Chapitre 1

*Noona : d'un homme à une aînée

*Hyung : d'un homme à un aîné

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     Les basses vibrantes laissent place aux musiques apaisées et apaisantes de la fin de nuit. Les lumières se rallument peu à peu. Quelques couples finissent de s'étreindre avant de quitter la salle, tandis que les éméchés se font reconduire à l'entrée, encore euphoriques.

—J-Kay ! After chez moi !

     Derrière son bar, un verre propre à la main, Jungkook se retourne et jette au groupe un regard de braise, lascif ; reflet du tombeur parfait. Il passe ses doigts dans sa chevelure sauvage, tout juste assez décoiffée pour parachever son charisme d'une touche de fougue irrésistible.

— Sans moi, les gars. J'ai encore trop de choses à faire aujourd'hui, je dois au moins dormir trois heures.

— Oh ! Quand est-ce que tu diras oui ? chouine un autre, entre les portes. T'es toujours trop occupé, mec !

— Vous avez déjà la chance de me voir ici, sourit le barman le plus populaire.

     Il relève le menton, leur lance un clin d'œil séducteur.

—  Prenez un Orgasme en mon nom.

     Hilarité lubrique de la bande.

—  Cochon ! C'est d'accord !

     Faufilée derrière le comptoir, une magnifique jeune femme d'environ vingt-cinq ans vient s'enrouler autour de son coude.

—  J-Kay, gémit-elle, ça fait des semaines que je t'attends ! Tu m'avais promis de me raccompagner un jour...

     Raccompagner. Cette nuit-là, il pensait cette fille trop saoule pour se rappeler ses mots, jetés en l'air ; il aurait mieux fait de se tirer une balle dans le pied. Va-t-elle donc revenir chaque soir ? Le sourire de Jungkook se crispe un instant avant qu'une lueur désinvolte - presque une mélancolie - ne voile son regard charmeur.

—  Oui, chérie. Mais tu sais à quel point je suis booké. Ma vie ne me laisse aucun temps mort.

— Il faut que tu t'arrêtes, J-Kay... geint-elle avec une moue de bébé, ses longs cheveux pendant sur ses seins. Je pourrai prendre soin de toi, un soir où tu ne bosseras pas...

     Elle presse sa poitrine généreuse contre son bras avec un regard de chiot qui ferait fondre n'importe quel homme. Loin d'être attendri, J-Kay dépose un baiser sur sa joue et lui renvoie un nouveau clin d'œil enjôleur tout en se détachant de son emprise languissante.

—  J'dois y aller, Noona. J'suis sûr que tu trouveras un mec disponible pour cajoler une pépite comme toi, lui souffle-t-il à l'oreille.

     Effet escompté. La jeune femme glousse et abandonne à contrecœur l'objet de sa convoitise en soupirant, du moins pour ce soir. Pour sa part, l'idéal de Jungkook dévale les escaliers avec son habituelle expression ombrageuse. S'il ne connaissait pas son patron, il jurerait qu'il serait de mauvais poil sans arrêt. Lorsque Taehyung pose ses yeux sur lui, le visage de son serveur s'illumine. Ce dernier bondit hors de son bar pour le rattraper et glisse une main glamour dans ses cheveux.

—  Encore grognon, Mr Kim ? susurre-t-il, mielleux.

—  Quand tu es dans les parages, toujours.

     À défaut de se vexer – ce n'est que la millionième pique de la nuit – J-Kay en plaisante, léger. C'est le jour où il ne se fera pas rejeter qu'il en tombera des nues. Pour autant, il continue à s'acharner ; ce garçon le fascine et le subjugue depuis son arrivée, il y a un an. Il peut remercier l'ancien propriétaire de l'avoir embauché et convaincu Taehyung de le garder, à sa reprise du club. Si le gentil retraité ne l'appréciait pas tant, il se serait fait congédier depuis belle lurette.

— J'attends un appel, ne me dérange pas, grommèle Taehyung en se laissant chuter sur l'un des fauteuils VIP, aux côtés d'un des derniers habitués restants. Tu n'as pas quelques alcooliques à aller coller ?

     Provoqué, mais jamais affecté, J-Kay pose ses mains sur la table ronde et le dévore littéralement d'un regard langoureux.

— Ta présence les efface tous, monsieur Kim.

     L'autre ne peut s'empêcher de rire à cette réplique ; le barman aux violons.

—  J-Kay, l'irrésistible roi des cœurs ! s'esclaffe-t-il.

—  Et pourtant, il y en a bien toujours un qui me résiste...

     Jungkook se mord la lèvre tout en fixant celles de son fantasme, puis se décolle de la table pour aller récupérer son élégant cardigan beige au vestiaire.

— Un jour, Kim Taehyung, un jour...

     Le concerné dévie son regard noir sur lui pour observer son petit manège avec les dernières personnes qui se trouvent à la sortie.

— Écœurant.

— Aish... Kim Taehyung, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ces homos pour mériter autant de haine ?

