XI. Cœur de pierre

°°C'est la nuit qu'il

Est beau de croire

A la lumière°°

Edmond Rostand


Je restais prostrée sur le parking, la pluie battante frappant chaque parcelle de mon corps. Je me sentais si frêle et insignifiante. Nous étions en fin d'après-midi et Lia, la secrétaire des Rosiers, était toujours à son poste. Ainsi, quand elle me vit, complètement perdue sur le parking, elle contourna son bureau, attrapa son manteau et vint me chercher. La jeune femme se rendit rapidement compte de mon total désarroi. Elle ne me posa pas de questions et m'emmena directement dans ma chambre puis elle voulue appeler un aide-soignant mais Louise nous avait vu passées et nous avait suivies. Elle congédia Lia et m'aida d'abord à me débarrasser de mes affaires et à me sécher avant de me questionner. La chevelure blonde de l'aide-soignante tournoyait autour de moi pendant qu'elles'activait pour me réchauffer. Je n'étais pas restée longtemps dehors mais la pluie tombait drue à l'extérieur. Une fois qu'elle eut fini, elle planta ses yeux noisette dans les miens et me posa une série de questions. Louise savait que j'étais allée avec mes filles voir la robe de mariée d'Hélène mais elle ne comprenait pas dans quelles circonstances je m'étais retrouvée si égarée sur le parking des Rosiers. Elle me posa de nombreuses questions sur ce qu'il s'était passé mais je refusais obstinément de parler. La jeune femme s'avoua alors vaincue et me laissa jusqu'au soir où elle revint pour m'apporter mon repas et des médicaments pour éviter que je n'attrape froid après être restée sous la pluie qui s'était déversée en torrent sur moi. Elle n'essaya pas d'en savoir plus et me laissa tranquille, comprenant que j'avais besoin d'être seule un petit moment. Je ne réussis pas à avaler grand-chose et préférais me morfondre. J'étais désespérée de voir que mes craintes étaient fondées. Je m'étais toujours dit que je me faisais du soucis pour rien. Pourtant, j'avais maintenant la preuve irréfutable que j'avais réellement manqué à mes enfants. Je m'étais toujours consolée en me disant qu'ils n'avaient jamais manqué de rien et qu'ils avaient tout eu pour être heureux. Seulement, pendant toutes ces années, j'avais oublié que la seule chose qu'il leur manquait vraiment était la présence de leur mère. Je me doutais qu'Agnès et Nathan avaient autant souffert qu'Hélène sauf que, contrairement à eux, elle n'avait presque pas de souvenirs de moi avec son père. Cette après-midi-là, elle avait complètement explosé après s'être retenue durant de longues années. Ma fille m'avait pardonné mais rien ne pourrait jamais remplacer mon absence durant son enfance. La nuit fut à nouveau mauvaise et j'eus l'impression que celles-ci se multipliaient depuis quelque temps. J'avais souvent des idées noires, le soir avant de me coucher, et cela me tenait souvent éveillée durant toute la soirée.

Le lendemain matin, je me réveillais tôt mais je refusais de sortir de la douce chaleur de mon lit. J'aurais voulu restée ainsi toute la journée sauf que quelqu'un bouleversât mes plans quand il vint frapper à ma porte. La personne n'attendit même pas ma réponse pour débarquer dans la pièce. Mathilde arriva en coup de vent dans ma chambre et alla directement ouvrir les rideaux. Le soleil agressa mon visage et je me glissais plus profondément sous les couvertures. La journaliste ne disait rien mais elle sortait de ma commode des vêtements pour m'habiller. Une fois qu'elle eut fait son choix, elles'approcha enfin de moi et me tendit mes habits en disant :

« Allez hop ! Debout la dedans, je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais Louise m'a appeler hier soir, catastrophée. Elle racontait qu'on vous avait trouvé sur le parking sous la pluie, complètement seule. Elle m'a aussi dit que vous sembliez être tout à fait accablée par le malheur. J'estime donc, qu'étant votre amie, il est de mon devoir de vous aider. Allez vous habiller et nous irons nous balader après. »

