XXII. Pardon

°°Quand on enferme la vérité

Sous terre, elle s'y amasse,

Elle y prend une force telle

D'explosion, que, le jour où

Elle éclate, elle fait tout

Sauter avec elle°°

Émile Zola

Voilà j'avais tout déballé ! J'avais tellement peur de leurs réactions. Je leur avais menti pendant si longtemps qu'ils avaient toutes les raisons du monde m'en vouloir. Le silence s'était installé entre nous et personne n'osait prononcer le moindre mot. Le vent fouettait les arbres plus loin et les oiseaux gazouillaient joyeusement dedans. Pour eux, rien n'avait changé et ils continueraient de vivre leur vie sans aucun souci. A l'inverse, pour mes enfants, c'était tout un monde qui s'effondrait soudain. J'avais toujours su que ce moment arriverait un jour ou l'autre, pourtant, je ne m'étais pas préparée à voir leurs visages déconfis face à moi. Ils avaient le regard perdu dans le vide et semblaient eux-mêmes perdus dans de profondes réflexions. Certains d'entre eux me regardaient dans les yeux mais je n'arrivais pas à soutenir leur regard, tellement j'étais rongée par la honte. Je m'étais plusieurs fois sentie coupable de ne pas leur avoir dit mais je n'avais jamais pu leur avouer la vérité comme je venais de le faire. Je me sentais tel une enfant prise la main dans le sac après avoir fait une bêtise, redoutant la sentence terrible de ma mère. Mathilde me caressait le dos de haut en bas et se tenait tout contre moi. Je sentais, près de moi, sa poitrine se soulever au rythme calme de sa respiration. Tandis que je la regardais, elle leva ses yeux vers moi et me regarda, plongeant ses magnifiques yeux bleus dans les miens. Dans ceux-ci, se reflétait, non pas, du jugement mais la plus grande peine. Elle semblait triste pour moi mais je ne savais pas pour quelles raisons. Nous restâmes longtemps ainsi dans le plus grand des silences. Louise aussi me regardait, triste pour moi. Elle ne se serait jamais douté que je cachais tant de choses en moi.

Puis, Nathan serra contre lui sa femme et ils remballèrent leurs affaires avant de repartir. Incapables de prononcer un seul mot, ses sœurs l'imitèrent et je restais seule avec Mathilde et Louise. La journaliste se tourna vers moi et me dit pour me rassurer :

« Ils vous pardonneront, j'en suis sûre ! Ce sont vos enfants et ils ne resteront pas éternellement fâchés contre vous. Il faut leur laisser du temps mais je suis sûre qu'ils reviendront vers vous un jour ou l'autre.

Je la regardais d'un air dépité, sans vraiment croire à ces paroles, et lui répondis :

-Je n'en su pas aussi persuadée que toi. Je leur ai tant menti. Mais le mal fait, je n'ai plus qu'à assumer mes erreurs. »

Elle prit ma main dans la sienne et la serra fortement avant de me conduire vers l'extérieur du parc où nous nous étions tous retrouvés. Louise ouvrit sa voiture et nous ramena jusque chez Mathilde où je la laissais. Elle m'embrassa par la fenêtre et partit vers l'entrée de l'immeuble dans lequel elle vivait. Je refermais la vitre et reposais mon regard sur la route, tandis que Louise nous conduisait jusqu'aux Rosiers. J'étais encore plus détruite que lorsque l'on m'avait arrachée à Jules et à Marie. Une fois dans ma chambre, j'appelais Basile et Anna pour leur dire que mes enfants avaient découvert le pot aux roses et que je leur avais finalement tout avoué. Ils accusèrent le coup et m'indiquèrent que, d'une certaine manière, ils s'attendaient à ce que cela arrive, tôt ou tard. Je n'avais absolument pas faim et je repoussais sans ménagement l'une des aides-soignantes qui venait m'apporter mon dîner. Je m'installais dans mon lit en comptant y rester le plus longtemps possible. Je n'avais plus vraiment l'intention de vivre après avoir les regards déboussolés de mes enfants.

