XIV. Réponses
°°Quand tu lances la flèche
De la vérité, trempe toujours
La pointe dans du miel°°
Proverbe arabe
Mes heures de sommeil qui précédèrent le fameux dimanche pouvaient se compter sur les doigts de la main. Je passais mes nuits devant ma fenêtre à contempler la Lune et les étoiles. J'étais tout le temps tourmentée par mes pensées et la perspective effrayante du dimanche. J'allais devoir tout dire. Même si j'en avais réellement envie, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que je ferais peut-être mieux de ne rien leur dire jusqu'à la fin de mes jours. Je me dégoûtais devoir à quel point j'étais égoïste. Je préférais garder mes secrets pour moi. J'avais longtemps choisi de ne rien révéler de ce que je pensais aux autres, aimant mieux me détruire à petit feu de l'intérieur plutôt que de montrer aux autres mes faiblesses. Malheureusement, je n'avais plus le choix. Il fallait que j'agisse et que je parle enfin. J'avais déjà détruit mon mariage et je ne voulais pas, en plus, détruire mes derniers liens familiaux avec mes enfants. J'avais touché le fond et j'étais en train de me relever, doucement, avec l'aide précieuse de Mathilde et Louise mais, pour enfin sortir complètement la tête de l'eau, je devais maintenant affronter mes démons et en parler de vive voix. Une fois que cela serait fait, je savais que ma vie serait tout à fait transformée. Je me sentirais libérée du poids que je portais sur mes épaules depuis tant de temps mais je savais que je risquais de perdre quelques membres de ma famille quand ils apprendraient tout ce que je leur avais caché. Ils ne risquaient pas d'aimer savoir que toutes leurs certitudes, qu'ils avaient sur leur mère, n'étaient qu'un amas de mensonge savamment tissé et agencé. J'espérais, au plus profond de moi-même, qu'ils comprennent les raisons qui m'avaient poussé à faire cela. Pourtant, en n'ayant jamais parlé vraiment de moi, je n'étais pas sûre que je connaisse, aussi bien que je le pensais, mes enfants. En mentant pendant si longtemps, sans être découverte, j'étais en droit de me demander si tout le monde ne faisait pas pareil que moi et que nous ne sommes jamais ce que nous montrons à notre entourage. Toutes les choses que j'avais construites autour de moi au fil des années étaient remises en question par le simple fait que j'avais menti pendant trop longtemps à mes proches. J'avais menti pour ne pas faire souffrir ma famille mais ce n'était qu'une excuse minable. J'avais été si cachottière pour me cacher de moi-même. Le désespoir, qui m'avait habité, était seulement le résultat de mon lourd secret. Je m'étais empêchée de pleurer sur mon passé et, lorsqu'il avait finalement fait surface, la douleur qui lui était associée s'était multipliée et était devenue beaucoup difficile à supporter. Je ne voulais plus vivre dans l'impasse de l'illusion que j'avais montré à mes enfants. Je souhaitais de nouveau être celle que j'étais vraiment et qui m'avait quittée quand j'avais dix-sept ans et que je venais de rencontrer Pierre. Mon corps et mon visage étaient les seuls vestiges de cette époque. La seule vérité que mes enfants connaissaient était mon physique. C'était si malheureux à dire et à penser de savoir que la chose la plus futile chez une personne était sa seule exactitude. Mes dix-sept ans étaient peut-être la dernière période où j'avais été réellement moi mais, depuis mes douze ans, je ne vivais déjà plus qu'à moitié. Il ne me restait que quelques objets en souvenirs de cette époque. Je ne me séparais jamais de mon collier fétiche qui était l'alliance de ma mère. C'était une bague en or massif ornée de trois pierres blanches. Sous la bague, on trouvait les noms de mes deux parents. J'avais aussi un vieil album rempli de photographies de mon enfance avec Jules et Marie. Il était vieux et abîmé mais les images étaient encore en bon état à l'intérieur. Je ne consultais que rarement le bouquin car il me ramenait à une époque que j'aurais préféré ne jamais vivre. Je gardais précieusement ces deux objets et ne les avais jamais montrés à la moindre personne tant ils étaient importants pour moi. C'était une nouvelle preuve de mon égoïsme. Je ne voulais pas partager mes souvenirs. J'étais détestable devoir tous les secrets et cachotteries que j'avais gardé pour moi.