Je ne voulais pas bouger mais le regard que me lançait Mathilde montrait clairement que ce n'était pas la peine de discuter. Elle m'aida à me lever et j'attrapais mes vêtements et ma canne avant d'aller vers la salle de bain. Avant de refermer la porte, la journaliste me dit de ne pas hésiter à l'appeler en cas de problème. J'acquiesçais dans un grognement avant de m'exécuter. Posant ma canne sur le rebord de l'évier, je démêlais mes vêtements pour les enfiler. J'allais commencer quand je levais la tête vers mon miroir et tombais nez à nez avec mon propre reflet. Soudain, des images remontèrent à ma mémoire et je me revoyais au même endroit, quelques semaines plus tôt. J'avais fait un cauchemar où Hélène s'éloignait un peu plus de moi à chaque pas avant de tomber dans un immense ravin. J'avais l'impression que ce rêve représentait exactement ce qui était en train de se passer. Ma fille venait de s'écarter brusquement de moi. Elle commençait à partir au loin et j'avais si peur de la voir tomber réellement dans un ravin d'où je ne pourrais jamais la sortir. Commençant à pleurer en pensant à ces affreux scénarios, Mathilde entendit mes sanglots et ouvrit la porte de la salle de bain. Elle me retourna délicatement avant de me prendre dans ses bras et de me caresser doucement les cheveux pour apaiser légèrement la peine qui me brûlait le cœur. Tandis que l'entièreté de mon corps tremblait contre celui de mon amie, je me disais que le cerveau est une machine formidable. En effet, mon subconscient avait averti mon conscient d'une future réalité qui allait bientôt se passer si je ne faisais rien.

Je restais longtemps dans les bras de Mathilde, m'accrochant de toutes mes forces à elle comme d'un noyé à une bouée de sauvetage. Elle, seule, était en mesure de m'aider à sortir la tête de l'eau comme elle l'avait déjà fait auparavant. Je sentais mes poumons se remplir d'eau peu à peu, à chaque respiration. Elle allait me sauver, j'en étais persuadée. Je m'accrochais à cette idée et cela me permettait de tenir un peu plus en attendant qu'on me tende la main pour que je puisse à tout jamais sortir de cet océan de tristesse dans lequel je me noyais depuis bien trop longtemps. Après cette petite éternité dans les bras de Mathilde, celle-ci me décala d'elle et prit mon visage entre ses mains avant de déclarer :

« Je vais vous aider et vous allez vous en sortir. Croyez-moi ! ».

Son ton était si convaincant que je me permis enfin d'y croire. Me dégageant entièrement de ses bras, je retournais dans la salle de bain pour m'habiller. Après cela, la journaliste m'emmena me balader dans le parc. L'excursion fut silencieuse mais cela était reposant. Le chant des oiseaux et l'odeur boisée du square rythmèrent seulement nos pas. Nous retournâmes aux Rosiers en fin de matinée et Mathilde m'expliqua qu'elle était en vacances et qu'elle pourrait donc revenir tous les matins pour s'occuper de moi pour que j'aille mieux. J'étais émue par cette attention car j'avais enfin l'impression que quelqu'un se souciait réellement de moi. La jeune femme aurait pu passer ses vacances à la mer ou dans un pays étranger mais elle préférait plutôt s'occuper d'une petite vieille dont le malheur était comme une seconde peau. L'après-midi fut longue car j'attendais impatiemment le retour de mon amie le lendemain matin. Grâce à cette idée, je pus dormir convenablement car, comme une enfant la veille de Noël, je me disais que, plus je m'endormirais vite, plus le matin serait là rapidement. Nous ne faisions pas d'activités extraordinaires mais nous passions du temps ensemble, papotant de tout et de rien. Mathilde n'était pas fourbe et n'essayait pas de me piéger pour je raconte ce qu'il s'était passé l'après-midi où je m'étais retrouvée sur le parking, trempée et esseulée. Elle savait, qu'au bout d'un moment, je raconterai de moi-même ce qu'ils'était produit. Comme disait régulièrement ma mère : « Il faut savoir laisser du temps au temps ».

Au fil des jours, je retrouvais peu à peu mon sourire et la tristesse partait et me laissait enfin tranquille. J'apprenais à prendre du recul. Pourtant, je savais que plus le temps passait, plus il me serait difficile de rentrer en contact avec Hélène et de renouer les liens avec elle. Plusieurs fois, j'avais essayé de prendre le téléphone et de l'appeler mais mon courage partait dès l'instant où j'avais appuyé sur le premier chiffre pour composer son numéro.

