Chapitre 30
Cinq hommes pénètrent dans le bureau de Yibo avec l'employé manquant à l'appel. Ils le bousculent sans ménagement et l'agenouillent au milieu de la pièce.
— Maître ! Pourquoi me faire venir de cette manière ? bafouille Tristan. Je ne...
Il s'interrompt dès l'instant où son regard croise celui de Zhan – debout près de leur supérieur – et le fixe. Yibo s'assombrit.
— C'était toi, n'est-ce pas ? déclare-t-il, glacial.
Tristan reporte son attention sur lui et réalise le type d'accusation qui pèse sur lui. La plus dangereuse. Et irréfutable.
— J-je peux vous dire tout ce que vous voulez sur elle ! Sur leurs plans, sur...
Le Lion D'acier se lève et contourne son bureau de verre, l'index glissant sur le fourreau de son épée. Sa bouche s'entrouvre, les notes sinistres abattent leur glas. Le traître devient livide. Dès lors que sa mélodie de mort retentit, toute parole est déjà vaine. Quand la lame quitte son écrin, Zhan croit halluciner. Son patron va-t-il réellement tuer l'un de ses employés ? de sang-froid ? Qu'a fait cet homme pour mériter un châtiment si impitoyable ? Il bondit, incapable de rester de marbre.
— Monsieur !
Tristan fige un regard ahuri, comme tout un chacun, sur celui qui ose interrompre le Lion D'acier. Lui imposer sa voix insignifiante. Mais cette fois, Yibo ne prête aucune attention aux jugements de ses subordonnés. Car il est le roi, en ces lieux. Et la puissance est libre, inébranlable. Elle règne. Unique maîtresse de sa propre destinée. Ce garçon doit être considéré comme l'exception en droit de transgresser la totale soumission.
Presque implorant, Zhan fait un pas en avant.
— Pourquoi tant de morts, Monsieur...
Tristan jette son dévolu sur Zhan.
— Il n'est pas celui que vous croyez ! Vous devez savoir !
La mélodie bourdonnée se termine en susurres sur les lèvres de Yibo.
— Just remain... senseless...
La lame tranche l'air, glisse sur la gorge du condamné et sectionne ses artères. Choqué, Zhan recule et se cogne contre le bord en verre trempé du bureau, une main à la bouche. Sous ses yeux écarquillés, l'homme se vide de son sang sur l'épais plastique d'un grand sac noir au fond duquel il se fait emprisonner. Les gardes traînent son cadavre hors de la pièce, la porte claque.
D'une nonchalance inqualifiable après son meurtre, Yibo essuie son épée avec un chiffon blanc avant de la ranger, puis se plante devant Zhan dont le visage vient de perdre toutes couleurs. Le genre d'effroi qui le fait trembler en ce moment est loin d'attiser son désir. Comment a-t-il pu s'égarer avec un être si sombre ?
— Quand j'ai tué sous votre nez ceux qui voulaient vous enlever, cela ne vous a pas gêné. Vous m'expliquez ?
— Pourquoi l'avoir assassiné ?
— C'était une taupe. Il a permis à ces types de s'introduire chez nous en trafiquant le système de sécurité.
Une réponse loin d'être satisfaisante au goût de Zhan, crispé de tous ses membres. Yibo élève une main douce à sa joue. Une tendresse aussitôt repoussée par son artiste.
— En quoi n'êtes-vous pas « celui que je crois » ?
— Ah, c'est donc ça qui tracasse votre jolie petite tête ? soupire Yibo en retentant une caresse.
Cette fois, Zhan chasse son poignet d'un geste bien plus sec.
— Peut-être que vous cherchiez surtout à l'empêcher de parler, rétorque-il en s'écartant froidement.
Piqué, le Lion D'acier le rattrape par le bras et le coince contre le verre trempé.
— Vous avez des privilèges qu'aucun être vivant n'a sur cette terre.
— En effet. Et je sais que ces privilèges sont trop précieux pour tirer leur origine d'une simple affection. Encore moins du sexe.
L'irritation transparaît sur le visage de Yibo.
— Vous avez raison. Peut-être devrais-je juste me servir de vous comme je le désire et vous jeter ensuite en pâture aux loups ? susurre-t-il en se rapprochant de ses lèvres. C'est ça que vous préférez ? Il suffit de le dire et je vous rends votre liberté vers la mort.
