XIII. Quand la vérité doit éclater

°°La chose la plus commune,

Dès qu'on nous la cache,

Devient un délice°°

Oscar Wilde

Je me réveillais, à peine quelques heures plus tard, à l'entente de chuchotements provenant du salon de ma fille. Je mis mes chaussons et me débarbouillais légèrement le visage avant d'aller voir qui faisait ce tapage sitôt dans la matinée. En ouvrant la porte de ma chambre, je prenais Nathan, Agnès et Achille, le frère de Raphaël, en flagrant délit. Ils préparaient une surprise pour les jeunes mariés lorsqu'ils se réveilleraient. Ils préparaient une chasse au trésor qui mènerait à l'immense cadeau au milieu du salon qu'ils se fatiguaient à faire rentrer dans la maison. A l'intérieur, se trouvait le cadeau qu'ils voulaient offrir aux jeunes mariés. Ils faisaient un tel vacarme que j'imaginais aisément qu'Hélène et Raphaël se soient déjà réveillés. Je les laissais faire malgré tout. Ils se criaient dessus en essayant d'élever la voix le moins possible. Enfin, après plusieurs minutes d'effort, l'immense boîte qui contenait le cadeau était rentrée dans la maison, au beau milieu du salon du couple. Agnès, Nathan et Achille avaient offert aux mariés un voyage à travers toute l'Europe. Le périple devait duré environ un mois, au cours duquel, les futurs parents pourraient traverser, pas moins, de quinze pays. Mes deux aînés et le frère de Raphaël avaient tout prévu et les deux tourtereaux devaient partir cinq mois après leur mariage. Achille, Agnès et Nathan allaient, ce matin, leur offrir leurs billets de train. L'énorme boîte était seulement prévue pour que les trois adultes préparant la surprise puissent se cacher à l'intérieur tandis qu'Hélène et Raphaël feraient la petite chasse aux trésors qu'ils avaient prévue. Ceux-ci réussirent alors, enfin, à rentrer dans la grande boîte. Il n'y eu alors plus le moindre bruit pendant quelques minutes jusqu'à ce que la porte de la chambre d'Hélène et Raphaël s'ouvre. Ils avaient entendu leurs frères et sœurs mais ne s'attendaient pas à trouver au milieu de leur salon une telle surprise. Ils vinrent tous les deux me saluer avant de commencer la chasse au trésor dont ils venaient de prendre connaissance. Ce n'était pas très difficile et, en quelques minutes, ils trouvèrent le message à dire aux cachottiers se trouvant dans la boîte pour les faire sortir. Le couvercle du cadeau sauta et des centaines de confettis volèrent dans la pièce. Agnès, Achille et Nathan prirent chacun leur tour le couple dans leur bras avant de leur tendre le véritable cadeau de mariage qui leur était destiné. Hélène et Raphaël les remercièrent durant plusieurs minutes avant d'aller prendre leur petit-déjeuner. Mes deux aînés et le frère du marié, quant à eux, sortirent de la boîte et rangèrent tout ce qu'ils avaient sorti. Après avoir observé toute la scène, je me décidais enfin à aller prendre mon déjeuner en compagnie de ma cadette et de son mari.

