Chapitre 36

    Les paupières de Zhan papillonnent. Dans sa poitrine, son cœur affaibli cogne avec une pesanteur irrégulière. Il tourne lentement la tête vers la clarté du jour, dessinée autour des rideaux opaques en un mince filet blanc. Mouvoir ses membres ankylosés requiert un effort inhumain. Il a l'impression d'être passé à la broyeuse. Une horrible migraine le pousse à se redresser. Au premier geste, les nerfs de son cou meurtri se crispent et sa tête retombe sur l'oreiller. La douleur le cisaille. Quelques secondes de répit avant une nouvelle tentative.

— Doucement...

    Malgré ses précautions, chaque geste éveille les lésions ciselant sa peau fine. Son cœur bat une dangereuse chamade au moindre mouvement. Une fois assis au bord du lit, il referme ses mains tremblantes sur le bord du matelas et prend le temps de respirer. Une fièvre désagréable l'engourdit.

    La mémoire, quant à elle, revient peu à peu. L'affreuse réalité avec, bien loin des contes. Il se frotte le visage. Si seulement il n'avait fait que rêver... Que conclure de toute cette histoire ? Si son esprit est éclairci, il n'avait en revanche jamais été à ce point ébranlé.

    Il se lève et emprunte le couloir à pas lents, s'aidant des murs pour ne pas vaciller sous un vertige. Le hanfu blanc que Yibo lui a enfilé n'est pas suffisant pour le protéger du froid, bien imprégné dans les fondations de l'ancien manoir.

    Yibo...

    Les souvenirs émergent, il frémit. Terreur. Désespoir. Plaisir. Amour. Nirvana. Supplice. Son corps tressaille, tourmenté par un millier de sensations ; un conflit intérieur exigeant bien trop d'énergie pour son état actuel.

    Un effluve gourmand titille ses narines. Le maître de maison serait-il aux fourneaux ?

— Bonjour, monsieur Wang...

    Le chef se retourne, épouvanté de voir son blessé déjà debout en train de fléchir à l'angle d'un mur.

— Tu es fou ?! Va te rallonger ! s'affole-t-il en accourant pour le soutenir d'une épaule sous l'aisselle.

— Je ne me sentais pas très bien. Surtout dans cette chambre rouge...

    Yibo ferme les yeux, atrocement coupable. Comment a-t-il pu emmener ce garçon dans cette pièce souillée, lui qui n'est que pureté ?

— Il me faudrait un siècle entier pour me faire pardonner de toutes mes fautes... se désole-t-il en le conduisant prudemment au canapé. Comment te sens-tu ?

    La chaleur de l'assise, tiédie par le feu de cheminée, procure un long frisson à Zhan.

— Je me sens faible, soupire-t-il. Et perdu.

    Il se laisse reposer contre le dossier, les paupières closes, laissant son vêtement s'entrouvrir sur son corps contusionné. Yibo redécouvre à la lumière du jour les hématomes et les plaies qui colorent sa peau. Sa gorge se serre. La culpabilité ne l'avait jamais tant rongé.

    Il s'installe près de lui, plaque soigneusement les pans de soie du hanfu sur son torse et ses cuisses et le drape dans un plaid au duvet moelleux. Avec tout le chagrin du monde, il le dévisage, les mains glissées dans les siennes pour les réchauffer. Les yeux de son blessé sont creusés, mi-clos de fatigue, et le pouls de son poignet bat une arythmie angoissante contre la pulpe de ses doigts.

— Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider ?

    Pour la première fois, son regard pénitent révèle une totale sincérité. Comme si tous leurs secrets exposés avaient ouvert le livre de son âme. Jamais Zhan n'avait encore lu tant de transparence sur son visage et perçut une telle sensibilité.

     Je t'aime

    L'aveu nocturne de son vampire embaume son cœur malmené.

— Tu n'as qu'à me demander, je répondrai à toutes tes questions, tous tes doutes. Il faut que tu le fasses.

    Tant de questions... Par où commencer ? Zhan serre ses doigts entre les siens de ses maigres forces.

— Le pire, d'abord : pourquoi ce trafic d'humains ? Wang Yibo, pourquoi... ? souffle-t-il, éprouvé. Qu'arrive-t-il à tous ces gens que tu arraches à leurs proches, à leurs vies ?

    L'accusé baisse la tête, consterné par la cruauté de ses propres actes.

— Ces gens sont envoyés à de très riches acheteurs qui les garderont à leur disposition dans leur résidence en tant que boisson à long terme.

    Les mains de Zhan s'échappent des siennes, l'effroi le saisissant au-delà de son besoin d'affection. Yibo récupère leur contact et plonge dans son regard fuyant.

— Même si ça n'excuse en rien mes torts, sache que cette organisation est l'œuvre de ma famille et de bien d'autres en Chine depuis des générations. Je n'ai fait que reprendre le flambeau, de force.

— « De force » ... articule Zhan, dubitatif.

— Si tu savais à quel point je me suis battu pour rester hors des filets de mon père... Si tu savais quel était mon rêve avant d'être intégré à leur folie... J'ai tout fait pour échapper à son monde. Mais il m'a arraché à mon école à mes dix-huit ans et utilisé la vie menacée de ma mère contre moi. Alors, j'ai fini par céder.

— Et si tu décidais de tout arrêter, aujourd'hui ?

    Yibo expire du nez, une grimace aux lèvres.

— Mon père est à la tête de l'empire asiatique. Il est tout puissant. On ne l'appelle pas "Le Roi" ou le "Diable D'Asie" pour rien... Si je lâchais tout, il me traquerait sans relâche. En temps normal, il n'aurait eu aucune réelle emprise sur moi, mais maintenant...

