XX. Nous et moi
°°Une séparation est pire que la mort,
La mort met fin aux souffrances,
La séparation les fait naître°°
Thomas Jefferson
Je ne sais pas combien de temps je restais endormie dans la petite pièce qui me servait de chambre mais, lorsque je me réveillais enfin, je sentis que mes muscles étaient engourdis, mes paupières lourdes et la lumière, pourtant faible, agressait mes pupilles. J'étais dans un petit lit, seule. Mon frère et ma sœur avaient disparu. Je craignais déjà le pire. Je restais ainsi plusieurs minutes dans mon lit, les oreilles aux aguets, écoutant le moindre bruit. Soudain, une femme, vêtue d'une tenue d'infirmière, rentra dans ma chambre. Elle s'approcha de mon lit et, lorsqu'elle vit que j'étais réveillée, l'infirmière passa la tête par l'entrebâillement de la porte et cria un nom. Une seconde personne rentra alors dans la pièce, un homme en blouse cette fois, il m'examina de tous les côtés avant de sortir de la pièce, me laissant avec la femme. Celle-ci se tourna vers moi, me regardant tendrement avant de changer mes draps. Puis à son tour, elle sortit de la pièce sans un mot. Je fus à nouveau seule. J'étais dans le flou le plus total, essayant de me souvenir où je me trouvais. Après plusieurs heures de réflexion intense et me trouvant toujours sans réponses, je tombais dans les bras de Morphée.
Le lendemain, la même scène se produisit : la femme vint, puis l'homme et ils repartirent tous les deux en évitant de me parler. Sauf qu'un autre homme arriva à la suite des deux autres. Il était vêtu d'un costume et j'en déduisis que c'était le directeur. L'homme s'assit dans le fauteuil qui était dans le coin de ma chambre. Il me regarda avant de s'adresser à moi :
« Tu es restée endormie longtemps, environ trois jours. Tu semblais fatiguée quand tu as toqué à notre porte. Ta sœur était dans un état encore plus grave. D'ailleurs, elle est encore à l'hôpital mais elle devrait rentrer dans peu de temps, ajouta-t-il. Ton frère, quant à lui, se repose dans sa propre chambre. Vous allez rester à l'orphelinat jusqu'à ce que nous trouvions une famille pour vous accueillir. Je crains cependant qu'il faille vous séparer. Personne n'irais accueillir trois enfants par les temps qui courent.
-Bien, je crois t'avoir tout dit. Tu resteras alitée encore plusieurs jours. J'espère t'avoir rassurée sur le sort de ton frère et de ta sœur, termina-t-il »
Il se dirigea vers la porte et quitta la pièce.
Cet homme dans son costume élégant m'horripilait terriblement. Comment pouvait-il croire que j'accepterais sans bouger d'être séparée de ma fratrie. Il se fourrait le doigt dans l'œil s'il pensait que je n'allais pas broncher lorsque l'on emporterait mon frère et ma sœur loin de moi. Quel imbécile !
Comme la journée précédente, je restais sagement dans mon lit à regarder les heures s'écouler sur l'horloge de ma chambre. Mais le soir, la porte s'ouvrit et Jules rentra dans la pièce. Il se précipita vers moi et me serra contre lui. Il semblait avoir repris du poil de la bête. Il avait l'air en forme et heureux de me revoir. Des infirmières arrivèrent et amenèrent avec elles un deuxième lit. Elles poussèrent le mien et placèrent celui de Jules juste à côté. Le directeur qui passait dans le couloir à cet instant, passa la tête par la porte à demi-ouverte et dit le sourire aux lèvres :
« Vous voyez les enfants que l'on ne sépare les frères et sœurs »
Cette phrase résonna à mes oreilles d'une étrange manière. Avec ses mots, il semblait vouloir se moquer de nous. J'eus l'impression qu'il voulait dire complètement l'inverse. Je me tournais vers Jules, et celui-ci avait l'air de penser la même chose que moi. Lorsque les infirmières furent parties, nous nous serrâmes à nouveau dans les bras, heureux d'être enfin réunis. Mon frère prit alors la parole :
« Quand Marie reviendra, il faudra nous enfuir. Nous pouvons espérer que personne ne viendra adopter d'enfants avant la fin de l'hiver. Ça nous laisse environ deux mois pour établir un plan et le mettre en œuvre.
