Chapitre 10

    Sur les murs vermeils de la chambre écarlate, la lueur de quelques bougies ondule voluptueusement. Un garçon aux cheveux de blé se languit sur les draps de soie rouges, tremblant, malgré tout, à l'idée de sa vile tourmente à venir.

    La porte s'ouvre sur le Lion D'acier, nu entre les pans de son peignoir bleu nuit. Tout en se dirigeant à pas lents vers sa proie – au préalable préparée pour son arrivée – il redessine les pointes de ses canines tranchantes, prêtes à assouvir le besoin qui le ronge. Toutefois, quelque chose le laisse penser qu'à la fin de l'acte, il ne sera pas pleinement satisfait. Plus enragé encore par cette frustrante idée, il se jette sur son partenaire et saisit sa mâchoire entre ses doigts pour dévoiler sa gorge. Son érection menace déjà entre les cuisses. La délivrance est proche.

    Sa virilité s'insère, ses dents se plantent. Minho étrangle un cri, transcendé tant par un plaisir autodestructeur que par la vivacité de la douleur qui incise la chair fragile de son cou. Les coups de Yibo sont langoureux, profonds. Le rythme cardiaque de sa victime ne doit pas s'emballer au risque de lui ôter trop de sang, et trop vite. Dans cette chambre dédiée à assouvir ses vices, aucun meurtre ne se produit. Un vampire doit savoir contrôler ses pulsions pour la survie de la race ; en tant qu'héritier d'une longue lignée, il en sera toujours l'exemple. Le liquide chaud coule dans sa gorge, entre deux martèlements. Pourtant, ce sang pur au goût subtil et cette chaleur délicieuse dans son corps enfiévré ne peut gommer ce qui l'obsède encore. Sous ses paupières closes, son visage.

    Il retire ses crocs et s'attèle à donner de véritables coups de reins à son amant, une agressivité que ce dernier accuse de son mieux. Mais ce qui augmente sans cesse sa violence est la privation. Ne pas détenir le seul être qu'il convoite. Le seul corps qu'il désire posséder, voir trembler entre ses mains. Soumettre. L'unique voix qu'il voudrait entendre se déchirer sous ses assauts, celle de son artiste. Doux et délicat.

    Il referme les yeux, plonge dans son illusion. Son envie est décuplée. Quel goût merveilleux doit-il avoir... Avec quelle tendresse sa peau de porcelaine doit-elle glisser sous la pulpe de son toucher... À quel point ce garçon lui ferait perdre l'esprit...  Ses mouvements ripostent à son fantasme par une sauvagerie sans nom. La violence est l'unique réponse. Il se libère, les ongles enfoncés dans la chair qui l'accueille.

    En rouvrant les yeux, il découvre tout le sang maculé sur le corps pâle de son soumis, les griffures qui l'ont écorché à vif, les dégâts de sa poigne féroce sur sa peau bleutée. À moitié conscient, Minho ne bouge plus, haletant. Ruisselant tant de rouge que de semence. Yibo le contemple, meurtri comme de coutume. Il soupire. Si un métis « habitué » ressort chaque fois en pareil état, ô combien perdrait-il l'esprit avec lui ? le blesserait-il, aussi ? Il en a une vague idée...

— Pour ton bien, mieux vaut que tu ne restes qu'un fantasme...


 *


    Un ciel blanc sans fin étend une angoisse instable sur un fond de brume. Egaré dans le brouillard, Taehyung aperçoit une silhouette familière. Sous sa capuche, l'inconnu se retourne. Jungkook ? Leurs regards se croisent, celui de son barman est inexplicable, vide et anxieux à la fois. Lorsqu'il s'avance vers lui, Tae recule. Ce garçon est devenu son cauchemar. Il voudrait lui dire de ne plus s'approcher, mais aucun son ne sort. Pourquoi aucun son ne sort ?

    Jungkook réalise sa crainte et s'arrête. Son visage se crispe, s'affaisse d'une affliction douloureuse. Un malaise. De ses lèvres fuitent des mots silencieux qui s'imprègnent dans l'esprit de Tae comme si lui-même les prononçait.

« Tu ne vois pas, tu ne sais rien. Kim Taehyung, tu ne vois rien. Ouvre les yeux. Ouvre les yeux... »

    Bondissant de sous ses couvertures, Taehyung halète à en perdre haleine. Un frisson glacé parcourt son échine trempée. Quel était ce rêve ? Comment son esprit diabolique peut-il le perturber à ce point ? d'une manière si étrange ?

    Il quitte son lit. Onze heures du matin. Pourquoi se sent-il si mal ?

    Sous la pluie fraîche de la douche, un profond mal-être lui colle à la peau. Aucune terreur, non – c'est ce qu'il aurait pensé, pourtant, à son réveil. Plutôt un sombre chagrin ; lourd. Une peine mêlée à une agitation particulière, tout autre que celles qu'il a déjà connues. Comment son cerveau peut-il lui faire vivre une émotion si forte et étrangère ? C'est comme si elle ne lui appartenait pas.

    Il se drape dans sa serviette, désorienté.