Zhan le rejette fermement et lui lance un regard noir. Ses poings se serrent. Comment a-t-il pu se laisser duper ? s'abandonner dans le lit de ce monstre ? Cette idée le révolte contre lui-même. La seule personne auprès de laquelle il commençait à lâcher prise, en qui il envisageait de mettre sa confiance et de se livrer est le diable incarné.
— Vous aussi, vous avez un intérêt à me garder. Vous ne valez pas mieux qu'eux.
— N'allez pas trop loin, Xiao Zhan.
Meurtri au plus haut point, Zhan le bouscule à nouveau.
— Comment ai-je pu croire à vos belles paroles, cette nuit ?! Comment ai-je pu me sentir en sécurité dans vos bras ?!
Quand les yeux de Zhan lancent des éclairs, ceux de Yibo perdent leurs flammes hostiles. En sécurité. Sans en demander l'autorisation, il le capture entre ses bras et l'enserre avec force contre lui.
— Parce que je veux que vous le soyez.
Cette déclaration interrompt la fureur de Zhan qui, au bord de la crise de nerfs, reste bouche bée. Incapable, malgré sa rancœur, de libérer ses foudres. La chaleur de son corps l'apaise, son parfum anesthésie sa rage. Brutale tendresse. Le cœur lourd et les lèvres tremblantes, il repousse son supérieur sans conviction, dans le but de manifester son désaccord face à ce chaos de violence. Cette situation, il ne l'a jamais désirée. Ses yeux finissent par se fermer au creux de son épaule. Toute lutte est vaine, à présent. Tout espoir les concernant, également.
— La seule et plus grande vérité dans cette histoire est que je ne veux pas vous faire de mal, murmure Yibo dans sa nuque. Même si vous ne me croyez plus...
Sous le clair de lune, à l'entrée d'une épicerie, Taehyung s'adosse contre un mur. Il pince un petit sourire rêveur. Pourquoi a-t-il tant de difficulté à affirmer sa relation avec Jungkook ? Bien que son cœur brûle pour lui et qu'il se sente bien en sa présence, tout ce qui se produit autour de sa personnalité le trouble. Il a cette impression de ne jamais pouvoir se créer de certitudes, de fréquenter un homme qui, la minute d'après, peut en être un autre.
Il lève les yeux au ciel. L'esquisse céleste est quasi invisible, en pleine ville. Un instant, son esprit s'égare pour s'échapper ailleurs, vers une vie où tout serait plus facile. Une existence simple à vivre, où l'évasion ne serait pas qu'une utopie destinée aux rêves.
Il soupire. S'il ne s'engageait pas avec Jungkook par peur ou manque de stabilité, serait-il un lâche ? Certainement. Mais de quel soutien pourrait-il être en ne connaissant rien à ce genre de problèmes ? Lui qui s'est toujours senti étranger à ce monde sans couleurs, maintenant qu'il découvre enfin leur beauté, elles paraissent bien plus complexes à admirer qu'il ne l'imaginait. Sans doute sa vision de la vie n'était-elle qu'une simple illusion d'artiste à la recherche d'un autre univers. D'une bulle d'émotions à l'arc-en-ciel bien réel, palpable sous toutes ses teintes. La quête d'une âme à la poursuite de sa propre singularité.
— J'ai pris à grignoter pour deux jours, déclare Jungkook en examinant ses sacs à la sortie de l'épicerie. J'espère que...
La rêverie éclate. Taehyung se retourne vers lui. Et si tout ce qu'il cherchait se trouvait sous son nez ? Si son bonheur était justement dans la complexité d'un être hors du commun ?
— Hyung ?
Tae se dirige vers lui et effleure son visage des deux mains avec une infinie délicatesse, comme s'il ouvrait les yeux sur son amour pour la deuxième fois.
— Je suis désolé de ne pas être assez qualifié pour te comprendre ou t'apporter mon aide... susurre-t-il d'une voix chagrine.
Jungkook dépose ses provisions au sol et capture sa nuque.
— Tu es celui qui a réussi à briser ma folie et à m'extirper de mon tourment. Tu n'es pas qualifié, c'est vrai, tu es mieux que ça. Tu es mon remède.
Le cœur de Taehyung se réchauffe. Il cueille ses lèvres au creux des siennes et enroule ses bras autour de son cou. Peu importe la raison, le doute et les craintes. Le dessin de leur bonheur est unique par ses mille et une fresques.
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