cigarette à moitié calcinée du bout du pied. Son odeur se mêle aux effluves de poissons. Cette nuit lui a mis les nerfs en vrac, il n'avait pas fumé depuis des lustres. La rancune le ronge, mais vient également de provoquer à grands coups de pied sa rage de vaincre.

    Le voile métallique de l'entrepôt s'ouvre, un homme encapuché en sort.

— Hyunsuk, j'ai...

— Qu'est-ce que tu fous ici, Kim Taehyung ? Tu es suicidaire ?

— Mec, j'ai vendu tout ce que tu m'as fourni.

    Le chef le dévisage avec une moue agacée, prêt à corriger son insolence à l'aide de son poing. Changement brusque d'idée, néanmoins, dès lors que ce dernier lui présente sa surprenante et généreuse recette de la nuit. Il hausse un sourcil et siffle, sidéré.

— J'dois avouer que ça me dissuade de t'en coller une, ricane-t-il. Quatre millions de wons pour une première fois... belle.

— Je t'avais dit que j'étais prêt ou pas ?

— Mmh... T'as du cran, garçon.

    Il empoche les billets et tapote un index menaçant sur le torse de Taehyung.

— Par contre, j'te préviens : plus tu désobéiras aux ordres, plus tu auras un pied dans la tombe. Toutes nos vies sont liées, dans ce jeu. On n'hésitera pas à t'écarter si tu deviens un danger.

— Compris.

— Tss...

    Hyunsuk fait quelques pas et retire sa capuche pour dévoiler son crâne à la coupe légionnaire.

— Si les autorités couvrent nos affaires, c'est grâce à notre cher Prince de la Nuit, dit-il, acerbe. Et sache que si t'es pas sous sa direction, que tu es juste en collaboration avec une branche comme la nôtre, ils n'auront aucune pitié et te déglingueront.

— Comment le pourraient-ils ? Ceux qui se font prendre passeraient aux infos, et les gens...

— Ceux qui se font prendre, y'en a peu. Et ils disparaissent sans laisser de traces. Y'a rien qui s'ébruite, la police veille au grain. Et quand ce ne sont pas les flics qui se débarrassent de toi après avoir merdé, c'est ton équipe. Aucune preuve qui ferait remonter à la source, c'est la règle dans ce business. Chez eux comme chez nous. Personne ne prend de risque.

    Le jeu est plus périlleux que Tae l'imaginait, mais il ne se découragera pas pour autant. Il mérite sa place. Il fait partie de ce monde ; celui des gens normaux a toujours condamné ses chances de réussites. Il emboîte le pas du trafiquant, pensif.

— Toi, tu es un métis aussi ?

— Ah, non ! Moi, j'ai trois générations de vrais gênes, pouffe Hyunsuk, arrogant.

    Tae hoche la tête.

    Trois générations de gênes faibles, comme la plupart des paons dans ton genre. Il n'y a rien à t'envier, couillon.

— Garçon, t'es sûr d'être prêt à te fourrer là-dedans ? Tu as déjà pensé à des clients fiables ?

— J'en ai quelques-uns, ouais.

— Et tu as fait ce qu'il faut pour...

— Mec, ça fait neuf ans que je fréquente le Lion D'acier. Depuis le temps, j'ai appris la marche à suivre.

— Ça ne suffit pas. Je viendrais assister aux premières séances. Ça se passera où ?

— Au Diamond. À l'étage de mon bureau, j'ai une pièce libre.

— Au club ?! T'as pas peur, toi !

    Taehyung s'arrête, le menton fier.

— Pourquoi aller ailleurs quand on a tout à portée de main ?

— Ha ! Ha ! Toi, tu as des couilles, mon p'tit pote. Si tu gères bien, je sens qu'on va bien s'entendre. Mais fais gaffe, plus il y a de monde impliqué, plus il y a de bouches qui pourront parler. Restreins-toi à quelques habitués, sûrs, et fais tes affaires comme ça. Et surtout, ne sois pas trop gourmand ou tu le regretteras.

    Sa cigarette au bec, Hyunsuk salue son nouveau collaborateur et repart en direction du hangar.

— N'oublie pas la règle : si t'es pas discret, tu disparais, dit-il en balançant son mégot. Bienvenue dans la greed, Kim Taehyung...

    La bouche du concerné s'étire. Premier échelon gravi.