La semaine passa rapidement jusqu'au dimanche. J'avais essayé durant le temps qu'il me restait avant de devoir tout raconter à mes enfants d'écrire sur papier tout ce qu'il s'était passé dans mon enfance. Cependant, je ne cessais de rayer tout ce que j'écrivais. Je ne trouvais pas la bonne formulation et les mots sonnaient faux lorsque je les couchais sur le papier. J'étais de plus en plus horrible. Je ne voulais même plus parler, je préférais laisser mes enfants découvrir l'histoire à travers une feuille de papier. C'était lâche de ma part. Heureusement, je déchirais le papier et le jetais rapidement à la poubelle. Je ne pouvais plus me cacher et je devais, désormais, assumer mes actes. Comme le dit si bien un proverbe populaire : « Qui sème le vent, récolte la tempête ». J'avais, il y a bien longtemps, lancer les graines de mon mensonge et j'avais laissé grandir cette hideuse plante. Celle-ci avait dévoré les autres êtres vivants qui étaient passés sur son chemin. Il fallait maintenant que j'utilise mes dernières forces pour déraciner la plante qui avait planté ses racines très profondément sous terre.
Plus on approchait du fameux dimanche, plus j'avais la terrible impression que le temps prenait un malin plaisir à s'accélérer pour me rapprocher au plus vite de la fin de semaine.
J'hésitais à préparer quelque chose à dire à mes enfants mais je savais que, face à eux, je n'arriverais jamais à dire clairement mes idées. Je préférais laisser les choses faire et laisser mon cœur décider, sur place, de ce que je dirais et répondrais à mes enfants. Si je ne préparais rien, j'imaginais pourtant que mes enfants ne cessaient de ruminer et de réfléchir aux milliers de questions qu'ils pourraient me poser lorsque nous serons dans le parc. J'espérais seulement que leurs enfants ne viennent pas avec eux et qu'ils les laissent dans des garderies. Supporter les regards terrifiants et impatients de mes enfants serait déjà assez dur et je n'avais pas, en plus, envie de voir les yeux de mes petits-enfants qui n'y comprendraient certainement rien du tout. J'avais hâte de pouvoir enfin parler à cœur ouvert mais je craignais la réaction de Nathan, d'Agnès et d'Hélène. Qu'allaient-ils penser lorsqu'ils apprendraient la vérité ? Quelles seraient leurs réactions face à mes aveux ? L'expérience de la vie que j'avais faite m'avait montré, clairement, que l'on ne peut jamais prévoir parfaitement la réaction des gens face aux différentes situations qui nous arrivent. Nous sommes tous tellement différents que personne n'aura jamais la même façon de penser qu'une autre. J'aimais cette différence entre tous les humains mais je la redoutais tout autant car on peut dire ce que l'on veut, si la personne ne perçoit pas nos phrases de la même façon que nous, cela peut avoir l'effet d'une bombe. Les mots sont notre plus grande arme. Je savais donc qu'il fallait que je parle seulement avec mon cœur et mes tripes. Je ne devais pas répondre en réfléchissant trop à la tournure de mes phrases. Je voulais être la plus claire possible et le seul moyen était de, pour une fois, laisser parler mon âme. Je ne voulais plus faire de détour. J'en avais marre de devoir faire toujours attention au sens des mots que j'utilisais pour ne pas révéler la moindre parcelle de mon si lourd secret. A soixante-dix-huit ans, je voulais, enfin, être libre de dire ce que je pensais. Je voulais vivre de nouveau à fond sans me soucier de rien ou, seulement, du bonheur de ma famille. Regarder le monde sans penser à demain ou hier était un objectif de vie qui devenait de plus en plus réalisable grâce à Mathilde et Louise. J'étais tellement chanceuse d'avoir croisé leur route. J'avais mis du temps avant de pouvoir me sentir, enfin, émancipée de tous mes problèmes. Le chemin jusque-là fut semé d'embûches et d'obstacles mais je les ais tous surmontés, avec ou sans aide, pour arriver à ce dimanche. Je m'étais laissée une semaine, depuis le mariage d'Hélène et depuis la découverte de l'incohérence entre les deux versions de ma vie, pour pouvoir réfléchir à ce que j'avais envie de dire à mes enfants. J'avais longtemps tourné cette questions dans tous les sens avant de me dire que le plus simple était de tout leur dire sans oublier aucun détail et aucun faits. Mon cerveau avait essayé de me faire perdre de vue cette période de ma vie mais ma mémoire était plus forte. Gardant au fond de moi la moindre chose, je me souvenais encore de tous les mots et de tous les gestes que j'avais dits et faits au cours de cette période entre mes douze et dix-sept ans.