J'acquiesçais de la tête avant de demander :
-Que c'est-il passé lorsque nous sommes arrivés à l'orphelinat ?
-Tu as toqué à la porte, une femme est arrivée et tu lui es complètement tombée dans les bras. Tu étais quasiment morte de fatigue et de faim. La femme était une infirmière et elle a alors crié à l'aide. D'autres personnes sont arrivées et t'ont emportées pour te soigner. Ils m'ont pris Marie des bras et j'ai assisté, impuissant à votre disparition. Le directeur est arrivé et m'a conduit vers son bureau. Il a fait amener une couverture et de la soupe bien chaude. Je t'avoue avoir englouti cette soupe d'une traite sans jeter un seul regard vers le directeur. Il m'a alors questionné sur notre passé. Je lui ai raconté que nous étions des orphelins et que nous avions eu des mois difficiles dans la rue. Tandis que je parlais, il a écrit tout ça dans un carnet. Puis une infirmière m'a emmené dans une chambre. Je m'y suis reposé plusieurs jours avant d'apprendre ce matin ton réveil. Nous voilà alors réunis. Pour ce qui est de Marie, je sais qu'elle est encore à l'hôpital et que, quand elle est arrivée, elle était dans un état pitoyable. Le directeur m'a annoncé ce matin qu'elle devrait rentrer dans une semaine. Sinon, la vie à l'orphelinat n'est pas si mal : la nourriture est bonne et les lits sont confortables mais je n'ai pas prévu de nous voir nous éterniser ici. J'ai vu plusieurs enfants passer dans le couloir. Ils semblent heureux aussi.
Il me prit la main et me dit tout bas :
-Saches que je maintiens ma promesse de vous protéger coûte que coûte. On trouvera un plan pour s'évader de cet endroit et on s'en sortira. »
Le jour suivant, le directeur vint chercher Jules et il ne reparut que le soir. Il m'expliqua qu'il était allé à l'école de l'orphelinat et que, bientôt, j'y retournerai à mon tour.
Une semaine après Marie nous rejoignit dans notre chambre. Elle dormait une bonne partie de la journée tellement elle était affaiblie malgré les nombreux soins qu'elles avaient reçus à l'hôpital. Je restais à son chevet, lui donnais à manger et lui racontais des histoires. Nous récupérâmes nos affaires et j'installais notre portrait de famille sur la commode de notre chambre. Les infirmières nous donnèrent de nouveaux vêtements. Nous étions alors complètement installés et au bout d'un mois, nous pûmes tous les trois aller à l'école de l'orphelinat. La classe était bruyante car les enfants étaient nombreux. Ceux-ci étaient issus de toutes les classes sociales possibles et avaient tous des âges différents. Certains racontaient volontiers que leurs parents avaient été des grands politiciens mais qu'ils avaient dû les abandonner pour proclamer la paix dans le monde. Je ne croyais guère à ces histoires à dormir debout. L'ambiance dans l'orphelinat était la même que dans les rues où nous traînions avant de vivre dans la pension de famille. Les plus grands dominaient le groupe et faisaient des plus petits leurs esclaves. Il valait mieux faire profil bas et s'occuper de soi que de s'en prendre aux plus grands. Nous nous étions assez vite intégrés au groupe. Nous avions quelques amis mais je savais qu'il ne fallait pas que je m'attache trop à eux car ils partiraient ou nous partirions forcément un jour ou l'autre que ce soit grâce à une adoption ou à cause de notre fuite.
Nous notions toutes les nuits les heures des rondes des infirmières pour avoir une fenêtre de tir à laquelle nous pourrions nous enfuir sans trop de problèmes. Nous voulions nous enfuir par la fenêtre de notre chambre mais les rondes étaient trop rapprochées alors il nous fallait une diversion pendant laquelle les infirmières seraient trop occupées à régler le problème pour s'occuper de nous. Jules s'était alors rapproché de l'un des plus grands de l'établissement. Il avait exécuté des centaines de requêtes du jeune garçon pour s'obtenir ses faveurs. Celui-ci accepta notre demande et il nous promit de faire diversion pour que nous puissions nous échapper le moment venu. Pour l'instant, nous devions rester à l'orphelinat car l'hiver n'avait pas encore pris fin et, que si nous partions maintenant, il y avait de grandes chances pour que notre entreprise ne réussisse pas. Nous profitions alors de nos journées à l'orphelinat autant que nous pûmes car nous savions que le confort ne serait pas le même à l'extérieur.