Après cela, nous nous préparâmes tous et partîmes en direction de la salle où s'était déroulé le mariage pour aller finir le rangement entamé après la soirée par quelque courageux. Les enfants vinrent avec nous et, pendant que nous rangions, ils jouaient dans la cour, juste derrière la salle. Nous étions les premiers dans la salle mais, au fur et à mesure, plusieurs membres de la famille vinrent nous rejoindre. Le premier fils d'Agnès, Isaac, arriva avec sa femme Noémie. Celle-ci, étant enceinte de près de six mois, resta cependant assise sur une chaise et nous encouragea du mieux qu'elle put. Malgré ma vieillesse, je pus aider au rangement et m'occuper des enfants pour ne pas qu'ils dérangeassent leurs parents pendant le nettoyage. Plus de la moitié de la salle était rangée quand les plus jeunes commencèrent à réclamer leur repas du midi. Ces jeunes têtes blondes sont réglées comme du papier à musique et, dès quel'heure de manger arrive, ils se mettent à piailler auprès de leurs parents comme des oisillons devant leur mère pour avoir leur ration. Laissant alors les serpillières et les balais, nous préparâmes le repas et le dégustâmes, tous ensemble, autour d'une longue table qui avait été dressée pour l'occasion. Mes petits-enfants engloutirent leurs assiettes en moins de temps qu'il n'en faut pour cligner des yeux et ils demandèrent alors à mes enfants pour sortir de table et retourner à leurs jeux, nous laissant la corvée du ménage. Une fois que j'eus, à mon tour, fini mon assiette, je voulus retourner nettoyer la salle mais Rose, la sœur d'Isaac, m'en empêcha et proposa une tournée de café pour tout le monde. Les autres occupants de la table acceptèrent tous et s'installèrent plus confortablement dans le fond de leurs chaises. Après un petit bout de temps, Rose revint, portant dans ses bras un plateau rempli de tasses de café chaudes. Elle en distribua à tout le monde et partit se rasseoir, juste à côté de moi. Chacun ayant une tasse chaude posée devant soi et les conversations ne prirent pas longtemps à fuser en tous sens. D'un œil attentif, j'observais tout ce petit monde qui vaquait à ses occupations autour de moi. Raphaël posant tendrement sa main sur le ventre d'Hélène, comme une habitude, et qui parlait avec son frère. Ma cadette qui parlait, quant à elle, avec Noémie de leurs grossesses respectives. Les deux femmes ne cessaient de s'échanger des conseils. A côté d'elle, la compagne d'Achille discutait de politique, sans élever la voix, avec Agnès et Rose, qui s'était déplacer pour être plus proche de la conversation. Léonie, la femme de Nathan, s'était, quant à elle, éloignée et berçait dans ses bras le jeune Noé qui commençait à piquer du nez. Son mari ne parlait à personne et gardait un œil sur les enfants qui jouaient dehors. Enfin, Isaac était près de moi et regardait dans le vide. Il semblait complètement absorbé par ses pensées. Après quelques heures de repos après notre repas, la plupart des personnes présentes recommencèrent toutes à ranger de fond en comble la salle. Seules trois adultes restaient sur le côté et regardaient, épuisées, les autres travailler. Ces trois personnes, dont moi, étaient Hélène et Laura qui étaient trop fatiguées par la soirée et la matinée avec le bébé qu'elles portaient chacune.

Après encore plusieurs heures de nettoyage, la pièce était redevenue aussi propre que lorsqu'on nous l'avait passée. Les adultes rappelèrent leurs enfants à eux et rangèrent leurs jouets qui traînaient encore dehors. Tous les meubles que nous avions emmenés, comme les tables ou le canapé sur lequel nous avions pu prendre des photos la veille, avaient été mis dans les voitures de chacun. Pour finir la journée, avant que chacun rentre chez-soi, Hélène nous proposa de venir chez elle. Tout le monde accepta, sauf Achille et sa compagne qui décidèrent de rentrer chez eux car ils habitaient loin. En seulement quelques minutes de route, nous nous trouvâmes tous devant chez ma cadette qui nous fit alors rentrer et nous proposa un verre. Nous étions tous installés autour de la table du salon de ma fille et nous discutions des deux jours que nous venions de passer ensemble. Tout le monde avait l'air content, moi y compris. On sentait, pourtant, dans la voix de chacun que la fatigue accumulée au cours des derniers jours commençait à se faire ressentir. Quelques bâillements fusèrent autour de la tablée mais nous paraissions tous serein. Hélène, plus que les autres, était rayonnante et regardait tendrement son, désormais, mari. Elle tenait sa main dans la sienne et avait posé sa tête contre son torse. Même si elle avait l'air d'être plus fatiguée que jamais, on voyait clairement qu'elle n'hésiterait pas une seule seconde à refaire ce week-end s'il le fallait. Les enfants aussi devaient être fatigués par ces deux jours car, dans la chambre de Sacha où ils étaient tous réunis, les cris et les rires retentissaient de moins en moins fort. L'atmosphère était étrange, un mélange de sérénité et d'une grande fatigue. Laura dormait d'ailleurs contre l'épaule de son compagnon qui lui caressait doucement les cheveux dans un mouvement régulier. J'aurais, moi aussi, aimé m'assoupir mais je ne voulais pas m'endormir alors que mes enfants étaient si heureux. Je luttais pour ne pas que mes paupières se ferment et je m'obligeais,en pensant à tout un tas de choses futiles, à garder l'esprit éveillé et aux aguets. Noé, qui ne dormait toujours pas à cause de tous les changements qui s'opéraient autour de lui, pleurnichait dans les bras de son père. Léonie, qui se tenait à côté de Nathan, regardait son mari porter son fils et essayer de le calmer. Les deux parents s'échangeaient régulièrement l'enfant pour tenter de le calmer grâce à différentes techniques. Mon petit-fils était pourtant résolu, comme moi, à ne pas glisser dans un sommeil profond. Léonie, reprenant Noé des bras de mon propre fils, essaya une énième chose pour qu'il s'apaise enfin. Elle commença à chanter une douce berceuse qui permit, non seulement, de plonger son fils dans un sommeil réparateur mais aussi de mettre, plus encore, toute l'assemblée dans les vapes. Lorsque ma belle-fille s'arrêta de chantonner, plus aucun bruit ne se faisait entendre parmi nous. Le calme était revenu dans la maison. Quiconque, serait passé dans la rue, aurait cru que la maison était vide tant le silence était opaque. Après quelques minutes de ce calme apparent, Isaac m'interpella en essayant de faire le moins de bruit possible :

