IV. Un petit bout de moi

°°Deviens ce que tu es.

Fais ce que toi seul

Peut faire°°

Nietzsche


Mathilde planta ses yeux dans les miens. Elle semblait hésiter à tout raconter. J'imaginais complètement le sentiment de peur qui l'habitait à cet instant précis. Il était, en effet,compréhensible qu'elle soit terrifiée à l'idée de parler de sa vie sans véritable raison. Je supposais aisément à mon instar que la jeune femme avait peur de notre jugement à l'écart de ses choix de vie. Voyant ses mains trembler à cette idée tout à fait effrayante, j'en attrapais une des deux et la serrais dans la mienne pour lui donner le courage qui lui manquait pour commencer cet exercice difficile. Elle me lança un sourire crispé mais sincère avant de souffler un bon coup et de prendre pour de bon son courage à deux mains et d'ouvrir la bouche pour parler :

« Je comprends enfin ce que vous avez dû ressentir quand je vous ai demandé de tout de dire, dit-elle d'un ton où l'on sentait quel'excuse était réelle. Ce n'est pas évidemment de tout dire devant des personnes dont on est même pas sûr d'avoir leur confiance ultime pour qu'il ne raconte pas tout. Pourtant, il faut prendre son courage à deux mains et se laisser aller, car ''qui ne tente rien, n'a rien'' comme ils disent. Hier soir quand j'ai écrit mes notes pour savoir quoi vous racontez, cela me semblait bien plus facile, mais je n'ai tout de même pas réussi à trouver comment commencer sans que cela ne paraisse étrange. La seule façon de faire est de tout raconter à la manière d'une écolière qui présenterait la vie d'un personnage célèbre de notre Histoire devant toute sa classe. Je suis donc née le six mars 1994 dans un petit hôpital de la banlieue parisienne de parents polonais. Malgré leur origine, ils m'ont donné un prénom français, mais ce n'est pas exactement le cas de mes autres prénoms. En effet, je m'appelle Mathilde Jadwiga Maja et j'ai hérité du nom de famille de mes parents qui est Galinski. Mes parents n'étaient pas censés venir habiter en France. Pourtant, lorsqu'ils se sont mariés en 1986 et que mon père et ma mère, et qui avaient respectivement vingt-deux et vingt-trois ans, ont passés leur lune de miel dans la campagne française, ils n'ont plus jamais voulu revenir dans leur Pologne natale. De retour de leur voyage, ils ont emballé toutes leurs affaires et sont partis, avec pour seul bagage leurs valises, habiter en France. L'arrivée de mes parents en France fut relativement compliquée car ils ne parlaient presque pas du tout Français. Leur niveau d'anglais était pourtant assez bon alors ils ont postulé dans des offices de tourisme pour accueillir des étrangers. Ils y ont été acceptés mais, au bout d'environ d'une année, ils ont quitté leur emploi car ils parlaient désormais couramment français et pouvaient donc se débrouiller dans des métiers qui leur convenaient plus. Mes parents ont donc décidé de quitter la capitale et son brouhaha ambiant pour la campagne plus calme qui leur rappelait leur pays d'origine. Ils se sont installés ici, en Meurthe-et-Moselle, car les champs et les forêts leur plaisaient assez pour y fonder leur famille. Mon père, cuisinier de métier, a alors postulé dans les nombreux restaurants que compte la ville de Nancy qui accueille souvent des voyageurs venus de l'Est et où son niveau d'anglais pourrait l'aider pour avoir un poste. Ma mère, quant à elle, s'est essayée à la traduction de livres du français ou de l'anglais vers le polonais ou l'inverse. Le début fut difficile pour elle mais au bout de quelque temps, elle parvint à se faire accepter et à pouvoir avoir un salaire mensuel et décent. Ainsi au bout d'un peu plus de trois ans en France et lorsqu'ils furent bien installés, ils décidèrent de fonder la famille soudée et aimante qu'ils voulaient tant. Je ne suis ni leur seul enfant ni la première de ma fratrie. En effet, j'ai une grande sœur qui se prénomme Laura et qui est de trois années mon aînée. Je suis l'enfant du milieu et, seulement deux ans après ma propre naissance, naissaient mes petits frères Georges et Alexandre. Nous étions plutôt soudés avec mes frères mais Laura restait la plupart de son temps seule. Ma sœur est d'une nature très discrète et introvertie pourtant en grandissant elle a réussi à sortir de sa zone de confort et à s'ouvrir au monde et, aujourd'hui, je suis fière de dire que ma sœur est une chercheuse plutôt renommée dans son domaine et qu'elle participe régulièrement à des présentations devant le grand public. Ma sœur est désormais fiancée et pouponne déjà sa fille dont elle a accouché il y environ trois mois. Mes frères et moi sommes tout l'inverse. Quand nous étions petits, nous passions notre temps à embêter notre grande sœur pour qu'elle vienne jouer avec nous et elle dans sa grande gentillesse malgré acceptait de bon cœur. Georges et Alexandre sont de bons garçons même s'ils ont souvent faits tournés en bourrique nos parents. Ils se sont maintenant assagis et l'un est devenu ingénieur et l'autre professeur des écoles. Georges et Alexandre, quant à eux, se concentrent déjà sur leurs carrières respectives avant d'envisager l'avenir avec quelqu'un. De la même façon, je n'ai toujours pas trouvé chaussure à mon pied en ce qui concerne les hommes, ajouta-t-elle avec un rictus.

