Chapitre 16
Zhan se fait projeter à terre par les hommes. A quatre pattes au sol, il regarde dans l'angoisse les chaussures cirées de son patron, en train de le contourner. Il déglutit. Yibo laisse traîner un doigt sur l'étui de son sabre. L'effet escompté est immédiat. Son employé tremble de tous ses membres.
— Sortez.
Les trois vigiles referment derrière eux.
— Relevez-vous. Aller.
Dompté par la peur, Zhan obéit, les yeux rivés au sol.
— Approchez-vous.
Il était évident que son patron trempait dans des affaires louches, mais à présent, il le voit sous un nouveau jour. Pire encore.
Yibo avance vers lui, envahit son espace vital.
— Pourquoi êtes-vous si méfiant envers moi, je me le demande... Depuis le début, vous êtes sur vos gardes.
Zhan se raidit. Son silence amuse Yibo. Il fait un autre pas en avant qui le pousse à reculer.
— Vous avez raison. On ne m'appelle pas Lion D'acier pour mes qualités de businessman. Mais rassurez-vous, si je vous ai pris, ce n'est pas pour vous associer à ce genre d'affaires.
— Pourquoi agissez-vous comme ça avec moi... murmure le dessinateur.
Une question qui mérite d'être éclaircie. Un instant songeur, Yibo relève le menton. Quelle raison pourrait-il bien donner à son artiste ? Une explication qui détient une part de vérité pour être assez crédible...
— Parce que j'ai besoin de vous. Votre style plaît beaucoup à quelques clientes qui souhaitaient depuis un certain temps un peu de jeunesse.
Excuse parfaite, bien que ce désir de fraîcheur ne soit que pure invention.
— Ça ne justifie pas le fait que vous me traitiez aussi bien. Trop bien...
— Monsieur Xiao, dans le type de business que je gère, pensez-vous que je puisse montrer une once de gentillesse envers mes subordonnés ? J'ai dû imposer mon autorité à vingt-deux ans sur des hommes qui en avaient vingt de plus. Mais vous, vous ne faites pas partie de ce monde.
Argument peu convaincant, aux yeux de Zhan. Pourtant, il veut bien le croire au sujet de l'image qu'il se doit de tenir. La raison pour laquelle il l'a traîné ici en public pour ensuite lui parler seul à seul prend finalement tout son sens. Il soupire. Cette ambiance, ce trafic et tous les dangers qu'il impliquent... tout cela est trop pour lui.
— Vos affaires ne me concernent peut-être pas, mais je ne veux pas y être mêlé. Si un jour vous aviez des problèmes avec la justice...
Le rire que Yibo lâche pointe sa naïveté avec insolence.
— Monsieur Xiao, lorsque le chef de la police me rend sa visite mensuelle, c'est pour prendre un verre de soju dans mon bureau.
Zhan se décompose. Voilà la raison pour laquelle son ami policier n'a rien pu trouver. Son instinct ne l'avait pas trompé, cet homme fait partie des hautes sphères, celles qui demeureront toujours intouchables. Wang Yibo est une personne de la même trempe que ces gens qui l'ont obligé à abandonner son enquête et, au bout du compte, contraint à quitter son pays.
— Je souhaite m'arrêter là.
— Et pourquoi donc ?
— Ce genre de milieu... je ne peux pas.
— Laissez-moi vous dire pourquoi vous allez rester, déclare Yibo en faisant quelques pas en direction de sa baie vitrée. Vous ne retrouverez jamais un poste comme celui-ci, avec un tel salaire. Je vous rémunère au titre de créateur-concepteur bijoutier, ce que vous n'êtes pas, dans la pratique. Ne l'oubliez pas. Ensuite, dans votre situation actuelle, au vu vos problèmes personnels avec votre frère, je doute que vous rencontriez un supérieur aussi compréhensif que moi. Pour finir, même si vous cumuliez la chance, vous ne trouveriez jamais un emploi qui vous épanouisse autant que celui-là, qui satisfasse votre besoin de créativité. Mais je vous en prie, retournez en banque et espérez que tout se passe bien, cette fois.
