Chapitre 43

    Le premier grand soleil de ce début de printemps diffuse sa douce chaleur sur les joues de Zhan, en balade dans le parc arboré du manoir. Il sourit, le cœur en liesse. Une euphorie insoupçonnée. Aujourd'hui est un nouveau jour. Les couleurs de son avenir se révèlent enfin, aussi sucrées que la soie des pétales roses virevoltant autour de lui.

    Son rythme cardiaque s'emballe lorsque, au loin, son regard rencontre celui de Yibo, resté sur les marches pour l'observer. Est-il si horrible d'avoir écarté ses principes pour goûter au bonheur ? Tout homme désire un jour être heureux...

    Le maître de maison fait quelques pas lents en sa direction, les mains dans les poches. Jamais Zhan ne l'avait encore vu si radieux. En paix. Tout ressentiments, rancune ou noirceur semblent disparus pour de bon.

— Bo di, mangeons des kimchi avec les garçons, ce midi ! s'écrie gaiement Zhan depuis le centre du parc.

    Conquis par l'idée, Yibo ouvre la bouche pour confirmer... et la referme aussitôt. Des pneus crissent devant le grand portail en fer forgé de la résidence. Les deux gardes ouvrent rapidement les portes à trois Audi berlines, bien connues.

    Les yeux de Yibo s'exorbitent.

— Xiao Zhan ! Reviens ! Vite !

    Zhan reprend aussitôt la direction du manoir en courant et son vampire le réceptionne à l'arraché entre ses bras.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Qui est-ce ?

    L'attention de Yibo se reporte sur le petit cortège de voitures, en train d'avancer sur l'allée. L'épouvante qui transparaît sur son visage est suffisante pour angoisser Zhan. Le Lion D'acier n'a peur de rien. A l'exception de...

— Mon père.

    Le cœur du fugitif rate un battement. L'horreur déverse son adrénaline dans ses veines. Il se réfugie dans la maison et claque la porte derrière eux.

— Dis-moi quoi faire ?! Où aller ?! s'affole-t-il en s'agrippant aux bras de son protecteur. Wang Yibo !

— Ge ge. Je ne le laisserai pas t'emmener, tu m'entends ?

    Les lèvres de Zhan se mettent à trembler.

— Mais tu...

    La porte s'ouvre brusquement sur le Roi.

— Fils ! Ravi de te revoir, s'exclame-t-il en pénétrant dans le hall, suivi de ses hommes. Je vois que tu mènes la belle vie, ici !

    Yibo attire Zhan dans son dos et se crispe de tous ses membres.

— Je ne vous laisserai pas l'enlever.

— J'avais déjà prévu ça.

    Un geste du Diable D'Asie, et ses deux otages sont bousculés dans l'entrée.

— Kookie !

    Zhan se rue vers Jungkook pour l'examiner de la tête aux pieds. Avant que Taehyung ne s'écroule sur le sol, Yibo le rattrape dans ses bras. Il pose sur son visage tuméfié un regard horrifié.

— Mon dieu, Taehyung... murmure-t-il en relevant doucement son menton maculé de sang.

    Le blessé baisse la tête, la mine abattue.

— Ça va...

— Non. Ça ne va pas.

    La culpabilité, encore et toujours. S'il avait empêché son presque frère d'entrer dans ce milieu sordide dès le début, tous les quatre n'en seraient pas là, aujourd'hui. Il l'attire contre lui et l'étreint tendrement, accablé par les regrets.

— Pardonne-moi...

    Les applaudissements sarcastiques de Wang Qiren retentissent. Yibo éloigne les trois garçons vers l'arrière et fait face à son géniteur, prêt à l'affronter à nouveau après neuf ans d'absence. Et cette fois, céder n'est plus en option.

— Eh bien... Est-ce là le fameux Lion D'acier tyrannique que j'ai devant moi ? gouaille le Diable D'Asie. Mon pauvre Yibo, tu n'es plus qu'un chaton pathétique. Depuis quand t'es-tu ramolli à ce point ?

— Prendre soin de ceux qu'on aime n'est pas une faiblesse. L'amour révèle ce qu'il y a de meilleur en nous.