Mathilde leva alors les yeux vers moi et me demanda :

-Et vous, avez-vous un mari et des enfants ?

Je m'attendais à ce qu'elle pose cette question et j'avais donc déjà préparé ma réponse à ce sujet :

-J'ai été mariée et de cette union sont nés trois beaux enfants, deux filles et un garçon. Malheureusement notre mariage n'a pas résisté et je m'en veux aujourd'hui de l'avoir fait voler en éclats. Nous nous sommes rencontrés très jeunes avec mon ex-mari, ce n'était pas le coup foudre des films que nous connaissons mais cette histoire d'amour s'est peu à peu construite jusqu'à son apothéose avant qu'elle n'implose par ma simple et unique faute. Je suis devenue sage-femme et j'ai exercé ce métier toute ma vie. Aider les femmes à mettre leurs enfants au monde fut pour moi une source de joie incontestable dans ma vie. Pourtant avoir mes enfants fut une tâche compliquée. J'ai subi de nombreuses fausses-couches qui me désespéraient un peu plus à chaque fois qu'elles survenaient. Mon mari Pierre et moi-même avons donc accueilli notre première fille à l'âge de trente-cinq ans chacun après environ dix ans de tentatives infructueuses. C'était notre rayon de soleil et elle représentait notre plus grand bonheur. Elle s'appelle Agnès et elle est la gentillesse incarnée. Elle est mariée depuis de nombreuses années à son mari et leur premier fils va déjà accueillir sa propre fille. Avec la naissance d'Agnès, l'espoir renaissait et nous avons alors décidé d'avoir d'autres enfants. Mais nous nous confrontâmes de nouveau à une longue épreuve. Une nouvelle fois, cette grossesse mit du temps à réussir et à arriver à terme et ce n'est que lorsque nos quarante-quatre eurent déjà sonnés que notre fils vit le jour. Nous l'avons appelé Nathan. Agnès fut ravie de voir arriver son petit frère tant attendu autant par elle que par nous. Elle s'en occupa merveilleusement bien mais il faut dire que son frère est quelqu'un qui aime énormément faire plaisir aux autres. Il se laissait alors faire sans broncher malgré tous les sorts que lui faisait subir sa grande sœur. Nathan a lui aussi réussi sa vie aussi bien que sa sœur et s'occupe de ses enfants adorablement bien comme sa sœur avec lui lorsqu'il naquit. Nous avons énormément chéri les moments passés avec nos enfants car nous étions quasiment sûrs qu'il n'y en aurait plus après. Je ne me sentais plus assez forte pour essuyer de nouvelles défaites dans ce domaine. Etant donné qu'un bonheur n'arrive jamais seul, un an après la naissance de Nathan, j'apprenais l'arrivée surprise de notre dernière fille du nom d'Hélène. Pour cette dernière grossesse, je ne l'ai appris que lorsque j'étais déjà enceinte de six mois. Ce déni de grossesse fut une bénédiction pour nous et nous prirent cela comme un cadeau du ciel. Les préparatifs pour sa naissance furent orchestrés rapidement et je ne vis pas le temps passé jusqu'à ce qu'elle vienne au monde. Notre jeune Hélène fut le même rayon de soleil que nos autres enfants et elle devint rapidement proche de son grand frère Nathan car ils ont presque le même âge. Pourtant, Agnès n'était pas en reste et elle s'occupait volontiers de ses jeunes frères et sœurs. Hélène a elle aussi déjà commencé à fonder sa petite famille et elle doit d'ailleurs se marier dans quelques mois. Les premières années après la naissance de nos deux derniers enfants furent le bonheur ultime.Malheureusement, alors qu'Hélène avait à peine trois ans, j'ai commencé à me sentir mal et comprendre l'ampleur de mes erreurs passées. J'étais plutôt mal dans ma peau et mon cœur était de plus en plus lourd à mesure que passait le temps. Cette sensation est bien vite devenue insupportable et j'ai envoyé valser ma vie. Je n'ai pas réussi à expliquer le malaise qui grandissait en moi à mon mari et, seulement quelques mois après que les trois premières années de ma dernière fille soient passées, je suis partie pendant la nuit en laissant sur la table de la cuisine une lettre où je m'excusais sincèrement de tout ce que j'avais fait subir à mon mari quand je me sentais au plus bas et un devis pour notre divorce. Aujourd'hui, je sais que ce n'était pas exactement la bonne décision mais je ne sais toujours pas ce que j'aurais pu faire à la place. Je me sentais prise au piège dans cette vie dont j'avais pourtant toujours rêvé. Agnès, qui avait alors douze ans quand je suis partie, m'a raconté comment avait réagi son père. Durant plusieurs jours, il agissait comme si j'allais revenir et passer la porte toute souriante et m'excusant de la frayeur que je venais de lui faire. Cela ne s'est jamais produit au grand dam de mon ex-mari. Après plusieurs mois passés dans cette même torpeur, il a décidé d'agir. Il a donc rempli et signé le devis pour notre divorce et l'a renvoyé au tribunal. Là-haut, on m'a contacté pour que le divorce soit fait en bonne et due forme. Ainsi après plusieurs mois sans avoir de nos nouvelles respectives, nous nous sommes revus le jour de notre divorce. Il a esquissé un sourire en me voyant, espérant peut-être que je le lui rende, que je rentre à la maison et que tout redevienne comme avant. Mais en le voyant me sourire, je détournais le regard et posais mes yeux sur mes mains qui étaient entrelacées sur ma jupe plissée. A la fin de la séance, il fut décider que nous garderions nos enfants une semaine sur deux car nous n'habitions pas bien loin l'un de l'autre. Il garda les enfants la première semaine et se chargea de leur apprendre ce qu'il se passait entre lui et leur mère. Il me les amena à la fin de la semaine et je profitais alors de ces instants avec mes enfants que je n'avais pas vu depuis longtemps. A la fin de la semaine, j'hésitais à les lui ramener ou à m'enfuir avec eux pour les garder rien que pour moi. Ma conscience me rattrapa avant que je ne fasse une bêtise et les enfants retournèrent chez leur père. Ce manège dura durant toutes l'enfance d'Agnès, Nathan et Hélène jusqu'à leur majorité. Ils ne se plaignaient jamais de cette situation mais je voyais toujours combien ils en souffraient. Une part de moi voulait que je retourne avec Pierre parce que, malgré les obstacles de la vie, il restait mon premier amour et l'homme de ma vie. Chaque fois que je le voyais, j'espérais un signe du destin et que par je ne sais quel concours de circonstances je tombe dans ses bras. Cela n'est évidemment jamais arrivé et il est vrai que je n'y ai jamais vraiment mis du mien pour que cela se produise. Nous restâmes tous les deux seuls jusqu'à la fin de nous jours. Pour lui aussi, j'étais la seule dont il put tomber amoureux. Il s'est éteint il deçà environ quatre ans d'une maladie qui le rongeait déjà depuis plusieurs années, juste avant mon amie Sophie. Ce fut de nouveau une période compliquée car je venais de perdre l'homme de ma vie à tout jamais. Celui que j'ai aimé comme j'ai rarement aimé quelqu'un venait de s'éteindre et avec lui une part de moi venait de vaciller vers l'au-delà.

