Chapitre 19

    Bâillonnés et menottés, les deux captifs se retrouvent dans une salle aussi froide que celles d'interrogatoire (si elle n'était pas si grande, avec un sol à la crasse douteuse).

    Les yeux de Zhan sont couverts, à l'instar de ses oreilles. En plus d'être aveugle, sourd et muselé, il est incapable de bouger sur sa chaise ; l'angoisse est à son paroxysme. Il tremble de tous ses membres, larmoyant. Sa mort se présente, imminente, et la douceur ne sera pas au rendez-vous.

    Dès que Taehyung ouvre les yeux, il découvre une bande d'hommes en noir dont trois d'entre eux font partie de l'équipe du Local. Un espoir l'anime. En le voyant s'agiter sur sa chaise, Lee Sungwoo, le meneur, lui retire son bâillon. Une plaque d'or pend à sa ceinture – un policier ?

— Je suis avec eux ! Putain, je suis avec eux !

— Rectification, tu les as fournis et tu t'es fait gauler. Au bout si peu de temps. Ha ! t'as merdé grave.

    L'américain est là, près d'une table où il récolte les billets de son dernier don, tout juste achevé. Sa mine réjouie enflamme Tae. Il rêve de l'étriper.

— Monsieur John Abrahams, s'exclame Sungwoo.

— Oui ? se ravit le traître.

— Merci pour votre collaboration.

    Il porte une main à son arme, l'instant d'après, une balle perfore le front de l'informateur ; John s'écroule, les yeux exorbités par la mort. Le coup de feu résonne encore dans la salle, suffisamment fort pour que Zhan l'entende et s'en affole.

    En s'apercevant enfin de sa présence, Taehyung se tourne vers lui. Et se décompose.

— Non ! Pas lui ! Il n'a rien à voir là-dedans ! Il ne sait pas ce que nous faisons ni qui nous sommes ! Il ne sait rien !

— Et pourtant, c'est vers lui que tu es allé, non ? Tu es donc plus stupide que je le pensais. Ou juste inconscient.

    Oui, c'est ce qu'il est. Un inconscient stupide. Hyunsuk l'avait mis en garde.

    Il se mord la lèvre, aussi enragé par ces hommes que par ses propres erreurs. Ses actes vont coûter la vie à son ami.

— S'il vous plaît, je vous le jure, je suis le seul coupable !

    Entre deux supplications, les murmures du groupe parviennent à ses oreilles. J-Kay. Il parle de lui... « Le barman qui l'a aidé à s'échapper ».

— Non ! J-Kay non plus, il ne sait rien !

    Sungwoo se dirige vers lui d'un pas ferme et le corrige d'un poing dans la joue.

— Continue à te foutre de nous et je te jure qu'on ne va pas seulement buter tes amis, mais bien les faire souffrir avant !

    Les yeux de Tae se bordent de larmes. Ses désirs de grandeurs viennent de condamner deux vies.

— Celui-là, piquez-le. On le jettera après.

— Pitié ! Laissez-moi au moins lui dire pardon, je vous en prie !

— Tu vas avoir tout le loisir de le faire pendant qu'on le videra de son sang. Il ne mourra pas dans d'atroces souffrances. Satisfait ? Par contre, l'autre vicieux s'est bien foutu de nous. Je m'en occuperai personnellement.

    A l'instant où l'aiguille pique le bras de Zhan, il hurle et se débat sur sa chaise jusqu'à la faire basculer. Las de cette agitation, Sungwoo le repositionne droit et lui rend ses sens.

    La terreur s'empare de Zhan dès qu'il retrouve la vue. Ce hangar sinistre, tous ces hommes armés, cette seringue...

— Hyung !

Il tourne la tête vers Taehyung.

— Tae ! P-pourquoi on est là !?

— Hyung, si tu savais comme je suis désolé ! sanglote le fautif. Pardonne-moi, je t'en prie pardonne-moi... !

— On en a assez attendu, reprend le meneur en se penchant vers le bras de Zhan. Maintenant que...

    En se rapprochant de la goutte de sang qui perle au creux de son coude, Sungwoo se pétrifie. Un parfum délicieux parvient à ses narines. Un effluve que chaque vampire de sang fort comprend et ressent comme la promesse d'une extase, révélée du plus profond de ses entrailles. L'émerveillement le fait frémir. Son expression change du tout au tout. Il fige un regard stupéfait sur son prisonnier.

— Qu'est-ce qu'il y a ? l'interroge un type du local en avançant vers eux.