— Ha ! L'amour comme celui que tu as pour ce sang d'or ? ricane-t-il. Dire que je pensais t'avoir suffisamment forgé pour que tout cela n'arrive pas. Il faut croire que j'ai trop cru en toi.

    Il balaye sa désillusion d'un revers de main dédaigneux.

— Quoiqu'il en soit, Xiao Zhan...

    Le nommé lève les yeux, alerte.

— Je vous offre deux solutions : soit vous me suivez de vous-même et vos amis seront saufs, soit ils en paieront le prix, déclare Wang Qiren en désignant les deux garçons du coin de l'œil.

— Hors de question ! tonne Yibo. Vous pensez vraiment que je vais vous laisser faire ?! Taehyung est devenu ma seule famille, il est mon frère ! Essayez de vous en prendre à lui et je vous jure que...

— Que quoi ? tempête le père. Tu comptes me tuer ? Laisse-moi rire. Tu en aurais peut-être été capable avant, mais maintenant tu n'es plus qu'une fillette.

    Les poings de Yibo se serrent.

— J'ai dit non. Prenez tous mes Sangs Purs, les futurs déportés, chassez tous les autres Sangs D'or de cette planète, si vous voulez, mais laissez-moi en paix avec cet homme ! Pour une fois dans votre vie, ne pouvez-vous pas faire une exception pour votre propre fils ?!

    Cette presque supplication déclenche les foudres de Wang Qiren. Il fait un pas vers son fils, l'œil noir, et corrige sa sensibilité par une gifle magistrale qui le fait tanguer.

— Bo di !

    Zhan se précipite vers Yibo mais se stoppe net lorsque ce dernier brandit une main en sa direction, lui interdisant toute approche vers la menace. Il se mord la lèvre. La situation est sans issue.

    Jungkook prend sa main et la serre, apeuré par l'idée inconcevable qui éclot – il le sait – dans l'esprit de son grand frère, car elle est la seule option qui ait une emprise sur son cœur. Zhan détache ses doigts des siens et s'écarte. Un long silence, puis il s'adresse à son kidnappeur.

— Qu'est-ce qu'il m'arrivera ?

    Les trois garçons se tournent vers lui, horrifiés. Yibo le fusille du regard.

— Xiao Zhan !

— Qu'est-ce qu'il m'arrivera, Monsieur Wang ? insiste Zhan.

    La joie qui étincelle dans les yeux du dirigeant fait sortir Jungkook de ses gonds. Taehyung le maintient par le bras.

— Ce qu'il vous arrivera ? Vous serez logé, nourri, entretenu, informe Wang Qiren. Mieux que le sont mes domestiques.

— Mais encore ?

— Hyung ! Arrête ça ! le hèle Jungkook en se plantant devant son frère.

— Tout ce que vous aurez à faire est de rester sagement sous mes ordres, et de me laisser vous boire.

    Un frisson parcourt l'échine de Zhan. Il effleure la peau de son cou déjà meurtri et déglutit. La scène potentielle se grave dans l'esprit de Yibo. Intolérable. Il grince des dents. Son géniteur, plantant ses canines dans le cou de son ange, détenant sur lui le droit de vie ou de mort... Son poil se hérisse.

— Finalement, rien qui ne vous soit étranger puisque mon fils vous a déjà goûté, reprend Wang Qiren en lançant à son héritier une œillade de biais. Goûté bien plus que moi je ne le ferai...

— Ça suffit ! le somme Yibo.

— Bo di...

— Non !

— Wang Yibo, j'ai fait mon choix, poursuit Zhan sur un ton plus ou moins assuré.

    Taehyung tente de le persuader de renoncer, à voix basse, tandis que Jungkook entraîne Yibo loin de son paternel pour lui murmurer à l'oreille.

— Fais quelque chose... ! Tu vas faire quelque chose, rassure-moi... ?!

    Le cœur de Yibo s'accélère. Tous les dangers qui les guettent, le groupe armé, prêt à faire du mal à son frère, le roi d'un empire et père qui ne craint rien ni personne ... La solution éclaire l'unique issue, évidente. Incontournable. Sa gorge se serre. La fin ne sera pas celle qu'il espérait.

— Et si je vous envoie son sang régulièrement ?

