Chapitre 13

    Zhan se réveille en sursaut. Ses douleurs lui tirent une grimace. C'est en touchant ses blessures qu'il se souvient.

    Le plaid tombe par terre. Y en avait-il un sur le canapé ? Il se lève, chancelant. Quelle heure est-il ? Son téléphone n'a plus de batterie. Que doit-il faire ? Peut-il sortir alors qu'il n'a pas la permission de se trouver à l'étage ? Il ne peut pas attendre ici indéfiniment... La salle est plus obscure qu'à son arrivée. Derrière les rideaux tirés, la nuit se dévoile. Il ouvre un regard stupéfait. Pourquoi son patron ne l'a-t-il pas réveillé ?

    Il se précipite vers la porte, mais au dernier moment, sa curiosité le freine ; le plateau d'instruments que Yibo a utilisé pour ses soins... Il s'approche des outils, prudent. Ce sont bien des chirurgicaux. Un frisson lui parcourt l'échine. Pourquoi avoir ce genre d'instruments dans une bijouterie ? Un large buffet blanc est scellé par un petit cadenas. Un meuble du même genre, semblable à une grande armoire à pharmacie, se trouve derrière le bureau en verre trempé sur lequel repose le plateau métallique. Quelle est la fonction habituelle de cette pièce ? C'est à n'y rien comprendre.

— Est-ce qu'ils volent vraiment des organes aux gens ?

    Son courage pris à deux mains, il ouvre la porte et passe la tête au-dehors. La voix à côté du mur le fait bondir.

— Veuillez me suivre, s'il vous plaît.

— O-oui... Où est monsieur Wang ? dit-il en s'engouffrant dans l'ascenseur.

— Monsieur Wang est en rendez-vous.

— Combien de temps suis-je resté là ?

— Il est vingt-heures.

    Zhan reste abasourdi. Vingt-heures. Son patron l'a laissé se reposer toute la journée. Plus les choses avancent, plus cette situation devient loufoque. Cet homme attend-il quelque chose de sa part ? A n'en pas douter...

    

    Taehyung frappe contre l'une des parois du hangar du Local. Les grandes portes finissent par s'ouvrir, Hyunsuk surgit entre elles.

— Entre. Tes clients sont là.

    Dans la première salle où ils pénètrent, similaire à un immense garage où pourrait loger un petit avion, les trois signataires achèvent de conclure leurs contrats. En apercevant le gérant de leur club favori, ils sourient et viennent à lui – naïfs. Deux d'entre eux sont des étrangers. Un Américain et un Australien.

— Merci, Taehyung ! J'avais vraiment besoin d'argent ! s'exclame l'Américain.

— Merci à vous pour votre participation. Le premier verre au Diamond sera pour moi, lance Tae pour peaufiner leur nouvelle confiance.

    Ravis, les trois habitués se font reconduire jusqu'à un fourgon, les yeux bandés. Hyunsuk balance sa cigarette et l'écrase sous sa basket.

— On va voir ?

— On va voir.

    Tout au bout du garage, un couloir jonché de multiples pièces, semblables à des cellules. Dans l'une d'entre elle, Tae aperçoit un homme à la mine réjouie, une liasse de billet à la main.

    Au bout du corridor, une entrée gardée par quatre gardes armés. L'identité de Tae confirmée, un sas les mène à une épaisse paroi blanche. Chambre froide, sans aucun doute.

— Tu vas en prendre plein les yeux.

    La porte s'ouvre, un brouillard frais les évente. Tae ne cache pas son émerveillement. Des colonnes de poches de sang, à perte de vue. Le fond de la salle – plus similaire à une gigantesque bibliothèque avec son haut plafond et ses rangées – n'est même pas perceptible. Hyunsuk jette à son poulain un regard fier.

— Ça, c'est la réserve de toutes les équipes sud-coréennes.

— Et Wang Yibo, il sait ce que vous faites ?

— Bien sûr. Tant qu'on ne lui crée pas d'ennuis ou qu'on n'empiète pas sur ses plates-bandes, il nous tolère. Mais il est le seul sous couvert de la police de Séoul. C'est pour ça que tu ne dois jamais te faire prendre et que ta clientèle doit être gérée à la perfection. S'ils connaissaient les véritables raisons pour lesquelles ont les paye....

    Les yeux de Tae se promènent sur les poches. Sang Purs, Sang Blanc... Les rangées sont scindées selon ces deux grandes catégories, avec le nom de chaque donneur et sa fiche médicale.

— Qu'est-ce qui arrive quand un client découvre la vérité ?

— Les autorités s'occupent de le faire passer pour un fou et le type qui le gérait disparait.

    Taehyung déglutit. Nouveau facteur à risque. Un danger considérable, cette fois. Car les clients, eux, ne sont pas toujours contrôlables.