Le menton de Zhan retombe. Il reste silencieux, affligé par cette argumentation implacable. Son rêve d'artiste enfin concrétisé, un très bon salaire, un confort inégalable et un patron plus que conciliant... Ces raisons suffisent à le faire taire, pour de bon.
— Pourquoi faites-vous cette tête ? On dirait que je viens de vous condamner ! ricane Yibo en revenant vers lui.
— Si je reste, qui me dit que vous vous imposerez des limites ?
— Qu'entendez-vous par « limites » ?
— Je veux dire... jusqu'où chercherez-vous à pénétrer dans ma vie ?
Un malin sourire étire la bouche de Yibo. Si son cher artiste savait jusqu'où, il prendrait déjà ses jambes à son cou. Joueur, il s'approche (trop près) de lui et le dévisage avec un regard langoureux.
— Jusqu'où voulez-vous que j'aille... ? susurre-t-il en caressant le creux de son oreille de son souffle chaud.
Les joues de Zhan virent au cramoisi. Son patron lui ferait-il des avances ? À sa teinte rougie, le sourire de Yibo s'élargit. Si facile...
— Allons, détendez-vous, dit-il en reprenant ses distances. Tout ce que je peux vous dire, c'est que si vous êtes en difficulté, je ferai ce qu'il faut pour vous aider. Mais n'imaginez rien, je fais de même avec Taehyung et tous ceux que je décide de prendre sous mon aile.
Pensif, Zhan appuie une moue enfantine tout en se grattant la tête. En effet, les choses vues sous cet angle...
— Je suppose que... ça me convient.
— Bien sûr que ça vous convient. Par contre...
Yibo revient se planter devant lui, dénué d'empathie.
— Ne me défiez plus devant mes hommes. Et surtout pas en présence de la clientèle. Si vous recommencez une nouvelle fois, pour mon propre bien, je serai dans l'obligation de vous corriger d'une manière ou d'une autre.
Une lueur inquiète transparaît sur le visage de Zhan.
— Si vous avez quelque chose à me dire, faites-le simplement en privé, reprend Yibo calmement. Je vous écouterai. Je me suis déjà montré plus qu'agréable en votre faveur. On est bien d'accord ?
D'abord refroidi par la menace, Zhan finit par soupirer et acquiesce. Il ne peut se rétracter maintenant pour une telle raison, il n'est pas un couard. Trop de bénéfices sont en jeu.
Le marché conclu, il reprend la direction de l'ascenseur avec son escorte.
— Voilà qui est réglé... se réjouit Yibo.
Le client New-Yorkais se fait accompagner par Taehyung à l'étage du Diamond, dans la pièce aménagée pour l'occasion. Un blond à l'allure décontractée et au sourire blancheur. Un peu trop grande gueule au goût de Tae, en revanche. Trop curieux aussi.
La prise de sang se fait en deux fois, sur une longue durée. Précaution pour ne pas affaiblir le donneur. Sa clientèle reste toutefois privilégiée. Après son paiement, les deux hommes partent ensemble déguster un verre de vin et quelques gourmandises en terrasse, à la faveur d'une éclaircie. Mais l'indiscrétion de l'américain se révèle tenace.
— Y'a une rumeur qui dit que des russes fournissaient des buveurs de sang...
Tae manque de s'étouffer avec sa gorgée.
— Ouais, chaud, hein ? C'était peut-être des cannibales ou un truc du genre. Ces gens, c'est des malades. Comment on peut s'amuser à boire du sang ou bouffer des humains ? J'veux dire, faut avoir un grain. Ils veulent juste se donner un style gothique ou se faire passer pour des vampires, ou je ne sais quoi. Tellement ridicule, pouffe-t-il en se bâfrant.
