XVII. Le départ

°°Le voyage est un retour

Vers l'essentiel°°

Proverbe tibétain


Le lendemain matin, nous prîmes pour la première fois un repas digne de ce nom afin d'être en forme pour la soirée et la nuit mouvementée qui nous attendaient. Au réveil, nous avions annoncé notre volonté de partir le soir même à Marie. Nous lui demandâmes de ne pas en parler à personne et de garder ce secret seulement entre nous trois. Stéphanie dut partir faire des courses dans la matinée ce qui nous laissa le temps à Jules et à moi de préparer nos affaires sans que notre hôte ne se doute de rien. Cependant, notre voisine Suzanne nous proposa de venir jouer chez elle. Jules et moi déclinâmes l'invitation mais nous avons incité Marie à y aller. Cela serait plus simple de tout préparer si notre petite sœur ne traînait pas entre nos jambes.

Marie méritait tellement de vivre une belle enfance sans anicroches, pourtant, on lui avait volé son innocence lorsque le plafond était tombé sur la tête de nos parents emportant avec lui un morceau de sa vie et de la nôtre. J'aurais tant voulu lui offrir l'enfance douce qu'elle se devait d'avoir. Mon frère et moi étions déjà plutôt grands lorsque nos parents sont morts mais, Marie, elle n'avait seulement connu ses parents que six courtes années. Heureusement, elle était encore jeune et ne comprenait pas que notre fuite serait une lutte contre notre séparation. Je pensais qu'elle prenait sûrement cela pour un court voyage duquel on reviendrait dans quelques mois. Son innocence la protégeait.

Tandis que Jules rassemblait nos affaires, je partis préparer une tarte aux abricots et des biscuits. Jules mit dans des sacs, plus solides et plus gros, les affaires que j'avais récupérées de notre maison enflamme. Il y rajouta les vêtements que Stéphanie nous avait donnés. Une fois que toutes mes préparations furent cuites et refroidies, je les mis dans un sac à tarte que j'avais piqué à Stéphanie dans l'un de ses placards, et je les ramenais dans notre chambre. Après cela, Jules balança les sacs qu'il avait préparés sous l'armoire de la chambre dans laquelle nous logions. En attendant le retour de notre hôte, nous ouvrîmes toutes les fenêtres pour faire évacuer l'odeur des biscuits et de la tarte que j'avais préparés. Ainsi, lorsque la poignée de la porte tourna, annonçant le retour de l'Américaine, tous nos préparatifs étaient cachés et nous lisions tranquillement dans le salon, comme si de rien n'était.

On entendit alors Stéphanie s'affairer dans la cuisine pour préparer le repas et nous partîmes donc chercher Marie chez Suzanne et Anatole. Heureusement pour nous, notre hôte ne remarqua rien. Une nouvelle fois, un silence pesant anima notre repas. A la fin de celui-ci, nous retournâmes dans notre chambre et Stéphanie, quant à elle, partit à son club de lecture. C'était une nouvelle occasion pour nous de pouvoir tout préparer correctement. Je partis alors dans le salon et y pris la carte de la France qui se trouvait dans un tiroir du bureau de William. Je traçais ensuite le trajet que nous avions prévu pour rejoindre la capitale et ses ruelles qui nous permettraient de nous cacher. Les préparatifs continuèrent toute l'après-midi et le soir, quand revinrent les deux Américains, nos deux sacs que Jules et moi allions devoir porter le soir venu étaient prêts et cachés sous nos lits. Ils contenaient tout ce dont nous pourrions avoir besoin. Nous prîmes le repas en silence puis nous passâmes chacun notre tour dans la bassine d'eau qui servait de baignoire. Ce serait sûrement le dernier réel bain avant un long moment pour nous alors nous en profitâmes pour laver la moindre parcelle de nos corps. Enfin, nous fîmes semblant d'aller nous coucher et Stéphanie vint nous souhaiter une bonne nuit sans se douter, qu'au petit matin, nos lits seraient vidées de toute présence humaine. Je ne voulais pas partir sans un mot William et Stéphanie et j'avais donc rédigé une petite lettre où j'expliquais que nous partions, sans donner la destination, et que nous contrôlions la situation. J'ajoutais un remerciement pour nous avoir hébergé en bas de la page avant de la signer avec nos trois prénoms. Une fois que Stéphanie fût partie, nous nous relevâmes et nous revêtîmes nos vêtements noirs que nous avions porter la vieille pour l'enterrement de Papa et Maman. Nous serions encore plus discrets dans la nuit. Cependant, nous rajoutâmes Marie et moi, une paire de collants et les seuls gilets que nous avions pour nous tenir chaud et en prévision des hivers que nous allions bientôt passer. Puis, nous nous installâmes sur nos lits le temps que nos hôtes se couchaient et s'endormaient profondément. Deux heures passèrent ainsi dans le silence le plus complet pour ne pas éveiller le moindre soupçon de la part de Stéphanie et William. Marie manqua plusieurs fois de s'endormir mais Jules viellait au grain et la maintenait éveillée tant bien que mal. Puis, vers minuit, d'après ce que je parvins à lire sur le cadran de ma montre à la lueur de la lune, nous ouvrîmes doucement la porte de notre chambre et nous descendîmes les escaliers en silence en essayant au maximum de ne pas faire grincer les vieilles marches en bois. Nous nous dirigeâmes vers la porte d'entrée mais, lorsque Jules tenta de tourner la poignée, celle-ci resta irrémédiablement fermée. Nous avions complètement oublié de prendre les clés de la maison et celles-ci n'étaient malheureusement pas sur la porte. C'était évident que nos hôtes fermaient leur porte la nuit. Comment avions-nous pu oublier ce si petit détail qui avait pourtant de terribles conséquences. Je me tournais désespérée vers Jules et celui-ci me rendit mon regard. Nous restâmes ainsi devant cette porte qui nous empêchait de réaliser notre plan qui semblait pourtant si rondement mené.