    Il doit voir Jungkook. Pour une raison qui lui échappe, alors même qu'il y a quelques heures il se sentait à nu et vulnérable, il doit le rencontrer. Aujourd'hui. Tout à l'heure, il prendra son courage à deux mains et ira lui-même déposer sa paye à son appartement.


— Ça te dit quelques hotteok dans le parc, en fin de journée ? C'est presque le printemps.

    Enveloppé dans un plaid à oursons sur le canapé, Jungkook joue sur son téléphone, calé dans un angle entre deux coussins. La joie scintille dans le regard qu'il lève vers son frère. Il bondit pour le rejoindre aux fourneaux.

— Evidemment ! s'écrie-t-il en observant ses gestes de cuistot confirmé. Tu es bon à marié, tu le sais ça ?

— Tu vas arrêter, oui ?

    Taquin, il s'appuie sur le plan de travail, le menton dans la paume.

— Et on y va les chercher, ces crêpes ?

— Je descends au garage cinq minutes et je reviens, dit Zhan en retirant son tablier. Je dois récupérer un papier dans la voiture.

    Dès lors que son aîné quitte l'appartement, Jungkook court enfiler un cargo noir et un sweat de la même couleur. Les nuages qui s'amoncèlent au loin ne sont guère inspirants. À peine changé, on toque à la porte.

— Pourquoi tu frappes ? dit-il en allant ouvrir.

    En découvrant Taehyung, toute excitation s'envole.

— T-Taehyung ?

— Bonjour, Jungkook. Je viens t'apporter ta paye.

— Oh...

     D'une main incertaine, il récupère l'enveloppe et part la déposer sur la table du salon. Taehyung pénètre dans le petit logement, à la recherche de son ami.

— Où est Hyung ?

— Il est descendu au garage, il revient. Tu... veux boire quelque chose ?

    Avant de réagir, Taehyung fronce un sourcil et le dévisage. Sa tenue noire l'interpelle par sa largeur, son inspiration sinométalleuse. Son côté lugubre. D'habitude, son barman ne porte que des habits de dandy chic, assez clairs ou aux tons pastels ; ceux-là le mettent en valeur à la perfection.

— Je...

    La réponse à « tu veux boire quelque chose ? ». Il reste interdit. Comment, après leur altercation, son employé peut-il lui proposer un verre comme s'ils étaient amis ou en bons termes ? Et ce regard doux, loin des yeux mi-clos de noirceur qui le transperçaient... J-Kay était-il sous l'emprise d'une drogue quelconque, cette nuit ? Non, le discours qu'il tenait était plus que lucide. Bien au-delà de ses propres facultés, même. Par rapport à lui, Tae se sentait en total désavantage. Est-il malade, aujourd'hui ? Fatigué ?

— Patron ?

— Je... de l'eau ?

    Avec un sourire adorable par sa simplicité, Jungkook lui tend un verre. Une eau que Tae ne désirait d'ailleurs pas, à l'origine - il fallait bien répondre quelque chose. Tout en buvant sans conviction, il examine ce garçon tout à coup si étrange. Si différent par sa posture, son attitude et son calme. Ses cheveux retombent sur ses yeux, au lieu d'être coiffés en arrière comme la crinière sauvage d'un étalon séducteur. Un charme bien distinct de celui du bad boy je-m'en-foutiste habituel. Une caresse délicate sur son front, bien plus plaisante et inspiratrice de confiance.

    Cette insistance visuelle commence à devenir éprouvante pour Jungkook. Il tourne la tête, fuyant. Se faire fixer ainsi trop longtemps, lui, le vrai Jungkook, est une chose qu'il supporte assez mal.

— Tu te sens bien, aujourd'hui ?

— P-pardon ? Oui, pourquoi ?

— Je... je sais pas. Comparé à...

    Tae s'interrompt, incapable de ne pas être affecté par sa fin de nuit. Néanmoins, il ressent le besoin d'apaiser les tensions entre eux. Une porte semble ouverte chez son barman, l'invite à tempérer le jeu. À comprendre. Ou serait-ce juste son rêve qui occulterait son jugement ?

— Comparé à comment tu étais cette nuit...

    L'expression de Jungkook change soudain. Il est pris au piège. Hier soir, comme tous les autres moments où ils se sont fréquentés depuis un an, ce n'était pas lui. Il recule pour contourner la table et s'agrippe au dossier d'une chaise, les dents serrées.

— Cette nuit... c'était cette nuit.

— Je... je ne saisis pas bien.

— Écoute, ne cherche pas plus loin, s'il te plaît. Y'a rien à comprendre.

    J-Kay...

— Y'a pas de...

    Il souffle et se frotte le visage. Ce nom n'est pas le sien. Comment pourrait-il être responsable des actes de quelqu'un qu'il n'est pas ? Si seulement cette discussion pouvait s'arrêter là...

    Pars, s'il te plaît. Pars.

— Je ne viens pas pour reparler de ce qu'il s'est passé, ou même pour...

    Va-t'en, s'il te plaît...