— Mercredi, c'est soirée à thème au Diamond. Plus de distraction, moins de soupçons portés à l'étage.

— Parfait.

    Hyunsuk sort son couteau cranté de sa poche et le fait coulisser entre ses doigts.

— Je suis ravi que tu aies rejoint l'équipe, Kim Taehyung.

    

    Les basses d'électro-house tambourinent jusque dans le couloir extérieur de l'étage. De dehors, les trois immeubles en U doivent entendre le boucan. Zhan pénètre chez lui et reste bouche bée. Son frère est accoudé à la fenêtre en train de fumer, torse nu.

— Jungkook ?!

    Le tic de J-Kay – sa manie de tirer ses cheveux en arrière – l'éclaire aussitôt. Il attrape la commande pour baisser le volume et se manifeste à nouveau.

— Pourquoi t'as quitté l'hôpital ?

J-Kay se retourne, nonchalant.

— Hyung, cette folle voulait nous sédater.

Il repasse les coudes par la fenêtre.

— Connasse en manque d'autorité...

— J-Kay, pourquoi tu es là ?

— Taehyung s'est trop rapproché, le con. Ça a fait sortir Kookie. Et cette mégère qui voulait faire sa loi, aussi. J'ai pris le relais.

— Jungkook, c'est pas ce que tu veux...

    Le visage de J-Kay se crispe. Il se retourne, agacé.

— Si je suis venu, moi, J-Kay, articule-t-il, c'est parce que je suis nécessaire !

— Même encore maintenant ?

— Non. Mais j'suis bien là où je suis, dit-il en recrachant son nuage de nicotine vers le plafond.

    Zhan se raidit. Il n'aime pas la cigarette, son frère le sait et ne fume pas non plus. Mais J-Kay est fumeur. Et le confort des autres, il s'en moque comme du reste. En plus d'user de ses charmes avec son monde comme un maître des échecs domine le jeu de sa vie, J-Kay reflète la lourde rancœur que nourrit Jungkook depuis son enfance. La contrepartie de ses efforts d'adaptations artificiels, toxiques, qui l'ont rongé durant toute sa jeunesse et on finit par scinder son esprit. Alors, lui, n'agit que dans son propre profit. Représentation parfaite de la non-considération, résultante des véritables besoins de Jungkook, écrasés, oubliés depuis toujours. Un revers brutal, à l'extrême opposé de sa générosité réelle.

— S'il te plaît, Jungkook, reviens...

— Tu fais exprès de me foutre les nerfs ou quoi ?!

    À bout de forces, Zhan se résigne.

— Très bien. Fais ce que tu veux, puisque c'est tout ce qui t'importe, souffle-t-il en se laissant tomber sur le canapé.

    Tôt ou tard, Jungkook finira bien par réémerger. En attendant, il ne doit pas renvoyer la moindre négativité. Il doit attirer Jungkook par la tendresse. Rappel de leur amour fraternel, inconditionnel. Après cette nuit dernière, la paix est tout ce dont Zhan a besoin. Une migraine lui perfore le crâne et ses vertèbres maltraitées le font beaucoup souffrir. En y réfléchissant, il serait tout de même judicieux de songer à passer une radio...

    Il coupe la musique et se recroqueville dans l'angle du canapé, un coussin contre lui. La réaction de J-Kay ne se fait pas attendre.

— Sérieux ? T'éteins le son comme ça ?

    Il vient se planter devant son frère, un sourcil arqué.

— Tu cherches vraiment à me pousser à bout.

— J-Kay, tu te souviens de cette nuit ? S'il te plaît, j'ai besoin de repos...

— Ah ouais ? Donc c'est moi qui dois m'assoir sur mes envies ? Rêve.

    Son agressivité surprend Zhan. J-Kay a toujours été égocentrique, certes, mais jusqu'à présent, son je-m'en-foutisme tempérait son fort caractère.

— O.K., je vais à la chambre, acquiesce Zhan, vaincu.

    J-Kay lève les yeux au ciel en le voyant peiner à se lever. Lui-même se sent plus irrité que d'habitude. Ses nerfs sont à vif. Pour quelles raisons ? Peut-être parce qu'on cherche à se débarrasser de lui alors qu'il est la personnalité la plus indépendante ? qu'il est le protecteur ? Cette pique mentale s'adresse à Jungkook. Il grommèle et tend une main à son frère pour l'aider à se remettre debout. Ce dernier la saisit avec gratitude puis part s'enfermer dans la chambre.

    J-Kay jette un œil à son téléphone. Trois messages de Taehyung. Son sourire revient. Peut-être serait-il temps de tirer avantage de cette amélioration entre eux... avec subtilité.

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