    D'abord, sa bouche s'entrouvre, les ordres doivent être mis à jour : le Sang D'or restera en vie pour être livré à des personnes haut placées. Puis, son instinct prend le dessus, lui inculque une nouvelle priorité. Ce garçon – véritable trésor – doit devenir sa possession. N'être qu'à lui. Il en salive d'avance. Enfin ! Le rêve partagé par toute sa communauté se trouve entre ses mains. Il vient de découvrir son Graal.

— Monsieur ?

— Non ! s'écrie-t-il en se redressant en urgence. Celui-là, on le garde pour plus tard.

    Les autres se regardent, perplexes. Bien vite soupçonneux, les trois vampires du Local s'avancent vers lui, les doigts près de la gâchette.

— Pourquoi « plus tard » ? Vas-y, explique-toi, lieutenant...

    Zhan demeure interdit. Lieutenant ? Cette ville est bien plus gangrénée qu'il ne l'avait imaginé. Plus vif qu'eux, le nommé dégaine son arme et la pointe en leur direction.

— N'oubliez pas qui je suis, vermine. Prenez vos poches et foutez-moi le champ.

    Un crachat provocateur au sol puis les vampires tournent les talons, contraints d'obéir à celui qui entretient leur couverture.

— Bien. Finissons-en, Kim Taehyung, s'exclame Sungwoo en déviant son révolver vers lui.

    Paniqué, Tae balbutie.

— Si vous me tuez, Wang Yibo viendra pour vous !

    Zhan relève la tête. Quel lien son patron a-t-il avec ces gens-là ?

    La main du militaire s'abaisse.

— Qu'est-ce que tu dis... ?

— Wang Yibo, lui et moi sommes proches.

— ... Toi ?! Tu es intime avec le Lion D'acier ?

    Il ricane.

— Tu manques pas de culot, sérieux. Si tu avais été ami avec le Lion D'acier, pourquoi prendre des risques en collaborant avec Hyunsuk ?

    Tae détourne un regard honteux.

— Je ne lui ai rien dit car je voulais faire mes preuves avant...

— Ha ! ça, des preuves de ton incompétence, tu en as fait de belles. Mais c'est bizarre, je ne te crois toujours pas, dit-il en levant à nouveau son bras.

— Vérifiez par vous-même. Prenez mon téléphone et demandez-lui.

    Cette fois, Sungwoo s'interroge. Par prudence, il range son arme et attrape son iPhone dans la poche de son captif. Le surnom affectueux que porte Yibo dans son répertoire le met déjà en tension.

    L'appelé décroche à la deuxième tonalité.

— Qu'est-ce que tu veux, Tae...

— Bonsoir, Lion D'acier.

— ... Qui êtes-vous ?

— C'est Lee Sungwoo.

    Yibo abandonne son ordinateur portable et bondit de son canapé. Un instant lui suffit pour comprendre. Il réprime un soupir agacé.

— Qu'est-ce qu'il a fait...

    Sungwoo sourit et s'éloigne de ses prisonniers pour mieux jouir de sa conversation.

— Il s'est fait prendre. J'ai l'impression que tu n'étais pas si ignorant que ça ?

— Il n'y a que cet idiot pour penser que je ne serai pas au courant de tout ce qu'il se trame dans mon propre milieu. Bien sûr que je savais.

— Donc, tu sais aussi ce qu'il doit arriver, tu connais les règles mieux que personne...

    Les yeux de Yibo se ferment fort. Il se pince l'arête du nez.

— Passe-le-moi.

    Sungwoo s'en va plaquer le téléphone à l'oreille de Taehyung.

— Hyung !

— Taehyung, écoute-moi très attentivement.

— Ils ont Zhan aussi ! Il est avec moi !

    Le visage de Yibo perd ses couleurs. Le portable se retire aussitôt.

— Hyung ! Hyung !

    Les sourcils du lieutenant se froncent. Il pose un regard contrarié sur le sang d'or. Si le Lion D'acier est également proche de lui... Non, il refuse que son petit bijou lui soit confisqué.

— Lee Sungwoo, si tu touches un cheveu de Xiao Zhan, je m'assurerai de te saigner de mes propres mains.

— Je vois... Un trésor que je ne suis pas seul à avoir découvert, pouffe-t-il, sarcastique.

    La frustration le ronge. Mais sa survie est la plus importante. Même s'il s'enfuyait avec ce garçon, si ce n'est pas Yibo, c'est son père qui le traquerait à travers le globe. Et mieux vaut ne pas avoir le diable aux trousses.

    Il fixe l'objet de sa convoitise avec avidité. Ses lèvres étirent un rictus mauvais. Sa revanche, il l'aura.

— Lee Sungwoo !