    Il pose sur Zhan un regard inquiet.

— Dès l'instant où il saurait pour toi, il t'utiliserait pour me contraindre à courber l'échine. Et une fois qu'il m'aurait remis à ma place, il t'enlèverait pour me tenir sous sa coupe et te garderait chez lui.

— C'est-à-dire... ?

— C'est-à-dire que tu lui appartiendrais. Il t'entretiendrait comme un animal de compagnie pour te boire de temps à temps à autre comme on déguste un millésime.

    Zhan déglutit. Par-delà la crainte des vampires séouliens et leur soif intarissable, un nouveau genre de martyr se tapit dans son ombre. Il se prend le front dans les paumes.

— Tant qu'il ne connaît pas ton existence, tout ira bien. Le seul problème...

    Puisqu'il doit poursuivre dans son honnêteté, Yibo s'oblige à continuer.

— Le seul problème est que de nombreuses personnes en veulent à Taehyung et Jungkook, et ces gens-là exigent que je leur fournisse régulièrement ton sang en échange de leur liberté. Tu comprends maintenant pourquoi je suis si nerveux, ces derniers temps ?

— Et ne peut-on pas leur livrer pour acheter leur tranquillité ?

— Je savais que tu allais accepter d'entrée de jeu... se navre Yibo.

— Je ferai toujours passer Jungkook avant moi, Wang Yibo. Tu peux le concevoir, toi qui considères Taehyung comme ton frère...

    Yibo caresse le dos de ses mains du bout du pouce, au plus haut point soucieux.

— Ces retraits mensuels t'affaibliront considérablement, et l'addiction que les Sangs D'or provoquent...

    Il gronde entre ses dents.

— Ces chiens. Dès l'instant où ils t'auront goûté, ils tenteront de te retrouver...

    Zhan fige un regard brillant dans le sien.

— Mais toi, tu seras là pour me défendre, n'est-ce pas ?

    Yibo le fixe avec amour. Toute sa vie, ce garçon a fait preuve d'une force morale hors-normes et s'est sacrifié de nombreuses années pour préserver son petit frère et le mettre à l'abri. Il n'y a aucun doute à avoir : à partir d'aujourd'hui, il endossera le rôle de son protecteur et veillera sur lui.

   Il l'attire au creux de son cou et pose son menton dans ses cheveux.

— Je ne laisserai plus personne t'approcher.

    Le temps d'un instant, Zhan ferme les yeux et s'abandonne au réconfort de cette pensée.

— Tu sais ce qui m'inquiète le plus... reprend Yibo.

— Quoi donc ?

— Que tu me trouves trop ignoble pour m'accepter dans ta vie. Surtout, surtout, après ce que je t'ai fait cette nuit... murmure-t-il, la gorge nouée.

    Zhan enroule ses bras autour de ses flancs et ils s'enfoncent tous deux dans l'angle douillet du canapé. Que répondre à cela ? Son vampire le blottit contre lui et borde son corps frileux sous le plaid fourré. Parfois, les plus atroces vérités cachent de bien malheureuses raisons. Si Yibo a été obligé de s'engager sur une voie qu'il ne désirait pas, à en croire sa sincérité, peut-être n'est-il pas le monstre barbare pour qui il le prenait hier soir ? Cette idée cingle sa conscience. Et ses principes ? En tant qu'ancien policier et fidèle homme de loi, comment peut-il disculper celui qui est à la tête d'un tel trafic ? L'exempter reviendrait à cautionner ses actes. Le Lion D'acier doit accuser le poids de ses fautes, qu'importent les sentiments. L'amour ne doit pas entrer dans l'équation.

    La porte s'ouvre dans un fracas. Des éclats de voix résonnent dans le hall. Les beuglements d'un garçon hors de ses gonds.

— Où il est ce bâtard ?!

    Jungkook pénètre dans le hall en bombe, Taehyung sur les talons. En voyant la tignasse du grand patron dépasser d'un coin du canapé, il se rue vers lui, les muscles injectés de rage.

— Toi ! Sale fils de...

    Son poing levé se stoppe net dès lors qu'il trouve son grand frère chaudement lové entre ses bras. Il le fixe, perplexe.

— H-Hyung ?

    L'épais bandage blanc qui recouvre son cou attire son attention. La haine fulgure.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ?!

— Mon petit Kookie, viens me voir... sourit Zhan en l'invitant à s'agenouiller près de lui.

    Il tend une main à sa joue et caresse son visage rond avec tendresse, effleurant au passage sa cicatrice d'un revers de pouce.

— Taehyung et toi, ça va ?

    Lui-même préoccupé par les derniers évènements, Tae appuie en silence sur Yibo un œil interrogateur. La nuit a été pénible pour eux aussi, et sa confiance en son aîné n'aura jamais été à ce point contestée. Retenir un Jungkook angoissé et furieux pendant des heures, le convaincre que rien de grave n'était en train de se produire, a porté un coup non négligeable à leur couple, encore à ses prémices.

    Zhan lève le menton vers Yibo, l'air grave.

— Je pense que certaines explications s'imposent, Monsieur Wang. Du moins, celles qui peuvent être dites... conclut-il sur un ton de confidence.

— Si c'est ce que tu souhaites. Il est temps de crever l'abcès. Pour Taehyung, également.

    

N/A : Excusez-moi pour l'attente, cette période n'est pas des plus faciles et je trouve peu de foi pour peaufiner et publier AI.

Si vous souhaitez la suite plus vite, l'envoi de motivation c'est maintenant plus que jamais ^^'

Coeurs et chocolats ~

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