Le dimanche matin, je me réveillais tôt après une longue nuit de sommeil par rapport à celles que j'avais passées les jours précédents. Louise ne travaillait, heureusement, pas ce jour-là et viendrait me chercher pour m'emmener au parc. Ce fut Martin qui vint, ce jour-là, m'aider à aller jusqu'au réfectoire. Je dégustais mon petit-déjeuner en discutant avec Gisèle. Cette femme était arrivée récemment et était une ex-danseuse étoile. Elle adorait parler de son métier. C'était une grande bavarde pleine de vie. J'aimais passer du temps avec elle depuis qu'elle était arrivée. Ce matin-là, pourtant, je ne m'attardais pas à la table et je retournais directement dans ma chambre pour me préparer. Une autre aide-soignante vint m'aider à me préparer. J'enfilais, avec son aide, une robe fleurie. Elle m'aida à finir de me préparer puis elle repartit s'occuper d'autres personnes âgées. J'attendis seulement quelques minutes avant que Louise ne rentre dans ma chambre. Elle m'embrassa et nous échangeâmes, ensemble, quelques futilités. Ensuite, elle m'aida à mettre mes chaussures. Une fois prête, j'attrapais ma canne et m'accrochais au bras de l'aide-soignante puis nous prîmes l'ascenseur. Elle me conduisit jusqu'à sa voiture où je m'installais à l'avant, sur la place passager. Avant de nous rendre au parc, nous devions aller chercher Mathilde chez elle. Louise savait où elle habitait car elle lui avait demandé son adresse durant la semaine. La journaliste habitait dans un appartement au centre de la même ville où la maison de retraite des Rosiers se trouvait. Le trajet fut rapide jusqu'à la résidence où vivait la jeune femme. Le bâtiment semblait récent. Louise fut la seule à sortir du véhicule. Elle s'approcha de l'interphone et dut sonner chez Mathilde. Les deux femmes s'échangèrent quelques mots aux micros des parlophones puis Mathilde raccrocha. Louise attendit alors devant les portes closes jusqu'à ce que la chevelure rousse de la journaliste apparaisse dans les escaliers. Mes deux amies se saluèrent avant de revenir vers la voiture où j'étais assise. Mathilde était joviale et me salua alors joyeusement. Louise reprit le volant et nous conduisit vers le parc. Nous discutâmes de n'importe quoi dans la voiture, histoire de détendre l'atmosphère. J'étais tendue et les personnes autour de moi devaient le ressentir. Nous étions les premières arrivées et choisîmes ensemble un espace dégagé dans le parc. Le ciel semblait grisonnant mais je doutais qu'il pleuve aujourd'hui. Mes deux amies me donnèrent du courage avant que mes enfants n'arrivent. J'avais expliqué à Mathilde et Louise que je m'apprêtais à dire toute la vérité sur mon enfance. La journaliste s'était, depuis le début rendu compte, que quelque chose clochait en moi et que je n'étais pas celle que je prétendais être. Elle savait regarder les gens et les cerner d'un coup d'œil. Elle voyait au-delà des apparences, au-delà du physique. Mon amie avait vu plus loin que ce que je laissais paraître aux autres. Quant à Louise, celle-ci avait toujours su trouver les mots pour m'encourager à donner le meilleur de moi-même et à faire les meilleurs choix possibles. Elles m'avaient, toutes les deux, soutenue au mieux. J'étais heureuse de pouvoir compter ces deux femmes parmi mes amis. Mathilde avait amené du jus de fruits et nous sirotions nos verres sur une couverture de Louise, en attendant que mes enfants arrivent au parc.
Au bout de plusieurs minutes d'attente, Agnès, Nathan et Hélène arrivèrent, accompagnés de leurs compagnons respectifs. J'étais heureuse qu'ils aient exécuté ma demande et qu'ils ne soient pas venus avec leurs enfants. Les seuls de mes petits-enfants à être venus étaient Rose et son frère Isaac, qui pour sa part était accompagné de sa femme Noémie. Ma famille nous salua puis ils s'installèrent tout autour de nous sur des couvertures qu'ils avaient eux-mêmes apportées. Mes enfants semblaient toujours aussi énervés contre moi que depuis le mariage d'Hélène. J'aurais espéré que le temps aurait apaisé les choses et surtout les tensions mais il n'en fut pas ainsi. La gorge nouée, ils acceptèrent quand même le verre que leur proposa Mathilde. Nous restâmes dans le silence le plus complet pendant quelques minutes avant qu'Isaac n'y tienne plus et brise enfin la bulle pesante qui s'était créée autour de nous. Il déclara :
« J'en ai marre d'attendre ! Je veux que tu nous dises la pure et simple vérité. Je ne veux plus que tu nous mentes, Mamie. S'en est assez des mensonges et des questions habilement esquivées. Nous voulons tous la vérité.