Cependant, une main se posa sur mon épaule et sur celle Jules, nous sursautâmes en nous retournant, déjà prêt à subir à un interrogatoire dont nous souviendrions. William nous regardait de ses yeux d'un noir profond dans la nuit. Il alluma et la lumière de la pièce. Puis, il tendit sa main vers la mienne et dedans se tenait la clé en cuivre de la maison. Il prit alors la parole d'un ton calme. Il ne semblait pas vouloir nous réprimander :

« Je sais ce que vous êtes en train de faire. Vous fuyez la ville pour ne pas être emmenés puis séparés dans des orphelinats.

Mon expression dut lui répondre avant que je puisse ouvrir la bouche et il continua donc :

-Vous voyez sur cette table cette boîte en fer.

Il désigna de la main la table où se trouvait, bel et bien, une boîte cabossée en ferraille rouillée. Il continua alors sur le même ton :

-Prenez-la.Elle contient une belle somme d'argent, quelques médicaments, une lampe torche et des affaires de premières nécessité dont vous pourriez avoir besoin dans votre cavale. C'est la boîte que j'ai emportée avec moi sur le front et elle contient tout ce dont un soldat pouvait avoir besoin. Vous n'êtes pas des soldats mais les objets qu'elle contient pourraient tout de même vous être bien utiles. Je pense qu'elle vous sera plus nécessaire qu'à moi. Prenez aussi ces manteaux, ils vous serviront durant l'hiver qui approchera bien vite, croyez-moi.

Il s'agenouilla ensuite devant nous, prit nos mains dans les siennes et nous dit d'une voix solennelle :

-Promettez-moi de faire tout ce qu'il y a en votre pouvoir pour rester ensemble.

Nous acquiesçâmes en chœur alors William continua :

-La Vie ne vous a pas fait de cadeaux mais faites en sorte que celle-ci vaille la peine d'être vécue. Faites en sorte que chaque jour compte. Faites briller votre soleil sur le monde. Soyez l'étoile qui guide le berger. Soyez les étoiles de nos vies et surtout de la vôtre. Soyez votre propre chance ! Je vous promets de prier chaque jour pour votre salut. Ne nous oubliez pas. Vivez comme si vous deviez mourir demain. Vos parents ne sont peut-être plus là mais ils continuent de vivre dans votre cœur.

Il ouvrit ma main et y glissa son collier de baptême avant de nous indiquer :

-Gardez-le en souvenir de moi et de ce que je vous ai dit ce soir. Prenez aussi ce carnet, dit-il en rajoutant dans un main un livret corné et abîmé par endroits. Il contient des adresse à Paris où vous pourrez avoir de la nourriture et un lit sans trop de problèmes si vous dites aux gérants le nom marqué en première page.