    De la discrétion, il va lui en falloir. S'il se rapproche trop près du feu et se fait attraper par Yibo, il sera celui qui s'occupera de le remettre dans le droit chemin. Et mieux vaut éviter de subir sa sanction.

 

    À moitié ensommeillé sur ses feuilles et ses crayons, Zhan lutte contre la fatigue de sa nuit blanche. Il soupire, le front dans la main. Manque de foi, ses outils resteront éparpillés partout sur son bureau.

— Putain, J-Kay... tu me tueras un jour.

— Je confirme, lance Yibo en pénétrant dans l'atelier avec Charles, garde quinquagénaire aux traits doux.

    Zhan sursaute.

— M-Monsieur Wang ! Excusez-moi, j'étais ailleurs...

— Pourquoi vous excuser constamment ?

    Confus, Zhan se frotte la nuque.

— Tenez.

    Un gobelet de café s'offre à lui.

— Oh... Merci, monsieur. Je vais faire de mon mieux, lui assure-t-il en remettant de l'ordre dans son espace de travail.

    Cette bonne grâce – invraisemblable de la part de son iceberg de patron – fait hausser un sourcil éberlué à son homme de main le plus proche. Yibo pose une fesse sur l'angle du bureau pour contempler de plus près son employé, attelé à ses créations. Ses efforts pour se reconcentrer et les petites claques qu'il s'assène lui-même pour se réveiller l'amusent beaucoup. Un sourire s'esquisse sur ses lèvres. La surprise de Charles va en grandissant.

— N'avez-vous pas eu assez de gifles cette nuit ?

    Zhan grimace, gêné.

— À quel point ce gamin est-il chanceux de vous avoir pour assurer ses arrières ? Ou alors, est-ce vous qui êtes trop téméraire au point d'en devenir...

    Stupide ?

    Bien que sa franchise légendaire lui brûle la langue, il tait son mot et garde le silence.

— ... Idiot ? poursuit Zhan à sa place.

— Hm... Je ne me serai pas permis, réplique Yibo sans le penser.

    Charles en perd son souffle ; il en tousse même. Zhan égare un air rêveur, plein d'empathie.

— Sans vous manquer de respect, je me fiche de ce que les autres pensent, monsieur. Je suis le seul à connaître réellement mon jeune frère.

    Il dévie un regard doux sur son supérieur et son visage s'empreint d'une profonde tendresse.

— Et chaque nuit qui se finit mal me convainc que ma place est encore à ses côtés.

    Yibo reste interdit. Plus aucune pensée ne traverse son esprit, mis sur pause. Ce sourire magnifique, cette fraîcheur candide et ces yeux gracieux l'hypnotisent.

    La nouvelle toux de son homme de main met fin à son admiration – vraisemblablement sans limites. Il se retourne et l'accuse avec une férocité sortie de nulle part.

— Eh bien, quoi ?! Charles ! Allons vous chercher un verre d'eau ou vous allez finir par vous étrangler !

    Aussi stupéfait que Zhan par cette agression gratuite, le pauvre Charles courbe l'échine et emboîte le pas pressant de son maître jusqu'à l'ascenseur.

    Entre les miroirs de la cage d'acier, Yibo fulmine. Comment, comment un humain si généreux en sentiments (faiblesses, selon lui) peut-il le captiver à ce point ? Cela n'a aucun sens. Pourtant, il y a forcément une explication. Une attirance charnelle, sans aucun doute. Si tel est le cas, il devra vite y remédier en mettant ce garçon dans son lit ; être autant perturbé n'est pas tolérable.

    Et si ce n'était pas le sexe ? Si son envie de sang, inassouvie depuis longtemps, était à l'origine de sa confusion ? Après tout, sa dernière boisson remonte à plus d'un mois.

— Hm...

— Maître ?

    Yibo pose les yeux sur son subordonné et maugrée. Bien entendu, le moindre de ses changements d'attitude, glaciale de coutume, marque ses hommes.

— Je veux voir Minho. Qu'il se débrouille pour se rendre disponible dimanche. Je l'attendrai dans la chambre écarlate.

— Bien, Maître.

— Et en présence de Xiao Zhan, n'oubliez surtout pas de ne pas m'appeler Maître. Sous son joli minois innocent, je sais qu'il est intelligent. Peut-être un peu trop, même...

___

N/A

Chapitre suivant un peu plus 🔥...

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