— Fils, je ne suis pas un vulgaire client avec qui tu négocies. De plus, le choix de cet ultimatum ne t'appartient pas.

— Oh, si ! Je vous assure qu'il m'appartient.

    En un battement de cil, Yibo dégaine son révolver et abat un florilège de balles sur les hommes autour de son père. Ceux-ci s'effondrent à terre, inanimés ou grièvement blessés. Wang Qiren, imperturbable, considère ses subordonnés avec tout le flegme du monde. Simples humains mortels, moins que rien.

    Il relève le menton et fixe sa progéniture droit dans les yeux.

— Je sais ce que tu es en train de penser. Et je sais aussi ce que tu comptes faire. Je suis celui qui t'a élevé.

— Vous m'avez seulement appris à tuer. Vous ne m'avez jamais appris la vie, rétorque Yibo en braquant son arme vers lui.

    Goguenard, le Diable siffle entre ses dents. Père et fils sont liés. Son héritier ne saurait le supprimer.

    Son attention dévie sur l'être que tous protègent. Un rictus venimeux étire ses lèvres. Il tourne les talons pour se diriger vers la porte et s'arrête dans l'encadrement pour contempler les nuages gris qui s'amoncèlent dans le ciel.

— Xiao Zhan, je suis le commanditaire de la mort de vos parents, je pense que vous le savez, aujourd'hui. Ils habitaient bien dans le district de Jiangjin à Dabopei, n'est-ce pas ?

    Les garçons échangent un air confus.

— Quel rapport avec tout ça ? interroge le principal concerné.

— Aucun. Je me demandais simplement si mon fils se souvenait de l'exsanguination qu'il a pratiqué là-bas, il y a dix ans...

    Un silence de plomb s'abat. Zhan se liquéfie sur place, le souffle coupé. La mâchoire de Yibo se décroche. Blanc comme un linge, il se tourne vers lui.

— G-ge... je... je ne savais pas...

    Zhan recule d'un pas et s'écarte de lui, sous le choc.

— Ge... ! Il cherche à t'éloigner de moi !

— Mais si j'étais resté loin de toi... dès le début... murmure Zhan, la gorge nouée.

    Ses yeux se noient de larmes. Incapable d'en supporter davantage, il s'enfuit en courant dans le couloir. Jungkook jette à Yibo un regard sidéré puis se lance à la poursuite de son frère.

    Le rire satisfait de Wang Qiren fait écho dans la cour. L'envie fulgurante de tout ravager fait trembler les poings de Yibo. Il plante ses ongles dans ses paumes à s'en cisailler la peau.

— Hyung... susurre Tae en le prenant par les épaules. Avec un peu de temps...

— J'ai tellement tué que je suis incapable de me souvenir de toutes mes victimes. Pas même de la famille de l'homme que j'aime. J'ai fait tuer son père d'un claquement de doigts et vidé sa mère de son sang jusqu'à ce que la vie la quitte... tu crois qu'on passe outre ça ?!

    Le regard affligé de Tae décline vers le sol.

— Ce qui est fait est fait, Hyung. L'homme qu'aime Zhan hyung n'est pas le Lion D'acier, mais ce Yibo là, dit-il en pressant une main sur son cœur, celui que tu es, au fond de toi...

    Une profonde tristesse balaye la rage de Yibo et lui échauffe ses joues. Sa poitrine s'alourdit. Le poids des actes et leur douleur, atroce, deviennent insoutenables.

— J'ai voulu me racheter avec toi en te protégeant, j'ai échoué. J'ai tenté de devenir celui que j'aurai dû être, mais ça m'est interdit. Quelle option me reste-t-il ? Dis-le-moi, Kim Taehyung, je t'en prie ! Apporte-moi cette solution que je n'ai pas... ! l'implore-t-il, les sanglots au bord des lèvres.

    Taehyung l'attire contre lui et le serre dans ses bras. Il glisse une main dans la nuque de son grand frère de cœur et enfouit sa tête dans son cou, bientôt humide. A son tour, le chagrin embue ses yeux. Ses paupières se referment sur une larme.

— L'amour n'a pas de raison...

  

N/A : Comment vont les cœurs ? :')

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