Le lendemain fut terrible. Comme la veille au soir, je ne touchais pas à mon repas malgré les ordres de Louise. Je ne trouvais plus de goût à la vie. Mon lit semblait être le seul endroit où je me sentais bien et j'y restais donc toute la journée en n'en sortant que pour aller jusqu'aux toilettes. J'étais redevenue la Arlette à demi-morte qui n'était qu'une loque humaine. Je me désespérais de rester ainsi mais plus rien n'avait de sens dans ma sinistre vie. J'étais mal coiffée et même pas habillée quand Louise passa une nouvelle fois le soir dans ma chambre pour me forcer à manger. Elle m'obligea à boire quelques cuillères d'un bouillon fade sous la menace de me mettre sous perfusion. J'écoutais ses ordres mais sans grande conviction. Elle ne savait pas ce qui me taraudait et elle essayait par tous les moyens de me tirer les vers du nez. J'esquivais chacune de ses questions si bien, qu'au bout de quelques minutes, la jeune femme abandonna et sortit de ma chambre avec mon plateau encore à moitié plein. Je resserrais les couvertures autour de moi et retournais dans un sommeil sans rêves. J'espérais qu'elle n'appelle pas Mathilde car je n'avais pas envie d'avoir de nouvelles remontrances de la part de la jeune femme.

Les journées suivantes se déroulèrent quasiment à l'identique à la seule exception que je mangeais de moins en moins au fil des jours. Les infirmières essayèrent de me changer de chambre et de me mettre avec une autre personne âgée mais rien n'y faisait et je restais toujours dans le même état cadavérique. J'étais allée avec Gisèle mais même l'entrain et le bavardage incessant de la danseuse ne purent me dérider. Je retournais dans ma chambre en étant de plus en plus solitaire. Je commençais alors à refuser à ce que l'on ouvre mes volets et je restais dans le noir complet. Les infirmières avaient essayé de lutter contre ma volonté mais je les menaçais de me lever. Elles obéissaient alors instantanément car elles savaient que, dans l'état de faiblesse où je me trouvais, je risquais de m'évanouir si je me levais. Je ne bougeais plus de mon lit seulement pour aller aux toilettes mais il me fallait désormais l'aide de l'une des aides-soignantes. Louise évitait de venir dans ma chambre car elle désespérait de me voir dans un si piteux état. Le personnel venait d'ailleurs faire ma toilette chaque jour car je ne bougeais quasiment plus. Le docteur était alors venu m'examiner mais celui-ci n'avait alors rien trouvé qui puisse expliquer mon état. Il avait seulement dit quand il était sorti que je me mourais. Les aides-soignantes m'avaient demandé si je voulais voir mes proches mais j'avais refusé tout contact avec eux. Des psychologues étaient venus pour essayer de me faire parler mais ils n'en avaient rien tiré. J'étais restée de marbre face à leurs questions indiscrètes sur mon état. Je croyais de moins en moins les paroles de Mathilde et, dans mon cerveau, grandissaient de plus et plus des idées morbides. Je passais mon temps réfléchir, cloîtrée dans mon lit. Plusieurs semaines s'écoulèrent depuis les révélations que j'avais faites à mes enfants et rien n'avait changé.

Mais un jour, j'eus soif. J'appelais alors quelqu'un pour qu'il vienne m'aider mais personne ne vint. J'avais la gorge sèche et je décidais alors d'aller me chercher un verre d'eau par mes propres moyens dans la salle de bain. Je poussais mes couvertures et sortis mes jambes maigres de mon lit. Elles étaient engourdies car j'avais si peu marché durant les dernières semaines. Je me mis debout mais j'étais toujours accrochée aux barreaux de mon lit. Je sentais mes jambes qui faiblissaient sous mon propre poids. Je pris mon courage à deux mains et lâchais mon lit. Je commençais à marcher lentement jusqu'à mon évier dans la salle de bain. Cependant, à la moitié de mon chemin, tout se mit à tourner dans ma tête et mes jambes eurent de plus en plus de mal à supporter mon corps. Je fis encore deux petits pas avant de m'écrouler complètement sur le sol froid. Ma tête heurta violemment le sol carrelé et tout se fit noir autour de moi. J'eus encore quelques sensations avant de m'évanouir complètement.

J'étais dans le noir complet mais j'entendis quelques voix à plusieurs reprises. Celles-ci me semblaient lointaines et perdues. Je ne sais pas combien de temps je restais dans cet état comateux mais cela me sembla se passer très vite, à peine quelques minutes.

