Chapitre 2
TIC TAC
La porte grincera bientôt.
TIC TAC
TIC TAC
TIC TAC
— Kookie !
En sursaut, Jungkook s'éveille. Ses yeux embués se posent sur son colocataire, assis au bord de son lit. Après avoir essuyé ses larmes, il découvre plus nettement le visage soucieux de son aîné.
— Quelle heure, Hyung...
— Midi. Il était l'heure de te réveiller, de toute manière, déclare Zhan en finissant de sécher ses joues humides d'un revers de pouce paternel.
Il ébouriffe sa tignasse puis se lève.
— Je dois me rendre à...
— Hyung.
Au regard entendu que Jungkook lui lance, il sait d'avance que le temps est venu de céder. Il soupire. Mais acquiesce. Reste à espérer que son passé demeurera sous scellés.
Dans l'immeuble voisin au club, Taehyung tourne en rond dans son salon, face à son ami de longue date. L'aménagement et la décoration des lieux oscillent entre exubérance et sensibilité, à l'image de son propriétaire, unique en son genre. Véritable loft d'artiste incompris. Les bras reposant sur le large canapé, Wang Yibo contemple ses allées-venues méditatives avec son flegme légendaire.
— Si j'ai bien saisi, tu veux que je te trouve un homme ultra-compétent, dès aujourd'hui, et de confiance ?
— Hm.
— Tu m'as pris pour le Christ, Hyung ?
— Vu tout ce que je fais pour toi depuis toutes ces années, tu devrais déjà en être rendu au rang de Dieu, mon grand.
Taehyung lâche un pouffement, puis le nom de la personne parfaite lui traverse l'esprit. Il brandit son index dans le vide.
— J'ai ! Le mec idéal et de confiance – il a bossé en banque. Calme, facile à vivre et très travailleur. Il y a quelques semaines, je l'ai pris pour un remplacement de jour, en terrasse, avant de le mettre à l'intérieur pour la nuit. Mais l'ambiance nocturne... c'est pas vraiment son fort, ricane-t-il.
— Et qui c'est, ce type ?
— Xiao Zhan, le coloc' de Jungkook.
— Ha ! Ton serveur ?
Son ton narquois, piquant son homophobie – intolérance plus amusante pour Yibo qu'autre chose –, pousse Tae à croiser les bras, le sourcil relevé.
— Yah ! Tu veux que je t'aide ou tu comptes parler de choses désagréables ?!
— Aiyo... Et on critique mon sale caractère... soupire Yibo en se levant. Bon, envoie-moi ta connaissance. Je le recevrai en personne.
— Par contre, sois gentil avec lui, Hyung. C'est un mec vraiment bien, lui. Pas comme toi.
Petit rire de l'accusé. Ce garçon est bien le seul à se permettre de telles familiarités avec lui. Même ses subordonnés ne le fixent jamais bien longtemps dans les yeux. Une proximité due au jeune âge que Taehyung avait, lorsque leur amitié fraternelle a pris son envol.
Il secoue la tête et fourre ses mains dans les poches tout en se dirigeant vers la porte.
— Ne t'inquiète pas, j'ai besoin de ses talents. Je ne vais pas le manger. Du moins, pas tout de suite.
— Aish... Hyung, tu es le seul mec comme toi que je tolère, dit-il en sous-entendant les gays. Ne me fais pas regretter...
Déjà happé par son imagination débordante, il frotte son visage pour écarter les pensées charnelles qui se présentent à son esprit et l'écœurent. Yibo s'arrête dans l'encadrement de la porte, grand par sa glaciale superbe.
— Kim Taehyung, il n'y a pas de « mecs comme moi ».
Face à la devanture de la bijouterie de luxe, Zhan se sent tout à coup moins serein. Quatre hommes en noir entourent l'entrée, prêts à charger au moindre geste qu'ils jugeraient suspect. À peine a-t-il franchi la porte vitrée que de nouveaux gardes le rejoignent afin de l'escorter. Les lieux sont grandioses, plus semblables au salon d'un marquis scandinave qu'à une boutique. Seules quelques rangées de vitrines isolées exposent quelques parures à la lueur étincelante des lustres en cristal, pierres précieuses et montres aussi luxueuses que le petit palace qui les loge. Réparties dans l'espace, elles décorent la salle comme si elles n'étaient que des trophées, œuvres d'art exhibées. Le coin salon attire l'attention du nouveau venu avec ses fauteuils en cuir noir et ce mobilier baroque à l'obscure élégance. Entre ses murs pourpres, dans cette atmosphère bien singulière, on se croirait dans l'antre d'un...