Nous écrivions régulièrement à Stéphanie et William mais nous ne leur avions pas appris notre arrivée à l'orphelinat. Ils auraient sûrement été très déçus, seraient probablement venus nous chercher et cela aurait sûrement mis en péril leurs économies et leur vie de famille avec leur petite Hazel.
Tout allait donc à peu près bien et je me rendis compte que Jules n'avait pas menti : la vie était, en effet, assez douce à l'orphelinat mais je ne cessais d'être tracassée.
Je passais de longues heures dans mon lit, en proie à de terribles insomnies. Celles-ci avaient,en général, pour sujet la difficulté de la situation dans laquelle nous nous trouvions. Nous étions dans l'endroit que nous évitions depuis le début de notre escapade, celui qui nous rebutait car il était le symbole d'une possible séparation. Je savais quel'orphelinat avait été notre seule solution lorsque nous étions au plus bas et que nous avions pris la bonne décision de nous y réfugier pour nous sauver mais je ne pouvais pas m'empêcher de réfléchir à toutes les autres solutions qui auraient pu s'offrir à nous. Ces solutions étaient toutes plus loufoques les unes que les autres et nous ramenaient souvent au même point qui était que dans tous les cas nous serions forcément passés par l'orphelinat. Cet endroit était alors à double tranchant : soit il nous permettait de reprendre des forces et de repartir de plus belle, soit il nous séparait à tout jamais les uns des autres. Pour l'instant, nous étions plutôt dans le premier cas mais tout pouvait rapidement changer et nous pouvions à tout moment perdre le contrôle de la situation précaire dans laquelle nous étions. Notre bonheur ne tenait qu'à un fil. Nous étions suspendus au-dessus du vide sur une mince corde ne sachant pas encore si nous arriverions de l'autre côté ou si allions nous faire engloutir par le vide sous nos pieds.
Une fois l'hiver passé et les beaux jours revenus, nous décidâmes avec Jules d'une date pour notre évasion. Il en parla au jeune garçon qui devait faire diversion et nous convinrent une soirée. Nous préparâmes nos affaires soigneusement dans le plus grand secret. Nous connaissions chaque étape du plan par cœur.
Jules devrait faire tomber un objet lourd sur le sol, c'était le signal, puis nous devions nous enfuir par la fenêtre tandis que les autres enfants s'occupaient de la diversion. La diversion était une simple bagarre qui devrait déranger le personnel pendant un bon moment, nous laissant ainsi le temps de partir. Je passerais la première par la fenêtre, puis ce serait le tour de Marie et enfin Jules. Il était convenu que, la première nuit, nous la passerions à courir pour nous éloigner un maximum de l'orphelinat. Nous aviserions après de la marche à suivre.
La date fatidique approchait à grands pas mais je me sentais de plus fatiguée chaque jour et je savais que je couvais un mauvais rhume. Cependant, je ne voulais pas décaler l'expédition car je savais que plus nous passerions de jours ici moins nous aurions de chance d'en ressortir à trois. Avec l'arrivée du printemps, les futurs parents arrivaient de plus en plus. Ils passaient dans les chambres, examinaient les enfants un par un, discutaient avec eux et en choisissaient rapidement un. Celui-ci ne partait tout de suite car ses nouveaux parents venaient le voir plusieurs fois avant de repartir avec lui. Avec Jules, nous faisions semblant d'être assez chétifs pour que les couples ne veuillent pas de nous. Alors ils se tournaient vers Marie. Quand des couples venaient à l'orphelinat, nous cachions Marie sous les draps et elle faisait semblant de dormir. Ma sœur était magnifique et je savais que, même si elle n'était pas forte, elle pourrait plaire aux futurs parents grâce à sa beauté. Elle avait les cheveux blonds comme les blés et des yeux d'un bleu profond. Marie avait une face d'ange et un caractère semblable. C'était une petite fille parfaite, trop parfaite probablement pour ce monde de brutes.