Mathilde et moi parlions de n'importe quoi quand nous étions ensemble et on apprenait à se connaître un peu plus chaque jour. Nous avions de longues discussions aussi différentes que peuvent l'être les souvenirs d'enfance et la psychologie. Ainsi, un jour après avoir échangé quelques banalités, nous nous sommes mises à parler des différentes façon d'imaginer le destin. La destinée est une chose bien compliquée, envisageable sous de nombreuses formes. Certains l'imaginent comme une fatalité que l'on ne peut pas changer. Ils pensent que nous sommes les simples victimes de forces supérieures et que nous ne pouvons aller contre la volonté de celles-ci. D'autres pensent que tous les destins sont entremêlés et que nos vies sont un savant mélange de tous ces destins et que nous sommes bloqués à l'intérieur. D'après eux, nous devons donc suivre le chemin qui nous a été dicté à notre naissance. Cependant, une autre partie pense, comme moi, qu'on ne naît pas méchants ou gentils. Je dirais même que nous naissons en tant que personne neutre. Seuls nos choix peuvent faire de nous ce que nous sommes et serons. Nous sommes nos propres maîtres et les propres détenteurs de notre avenir. Rien n'est écrit et tout est encore à faire. Je pense que notre seul destin est la mort. C'est la seule chose dont on peut être sûr qu'elle arrivera un jour ou l'autre.

La mort est notre seule certitude dans la vie.

C'est à nous de faire évoluer le monde et nos vies. Le sort du monde est entre les mains de chacun d'entre nous. On ne changera jamais le globe terrestre, on pourra seulement le faire évoluer et nous devons donc faire les bons choix pour que cela se fasse de la meilleure façon.

Cette discussion avec Mathilde fut très intéressante et me permit de me rendre compte de quelque chose de très important. Je n'essayais pas de contacter Hélène car j'espérais inconsciemment qu'elle le fasse elle-même. Cependant, je venais de comprendre qu'elle pensait sûrement exactement la même chose. Si nous attendions toutes les deux que quelque chose se passe alors rien ne se produirait jamais. J'étais déterminée à faire avancer les choses entre nous deux. Je ne demandais pas d'aide à Mathilde car je pensais, au fond de moi, que je devais agir seule. Je continuais donc à discuter avec elle toute la matinée comme si de rien n'était. La journaliste était quelqu'un de très perspicace et elle avait toujours su voir plus loin que le bout de son nez. Ainsi, ce jour-là, elle dut comprendre que j'étais prête à résoudre le problème qui me tourmentait depuis plusieurs semaines et elle repartit donc plus tôt que prévu pour que je puisse aller manger plus rapidement. Je mangeais alors rapidement avant de retourner dans ma chambre pour me préparer. Je mis un manteau sur mes épaules et attrapais ma canne pour descendre jusqu'à la réception où je demandais à Lia de m'appeler un taxi. En quelques minutes, je me retrouvais donc à l'arrière d'une voiture avec un homme d'une quarantaine d'années pour chauffeur. Je lui indiquais l'adresse d'Hélène et nous partîmes pour environ vingt minutes de route. Je ne voulais pas perdre plus de temps que j'en avais déjà perdu car je savais que, plus le temps passe, plus les plaies sont difficiles à refermer. Durant le trajet, je réfléchissais alors à comment je pourrais aborder ma fille. On n'allait pas se réconcilier avec sa fille, que l'on n'avait pas vue depuis plus d'un mois et avec qui on était brouillé depuis autant de temps, avec un simple ''Pardon'' et un câlin. Il fallait que je lui montre que, durant toutes ces années où je n'avais seulement vu mes enfants qu'une fois par jour, le temps d'une bise, à cause de mon travail, j'avais souffert au moins autant qu'elle. Une idée me vint alors à l'esprit. Je me souvenais d'une histoire que ma mère me racontait tout le temps quand nous nous disputions. Maman la racontait toujours comme cela :

« Un jour, un petit garçon décida de rayer toute sa famille et ses amis de sa vie pour ne pas créer de lien d'amitié avec eux. Le petit garçon avait très peur de se disputer avec ceux qu'il aimait car il ne voulait pas avoir le cœur brisé. Il s'imagina donc, qu'en n'ayant aucun contact avec les autres, il ne souffrirait jamais de la douleur de se disputer avec ceux qu'il chérissait. Il les renia tous, même les poissons de l'aquarium du salon, et il partit se construire une cabane dans la forêt. Il se barricada dans la maison pour ne laisser personne rentrer. Arrivé à un grand âge, l'homme qu'il était devenu résidait toujours dans sa vieille bicoque. Des gens avaient bien sûr essayé de devenir son ami mais aucun n'était parvenu à passer le seuil de l'entrée. Il vivait comme une parfaite ermite. Pourtant, une petite fille vint un jour voir le vieil homme et lui tendit un caillou. L'homme demanda à l'enfant d'un ton bourru pourquoi lui donnait-elle une pierre sans importance. L'enfant répondit qu'il s'agissait de son cœur. L'homme, ayant vécu éloigné de la civilisation, cru la petite fille. Elle continua en lui demandant de le garder précieusement car elle viendrait le voir tous les jours et qu'à la moindre égratignure elle décéderai. L'homme, malgré son isolement, ne voulait de mal à personne et accepta donc. Il construisit alors un coffret pour y conserver le cœur de pierre. La petite fille revint, comme promis, le voir tous les jours et entre eux se tissa un lien d'amitié. Puis un jour l'enfant devenue adolescente dit au vieil homme de le suivre hors de sa maison. Dehors, il y avait de magnifiques champs de fleurs alors inconnus aux yeux de l'homme, c'est pourquoi il demanda où ils étaient. La petite fille lui répondit qu'ils étaient aux paradis et qu'elle était un ange qui devait l'amener ici quand il aurait compris ce qu'était vraiment l'amitié. L'amitié, c'est rendre service sans se soucier de son prochain malheur si cela ne fonctionnait pas et si les deux amis se disputaient »