A mon réveil, je me trouvais dans un lit moelleux. Même si je voyais un peu flou, je vis qu'il faisait nuit dans la pièce. J'entendais d'ailleurs un léger et régulier ronflement à mes côtés. Des machines bipaient autour de moi, le plafond était d'un blanc immaculé et j'en déduisis que je me trouvais à l'hôpital. Je retrouvais peu à peu une vue correcte. J'observais alors plus attentivement les alentours : j'étais en effet à l'hôpital dans une chambre très classique. Je tournais alors la tête vers l'endroit d'où provenait le ronflement mais qu'elle ne fût pas ma surprise de voir que son possesseur était mon fils Nathan. Il était avachi dans un fauteuil et dormait paisiblement. Je tournais la tête de l'autre côté et regardais l'horloge, celle-ci indiquait trois heures quarante-deux. Je décidais de laisser mon fils dormir encore un peu et je fis de même. Je découvrirais bien assez tôt ce qu'il faisait ici.

Je me réveillais alors quelques heures plus tard mais cette fois-ci Nathan était réveillé. Il me tenait la main et il me regardait tendrement. Voyant que j'étais réveillée, il se leva et appela un médecin. Une femme en blouse rentra alors dans ma chambre. Elle me salua et me souhaita un bon retour parmi eux. Elle m'examina alors de tous les côtés et me fit apporter un repas. Elle m'expliqua que, lorsque ma tête avait frappée le sol, j'avais fait une commotion cérébrale. J'étais alors restée pendant près d'un mois dans le coma. La jeune médecin m'indiqua pour finir qu'il fallait que je mange pour reprendre des forces puis elle ressortit de ma chambre pour aller voir d'autres patients. Nous restâmes alors seuls avec mon fils. Nathan m'aida alors à manger dans le plus grand silence. Une fois que j'eus fini mon repas, je me tournais vers mon fils et lui demandais :

« Qu'est-ce que tu fais là ?

-Nous avons été appelés, il y a un mois, par une aide-soignante de la maison de retraite dans laquelle tu résides pour nous expliquer que tu avais fait une chute et que tu étais maintenant dans le coma. Nous sommes alors tous venus te voir et nous nous sommes relayés les uns après les autres à ton chevet, m'expliqua-t-il.

J'étais étonnée qu'ils soient tous venus après leur avoir tant menti. Je l'interrogeais alors à ce sujet :

-Je croyais que vous m'en vouliez après tout ce que je vous avez caché. Pourquoi êtes-vous revenus vers moi ?

-Tu restes notre mère Mansa. Nous t'aimons tous du plus profond de nos cœurs mais apprendre que tout ce que nous croyons vrai était un mensonge nous a fait un choc. Nous nous sommes réunis quelques jours après tes révélations. Nous étions alors tous d'accord sur le fait que tu avais beaucoup souffert et que tu avais le droit de ne nous le cacher mais nous avons été terriblement déçus que tu ne nous aies pas fait ces aveux plus tôt. Nous avons chacun eu besoin de temps pour tout assimiler. Oncle Basile et Tante Anna nous ont appelés pour s'excuser à leur tour de nous avoir menti. Nous avons accepté leurs excuses et nous nous sommes tous réunis pour en discuter. Nous ne savions pas que, pendant ce temps, tu périssais au fond d'un lit. Lors de cette réunion, nous avions alors décidé de te pardonner et de venir te voir un jour où nous serions tous libres. Malheureusement quelques jours avant cette date, tu as eu cette commotion cérébrale qui t'a plongée dans un profond coma. Et, comme je te l'ais déjà dit, nous nous sommes relayés à ton chevet pour te veiller. »

Je mis alors à pleurer de bonheur. J'étais tellement heureuse que tout aille finalement si bien. Mes enfants m'avaient pardonnée et c'était probablement le plus beau cadeau qu'ils m'aient jamais fait. Nathan m'enlaça alors et il partit prévenir ses sœurs de la bonne nouvelle. Je me reposais alors le restant de la journée. Le lendemain, mes enfants vinrent tous me rendre visite. Ils semblaient si heureux que je sois réveillée. Quand ils furent tous présents, ils s'excusèrent de ne pas avoir été là après mes aveux. Je me demandais comment avaient-ils pu s'en vouloir. J'étais la seule fautive dans l'histoire avec toutes mes cachotteries. C'était insensé ! Je me rendis alors compte de la chance que j'avais d'avoir des enfants aussi merveilleux. Je ne les remercierai jamais assez de m'avoir pardonné. Ils étaient, pour moi, comme des anges tombés du ciel. Je n'arrivais pas encore à croire à mon bonheur. Je les pris chacun leur tour dans mes bras. Ils m'avaient tant manquée. Nous passâmes l'après-midi à discuter puis ils repartirent chacun de leur côté dans la soirée.