Mon rhume ne passait pas, bien que les infirmières m'aient donné de nombreux médicaments. J'étais paniquée à l'idée que nous ne puissions pas partir car j'étais trop malade. J'en parlais donc à Jules. Je lui demandais si, au grand jamais, je ne pouvais pas partir le jour J de partir avec Marie et de l'emmener loin de l'orphelinat. Mon frère refusa fermement. Il ne pouvait s'imaginer me laisser là. Il ajouta que l'on partirait soit tout les trois soit pas du tout. Il préférait mettre à mal notre futur plutôt que de m'abandonner. Il termina en me disant qu'il m'aimait profondément et qu'il ne pouvait se résoudre à me voir disparaître de sa vie. Nous reculâmes donc à contre cœur alors la date de notre fuite. Au lieu de partir le jour prévu, nous partirions donc une semaine après, quand je serais complètement remise.
Ce putain de rhume et l'obstination de mon frère nous furent fatals.
Jules prévint le jeune garçon qui devait nous aider pour faire diversion. Tout était à nouveau réglé comme du papier à musique. Mais un détail vint nous faire chuter de la fine corde sur laquelle nous nous trouvions. Trois jours avant la date initiale de notre départ et trois jours avant la nouvelle, un couple rentra dans notre chambre. Nous étions tellement occupés à régler chaque détail de notre évasion que nous avions oublié le jour des visites. Lorsque l'homme et la femme rentrèrent dans la chambre, ils furent souriants et ils nous saluèrent. Marie leur rendit leur sourire et nous fîmes de même car nous ne pouvions plus nous cacher. Il fallait juste espérer que nous ne leur plairions pas. Qu'ils nous trouvent trop âgés ou qu'ils aient un peu de bon sens pour ne pas vouloir nous séparer. Ils se présentèrent, la femme s'appelait Élisabeth et l'homme Charles. Ils semblaient jeunes et avaient l'air plutôt sympathiques. Nous nous présentâmes à notre tour puis le jeune couple sortit de la pièce et continua de faire le tour de toutes les chambres. Lorsqu'ils partirent, nous soufflâmes un bon coup en espérant ne pas les revoir de sitôt. Malheureusement pour nous, ils repassèrent par notre chambre avant de repartir. Nous savions que cela était un très mauvais signe et qu'ils avaient probablement remarqué l'un de nous pour en faire leur enfant. Cette idée ne me plaisait guère mais je savais que le directeur passait le lendemain des visites pour annoncer aux heureux élus ceux qui seraient sûrement adoptés. Nous passâmes une nuit agitée, ressassant sans cesse les événements de la journée.
Le lendemain, mes craintes s'accentuèrent car le directeur vint dans notre chambre après le petit-déjeuner. Il s'assit une nouvelle fois dans le fauteuil de notre chambre. Il posa ses mains sur ces genoux et nous regarda, plus particulièrement moi. Puis, il annonça :
« Le couple que vous avez vu hier vous a trouvés charmants, surtout toi Arlette. Ils souhaiteraient te revoir mais saches qu'ils sont fortement intéressés pour t'avoir dans leur foyer. Ils vont revenir te voir. J'espère que tu te tiendras bien. Si tout se passe bien, tu devras partir avec eux à la fin de la semaine. Allez, ne fais pas cette tête, ajouta-t-il en voyant mon visage se décomposer au fur et à mesure de son discours.
-Et qu'ont-ils pensé de Jules et Marie, demandais-je ?
-Ils n'ont pas la place pour trois enfants. Ce sera plus simple de placer deux enfants plutôt que trois mais ils seront probablement eux aussi séparés, dit-il comme si les deux intéressés n'étaient pas dans la pièce. Ne t'en fais pas, la famille qui va t'accueillir a déjà d'autres enfants adoptés, tu ne seras pas toute seule là-haut. Ils ont d'ailleurs à peu près l'âge de tes frères et sœurs actuels.
-Sur ces belles paroles, je vous laisse. Repose-toi et prépare-toi Arlette ! Il faudra que tu sois parfaite face à tes nouveaux parents, termina-t-il »
Il se leva de son siège et se dirigea vers la porte. Nous restâmes prostrés et accablés pendant plusieurs minutes. Jules me regarda et m'annonça que nous partirions donc le soir même puis il sortit pour prévenir celui qui devait créer notre diversion.