— C'est bon, je ne lui ferai rien. Et je suppose que Tae est sous ta responsabilité...

— En effet.

— Tu sais que tu vas devoir payer à sa place ?

— Je sais. Mais comme tu le dis, c'est moi qui suis à l'origine de ces règles. Et je décide que tu les relâches tous les deux. Sans les toucher.

— Sans les toucher... Mmh...

    Il grimace, taquin. S'il ne peut pas avoir le sang d'or, il ne compte pas se gêner pour s'en servir.

— Fais très attention...

— Wang Yibo, tu connais la raison pour laquelle je ne peux pas t'obéir, dit-il en dévorant son prisonnier d'un regard cupide. Considérons ça comme le laissez-passer de Kim Taehyung pour aujourd'hui.

— Lee Sungwoo !

— Tu les trouveras à Mapo-Gu, dit-il en souriant. À très vite...

    La tonalité crache son insolence aux oreilles de Yibo. Ses doigts compriment le téléphone à en fissurer le bord de l'écran. Il enfile un long cuir noir à l'arraché, attrape son casque de moto et fourre son Taurus Raging Bull à sa ceinture avant de se ruer dehors.

— Jooin ! Doyun ! Jiwook ! On décolle, sur-le-champ !

   

    Sungwoo s'accroupit devant Taehyung en hochant la tête.

— Bien joué. Mais ne crois pas que c'est terminé. Chez nous, toute dette se règle un jour. D'une manière ou d'une autre.

    Après l'avoir détaché, il le projette au sol. Les révolvers se braquent aussitôt en sa direction pour le maintenir à terre. Tae baisse les yeux, le ventre noué. En voyant le chef récupérer sa seringue et une poche translucide, Zhan se crispe à nouveau.

— Qu'est-ce que vous faites ?!

— Je vais juste te prélever un peu de sang, rien de plus.

— Du sang ? Pourquoi ?!

— Si je te le disais, je devrais te tuer, toi aussi. C'est ce que tu veux ? Non. Alors, reste tranquille.

— Hyung... murmure Tae sous sa frange de cheveux. Je suis si désolé...

— C'est bon, Taehyung. Tout va bien...

    Zhan prend de profondes inspirations pour se calmer. En réalité, non, tout ne va pas bien. Il est effrayé. La première poche, bien trop lourde à son goût, se remplit vite. Puis la seconde est reliée au tuyau pour connaître le même sort. Son cœur commence à s'accélérer, sa tête tourne.

— Eh ! Vous lui en retirez trop !

— Je lui laisse quatre litres, ça sera suffisant.

— Quatre litres ?! Vous êtes dingues !?

— Tu la fermes ! Son sang est plus précieux que ta putain de vie.

— Quoi ?

    Le changement de comportement du lieutenant revient en mémoire de Tae. C'est lorsqu'il s'est attardé sur le bras de Zhan que ses ordres ont brusquement évolué. Quelle raison aurait pu le pousser à menacer ses collaborateurs et à vouloir garder un donneur témoin de l'envers du décor ? à désobéir au Lion D'acier pour lui dérober son sang ? Il lève les yeux et fixe son hyung avec un air halluciné. Un sang d'or... Il ne peut y croire.

    En voyant les paupières de son ami battre avec une dangereuse lenteur, son corps s'affaisser, Tae tire à nouveau la sonnette d'alarme.

— Vous voulez que Wang Yibo le retrouve dans le coma ?! S'il a des séquelles, il va vous...

    Une pensée l'illumine. À présent, il en est certain, Yibo est au courant. Voilà donc la raison à son comportement anormal, le pourquoi à toutes ces précautions envers son dessinateur...

— Le Lion D'acier ne dérogera pas à la règle. S'il le fait, le système sautera. Et si le système coréen saute, les conséquences les plus graves seront pour lui.

— Tae... ça va aller...

    La tête de Zhan finit par retomber, inerte.

— Ça suffit ! Vous avez trois poches ! Vous dépassez la limite !

    Sungwoo se fait violence pour ne pas en retirer davantage. Il en va de sa propre vie. Cependant, le désir qui le consume en ce moment est plus fort que n'importe quelle prudence. Il devrait s'en aller avant que le Lion D'acier n'arrive... mais l'envie est trop intense. Sa raison le quitte.

— Embarquez ça dans le fourgon et partez, vite. Vous trois, vous restez avec moi.

    Il ne peut résister, son aura précieuse a déjà embaumé son esprit. Le magnétise. Il déboutonne la chemise de nuit claire de Zhan en se mordant la lèvre et la fait glisser sur son bras pour dénuder son épaule.

