Chapitre 32
La chaleur humide de la salle de bain embue le miroir et fait suinter les murs carrelés. L'eau chaude emporte les traînées ensanglantées qui recouvrent son corps comme si ce moment n'avait jamais été. Mais le sang qui imprègne son esprit, lui, restera ancré dans son âme. Jungkook plante ses ongles dans ses paumes. Sa propre existence l'épuise.
Il ferme les yeux, le front posé contre la paroi tiède. La réalité est dure. Si sa conscience n'était pas quasi constamment en éveil, il n'aurait aucun mal à se croire possédé par un démon. Prendre son pied en mutilant des êtres humains comme un monstre sanguinaire... Même les animaux sauvages ne blessent ni ne tuent sans raison. Chaque fois que la dague s'enfonçait et ouvrait leurs chairs avec avarice, c'est un plaisir extrême qui déferlait dans ses veines.
Il contemple sa main crispée, encore tachée par l'horreur. La pression de sa poigne ferme autour du manche hante sa paume.
Le pire étant d'avoir imaginé s'en prendre à son amour. Il n'était plus qu'une marionnette imprévisible, une coquille vide dénuée de toute affection ou empathie, dissociée de tous liens. Seul son jeu macabre l'exaltait. Et s'il n'avait pas repris le contrôle, s'il avait massacré ces hommes, aurait-il fini par tuer Taehyung, à son tour ? Il tremble de la tête aux pieds, terrifié par la toxicité renfermée dans son esprit. Assister à sa propre folie est la sentence la plus terrible.
Son souffle se raccourcit, haché par les soubresauts des sanglots bloqués dans sa gorge. Son cœur s'emballe à nouveau ; il doit se calmer. Il ferme les yeux et lève le menton. La pluie de la douche frappe doucement son visage et emporte avec elle sa nervosité. Écarté du fil de l'eau, la brume tiède endort ses poumons.
Il voudrait s'oublier. Se supprimer pour ne plus risquer de blesser ; les voix auraient-elles donc raison, d'un certain côté ? Non, toute pensée qui sort du gouffre est à bannir. Que doit-il faire, alors ?
Les minutes s'écoulent dans la moiteur, un temps où son cerveau remet de l'ordre pour ne plus laisser que l'affliction. L'explication est difficile à admettre, mais le choix est inévitable. Il doit vivre les yeux grands ouverts, se confronter à la réalité. Regarder en face son passé. Se retourner sur son champ de ruines et accepter de prendre de plein fouet ce que lui réservera l'avenir.
Si J-Kay n'avait pas émergé pour le protéger, le gouffre ne serait jamais apparu et ne l'aurait pas vaincu. La solution est simple : son protecteur doit disparaître. Définitivement.
Sa gorge se serre. Les larmes montent. Une part de lui se déchire.
Le silence qui règne en son antre ne fait confirmer le bienfondé de la décision à prendre, si douloureuse. Se séparer de l'être qui l'a épargné tant de fois de la violence, l'a sauvé d'abus en tous genres ; celui qui a imposé une puissance qu'il n'aurait jamais crue sienne, dirigé sa vie d'une main de maître pour devenir quelqu'un de respecté, avec ses propres règles. L'être qui l'a préservé de la cruauté de ce monde en agissant (enfin) dans son seul intérêt, pour sa paix d'esprit, en rejetant sans scrupules ce qui pouvait le blesser et continuer à le détruire. Tout ce qu'a toujours désiré J-Kay n'était que le bien-être de Jungkook, car son bonheur était son unique raison d'exister.
Les larmes coulent à flots sur ses joues. Le deuil est inévitable. La tristesse qu'il ressent est comparable à celle qu'il aurait pu vivre s'il avait dû renier et quitter à jamais son unique parent. J-Kay était froid envers le monde, mais aimant envers lui.
Il était son défenseur. Son ange gardien.
Les sanglots font frémir ses lèvres pincées, difficiles à réprimer ; la perte est trop lourde. Il se laisse glisser vers le sol de la douche et tombe à genoux. Ses yeux se referment sur sa peine.
Entre deux pleurs étranglés, il susurre à son protecteur ses derniers mots.
— Tu vas me manquer... tellement me manquer...
Il se mord la lippe, la gorge nouée, pour ne laisser s'échapper aucune plainte. Sur sa bouche tremblante se murent ses adieux, arrachés du plus profond de son âme brisée.
— Merci... Merci pour tout...
Il se relève à peine, fébrile, lorsque la porte s'ouvre sur Taehyung, encore nu après sa précédente douche. Jungkook essuie ses joues de deux rapides revers de paume et se redresse, obligé d'écourter son recueillement. Il s'asperge d'eau fraîche et enfouit sa douleur au plus profond de son cœur pour dissimuler son tourment.