« Dis Mamie, je repensais à la vérité sur l'histoire de ton enfance que tu as commencé à nous raconter la dernière fois, au parc.

A l'entente de ces paroles, je me redressais dans le canapé et un nœud se forma dans ma gorge. J'aurais voulu ne pas avoir à en parler sitôt mais, depuis le pique-nique, je m'attendais, tous les jours, à ce que l'un de mes enfants ou petits-enfants, à qui j'en avais parlé, veuille discuter de cela. Faisant tout pour ne pas paraître gênée, je le laissais continuer :

-Tu nous as parlé de tes frères et sœurs qui s'appelaient Jules et Marie.

Malheureusement pour moi, mon petit-fils venait de mettre le doigt sur l'incohérence la plus flagrante entre les deux versions de ma jeunesse. J'aurais tellement voulu qu'il ne s'en rende jamais compte même si je savais que cela était complètement improbable. L'un de mes enfants ou petits-enfants se serait forcément rendu compte de cette énorme différence, tôt ou tard. Isaac était en train de me mettre au pied du mur, ce que j'avais tant essayé d'éviter en mentant. Mon petit-fils commença à se rendre compte du trouble qui montait en moi mais ne cilla pas et poursuivit :

-Si je ne dis pas de bêtises,je crois que ton frère et ta sœur, que nous appelons Tonton et Tata, s'appellent en réalité Basile et Anna. Il y a donc un problème. Si tu dis que Jules et Marie sont les vrais prénoms de ton frère et de ta sœur alors qui sont Basile et Anna et où sont passés Jules et Marie.

Oh Seigneur ! Je sentais, qu'au fond de lui, il s'attendait à ce que je lui raconte la suite de l'histoire ou, qu'au moins, je réponde. Cependant, je ne pouvais pas tout lui dire, comme ça, de but en blanc. J'avais encore besoin de temps pour me préparer. Cela pourrait paraître paradoxal, étant donné que j'avais eu tout le temps du monde depuis que j'étais seule dans ma maison ou aux Rosiers. Je ne me sentais pas prête et j'avais besoin que Louise et Mathilde soient à mes côtés quand je dirais la vérité. J'avais peur que ma famille m'abandonne en connaissant la vérité mais j'étais persuadée que mes deux nouvelles amies ne me laisseraient pas seule et me soutiendraient, coûte que coûte. Je me sentais comme une enfant, ayant encore besoin de ses parents pour aller chercher du pain à la boulangerie. Je ne pourrais jamais supporter de voir tous les regards de mes enfants sur moi. Je ne savais pas quelle serait leur réaction mais je m'attendais déjà au pire. Je tournais alors les yeux vers Isaac qui me regardait bizarrement. L'expression de mon visage devait avoir attisé sa curiosité et il n'était pas le seul. Autour de nous, tout le monde avait les yeux pointé sur moi. Ils attendaient que je parle. Ils avaient dû entendre le début de notre conversation avec Isaac. J'aurais tant voulu que ce soit le seul au courant de cette différence entre les deux versions. Malheureusement, les adultes autour de nous avaient senti que quelque chose de bizarre se tramait et ils étaient tous sortis du brouillard qui flottait autour de nous après que Léonie eût chanté une chanson à son fils. J'avais presque peur face à tous les regards que mes propres enfants me lançaient. J'étais incapable de prononcer le moindre mot. Ma langue était fixée dans ma bouche et mes cordes vocales ne semblaient plus vouloir produire le moindre son. Je ne répondais toujours pas à la question que m'avait posée Isaac et ma famille commençait à s'impatienter de me voir aussi muette. Au bout de plusieurs minutes d'attente, où la tension entre nous était comme une personne réellement présente et vivante qui prenait, au fur et à mesure, de plus en plus de place, mon petit-fils comprit que je ne dirais pas un seul mot. Il reprit donc le fil de sa réflexion et continua ainsi :

