XXI. Nouvelle famille
°°Le renouveau est la victoire
Sur notre souffrance°°
Lea Dronnier
Celui qui devrait désormais me servir de père m'avait porté jusqu'à la voiture car je ne voulais plus avancer. Il m'installa dans la voiture et je me retournais alors directement pour regarder l'orphelinat où Jules et Marie étaient encore. Mon ancienne chambre donnait sur cette rue et je vis à la fenêtre mon frère et ma sœur. Je voyais Marie hurler sa douleur dans les bras de mon frère. J'entendais presque ses cris déchirants. Elle était agrippée à mon frère comme d'un noyé à sa bouée. Ses épaules étaient secouées de sanglots. Elle était de profil par rapport à moi mais je m'imaginais l'autre partie de son visage. Ses yeux bleu ciel, ses cheveux blonds, son nez aquilin et la jolie cicatrice juste au-dessus de son nez qu'elle s'était faite en tombant dans les escaliers composaient son joli minois que je ne devais en aucun cas oublier. Jules, quant à lui, me faisait face. Lui aussi pleurait. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état. La douleur ravageait son visage et ses yeux rougis déversaient des torrents de larmes. La main posée sur la fenêtre essayant d'être le plus proche de moi, il me regardait. Charles démarra la voiture. Le moteur vrombit et il commença à sortir de sa place de parking. Je regardais profondément mon frère essayant de ne pas oublier le moindre détail de son visage : ses yeux verts comme ceux de Papa, ses cheveux blonds comme ceux de Maman et Marie, son nez aquilin qui était le signe distinctif de la famille et les fossettes sur ses joues lorsqu'il souriait. Je ne devais rien oublier. La voiture était désormais sur la route. Charles accéléra et nous commençâmes à rouler dans la rue. Chaque tour de roue m'éloignait peu à peu de mon frère et ma sœur. Ils devinrent de plus en plus petit à l'horizon. Puis, à la suite d'un virage, ils disparurent de mon champ de vision.
Et je ne les revus plus jamais.
Je m'asseyais alors correctement sur le siège de la voiture et je regardais par la fenêtre le paysage défiler. Élisabeth m'expliqua qu'ils habitaient un peu plus loin dans la campagne autour de Paris. Ils savaient que je n'étais pas née à Paris et ils pensaient que cela me plairait de retrouver la campagne. J'acquiesçais mollement du chef. Nous aurions beau habiter dans la campagne parisienne, rien ne me ferra jamais oublier les prairies dorées, les forêts verdoyantes et le ruisseau qui bordaient notre maison avant qu'elle ne soit détruite par les flammes. Les maisons défilaient derrière la vitre de la voiture puis il y eut des arbres placés à intervalles réguliers au bord de la route. Enfin, après environ une demi-heure de route, Charles s'engagea dans l'allée d'une maison puis il s'arrêta et tira sur le frein à main. Le couple sortit de la voiture et ma nouvelle mère vint m'ouvrir la portière. Je descendis à contre cœur de la voiture et je me dirigeais vers la porte de la maison. Chaque pas détruisait mon cœur un peu plus. Charles passa le premier en portant ma valise et il me conduisit vers ma nouvelle chambre à l'étage. Il déposa mes affaires et me laissa seule avec les démons qui me hantaient. J'étais si désespérée. Je retirais ma veste et m'installais sur le lit. Mes yeux étaient secs après avoir tant pleurer et ils ne pouvaient plus produire une seule larme. Je restais longtemps allongée sur le lit à penser à tout ce que j'avais perdu depuis que notre maison était partie en fumée. Mais une fois le soir venu, on vint me chercher pour prendre le souper. Je descendis les escaliers et arrivais dans la cuisine où la table était déjà mise. Je m'installais à la seule place libre. Mes autres frères et sœurs étaient là eux aussi. Le garçon s'appelait Basile. Il semblait avoir à peu près mon âge. Sa sœur s'appelait Anna et elle semblait avoir l'âge de Marie. J'avais l'impression devenir folle. Je me trouvais désormais dans une famille quasiment semblable à celle que j'avais avant sauf que ce n'était pas ma famille. Le couple qui m'avait accueilli n'était pas mes parents et leurs enfants n'étaient pas mes frères et sœurs. Ils ne le seraient jamais, d'ailleurs. Charles nous intima de nous prendre la main et il récita le bénédicité. Les larmes me montèrent une nouvelle fois aux yeux. Je me souvenais de toutes les fois où Papa l'avait récité. Il le faisait d'une voix douce et ce remerciement sonnait alors comme une prière. C'était une prière pour les pauvres, pour ceux qui n'étaient pas gâtés par la vie et pour les malheureux. Je laissais Charles finir puis je me levais brusquement et partis dans le jardin. Je m'effondrais à côté d'un vieux chêne qui devait probablement être là depuis quelques centaines d'années. Je les vis prendre leur repas sans moi. Ils savaient sûrement qu'il me fallait de l'espace après des événements pareils. Une fois qu'ils eurent fini, la porte de la cour s'ouvrit et Charles sortit dehors. Il avait dans ses mains un vieux gilet. Il me le tendit et je le revêtis car je commençais à avoir froid. Puis, il s'assit à mes côtés. Nous restâmes l'un à côté de l'autre. Puis, il prit la parole en tendant un doigt vers le ciel :
