Chapitre 33

    Même arrivé au manoir, Zhan reste muré dans son silence. Résigné et revêche, fermé à toute interaction. À nouveau indompté, cette fois, par son abandon d'espoirs.

    Yibo le fixe, plus contrarié par cette distance qu'il ne l'aurait imaginé. Ses chances de le conquérir lui filent entre les doigts. Il le regarde retirer son cardigan beige afin de le déposer sur le porte-manteau de l'entrée. Mais pourquoi chercher à le charmer, en fin de compte ? Pourquoi prendre toutes ces précautions futiles qui, au début, étaient inconcevables ?

    Il devrait agir comme un Wang, tel qu'il a toujours fait. S'emparer de son corps pur et alléchant et se délecter de son sang sans aucun scrupule. En tant que prince d'une grande lignée, c'est ainsi que tout se déroule depuis la nuit des temps. De plus, lorsqu'un humain entre dans la confidence de leur monde, il ne peut espérer s'échapper de sa cruelle vérité, il en fait ensuite lui-même partie ; simple nourriture vouée à rester muette, si elle tient à la vie. Mais peut-être est-ce bien là tout ce qu'il ne désire pas pour son artiste ?

    S'il devenait un vulgaire bout de viande, enchaîné par le secret, cette joie solaire qui lui appartient disparaît à jamais de ses yeux de biche. Il perdrait sa tendresse chaleureuse, son magnifique sourire – plus beau joyau que Yibo ait eu la chance d'admirer, parmi toutes les pierres précieuses qui l'ont jamais entouré. Le dessin heureux de ses lèvres est le bijou qui orne son visage et irradie d'un bonheur infini tous ceux qu'il caresse par sa douceur.

    Il ne peut lui retirer ses ailes. S'il le faisait sien par la violence, il balafrerait son âme.

    Une chaleur étrangère brûle dans sa poitrine, totale opposée de cette possessivité enragée qui le pousse à lui sauter dessus. Son origine palpite, niée.

    À la dérobée, une pensée s'échoue sur les rivages de son subconscient. Faire passer le bien-être de l'autre avant le sien...

— Vous avez bien pris vos trois doses de comprimés, aujourd'hui ?

— Oui, Monsieur.

— Bien. Votre formule sanguine sera à nouveau normale d'ici peu de temps.

    Son téléphone vibre dans sa poche. La duchesse. Nouveau message vocal.

    « Monsieur Wang, sachez que pendant que Sungwoo s'occupait de réguler Kim Taehyung... »

    Le cœur de Yibo fait un bond.

    « ... son ami l'a sauvé en mutilant les hommes qui se chargeait de lui d'une manière... vraiment atroce. »

    Un frisson de soulagement le secoue de la tête aux pieds. Il pousse un long soupir et se laisse tomber sur le canapé.

    « Les choses prennent un très mauvais tournant, Lion D'acier. Rejoignez-moi à la tour Namsan dans une heure et apportez-moi de solides arguments susceptibles d'épargner la vie de vos petits protégés, car à ce rythme-là, je vous garantis que dès demain, c'est toute la police de Séoul qui va les traquer. Et je ne donne pas cher de leur peau. Je vous recommande donc vivement de reconsidérer les choses à propos de votre sang d'or. »

    Yibo se prend le front entre les mains, dépité. La voie semble sans issue. Il n'est même plus question de s'approprier Zhan, le problème est désormais d'empêcher la diffusion de son identité, car, du moment où les vampires de gênes forts goûtent à un Sang D'or, la liqueur devient alors pour eux addictive et engendre des comportements obsessionnels incontrôlables. Dangereux. Et si, lui, en tant que prince, n'avait pas suivi l'éducation stricte que les êtres de son rang reçoivent dès leur plus tendre enfance, il aurait succombé depuis longtemps à la morsure – et l'aurait très probablement tué. Une fois les crocs plantés et le nectar savouré, tenter de s'arrêter revient à stopper un orgasme.

    Il se tire les cheveux et expire bruyamment. Que pourrait-il proposer d'autre à cette sorcière qui ne mettrait pas sa vie en péril ?

— Monsieur ?

La voix de Zhan, timide murmure, parvient à peine à ses oreilles.

— Hm. Qu'est-ce qu'il y a...

— Je... je désirerais dormir seul, cette nuit.

    L'amertume de Yibo grandit. Sa mâchoire se contracte. Il voudrait lui hurler dessus. Le châtier pour lui ôter définitivement l'envie de s'éloigner. Mais son cœur l'astreint à la bonté. Il grogne dans sa barbe, angoissé ; ce garçon est en train d'éveiller des sentiments oubliés depuis une décennie...

— Faites ce que vous voulez.

— Merci.

— Je vais m'absenter un moment.

    Nouveau bain de sang, pense Zhan. Il acquiesce, consterné, et s'en retourne à la seule chambre qu'il a occupé jusque-là.

— Je vous demanderai de ne pas bouger de la maison. La zone a beau être sous la surveillance régulière de deux hommes, on n'est jamais à l'abri de quoi que ce soit.