Je restais encore plusieurs semaines à l'hôpital avant de pouvoir retrouver ma confortable chambre dans ma maison de retraite. Je retrouvais tous mes camarades et tous les aides-soignants. J'étais ravie de les revoir et je crois que c'était réciproque. Ils étaient enchantés de me retrouver heureuse et souriante. J'étais tellement comblée ! Cela faisait du bien de pouvoir agir sans avoir sans arrêt le poids du mensonge sur mes épaules. Je me sentais libérée. L'un de mes enfants venait chaque jour me rendre visite et ils m'invitaient souvent à des repas de famille le week-end. J'avais une vie simple comme j'en avais toujours rêvé et c'était bien comme ça.

Une fois que j'eus repris les forces nécessaires, je décidais de rendre visite à Mathilde. Je pris un taxi et j'arrivais devant chez elle. Je sonnais à l'interphone et quelqu'un d'autre que mon amie me répondit. C'était une femme. Je devinais alors que ce devait être sa mère ou une des amies de Mathilde. Elle semblait joviale et enjouée. Je me présentais alors comme je l'avais fait. La femme appela donc sa fille. La journaliste descendit alors les escaliers de son immeuble en trombe et, lorsqu'elle me vit, elle se jeta dans mes bras. Je l'embrassais et je lui proposais d'aller nous promener. Mathilde remonta et partit chercher ses affaires dans son appartement. Au bout de plusieurs, la jeune femme redescendit avec la personne qui avait répondu à l'interphone. Ce devait, en effet, être sa mère car la ressemblance était frappante entre les deux femmes. Elles avaient le même sourire et la même grande et belle chevelure rousse. La mère de mon amie embrassa sa fille et nous laissa seules. Je partis alors avec Mathilde me balader dans le quartier. Je m'appuyais sur ma canne et sur le bras de ma jeune amie. J'expliquais à la journaliste qu'elle avait eu raison et que mes enfants étaient finalement revenus vers moi. Elle fut ravie pour moi. Nous discutâmes pendant plusieurs minutes de tout et de rien avant de nous asseoir sur un banc dans le parc qui bordait l'immeuble de Mathilde. Sur celui-ci, j'expliquais à la jeune femme l'aide précieuse qu'elle m'avait apportée pour avouer à mes enfants le terrible secret que je gardais au plus profond de moi depuis tant de temps. J'étais très heureuse qu'elle soit rentrée dans ma vie mais malheureusement toutes les bonnes choses ont eu fin. J'expliquais à Mathilde qu'il ne fallait plus qu'elle revienne me voir. J'avais beaucoup réfléchi et je savais que, même si elle m'avait beaucoup aidé, il fallait qu'elle sorte de ma vie. Ce n'était pas bon pour elle de vivre dans le but de m'aider à tout prix. Il fallait qu'elle prenne son envol loin de moi. C'était à elle d'écrire son histoire sans écouter celle d'une pauvre vieille comme moi. Je préférais qu'elle vive sa vie de son côté et qu'elle écrive sa propre histoire plutôt que la mienne. Elle comprenait mon idée mais ne souhaitait pas la respecter pour autant. Elle trouvait important de montrer aux jeunes que leurs aînées sont remplis d'histoire et d'aventures. Mathilde était bornée et j'abdiquais face à son obstination. De toutes façons, je n'avais jamais pu lutter contre la volonté de la jeune femme. Nous retournâmes donc chez elle. Je m'arrêtais devant son appartement, la laissant renter seule. Cependant, elle me prit une dernière fois dans ses bras dans une étreinte qui me sembla éternelle et promit de revenir discuter avec moi le plus tôt possible dès qu'elle aurait fini son livre. Puis, Mathilde me lâcha et rentra chez elle après un dernier signe de main. A mon tour je rentrais à la maison de retraite, heureuse.

Ma vie continua son cours. J'étais totalement comblée et pour la première depuis le décès de mes parents biologiques j'étais réellement bien.

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