« Tu vois ces étoiles qui forment une casserole, c'est ce qu'on appelle une constellation. Celle-ci s'appelle la Grande Ourse. Mon grand-père disait que lorsque une personne meurt, une étoile naît. Tes parents ne sont peut-être plus là physiquement mais ils sont probablement autre part dans l'Univers. Rien ne se perd, rien ne se créé mais tout se transforme comme ils disaient. Quant à tes frères et sœurs, il ne faut pas que tu oublies que tu les as peut-être sauvés d'une possible séparation. Ils resteront probablement ensemble. Tu seras leur héroïne, l'étoile qui les guidera quand la nuit se fera trop sombre. Tu vis dans leurs mémoires et ils vivent dans la tienne. Ils n'ont pas disparu lorsque la voiture a tourné au détour d'un virage. Ils sont toujours là et ils ne peuvent que te remercier pour t'être sacrifiée pour eux. Il faut que tu relativises, à quelque chose malheur est bon. Même si tu es malheureuse comme les pierres, je sais, qu'un jour, tu comprendras que nous ne sommes pas les grands méchants loups de l'histoire. »
Puis, il se leva et rentra vers la maison après m'avoir demandé de ne pas rester trop longtemps dehors au risque de tomber malade.
Je restais encore quelques minutes sous ce vieux chêne à réfléchir à ce que venait de me dire Charles. Il avait raison, seulement, je n'étais pas encore prête à l'admettre. La plaie était peut-être un peu trop profonde, un peu trop nouvelle, pour pouvoir cicatriser directement. Il fallait que je nettoie cette plaie puis que je la recouse peu à peu pour pouvoir espérer retrouver le sourire un jour. J'appliquerais de la crème sur mes plaies et je laisserai le temps faire son effet. Il paraît que celui-ci guérit toutes les blessures.
Après ces réflexions, je me levais et je rejoignis ma chambre où je me couchais.
Je me réveillais le lendemain matin assez fatiguée. La nuit avait été assez compliquée pour moi et je n'avais pas beaucoup dormi. Je m'étais réveillée de nombreuses fois en pensant être de nouveau à l'orphelinat près de Jules et Marie avant de m'apercevoir que je me trouvais dans ma chambre chez mes nouveaux parents. Je fis un cauchemar où je perdais une nouvelle fois toute ma famille. C'était horrible ! J'avais l'impression d'être bloquée dans le tourbillon de ma tristesse. J'étais sans cesse baladée entre tous ces malheureux souvenirs. J'avais l'impression que mon inconscient s'amusait à me détruire un peu plus de l'intérieur. Je pris mon petit-déjeuner en silence avec mes nouveaux frères et sœurs puis je retournais dans ma chambre. Élisabeth m'apporta une jolie robe que je revêtis pour lui faire plaisir mais le cœur n'y était pas. Basile et Anna étaient partis à l'école mais j'étais restée à la maison le temps de m'acclimater à mon nouvel environnement. Ce n'était pas pour me déplaire car je n'avais pas vraiment envie d'être au beau milieu d'une horde d'enfants bruyants souhaitant me rencontrer et discuter avec moi car j'étais nouvelle. Le calme de la maison quasiment vide me correspondait bien. Je pris mon repas du midi avec ma mère dans un silence glacial. La journée fut longue mais au milieu de l'après-midi, je sortis de la maison pour aller prendre l'air. Je découvris les environs. J'habitais désormais dans un charmant petit village de campagne où les gens semblaient tous souriants et bienveillants. Ils me saluèrent lorsque je passais devant leurs jardins bien entretenus. Je les saluais en retour et je discutais quelques minutes avec certains d'entre eux. Puis, le soleil descendit à l'horizon et je retrouvais ma nouvelle famille pour dîner. Ils discutaient tous ensemble mais je restais discrète dans mon coin. Enfin, nous allâmes nous coucher.
La semaine suivante, je continuais à passer mes journées à la maison ou dehors à visiter le coin. C'était assez morne mais j'avais besoin de rester seule pour calmer la douleur dans mon cœur petit à petit.