-J'ai réfléchi toute l'après-midi mais, pourtant, je ne comprends toujours pas qui peuvent bien être Anna et Basile. Sont-ils de notre famille ou jouent-ils des rôles depuis tout ce temps ? Qui sont-ils par rapport à nous et pourquoi les as-tu désignés comme étant nos oncles et tantes ? Nos grands-parents pour certains et arrière grands-parents pour d'autres, sont-ils réellement ceux qu'ils prétendent être ? J'ai tourné et retourné toutes ces questions dans ma tête mais je ne trouve aucune explication possible. La seule personne qui connaît la vérité de tout ce charivari, c'est toi Mamie. Tu nous dois de véritables explications qui répondraient à toutes ces questions sans réponses. Si tu n'avoues pas, j'ai peur de découvrir que tout ce que tu nous as raconté était complètement faux et inventé de toutes pièces. Peut-être même que ce que tu nous as raconté la dernière fois était le vrai mensonge et que tu deviens complètement folle. Jules et Marie n'ont peut-être jamais existé.

Agnès et Valentin furent autant surpris que moi par les paroles de leur fils. Mon gendre interpella alors Isaac :

-Parle autrement à ta grand-mère, veux-tu. Qu'est-ce qui te prend de la traiter de folle ?

Isaac s'emporta à son tour :

-Tu me disputes mais je suis sûr que Maman pense la même chose que moi. Depuis le pique-nique, ne me dis pas que tu n'as pas envisagé tous ces scénarios ? Vous y pensez tous ici, ajouta-t-il en balayant la pièce d'un revers de main.

Puis, il se leva, attrapa ses affaires et aida Noémie à sortir du canapé. Ils mirent leurs vestes et se dirigèrent, main dans la main, vers la porte de la maison d'Hélène. Avant qu'il ne passe le pas de la porte, j'alpaguais Isaac :

-Mon chéri, je t'interdis de croire que Jules et Marie ne sont que le fruit de mon imagination fertile. S'il te plaît, crois-moi. Il est vrai que je vous ai menti mais laissez-moi me racheter.

Et tandis que je me levais, j'ajoutais :

-Je vous donne rendez-vous dimanche prochain dans le même parc que la dernière fois à dix heures. Là-haut, je promets de vous dire toute la vérité dans les moindres détails. Venez sans les enfants s'il vous plaît »


Isaac acquiesça légèrement du chef avant de se retourner et de partir vers sa voiture avec Noémie. J'étais désemparée alors que je restais face à la porte, maintenant fermée, par les mots violents qu'il m'avait lancés. Je savais pertinemment que ce n'était pas que sous le coup de la colère qu'il avait dit cela mais qu'il le pensait vraiment. C'était cela qui me faisait le plus mal. On sentait dans ses paroles qui les pensait sincèrement. Je regardais encore quelques instants à l'endroit où étais sa voiture avant de me tourner vers mes enfants qui semblaient aussi ahuris que moi par les paroles qu'avait proféré mon petit-fils. Ne me sentant plus à ma place parmi mes enfants, qui étaient en pleine réflexion par rapport aux questions qu'avait soulevé Isaac, je remballais aussi rapidement que je le pus mes affaires et sortis dehors pour appeler un taxi. Nathan, qui m'avait suivi dehors, proposa de me ramener aux Rosiers. J'acceptais volontiers et le laissais prendre ses affaires. Dans la voiture, l'ambiance n'était pas joviale même si Nathan essayait de faire comme si de rien n'était en chantonnant les chansons qui passaient à la radio. Je n'osais pas poser les yeux sur mon fils, de peur de voir son expression qui refléterait toutes les craintes qu'avaient amenées les questions que m'avait posées mon petit-fils. Je fixais la route avec un air presque serein sauf si on ne regardait mes yeux qui étaient habités par le désespoir qui me hantait de voir que ma famille implosait à cause de mes mensonges, à cause, une nouvelle fois, de moi. Après une vingtaine de minutes de route, je me trouvais de nouveau aux Rosiers. Je faisais semblant que tout allait bien avec Louise et répondais à ses moindres questions sur le déroulement du mariage de ma fille. Je savais qu'elle n'était pas dupe et qu'elle me connaissait assez bien pour voir que quelque chose n'allait pas bien. Je vis tous ces efforts pour me rendre le sourire. Elle rigolait plus que d'habitude et me racontait quelques anecdotes sur ses deux filles. Pour lui faire plaisir, je riais à ses blagues et essayais de cacher du mieux que je pus ma tristesse. Contrairement à Louise, les autres aides-soignants ne s'aperçurent même pas du profond désarroi qui m'habitait. Une fois le soir venu, j'allais me coucher, complètement abattue.

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