Ajouta-t-il en nous regardant dans les yeux. Surprise par toutes ces informations, je demandais alors :

-Pourquoi fais-tu tout ça ? Pourquoi nous aides-tu à nous enfuir et qui sont ces gens ? Tu pourrais nous donner à des orphelinats, ce qui serait largement plus simple.

Ajoutais-je en désignant le carnet des yeux. Il me répondit alors :

-J'ai promis à votre père de vous protéger si jamais il lui arrivait quelque chose. Aujourd'hui, je sais que la meilleure façon de vous protéger est de vous laisser partir avec vos sacs pleins à craquer. Vous n'aurez jamais une belle vie si vous êtes séparés les uns des autres et ce n'est pas ce que voulaient vos parents. Pour ce qui est de ce carnet, un ami de l'armée, Matthew Miller, qui était avec moi à la guerre durant le débarquement me l'a donné quand nous sommes arrivés sur Paris. Sa femme était française et elle lui avait envoyé ce carnet pour l'aider quand il serait à Paris. C'est son nom qui est noté en première page. J'ai déjà essayé de demander un service à ces personnes qui sont notées dans ce carnet et, dès qu'elles entendent le nom de mon ami, elles t'ouvrent leur porte sans rechigner et sans poser de questions indiscrètes. Ces informations sont sûres les enfants ne vous inquiétez pas. J'aurais pu vous donner à des orphelinats mais je suis persuadé que vous auriez trouvé un moyen de vous enfuir. Je ne dirais rien à personne de votre fuite et je dirais aux voisins que je n'avais plus assez d'argent pour subvenir à vos besoins et que je vous ai envoyé chez des amis »

Je répondis alors d'un simple « Merci » qui montrait malgré tout, toute ma gratitude envers lui pour son aide précieuse qu'il nous apportait. Il hocha la tête humblement et se dirigea vers la porte qu'il ouvrit avec les clés qu'il tenait encore dans sa main. Pendant ce temps, nous mîmes tout ce qu'il nous avait donné dans nos sacs et nous dirigèrent vers la porte. Il nous embrassa une dernière fois et nous souhaita bonne chance. Nous sortîmes alors dehors et je lançais un dernier regard vers les restes de notre maison et de nos vies d'avant, juste à côté de la maison que nous venions de quitter. Les pans de murs qui restaient étaient terrifiants dans la nuit noire.

Tandis que Jules marchait devant tenant par la main Marie et sa peluche. Je me retournais alors, une dernière fois, vers William qui se tenait sur le pas de la porte. Il se décala et je pus apercevoir Stéphanie qui se tenait derrière lui. Elle amorça un pas vers l'avant pour essayer de nous retenir mais son mari la retint par le bras et lui dit d'une voix calme et sereine :

« All will be okay for them, I promise it to you darling.»

Il embrassa ensuite sa tempe d'un geste tendre et rempli d'amour. Je ne parlais pas très bien l'anglais mais je crois que ça voulait dire que tout se passerai bien pour nous. Je ne sais pas si c'est l'assurance dans la voix du soldat qui empêcha Stéphanie de nous rattraper et de nous ramener de force à l'intérieur mais celle-ci passa la tête sous le bras de son mari et se blottit contre lui. Ils nous regardèrent alors avancer d'un pas incertain vers notre avenir qui était tout aussi flou qu'un paysage à travers une fenêtre embuée. Je tournais à un coin de rue et je les vis, tous les deux, qui nous faisaient de grands signes de main et qui nous souriaient. Ce fut la dernière fois que je les ai vus de ma vie. J'aurais bien aimé les revoir et les remercier pour leur aide importante mais la Vie en avait décidé autrement et je n'avais jamais recroisé le chemin de ces deux Américains si gentils et qui nous avaient tant aidé dans notre cavale. Je rattrapais en courant Jules et Marie, qui étaient déjà loin devant, et je saisis la main libre de ma sœur.

Nous passâmes alors près du cimetière où gisaient nos parents et je tirais Jules et Marie à l'intérieur. Je les emmenais vers les tombes de Papa et Maman. Nous assîmes quelques instants devant elles. A la lueur de la lune nous nous recueillîmes et nous reprîmes notre long chemin vers Paris. Nous savions que nous ne verrions pas nos parents avant un bon moment. Nous leur demandâmes de veiller sur nous et nous leur promîmes de toujours penser à eux, tout au long de notre vie.