— Je le ferai.

    Yibo pose sur lui un regard soucieux tout en enfilant son cuir noir de motard, puis s'arrête dans le hall, son casque vert sous le bras.

— Ne faites rien d'imprudent, ou nous en paierons tous les deux le prix... lance-t-il avant de prendre la porte.

    Tous les deux ? Zhan hausse un sourcil perplexe.


    Près de la tour, perchée sur ses hauts talons, la rousse pulpeuse se tient à côté d'un érable en début de floraison. Yibo se dirige vers elle, le pas pressant.

— Wang Yibo, avez-vous...

— Je peux vous offrir trois de mes Sang Purs.

    Elle ouvre un regard stupéfait.

— Vous voulez dire trois poches ? Ou bien me fournir régulièrement avec...

— Non, je veux dire prendre trois Sangs Purs sur mes affaires personnelles et vous les donner.

— Oh ! Je vois... dit-elle, très sincèrement intéressée. Loin de moi l'idée de refuser, mais je suis au regret de vous dire que cela ne suffira pas à combler les dégâts que nos deux jeunes amis viennent d'occasionner. C'est toute la haine de la brigade qui doit être calmée.

    Elle lève les yeux au ciel et poursuit après un "aish" ennuyé.

— Je dois réussir à amadouer mon cher lieutenant après ce carnage, qui, lui, devra ensuite persuader cet excité de commissaire Kim qui, à son tour, devra convaincre ses blessés et leurs collègues d'abandonner leurs représailles...

    Yibo se frotte le visage. Les intermédiaires tuent les échanges, et depuis ce soir, trop de tiers extérieurs sont impliqués. L'esprit vengeur est le plus ingérable, et il vient de se répandre dans la police de Séoul tel une traînée de poudre.

— Vous comprenez mieux pourquoi le sang d'or est à présent primordial ? Si vous m'aviez proposé ces trois sangs purs dans l'après-midi, je vous avoue que... selon leurs apparences physiques et leurs « compétences », sourit-elle, salace, je n'y aurai pas réfléchi à deux fois, et Sungwoo n'aurait pas tenté de réguler votre frère... Mais tout ça ne dépend plus de moi.

— Donc, selon vous, je n'ai plus d'autre choix, c'est bien ça ?

— J'en ai bien peur. Des personnes influentes et puissantes doivent peser lourd dans la balance pour compenser la haine du commissariat et calmer les foudres. Et malheureusement pour vous, le prix vient de s'élever à deux litres par mois.

— Deux litres ?! Hors de question, une telle quantité l'affaiblirait bien trop !

— C'est le mieux que j'ai à vous proposer, vous m'en voyez navrée. D'autant plus que je ne profiterai pas vraiment de ces deux litres... geint-elle.

    Yibo se pince l'arête du nez. Il est acculé. S'il désire sauver les garçons, il devra mettre Zhan en danger - et il sait d'avance que cet obstiné n'hésitera pas une seule seconde à risquer vie pour les protéger.

    Il repart sans un mot en direction de sa moto, crispé. Un appel tardif fait trembler sa cuisse.

— Ji Li ? Tu n'es pas de garde au commissariat, ce soir ? dit-il en enfourchant sa Yamaha verte.

— Si, justement, et je dois t'informer de quelque chose qui risque fort de ne pas te plaire...

— Une nouvelle de plus ou de moins...

    L'adjoint grimace, les yeux rivés sur son écran d'ordinateur – ou plus précisément, sur la dernière personne à avoir tenté de fouiller dans le premier dossier classé confidentiel de leurs services.

    Yibo pose son casque sur ses genoux et prend une profonde inspiration.

— Je t'écoute.

— Quelqu'un de chez nous, un Chinois, a lancé une recherche sur toi à la demande de ton employé.

— ... Mon employé ?

— Oui, ton créateur, il me semble.

— Oh... Je vois.

    La déception fait mal.

— Ce qui me surprend le plus venant de toi, c'est que tu aies embauché un type comme lui...

— Comment ça « un type comme lui » ?

— Bah, un ancien flic...

    Le silence de Yibo est à la hauteur de son effondrement. L'information l'ébranle, effroyable. Abominable. Le choc renverse tout son être, anéantit et inhibe toute bienveillance pour ne plus laisser qu'une animosité sans nom.

— Wang Yibo ?

— Le service. La ville.

— Celui de Chongqing, à la crim'.

    Il raccroche. Une boule de nerfs lui cloue la gorge, sa déglutition en devient pénible. Jamais personne ne l'avait encore poussé à un tel stade de haine. Dents serrées, il enfile son casque et démarre en trombe, dans un fracas à l'image de sa rage. Tout scrupule vient de partir en fumée. La fureur injecte son poison vengeur dans ses veines ; destructrice.

— À nous deux, cher policier...


N/A

A quel point ça pue ? Vraiment. Zhan est dans la merde jusqu'au cou et il va bientôt tomber de haut (vous avec).

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