Louise m'interrompit alors et, intriguée, elle me dit :

-Mais si vous l'aimiez autant que ce que vous nous dîtes, pourquoi n'êtes-vous pas simplement revenu dans ses bras en le sommant de ne pas poser de questions et de recommencer à vivre comme avant ?

-Bonne question, répondis-je alors. Je ne sais pas vraiment mais, au fond de moi, je ne me sentais plus capable d'accepter ma vie comme elle l'était avec tous les événements de mon passé. Je ne pouvais rien dire à mon mari de celui-ci tant il était impossible de comprendre le moindre de mes précédents choix. J'avais besoin de changement. Vous devez me trouver bête toutes les deux de réussir à tout vous dire alors même que je ne l'ai pas fait avec mon mari. Mais je sais que la sentence aurait été pire si je lui avais tout dit. Une parole peut briser ou blesser une famille toute entière. Les paroles sont des lames prêtes et aiguisées à souhaits pour attaquer qui on souhaite. J'ai confiance en vous et je sais que même sans les comprendre vous accepterez mes actes et mes choix. Ce sentiment flotte en moi et je suis persuadée d'avoir raison sur ce coup-ci. »

Nous nous regardâmes dans les yeux, ne sachant que dire, attendant patiemment que l'une de nous brise le calme autour de nous. Heureusement pour moi, ce fut Louise qui nous sortit de nos pensées. La jeune aide-soignante déclara donc :

« Je me sens un peu bizarre de vous voir me livrer sans que je ne dise rien. Comme une espionne pas assez discrète pour qu'on ne la voit pas. Je pense qu'il serait bien que je vous parle de moi et que je me livre à vous à propos de mon histoire personnelle.