Le massacre de Saint-Pétersbourg. 1854. La vérité n'est jamais arrivée aux oreilles du public, fort heureusement. Mais certaines histoires ont réussi à fuiter, et perdurer. Dieu merci, les réseaux sociaux n'existaient pas à cette époque-là. Cette affaire a été un pur carnage. Un évènement qui a poussé les vampires à se montrer bien plus vigilants, quitte à supprimer l'un des leurs pour le bien de la communauté. La survie du nombre avant l'individu.
— Y'en a qui aiment attirer l'attention, réplique Tae. Ceux-là sont pitoyables.
— Ouais. Mais vous...
Et c'est reparti...
— Vous en faites quoi de tout ce sang, au final ?
— Dans ton contrat, tu as accepté de ne pas poser de questions, John.
— Ouais, ouais... mais entre nous, ricane l'américain.
— Entre nous, rien de plus qu'un bon vin et grailler ensemble. Tu as déjà de la chance que je te laisse traîner ici en plus de te supporter les soirs de la semaine !
L'américain s'esclaffe. Il termine sa gorgée et se lève.
— Je suis si curieux, dit-il en observant le ciel à nouveau blanc.
Il lance une œillade rieuse à Tae tout en prenant congés.
— Je ne sais pas si j'arriverai à tenir dans l'ignorance, Kim Taehyung...
Tae se crispe. Cet homme va lui attirer des ennuis, il en est certain.
De retour à son étage, il se laisse tomber sur son canapé et attrape son téléphone pour faire part de ses appréhensions à Hyunsuk. L'angoisse lui pétrie l'estomac.
— Je sais pas comment calmer ce con. C'est un étranger, difficile d'avoir une emprise sur eux, ce sont des gens qui sont habitués à faire tout ce qu'ils veulent...
Le silence de Hyunsuk l'inquiète. Ce dernier prend le temps de recracher sa fumée.
— Ce qui se passe au Local concerne les mecs du Local, donc me concerne. On bosse en équipe réduite, mais en équipe quand même. Ce qui se passe au Diamond, par contre, ça te regarde, toi. On est juste en collab'. T'étais fier de me dire que tu saurais gérer, mais t'anticipes pas ce genre de problèmes. Ce mec, tu connaissais sa personnalité et tu l'as pris malgré tout. Si tu te foires aux premiers clients, garçon, le seul conseil d'amis que je peux te donner c'est de te préparer à l'eau froide.
Tae se mord la lèvre, le front dans la paume.
— Hyunsuk... qu'est-ce que je dois faire avec ce gars ?
— Écarte-le au plus vite. Ça titillera davantage sa curiosité, mais avec un peu de chance, il passera à autre chose.
John, passer à autre chose... alors qu'il vient au moins deux fois par semaine au club... S'il le vire de la boîte, il ne fera sans doute qu'amplifier sa détermination. À l'inverse, s'il ne réagissait pas, ce serait là une véritable invitation à fourrer son nez partout. Il se lève et inspire profondément. Dans quoi s'est-il embarqué ? Il était prêt, oui, mais il n'a pas fait preuve d'intelligence. Il a manqué de discernement et a fait les mauvais choix.
— Quel con...
— Je te le fais pas dire. Tiens-moi au courant.
— Demain, il viendra sûrement au club. Je lui ferai savoir avant qu'on rompt le contrat.
— Mets-moi ça sur le dos si tu veux. Il me connaît pas, et de toute façon, il pourrait jamais m'atteindre.
— Merci... murmure Tae.
— Pour le reste, démerde-toi.
La conversation est close. Un profond désarroi envahi Tae. Échec monumental.
Il part se poster à sa baie vitrée pour égarer son affliction dans le ciel assombri. La pluie commence à frapper la fenêtre, accablante. Il compte déjà ses jours. Le sablier de sa vie vient de perdre ses premiers grains.
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