— Monsieur, veuillez nous suivre.
L'arrivée dans l'ascenseur miroitant coupe court à la rêverie. À présent, c'est dans le bureau de Michael Corleone qu'il a l'impression de se rendre. Au moment où la porte de son futur employeur s'ouvre, il a déjà oublié le poste pour lequel il se présente. Il doit reprendre ses esprits et se concentrer, veiller à ne pas commettre une inattention qui lui vaudrait des questions sur son passé en Chine.
Les gardes se retirent et le « parrain » se retourne pour lui faire face. Zhan ne peut cacher sa surprise lorsqu'il découvre ses traits fins, sa beauté juvénile. Ainsi, c'est ce garçon qui se trouve être le patron de cette... quoi déjà ? bijouterie ? Il semble tout droit sorti d'un groupe d'idoles. En fait, tout ici paraît étrange. Son regard acéré, par contre, ne laisse aucun doute à la supériorité de son rang.
— Monsieur Xiao.
— Monsieur Wang, merci de me recevoir...
Dès lors qu'il fait ses premiers pas vers son potentiel créateur, Yibo se fait happer par son aura. Douce, sucrée. Terriblement envoûtante. Il en perd sa contenance, le temps d'un instant. Ou plutôt, pendant toute la durée de l'entretien, pour être honnête. Bien que Zhan expose ses compétences artistiques et son expérience en banque, il ne remarque rien de ce qui se trame dans l'esprit de son futur employeur, trop occupé à dissimuler sa propre nervosité.
— Ahem... Je me doutais que je n'aurais pas été à la hauteur, murmure-t-il avec une moue embarrassée. Avec une image telle que la vôtre, je comprends que vous cherchiez quelqu'un d'extrêmement qualifié et...
— Très bien. Vous commencez dès demain.
— Que... je vous demande pardon ?
— Je vais vous montrer votre bureau, déclare Yibo en ouvrant la porte. Suivez-moi.
Décontenancé, Zhan retourne dans l'ascenseur avec son nouveau patron, sans un mot. Comment se fait-il qu'il ait l'impression de ne pas avoir été choisi pour son CV (qui, de toute manière, n'aurait séduit aucun homme riche de sa trempe) ? Tous les mérites reviennent-ils à Taehyung et son coup de piston ? Cela resterait tout de même un peu tiré par les cheveux.
— Sachez que tout cet étage vous est interdit, monsieur Xiao. Aujourd'hui est l'exception.
Interdit ? En levant les yeux au plafond de l'ascenseur, Zhan découvre la petite caméra qui les filme. Il déglutit. Si ce n'est pas le parrain, Wang Yibo n'est pas non plus le simple directeur d'une bijouterie de luxe. Ou alors, il est du genre paranoïaque. Mais qu'importe, il ne peut pas se permettre d'y réfléchir à deux fois, en ces temps difficiles. Avec cet homme, le salaire sera généreux. Assez pour pouvoir offrir à Jungkook un logement plus confortable que leur actuel studio. Il prendra soin de son petit frère de cœur, jusqu'à ce qu'il prenne son envol. Et quand bien même quelqu'un le remplacerait d'une manière plus profonde, il gardera toujours un œil sur lui. Car cette société n'accepte pas la différence, n'est pas faite pour ceux qui ne se conforment pas. La normalité n'est qu'un pâle dégradé de noir et blanc. Les couleurs ne font pas partie de leur paysage.
Six ans avant, Séoul.
Dans la grande avenue, un adolescent court à en perdre haleine. Fuit le rejet. Au recoin d'une rue, il se réfugie derrière une benne. Ses blessures encore fraîches se rouvriront dans quelques minutes, il le sait. Eux le savent aussi. Un jour, peut-être, lui offriront-ils la paix qu'il mérite. Son existence n'est que lutte et survie. À quoi bon persister ? se convaincre de ce qui ne peut arriver ?
— Jeon ! Viens là, sale barjo !