— Je voudrais juste qu'on arrive à bien s'entendre, tu comprends... En fait, je suis désolé de m'être montré arrogant en te demandant de vendre plus, je n'aurai pas dû. C'est vrai, tu n'es pas une machine, poursuit Tae en s'avançant vers lui.

— C'est bon, c'est oublié.

— Réellement ?

— Réellement, oui. Ne t'inquiète pas.

    Dubitatif, et désireux aussi que la sincérité soit de mise entre eux, Tae le gratifie d'un petit sourire chaleureux et pose une main sur son bras. À son contact, Jungkook frémit. Il se retient de s'écarter. Se montrer froid à l'heure où son patron tente d'arranger les choses n'est pas la meilleure solution. Il masque sa tension. J-Kay est l'unique coupable de cette situation et pourtant, c'est encore à lui de se contenir pour recevoir la bienveillance de Taehyung - même si cette main a un effet urticant. Pourvu qu'il ne la laisse pas trop longtemps.

— Donc, c'est d'accord ? On repart sur des bases saines ? Dans le respect ?

— Le respect ?

    J-Kay ne connaît pas le respect. J-Kay fait comme bon lui semble. J-Kay domine. Pourquoi s'embêterait-il avec des principes sociaux inutiles ? Il finit par se décaler, en désaccord, malgré lui. La rengaine sera la même, dès ce soir. Taehyung ne mérite pas ça.

    Il pose un regard contrit sur son patron et contemple sa véritable personne. Cet homme a un grand cœur, caché sous la glace de sa carapace. Une âme d'artiste, emplie de rêveries. Il est un original à sa façon, un sensible derrière un caractère féroce, bien vite fragilisé en présence d'un vrai fauve. Quelqu'un qui fait de son mieux pour agir de la manière la plus juste, dans le droit chemin. Certes, parfois – souvent, même –, il s'égare, mais sa bonne foi est admirable. Et sa volonté de fer l'a fait réussir là où d'autres auraient échoué, bien que lui se trouve misérable. Voilà tout ce que Jungkook lit à travers cet homme qui s'adresse à lui comme à un simple humain. S'il savait...

— Tu n'es pas d'accord, J-Kay ?

— S'il te plaît, J-Kay c'est... c'est un peu un nom de scène, tu vois, ment-il à contre-cœur. Chez moi, appelle-moi juste Jungkook.

    Bien que surpris, Taehyung finit par acquiescer.

    Il semble que cette excuse soit convenable. Les vraies explications ne peuvent être données à des gens qui ne perçoivent et ne comprennent le monde que par des normes préconçues, acceptables.

— O.K, Jungkook !

    Le sourire de Tae serait presque celui d'un ami. Cette douceur, presque innocente, qui se dessine sur ses traits fins... Il voudrait s'en délecter plus souvent. Se noyer dans l'instant de son bonheur. Dans une autre vie, ils auraient pu entretenir une relation agréable, c'est certain. Peut-être même plus ? Qui sait. Après tout, il n'a jamais couché avec un homme, et l'unique fois où il a fait l'amour était avec une femme. Tout ce dont il est sûr, c'est que ce garçon est prévenant et sensible - tout comme lui... S'il avait pu vivre dans une seule peau en toute sérénité, il aurait été comblé juste en l'ayant dans sa vie.

    Dans les yeux l'un de l'autre, il dessine une satisfaction chagrine.

— Oh, Taehyung ! s'étonne Zhan.

    L'appelé se retourne, ravi, et échange quelques banalités avec leur hyung tandis que Jungkook continue à l'observer comme s'il admirait un paysage magnifique. En ce moment, il découvre son patron sous un nouvel angle, à travers une opportunité qu'il n'avait jamais envisagée. Et qui ne pourra jamais l'être. Comment Kim Taehyung pourrait-il aimer une personne aussi scindée qu'il l'est ? si hors-normes ? Lui-même ne se comprend pas encore à la perfection, alors, quelqu'un de normal comme Taehyung, peu importe sa bonne volonté, finirait par être effrayé et prendrait le large sans tarder. À l'exception de son frère, tous se sont éloignés. Toujours.

    Ils échangent une dernière œillade affectueuse puis Taehyung disparait derrière la porte. Finalement, la seule pensée qu'ils pourraient bien s'entendre suffit à lui réchauffer le cœur.

— Dis donc, c'est quoi ce sourire ? glousse Zhan.

— Il m'aime bien... murmure Jungkook, ému. Tu te rends compte, il m'aime bien, moi...

    Zhan s'approche pour relever son menton du bout des doigts et plonge dans ses grandes amandes émerveillées. Il a toujours admiré les facultés extraordinaires de son petit frère. Son esprit unique, sa capacité fascinante à tout saisir si vite, avant tout le monde. Il caresse sa joue ronde, l'air radieux. Il est fier. Fier de voir son Kookie devenir confiant, qu'une autre personne apprécie son moi véritable ; ce jour est à marquer. Son frère est une pépite. Un trésor à choyer et préserver, le temps que son être profond puisse éclore.

— Ça mérite bien deux crêpes en plus...


 ___

N/A

Zhan admire chez Jungkook quelque chose de spécial... L'avez-vous reconnue ?

Les porteurs de rayures répondront rapidement...

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