Cependant, à la fin de la semaine, ma mère vint dans ma chambre et me demanda de m'habiller car elle voulait m'emmener quelque part. Elle était vêtue d'une jolie robe à fleurs évasée aux manches trois quart. Elle était tout à fait charmante. C'était une femme souriante et pétillante qui avait toujours le mot pour rire. Elle semblait être la mère parfaite pour tout le monde, sauf pour moi. Je ne cessais de penser à mes parents. Je prenais ça comme une trahison par rapport à eux si je me mettais à apprécier ma nouvelle famille. J'avais tellement peur de les oublier en les remplaçant. J'étais terrifiée à cette idée. Malgré tout, j'essayais de m'intégrer à mon nouveau chez-moi. Je m'étais résignée car, de toutes façons, je ne pourrais plus jamais revoir mes frères et sœurs alors autant vivre cette déchirante séparation le mieux possible. J'obéis alors aux ordres d'Élisabeth et je la suivis dans le village.
Elle m'emmena dans une vieille grange où se trouvaient quelques personnes âgées. Elles étaient réunies autour d'un jeu cartes usé mais elles semblaient beaucoup s'amuser. Ma mère se tourna vers moi et m'indiqua qu'elle allait faire quelques courses chez la fermière d'à côté et qu'elle reviendrait me chercher après. Je restais alors sur le pas de la porte. Pour ne pas paraître étrange, je partis m'installer dans un coin de la grange sur une botte de foin. Le chat de la ferme s'installa à mes côtés et je commençais à écouter ces vieilles personnes parler de leur jeunesse en caressant les poils doux du chat car je n'avais pas grand-chose à faire. Je crois que c'était ce qu'avait voulu ma mère car ce que j'entendis me retourna le cœur.
Chacun évoquait les uns après les autres leur vie passée. Tout n'avait pas été toujours rose pour eux, bien au contraire. La plupart d'entre eux était née dans les années 1880. Ils avaient connu les deux guerres et quasiment celle de 1870. Pendant leur enfance, ils avaient écouté les récits de leur père qui étaient à l'armée puis, à leur tour, ils avaient dut faire face au front et, enfin, ils avaient vu leurs enfants se faire décimer lors de la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient connu une grande partie de l'histoire de France et semblaient être des livres d'histoire à eux seuls. Ils étaient fantastiques. Ils étaient remplis d'anecdotes sur une grande partie de l'Histoire de France. Ils racontaient leurs misères avec un tel détachement que cela semblait irréel. Ils gardaient le sourire et, malgré les événements tristes de leur jeunesse, ils continuaient à se souvenir des bons moments passés à la ferme ou dans les champs. A l'entente de leur récit, je me rendis compte que je n'avais pas de quoi me plaindre. J'avais une famille aimante qui m'avait recueillie et qui faisait tout pour me rendre le sourire. Ils m'avaient sauvée et je devais en être reconnaissante au Ciel pour cela. Peut-être que je n'étais plus avec ma famille, mais je ne devais pas me laisser aller à la mémoire de ceux qui n'étaient plus. Je devais me battre pour eux et leur montrer que je ne baisserais jamais les bras peu importe les événements. Je me rendis compte de tous ces bonheurs simples que j'avais et que je n'avais pas de quoi pleurer. Je décidais de toujours garder le sourire quoiqu'il arrive et peu importe les obstacles que la Vie mettrait en face de moi. Élisabeth revint quelques minutes plus tard et je lui sautais au cou. Je me mis à pleurer de bonheur et je la remerciais de tout mon cœur pour m'avoir recueillie et sauvée. Nous rentrâmes à la maison et, sur le chemin, je lui demandais si je pouvais désormais l'appeler Mutti, à défaut de réussir à l'appeler Maman. Celle-ci accepta et je décidais de l'aider dans ses tâches quotidiennes pour le reste de la journée.
Tout le monde à la maison sembla ravi de mon soudain changement d'état d'esprit. Je remerciais à son tour Charles et je décidais de l'appeler Putti car je ne pouvais me résoudre à l'appeler Papa.
Je retournais enfin à l'école et je repris une vie, on ne peut plus normale. Tout allait bien et, surtout, je me sentais bien. Je commençais à tisser des liens avec les membres de ma nouvelle famille. Je m'entendais très bien avec Anna mais je trouvais Basile un peu trop colérique. Nous étions tout de même un trio très soudés et nous avons fait les quatre cents coups tous les trois. Nos parents étaient ravis de voir que nous nous entendions à merveille. Ils étaient très heureux aussi. J'adorais Mutti mais je préférais passer du temps avec Putti. Nous passions de longues soirées dehors sous les étoiles. Il me montrait les constellations, me donnait le nom des étoiles et me racontait de merveilleuses légendes. C'est lui qui m'apprit à jouer aux échecs avec Basile et Anna. J'aimais ces soirées où je me sentais tellement en sécurité lorsqu'il me prenait dans ses bras. J'aurais voulu que ces instants durent toute la vie.