Jungkook se plaque contre un mur. Il aimerait que sa part de folie le rattrape, en ce moment. Les réduise tous en miettes, dans un bain de sang. Leurs silhouettes noires se dessinent sur le bitume. La suite est bien connue ; un refrain appris par cœur. Inévitable. Cette rengaine sordide lui collera toujours à la peau. Pourquoi ne parvient-il pas à se libérer ?
La pluie de coups s'abat sur ses côtes, sur ses reins, son dos roulé en boule. Les craquements sont familiers, mais ils n'en restent pas moins atroces. Un jour, l'un d'entre eux lui perforera à coup sûr un poumon. Supporter. Encore une fois. Attendre que la tempête s'apaise ; elle ne dure jamais plus de quelques minutes. Ensuite viendra le calme d'une lente agonie, tant physique que morale. Celle du corps l'emporte sur la psychologique, parfois, et ce n'est pas plus mal. Son esprit a perdu toute cohérence. Un coup dans le visage, asséné entre ses mains écorchées, lui arrache un cri plus strident. Tout ce sang qui se trouve sur ses paumes...
Une voix retentit, les pieds cessent de s'acharner. En retirant ses doigts, Jungkook découvre celui qui vient de mettre sa tempête sur pause. Un garçon, grand et fin. Il ne fera pas le poids face à ses oppresseurs, c'est certain. Les oreilles bourdonnantes, Jungkook discerne mal les mots – menaces – qui sont échangés, mais il se doute que cet homme perd son temps. Pourquoi risquer sa vie pour un être misérable qui ne désire lui-même plus que la paix ?
Un premier tyran se fait projeter à terre, non loin de lui. Un second embrasse la benne de plein fouet et s'ensuit le troisième, étalé sur le bitume, la peau déchirée par sa rugosité. Comment ? Comment est-ce possible ? Si ses douleurs ne lui cisaillaient pas tout le corps, il pourrait presque croire qu'il s'en est allé au ciel.
Suffisante à leur goût, la raclée fait détaler le groupe, pris au dépourvu. Aujourd'hui, on l'a libéré. Aujourd'hui, il connaîtra moins de souffrance. Pour autant, l'espoir ne doit trouver aucune place, pas même une bribe. Jamais. Car il est ce qui anéantit toute volonté, une fois qu'il s'envole ; et il finit toujours par s'envoler...
Le garçon s'agenouille devant lui et redresse sa tête tout en appelant les secours. Après avoir raccroché, un rayon solaire du couchant pénètre dans la pénombre de la ruelle et éclaire le visage de son sauveur. La délicatesse de ses traits graciles, la douceur de ses gestes et la caresse de sa voix chantante... Jungkook n'arrive pas à croire que quelqu'un de sa carrure ait mis en fuite ses tyrans.
— Comment t'appelles-tu ?
— Jungkook... Jeon Jungkook.
— Jungkook...
L'inconnu lui renvoie un sourire qui le berce par sa seule tendresse. Jamais il n'en avait rencontré d'aussi merveilleux.
— Je m'appelle Xiao Zhan, lui murmure-t-il. Ne t'inquiète pas, ça va aller.
Les paupières de Jungkook battent lentement. Nouvel espoir, brise apaisante ; éphémère. Cet homme ne connaît pas sa réalité.
— Laissez-moi ici... susurre-t-il, à bout de souffle.
— Où sont tes parents ?
— Je n'ai pas de famille.
La bouche de Zhan s'entrouvre, sa gorge se noue. Cette perte, il ne l'imagine que trop bien.
— S'il vous plaît, partez. Ça ne s'arrêtera jamais... Demain, et encore après-demain...
Jungkook soupire, les yeux brumeux.
— Je ne peux plus continuer... lâche-t-il dans un sanglot épuisé. Je ne peux plus...
Zhan pose sur lui un regard douloureux, puis prend sa main ensanglantée dans la sienne. Son assurance met un terme à tout espoir.
— Ça s'arrête, dès aujourd'hui. Jungkook, je suis policier. Tu ne seras plus seul à présent.
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N/A
Armys, il me tarde d'avoir vos impressions...! (.❛ ᴗ ❛.)
PS: photos rajoutées par pur plaisir (le visuel est sympa pour un crossover à deux couples!)
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