Un drap de bain sur l'épaule, il quitte la cabine de douche et aperçoit la tache de sang sur la clavicule dénudée de son ami.
— Tu m'as dit que tu n'avais rien ?! s'épouvante-t-il en se séchant en quatrième vitesse pour aller l'examiner. Pourquoi tu saignes alors que tu viens de te doucher ?
— C'est rien, ça m'a juste piqué.
— Et pourtant, tu saignes encore...
— Jungkook...
Le visage du fautif se décompose. Sa culpabilité alourdit sa peine. Taehyung le quittera bientôt, ce n'est plus qu'une question de temps. Il avait trouvé l'amour, son remède. L'unique présence dont il avait besoin. Sa douceur l'aidait à se remettre dans le droit chemin, à avancer, enfin. Lui qui le chérissait en acceptant ses particularités, sans le tourner en dérision, le fuir ou le maltraiter ; il l'aimait simplement, tel qu'il était. Kim Taehyung, ce garçon qui sortait du lot tant par sa sensibilité que par sa personnalité. Le complément irremplaçable qu'il attendait depuis toujours. Mais qui voudrait d'un fou ? Personne de censé sur cette Terre.
— Eh...
Tae prend son visage torturé entre ses mains, se soumettant lui-même au choc vécu à travers son regard. Il inspire pour retrouver son calme.
— Tu sais, si ton toi « fou » n'était pas apparu, à l'heure actuelle je serai mort. Est-ce que tu t'en rends compte ? Tu m'as peut-être éraflé, mais tu m'as surtout sauvé la vie...
— Et qui te dit que la prochaine fois...
— Il n'y aura pas de prochaine fois.
— Comment peux-tu dire ça ?
— Parce que tu es la personne la plus exceptionnelle, la plus intelligente et la plus forte mentalement que je connaisse, Jeon Jungkook.
Les paupières de Jungkook se ferment. Leurs fronts se collent l'un à l'autre.
— J'attendrai que tu veuilles me parler du gouffre, de ce que tu as vécu et de ce que tu vis encore lorsque tu te sentiras prêt. Je suis sûr que tu sais ce que tu dois faire pour devenir sain.
— Mais toi...
— Moi, je resterai là, à t'écouter quand tu en auras besoin. Prêt à t'offrir ma voix et mon réconfort.
Jungkook l'emprisonne entre ses bras humides.
— À quel point suis-je chanceux d'avoir rencontré un homme aussi merveilleux que toi... murmure-t-il en étranglant ses larmes.
— Tu as assez souffert comme ça, susurre Tae au bord de leurs bouches effleurées. Aujourd'hui, c'est à moi de prendre soin de toi.
— Dis-moi ce que je peux faire pour toi, en retour... Dis-le-moi, je t'en prie.
Les mains de Tae remontent lentement le long de ses pectoraux perlants jusqu'à ses trapèzes. Leurs souffles se caressent, leurs lèvres se cherchent et s'invitent, sans jamais s'unir, en quête de nouveaux désirs.
— Fais-moi l'amour toute la nuit. Fais-moi l'amour jusqu'à ce que mon esprit efface tout mauvais souvenir. Je ne veux plus penser qu'à toi en moi.
Dans la berline Allemande, seul le moteur ronronne. Sur la banquette arrière, Yibo tourne la tête vers Zhan et examine sa peine silencieuse ; la déception est gravée sur son visage. Une chose s'est brisée entre eux depuis l'assassinat du traître. Malgré tout, il ne regrette rien. L'acte était justifié, sa décision est incontestable.
L'Audi s'aventure sur le dock désert du port d'Incheon et s'arrête à dix mètres d'un groupe de cinq individus en noir. Yibo quitte le véhicule en chantonnant son glas de mort. Un nouveau meurtre – un de plus. La portière se referme. Zhan se précipite à la vitre pour observer la scène.
Son révolver à la main, Yibo se plante face à un homme bâillonné et encagoulé, maintenu à genoux sur le béton froid. Le captif tremble de tous ses membres ; son urine trempait son pantalon dès l'apparition de la voiture.
— Vous l'avez touché pour la dernière fois.
L'arme se lève, pointe contre le front du condamné, à travers le tissu. La déflagration retentit, la balle perfore son crâne. Le cadavre s'effondre aux pieds du Lion D'acier.
— Adieu, Monsieur Lee.
Rappel : Monsieur Lee, l'ancien producteur et agresseur de Taehyung.
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