Je passais d'heureuses années dans cette petite maison de campagne et dans le village qui l'entourait. Je grandis et, à l'âge de dix-sept ans, je rencontrais celui qui devint votre père. J'étais allée à la fête d'un village voisin avec ma bande d'amis. On était en plein été et j'avais alors sorti ma plus belle robe. Dans ce petit village, vivait un certain Pierre. Il était grand et charmant. Il avait beaucoup de charisme et lorsqu'il parlait tout le monde prenait ses paroles pour saintes. J'avais passé l'après-midi avec les jeunes des deux villages et nous avons rapidement sympathisé Pierre et moi. Lorsque la fête pris fin, nous nous promîmes de nous retrouver et ainsi fut fait. Nous passâmes de longues après-midis dans les champs et au bord du ruisseau à discuter de tout et rien. Nous sommes petit à petit tombés dans les bras l'un de l'autre. On n'avait pas beaucoup de points communs mais j'adorais passer du temps avec lui à débattre de nombreux sujets. On s'aimait énormément et j'étais sûre que c'était l'homme de ma vie. Puis, un jour, il voulut rencontrer ma famille. Il me savait assez discrète à ce sujet et nous ne l'abordions alors que peu. Je ne lui avais jamais dit que j'étais adoptée. C'était un lourd secret. Même si j'aimais ma famille d'accueil, parler du fait que je n'étais pas leur fille me faisait souffrir car cela me rappelait tout ce que j'avais perdu dans mon enfance. Malgré que je voyais désormais le verre à moitié plein, je ne pouvais m'empêcher de garder cette once de tristesse à leur évocation. Je ne les avais pas oubliés et j'espérais que ça n'arrive pas de sitôt. J'invitais de tout de même Pierre à venir dîner chez moi un soir. Mais avant, je fis une réunion de famille. J'annonçais à mes parents mon idylle avec Pierre et leur indiqua qu'il viendrait manger à la maison dans quelques temps. Mutti et Putti furent fous de joie et ils voulurent en savoir plus sur l'heureux élu. Je répondis à leurs nombreuses questions puis je leur demandais de m'écouter attentivement. Je leur expliquais que je ne voulais en aucun cas que Pierre sache que j'étais adoptée. Je ne voulais pas qu'il me prenne pour une pauvre gamine des rues que l'on a recueillie. Je leur demandais alors de faire comme s'ils étaient ma famille biologique. Cela serait plus simple pour moi de raconter des histoires de notre enfance. Ils devraient faire comme si j'étais née et avais toujours grandi dans cette famille. Je ne voulais pas dire à Pierre que mes parents étaient décédés. C'eut été plus simple de faire comme cela mais je ne comprends pas, encore aujourd'hui, pourquoi j'avais agi différemment. Je crois que c'est parce que, après toutes ces années, je n'avais toujours admis le fait que ma famille biologique soit disparue de ma vie. Je voulais encore croire qu'ils étaient là comme une petite fille qui croit encore au Père Noël même après avoir vu son père se déguiser le soir de Noël. Faire comme si mes parents adoptifs étaient mes parents biologiques, revenait à faire, en quelque sorte renaître ceux-ci. Mutti se mit à pleurer dans les bras de Putti. Ils comprirent tous les deux ce que je ressentais. Ils acquiescèrent alors car, de toutes manières, ils ne verraient Pierre que quelques fois dans l'année et qu'ils pouvaient bien jouer ce petit jeu pour moi. Ma mère arrêta alors de pleurer, elle s'approcha de moi et me caressant la joue elle me dit :
« Pour la plus belle d'entre toutes, on peut tout faire ».
Basile et Anna acceptèrent eux aussi.
Pierre vint manger et nous fîmes tous comme si de rien n'était et comme si j'étais vraiment la fille d'Élisabeth et de Charles Aurton.
Je me mariais trois ans plus tard puis j'eus trois beaux enfants. Je continuais à alimenter mon mensonge auprès de vous et ma famille me suivit dans cette idée si farfelue. Enfin, la suite de l'histoire, vous la connaissez. »
C'est ainsi que je terminais mon récit. Je levais les yeux vers mes enfants et Isaac, Rose et Noémie et je les découvris serrés les uns contre les autres les larmes aux yeux.
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