     En silence, Tae méprise ce garçon qui le répugne au plus haut point, tant par son désir de séduction omniprésent que par sa nature elle-même. Excédé, il part noyer sa rancœur dans le soju.

— Gays, bi ... quoiqu'ils soient. Tous me dégoûtent, c'est tout. Cherche pas à comprendre.

     À l'entrée, après avoir gratifié de ses charmes un énième groupe de clientes aux joues colorées, Jungkook emprunte le chemin vers chez lui ; quinze minutes trop longues. Son sourire s'efface. Il rabat les pans de son cardigan sur son torse et baisse la tête face à la brise fraîche de l'aurore. Entre chien et loup, le calme qui règne dans les rues balaye son assurance et sa confiance. Seul persiste le nom de J-Kay et son aura lumineuse, dans sa tenue chic. Car son être, lui, s'est déjà envolé.

     Il presse un pas anxieux et avale les marches quatre à quatre jusqu'à arriver au deuxième puis ouvre la porte avec toute les précautions du monde. Une fois en sécurité, il ferme les yeux et lâche un profond soupir. L'atmosphère de son cocon le rassure. Sa bulle de bien-être. L'homme qui en est à l'origine se trouve assoupi sur le canapé. Il récupère son sourire, loin de l'impertinence de J-Kay, proche de l'innocence d'un enfant, heureux de retrouver son unique repère. Il éteint la lumière fébrile de la lampe, restée allumée, puis s'accroupit devant lui. À la lueur diffuse de l'aube, il contemple sa bouille de bambin endormi. La délicatesse juvénile de ses traits l'a toujours fait paraître plus jeune que son âge. Il recouvre son corps mince d'un plaid et tire la paire de rideaux opaques pour protéger son sommeil du jour.

     Son attention se reporte sur l'écran de son ordinateur, ouvert sur la table basse. Des recherches d'emplois, encore. Graphiste, designer, concepteur... Il sourit, d'une triste empathie. Les rêves oubliés de son aîné semblent revenir à la charge après avoir perdu son second job. Pourtant, le temps n'est plus aux espoirs. Ils ne peuvent continuer à vivre ainsi sur un seul salaire. La solution la plus logique s'imposera bientôt à lui.

     Il ferme l'ordinateur et dépose un petit baiser sur son front.

—  Dors bien, Hyung.

*

     Le jour se charge de sa grisaille nuageuse. Un groupe d'hommes en noir aux rangers humides pénètrent dans la bijouterie du Lion D'acier. Un quarantenaire dégarni, misérable par ses vaines supplications se fait traîner dans l'ascenseur aux miroirs scintillants. Au premier, les parois de fer se séparent. Le cœur du captif s'emballe. Les hommes en noir s'annoncent devant une porte close, avant de pouvoir l'ouvrir. Avec la déférence qu'on réserve aux plus nobles, ils s'inclinent face au dossier du grand siège en cuir qui trône derrière un bureau en verre trempé.

— Monsieur Wang, nous l'avons retrouvé à Busan. Il prévoyait de fuir par la mer.

     Le traître est projeté en avant et tombe à quatre pattes sur le parquet de chêne, larmoyant.

— Pitié, j'implore votre pitié, monsieur Wang... ! bafouille-t-il en tremblant. Ils sont venus chez moi pour me menacer, moi et ma femme ! Si je n'avais pas dit ce qu'ils voulaient entendre, nous serions morts tous les deux !

     Le siège se retourne avec une lenteur angoissante. Wang Yibo se révèle. Son regard de glace pointe de sa noirceur l'objet du châtiment qui porte son titre. Il tend la main vers le fourreau qui trône au bout de son bureau et en tire son sabre. Derrière ses lèvres fermées bourdonne une mélodie aérienne qui n'a de saveur que l'inexorable sentence qu'elle annonce. Terrifiante, pour ceux qui savent.

— Pitié ! Pitié, monsieur Wang ! Je suis à votre service depuis le début, monsieur ! Je ne voulais simplement pas mourir ! Je vous en supplie... !

— Donc après toutes ces années, vous ne me connaissez toujours pas.

     Dans son costume noir trois-pièces de chez Chanel, Yibo vient se planter devant son subordonné et le considère de toute sa supériorité, froide et implacable. Puis, la lame s'anime et glisse sur son cou en un battement de cil. Un éclair de sang jaillit. Le corps tombe et s'agite quelques instants avant que toute vie ne le quitte.

     À l'aide d'un tissu blanc, Yibo essuie son sabre avant de le retourner à sa place. Symbole de la suprématie de son nom. Inébranlable. Il fait quelques pas nonchalants vers l'immense baie vitrée qui couvre son mur, les mains dans les poches. Le cadavre a déjà disparu, laissant une tache de sang qui sera bientôt retirée, elle aussi.

— Il me faut un nouveau concepteur. Madame Kang n'attendra pas longtemps.

— Maître, désirez-vous que je me charge de la présélection ?

     Après courte réflexion, le Lion D'acier plisse un regard las sur la ville à peine éveillée.

— Non. Cette fois, je m'en occuperai moi-même.

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N/A

Sortie tous les mercredis ET vendredis !

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