A la fin, Maman me demandait toujours si je voulais rester cloîtrer dans ma chambre comme l'homme pour ne plus jamais me disputer avec personne. Je sautais alors au cou de ma mère et lui demandais de me pardonner pour la bêtise qui m'avait valu de me faire disputer.


Le taxi me conduisit rapidement à destination et je me trouvais donc devant la porte d'Hélène à essayer de me battre contre mes pensées qui voulaient à tout prix rappeler le chauffeur et que l'on rentre tout de suite aux Rosiers. Luttant contre ma volonté car je savais que le temps du pardon ne reviendrait pas de sitôt, je levais le poing devant la porte l'abattis dessus à deux reprises. J'entendis des pas derrière la porte et vit une petite silhouette à travers les carreaux troubles de la porte. Sacha, le plus grand des fils d'Hélène, m'ouvrit et, en me voyant, me sauta dessus avant de crier dans toute la maison que j'étais là. Raphaël, le fiancé de ma fille, sortit alors de la chambre qu'il partageait avec ma fille et me lança un regard dépourvu de la gentillesse qui l'habitait habituellement. Cependant, il me laissa entrer et désigna d'un mouvement de la tête la pièce qu'il venait de quitter et d'où s'échappaient quelques sanglots. Comprenant qu'il s'agissait de ma cadette, je me dirigeais vers la pièce et l'y découvris. Elle avait sur les épaules une couverture et de nombreux mouchoirs usagés jonchaient le lit autour d'elle. Ses cheveux étaient complètement défaits et de longues coulées de mascaras parcouraient ses joues. Les yeux rougis, elle me regarda sans réellement me voir. Sans dire un mot, je m'installais à ses côtés et la pris dans mes bras. Son corps était fébrile au toucher et je compris qu'elle devait être dans cet état depuis qu'elle m'avait hurlé dessus en plein milieu de la rue. Sans attendre, je commençais l'histoire de Maman qu'elle n'avait jamais entendu car je l'avais gardé pour moi comme un secret entre ma mère et moi. Hélène écouta mes paroles sans rien dire. Je changeais cependant la phrase que me disait généralement ma génitrice après l'histoire et lui dis ces mots :

« Pardon de ne pas avoir été assez présente pour toi, Nathan et Agnès. Je ne m'étais pas rendu compte que vous aviez souffert de mon absence. On fait tous des erreurs mais j'espère que celle-ci n'aura pas trop de conséquences dans nos vies.

Ma fille se dégagea alors de mes bras et me dit :

-Pardon à moi d'avoir été aussi égoïste et de ne pas avoir vu que tu battais chaque jour pournous nourrir correctement. »

Puis, elle me sera contre elle ne cessa de chuchoter dans mon oreille qu'elle m'aimait profondément. Après quelques minutes d'étreinte, je demandais à Raphaël de m'apporter une brosse à cheveux. Je me mis alors à démêler les cheveux noirs de ma fille. Au bout de quelques minutes, toute la tension entre nous s'était envolée et nous rigolions toutes les deux comme si nous ne nous étions jamais quittées. Hélène me proposa de venir m'installer pour quelques jours chez elle, juste avant son mariage. J'acceptais, heureuse de voir que tout était finalement rentré dans l'ordre. Pendant ce temps, Raphaël avait appelé le reste de la famille et nous retrouvâmes tous dans le salon à se remémorer des souvenirs de famille grâce à un vieil album de photographies qui traînait chez ma cadette. J'étais folle de joie de voir que je venais de sauver ma fille du ravin dans lequel elle commençait à s'enfoncer.



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