— Vous allez le tuer !

— Je veux juste goûter...

— Non ! Vous ne pourrez pas vous arrêter ! Vous le savez, vous ne pourrez pas ! hurle Tae en se débattant.

— Je dois le goûter...

    La porte de la grande salle se fracasse contre le mur. Dans l'encadrement, un motard apparaît. Il ôte son casque vert électrique et dévoile son regard noir.

— Lee Sungwoo !

    Hors de raison et les pupilles dilatées, le vampire – qui n'a plus rien d'un humain – s'agrippe à sa proie comme un animal en protection de sa ressource.

— Tu n'as pas le droit de l'avoir que pour toi, Wang Yibo... souffle-t-il, venimeux.

    Yibo brandit son Magnum sur lui.

— Si tu le mords, je te tire une balle.

    Hypnotisé, le militaire fige son regard brûlant sur le cou alléchant de Zhan. Sa bouche s'approche, attirée comme un aimant.

— Je ne peux pas te le laisser...

    Alors que ses canines s'apprêtent à se planter, une balle se plante dans son épaule. La douleur le fait revenir à la réalité. Le temps de cligner des yeux, le Lion D'acier fond déjà sur lui. Yibo lève le poing et fracture son nez, ses pommettes. Les hommes libèrent Tae (qui s'empresse de libérer les poignets son hyung) afin de secourir leur supérieur. La main serrée de Yibo s'arrête en l'air, tremblante. S'il tuait ce salaud, il s'attirerait de graves ennuis. À contrecœur, il abandonne le militaire, et écrase son pied dans sa cage thoracique. Faible créature, comme la plupart des sangs forts le sont. Avant d'autoriser le quatuor à partir, il s'approche de l'oreille du blessé.

— Si tu t'en prends à quelqu'un que je protège, je te couperai une main. Si tu approches à nouveau de Kim Taehyung, je te couperai les deux jambes. Si tu t'en prends à Xiao Zhan, je retirerai la peau de ton corps lamelle par lamelle et laisserai les rats se nourrir de ta chair.

    Le groupe décampe, leur lieutenant au faciès boursouflé sur les épaules.

— Hyung ! s'affole Tae en maintenant le visage ballant de Zhan entre ses mains.

    Yibo se jette à ses pieds.

— Ils lui ont fait quoi ?

— Il... il lui a pris du sang. Beaucoup de sang...

— Combien ?

— Je pense... trente pour cent.

    Les yeux de Yibo s'agrandissent. La situation est grave.

— Qu'est-ce qu'on fait ?

— ... Je l'emmène.

— Et... Hyung... Jungkook m'a sauvé la vie, ce soir, bafouille Tae. Et ces types, maintenant ils le connaissent.

    Le silence irrité de Yibo en dit long sur son exaspération. Mais il est bien le seul à savoir que, malgré son tempérament acerbe et tranchant, son aîné ne laissera pas des humains innocents essuyer les dommages collatéraux des guerres qui se disputent dans l'ombre. Subir les fautes d'un seul homme. Il se retourne, anxieux.

— Où sont tes gars ?

— Je suis venu en moto pour arriver au plus vite. Ils ne devraient pas tard...

— Maître Wang !

    Les trois gardes du corps pénètrent en trombe dans la salle. Yibo soulève Zhan dans ses bras.

— Prends ma Yamaha et va chercher ton ami. Moi, je monte en voiture.

— On se retrouve où ?

— Chez moi. Et Tae, si tu oublies de bander les yeux à Jungkook pour le trajet, c'est à toi que je finirai par couper un doigt.

    Sur la banquette arrière de la berline, Yibo allonge son protégé et pose sa tête sur ses cuisses avec délicatesse. Sa peau est glacée, son rythme cardiaque trop élevé. Il applique une main chaude contre sa joue, inquiet. Son cœur aussi bat la chamade, pour une raison différente ; l'angoisse le ronge.

— Réveille-toi, s'il te plaît... tu dois te réveiller... murmure-t-il en glissant ses doigts dans ses cheveux, sur son front.

    Sa chemise de soie ouverte de moitié dévoile la douceur de sa poitrine opaline. Yibo en referme les boutons, la rage au ventre. En plus de son anxiété, l'idée qu'un autre vampire ait pu l'approcher accroît sa haine. Un autre homme tout court, en réalité. Il retire son cuir et l'étend sur son corps. Son sang précieux n'est pas l'unique raison pour laquelle il tient à préserver ce garçon. Sa douceur, sa bonté, son sourire, sa pureté, sa candeur...

    Il le veut pour lui seul. Tout entier.

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