On ne pouvait pas prendre de moyens de transport car on ne savait pas si les voisins donneraient l'alerte de notre disparition malgré les mots rassurants que William leur dirait. S'ils lançaient cette alerte alors tous les policiers du pays seraient à notre recherche et connaîtraient donc nos visages. Dans ce cas, on ne pourrait pas monter dans un train sans être reconnus et ramenés dans notre village de force dans le meilleur des cas ou directement envoyés dans un orphelinat dans le pire des cas. Nous devions aussi voyager la nuit à la seule lueur des étoiles et du seul satellite naturel de la terre pour passer le plus inaperçu possible. Après environ une heure marche, Marie fût prise de fatigue et elle n'arrivait presque plus à avancer. Jules dut donc la porter sur son dos. Je pris nos deux sacs et nous continuâmes notre route en coupant à travers les champs. Nous avions tracé sur la carte notre chemin pour atteindre Paris et je vérifiais soigneusement que nous gardions le cap à l'aide de la lampe torche que nous avait donné William et d'une boussole que j'avais trouvé en fouillant dans la boîte quel'ancien soldat nous avait donnée. Le chemin se faisait en silence.Marie dormait paisiblement, Jules soufflait bruyamment à cause de l'effort physique qu'il produisait en portant Marie sur son dos et, moi, je restais l'esprit fixé sur mes pensées.

Vers cinq et demie du matin, le soleil commença poindre à l'horizon et nous avions alors parcourus un peu plus de dix kilomètres. Je portais désormais Marie sur mon dos car Jules était trop fatigué pour le faire. Marie avait sa tête dans mon cou et je l'enviais de pouvoir dormir ainsi.

Il nous fallait maintenant trouver un endroit plutôt confortable pour dormir le temps que le soleil se couche une nouvelle fois et laisse sa sœur la lune nous autoriser à repartir. Jules m'indiqua de la tête une cabane dans la forêt à côté de laquelle nous marchions depuis quelques heures déjà. Cette vieille bicoque devait sûrement servir aux chasseurs durant la saison de la chasse mais elle ferait l'affaire pour cette journée. Mon frère ouvrit doucement et précautionneusement la porte et nous découvrîmes un intérieur sombre à cause des volets fermés. C'était sale et remplit de poussière et de toiles d'araignées mais on devrait se contenter de cela pour cette fois. Il y avait, au centre, une table de bois branlante, dans un coin, une vieille gazinière sale et, dans le coin opposé, un lit simple avec un petit matelas. Nous rentrâmes tous ensemble et Jules referma la porte derrière nous. Je déposais ensuite Marie par terre. J'installais une couverture sur le lit qui possédait un oreiller pendant que Jules changeait Marie pour la mettre au lit. Il la porta vers le vieux lit et l'y allongea. Je repliais alors la couverture sur elle et lui chantais la plus jolie berceuse que je connaissais jusqu'à ce que Marie ferme les yeux et parte dans le pays des rêves où son imagination est reine. Je me tournais alors vers Jules et nous nous prîmes dans les bras l'un de l'autre. Il prit mon visage dans ses mains et me dit :

« Je te jure que peu importe les obstacles, je vous emmènerai au pays des merveilles et je vous montrerai les plus belles couleurs du monde que vous méritez tant de voir.

Je lui répondis alors :

-Et moi, je te jure de vous offrir les plus belles existences du monde.

Enfin, nous dîmes ensemble :

-Croix de bois, croix de fer si je mens je vais en enfer.

Et je signais cette promesse d'une croix sur mon cœur sans me douter que mon enfer approchait à petit pas, tapis dans l'ombre de l'espoir grandissant d'une vie meilleure.

Jules déclara alors :

« Je t'aime...

-Moi aussi et plus que ne tu peux te l'imaginer, poursuivais-je.

Mais il ajouta :

-Petite sœur !

Et je rétorquais donc :

-Tu n'es né que trois minutes avant moi donc ce n'est pas une raison pour te sentir supérieur à moi ! »

Et je ponctuais ma phrase d'une tape sur sa tête.


Après cette petite pique de la part de mon jumeau adoré, nous nous endormîmes côte à côte sur la couverture posée au sol pour laisser le lit à notre petite sœur.

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