Le soir nous nous couchâmes dans nos lits attendant le moment propice mais une infirmière rentra lors de la première ronde et ferma la fenêtre et la porte à clé. Elle nous indiqua que c'était par mesure de sécurité pour que nous ne puissions pas nous enfuir car de nombreuses fratries essayent de s'échapper quand on leur annonce qu'elles vont être séparées. Elle sortit, nous laissant seuls et complètement dévastés. Mais Jules ne se laissa pas abattre. A l'heure convenue, il fit tomber nos livres de classe sur le sol, c'était le signal pour la diversion. Après quelques minutes, nous entendîmes des cris provenant du couloir et nous vîmes le personnel courir vers le boucan à travers la vitre de notre porte. Jules saisit alors la chaise de notre chambre et la jeta vers la fenêtre. La vitre explosa. Nous nous protégeâmes le visage tandis que les bouts de verre volaient dans la pièce. Puis, je commençais à passer par la fenêtre mais un homme me ceintura à la taille. D'autres personnes arrivèrent et attrapèrent mon frère et ma sœur. Le personnel avait deviné que la bagarre qui avait éclaté était une diversion pour nous permettre de nous enfuir. Nous fûmes placés au troisième étage, là où nous ne pourrions plus sauter par la fenêtre sans se briser le cou. Résiliés, nous restâmes éveillés jusqu'au petit matin.
Le couple revint et on m'emmena avec eux dans une pièce. Nous passâmes la matinée à discuter. Je savais que mon seul espoir était de faire bonne figure et de leur demander d'adopter mon frère et ma sœur. Ils refusèrent catégoriquement car ils avaient déjà d'autres enfants. Déçue et brisée, je continuais à parler avec eux jusqu'à ce que l'on me ramène dans ma chambre avec mon frère et ma sœur. Nous restâmes tous les trois, collés les uns aux autres, profitant de nos derniers instants ensemble.
Les jours nous rapprochant de notre séparation semblaient passer à une vitesse folle et bientôt nous arrivâmes au jour tant redouté. Nous n'avions pas dormi de la nuit. J'avais fixé mon frère et ma sœur dans les yeux, espérant ne pas oublier le moindre détail de leur visage. J'avais demandé à emmener avec moi notre photo de famille mais on me le refusa. Cependant, j'embarquais, tout de même, dans mon sac l'album de photographies que j'avais sauvé des flammes et l'alliance de ma mère que je portait toujours autour du cou. Les infirmières m'avaient donné une jolie robe et m'avaient coiffée soigneusement. Le couple arriva et partit directement signer les papiers dans le bureau du directeur. Puis ils rentrèrent dans notre chambre. Ils me tendirent la main. Je regardais Jules et Marie une dernière fois. Et soudain tout s'accéléra. Mes larmes vinrent déferler le long de mes joues. Mon frère et ma sœur se mirent à pleurer eux aussi. Je les serrais contre moi du plus fort que je pus. Voyant que je ne quittais pas la pièce, le directeur m'arracha de notre étreinte et m'entraîna dans le couloir. Les infirmières enfermèrent Marie et Jules dans notre chambre. Le couple m'emmena avec eux après qu'ils eurent serré la main du directeur comme s'ils concluaient un marché. Nous passâmes la porte ensemble.
La grande porte en bois claqua derrière nous et mon cœur de se brisa. Il s'éclata au sol, provoquant une onde de choc dans tout mon être. Je me mis à hurler ma douleur et à pleurer toutes les larmes de mon corps. Cette douleur était tellement affreuse. Elle déchirait mon âme de part en part. Le torrent de mes sentiments m'emportait de plus en plus. J'étais désemparée. J'étais une étoile perdue sans son univers. J'entendais mon âme se briser à chaque pas que l'on faisait pour m'emporter de plus en plus loin de ma raison d'être.
Lorsqu'on me fit monter dans la voiture, j'étais devenue une coquille vide sans âme. Les larmes ne cessaient de couler sur mes joues et elles me rappelaient, à chaque fois qu'elles franchissaient mes paupières, que j'étais bien vivante et que ma douleur était, elle aussi, bien réelle et présente.
Je m'éloignais inexorablement de ma raison d'être et de ce pourquoi je me battais de jour en jour.
J'étais littéralement détruite.
Nous utilisions ''Nous'' mais j'utilisais désormais ''Moi''.
Nous étions ''Nous'' j'étais devenue ''Moi''.
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