Par ces simples paroles, mon petit-fils venait de placer une immense pression sur mes épaules. Je n'avais plus le droit de me défiler sinon ils ne me le pardonneraient jamais. Je n'avais plus le temps de détourner leurs attentions. Regardant autour de moi, je vis que les yeux de mes enfants reflétaient exactement ce que venait de dire Isaac. Soufflant un bon coup pour me calmer, je déclarais alors :
-Tu as raison Isaac, j'ai trop usé de détour et j'ai bien trop souvent évité de vous parler de mon passé. J'en suis sincèrement désolée mais je sais pertinemment que je n'aurais jamais eu la force de faire autrement. Je ne sais pas si j'ai bien fait de tout vous cacher. J'aurais peut-être dû tout vous dire dès le début. Cependant,aurais-je pu supporter toutes vos questions sur ce passé qui me fait tant souffrir. En mentant, je voulais moi-même oublier tous ces événements que je m'apprête à vous raconter. J'avais besoin de temps mais je crois que j'ai trop attendu. J'aurais dû avoir cette démarche, de venir vous parler, bien plus tôt.
J'allais continuer à parler quand Agnès me stoppa dans mon discours. Elle leva la main et me dit :
-Regarde-toi Mansa, tu tournes encore autour du pot. Tu racontes plein de belles choses mais tu ne viens jamais au fait réel pour lequel nous t'en voulons.
Offusquée, je lui répondis, consciente de ce que je faisais :
-Tu ne sais rien de ce que je vais te raconter. Tu imagines sûrement des centaines de scénarios mais tu es certainement complètement à côté de la plaque. Comment vous permettez-vous de me juger alors que vous ne savez pas la moitié de ce qu'il s'est passé ? Vous vous faites un avis erroné de la situation. Vous pensez tout savoir et être les seuls ayant la parole sainte dans cette conversation. Vous ne le dites pas mais vous me prenez pour une moins-que-rien de vous avoir caché tant de choses. Vous pensez seulement à vous sans imaginer, un seul instant, que je souffre peut-être. Cela ne vous est pas venu à l'esprit que je regrettais profondément de vous avoir menti mais que j'avais tellement mal dans mon cœur que je n'avais pas pu faire autrement. Je ressens encore le malheur qui m'avait habité. Vous êtes aveuglés par le désir de savoir sans vous soucier de ce que ressens au fond de moi. C'est malheureux de dire cela mais vous ne savez pas les épreuves, au combien, difficiles que j'ai traversées. Vous voyez seulement la partie émergée de l'iceberg. Vous portez des œillères qui vous empêche de voir que j'ai souffert et que la meilleure solution était de vous mentir. J'ai l'âme en mille morceaux et vous me demandez de recoller toutes ces parties en un claquement de doigt. Si vous saviez combien j'ai mal, vous comprendriez peut-être pourquoi j'ai si souvent détourné les questions qui me ramenaient à mon passé.
Des larmes commençaient à perler au coin de mon œil. Je les retins du mieux que je pus mais j'avais si mal à l'intérieur de moi-même. Agnès voulut alors s'excuser mais je la coupais brusquement :
-Je t'interdis formellement de t'excuser. Cela ne sert à rien de demander pardon après avoir blessé quelqu'un. Je ne vous demande pas de vous excuser, seulement que vous compreniez enfin ce qui m'a poussé à agir comme je l'ai fait. »
Avoir seulement évoqué mon passé faisait ressortir en moi une douleur enfouie, comme une cicatrice qui continue à faire mal même très longtemps une blessure. Mes larmes se déversèrent alors en torrent sur mes joues mais je les laissais couler. J'avais si mal au fond de moi, refouler mes pleurs n'aurait servit à rien. Je prenais conscience de l'erreur que j'avais faite de mentir à toute ma famille. Cette bêtise avait obligé mes sentiments à rester cacher au plus profond de moi. Désormais, à chaque fois que j'évoquais mon passé, cela faisait resurgir la douleur, jusqu'à lors dissimulé. Ma famille me regarda pleurer, la tête baissée. Ils avaient honte de s'être comporté ainsi. Pourtant, je ne pouvais pas leur en vouloir car j'aurais sûrement réagi de la même manière si j'avais appris que ma mère me mentait depuis tant d'années. Je ne leur en voulais pas du tout mais je voulais simplement qu'il comprenne les raisons qui m'avaient poussée à leur cacher tant de choses.
Je pleurais encore longtemps, jusqu'à ce que mes sanglots se tarissent peu à peu. J'essuyais mes joues avec le mouchoir que me passa Mathilde. Puis, je saisis l'une de ses mains et l'une des mains de Louise et dit enfin à mes enfants ce qu'ils attendaient depuis qu'ils étaient arrivés :
« Je vous ai déjà parlé du début de ma vie alors il est temps de rentrer dans le cœur du sujet. L'événement qui changea drastiquement le cours de ma vie se déroula en 1952, quand j'avais douze ans. »
Lesregards de mes enfants tournés vers moi et les mains de mes amiesdans les miennes, je commençais mon récit, prête plus que jamais àfaire face à ce qui me faisait si mal depuis si longtemps.
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