Je tentais alors de lui dire de ne pas se forcer mais elle me coupa un geste de la main.

-Ne vous dérangez pas. C'est avec plaisir que je vais me présenter à vous deux. Comme l'a si bien dit Mathilde précédemment, je ne crois pas qu'il y ait de meilleur moyen de raconter sa vie que de le faire de façon quasiment robotique. Je suis un peu plus vieille que toi, dit-elle en désignant Mathilde d'un signe de tête. Je suis née 1989, le vingt-deux octobre. Mes parents et moi avons une histoire des plus banals. Ils sont nés en France et ont toujours grandi dans la région. Malheureusement pour moi et contrairement à vous, je suis fille unique. On pense souvent que les enfants uniques ont plus de cadeaux et d'attentions mais ce n'était pas mon cas. Mes parents ne sont pas les gens les plus riches du monde et ne pouvaient pas m'offrir tout le temps qu'ils auraient voulu mais ils m'ont bien éduqué merveilleusement bien et ont été des plus aimants et bienveillants. Mes parents ont toujours travaillé en tant qu'ouvrier dans différentes usines. C'est d'ailleurs dans l'une d'entre elle où ils travaillaient ensemble qu'ils se sont rencontrés. Ils m'ont toujours raconté que le coup de foudre avait été immédiat entre eux et, que la première fois qu'ils se sont vus, ils savaient déjà qu'ils finiraient leurs vies ensemble dans une jolie maison entourés d'une belle et grande famille. Cependant, ils avaient si peu de temps à se consacrer l'un et l'autre avec leur travail que je suis la seule à être née de leur belle union. Je ne regrette rien car je sais combien il a déjà été difficile pour de subvenir à tous nos besoins alors qu'ils n'avaient qu'un seul enfant. Je n'ai pas grandi dans la plus grande richesse mais mes parents m'ont inculqué les valeurs ouvrières et je m'efforce désormais de les transmettre à mes propres enfants. Malgré notre manque certain d'argent, mes parents ont longtemps économisé pour m'offrir l'école dans laquelle j'ai pu apprendre le métier d'aide-soignante qui me plaît tant. Mes parents voulaient toujours que nous partions en vacances chaque année et ils m'emmenaient donc tous les ans dans un camping sur la côte Ouest. C'était génial et c'est d'ailleurs là-haut que j'ai rencontré mon mari. Notre histoire d'amour est, on ne peut plus, banale mais nous nous aimons profondément l'un et l'autre. Nous avons eu deux filles : Roxanne et Maëlys, âgées respectivement de quatre et deux ans. Nous espérons encore avoir d'autres enfants mais nous laissons un peu grandir nos filles avant. Je n'ai pas grand-chose à dire de plus mis à part que j'aime ma vie telle qu'elle est et que je ne la changerais pour rien au monde. »

Louise semblait réellement heureuse et le bonheur se lisait facilement sur son visage jovial. Mais après les déclarations de l'aide-soignante, le silence flotta dans la pièce durant quelques instants qui me semblaient s'étirer en longues heures tant l'atmosphère était pesante. Aucune de nous ne savait quoi dire pour briser cette bulle désagréable. L'ambiance était bizarre. Nous avions ouvert notre cœur et un sentiment de vide s'installait en nous. L'impression d'être mise à nue devant les autres était dérangeante. La peur d'être jugée flottait dans nos esprits. Nous nous regardions les unes et les autres quand nos regards se croisaient. Nous espérions sincèrement que l'une de nous trouve un sujet de conversation.

Enfin, après de longues minutes dans ce silence pesant, Mathilde regarda l'heure sur sa montre et écarquilla les yeux avant de nous dire :

« Ce fut un réel plaisir de discuter avec vous et me livrer ne fut pas un exercice aussi difficile que je l'aurais imaginé. J'adore parler avec vous mais l'heure tourne et je dois retourner à mon bureau où mon patron m'attend car il faut que je finalise quelques articles dans notre journal. Je vous promets de revenir d'ici quelques jours.

J'acquiesçais d'un mouvement et la regardais remballer rapidement toutes ses affaires. Elle s'approcha alors de moi et m'embrassa avant de faire pareil avec Louise. Celle-ci, d'ailleurs, prit la parole :

-Il va falloir que j'y aille aussi. J'avais dit que je prenais ma pause déjeuner pour aller vous parler mais le temps est vite passé. »

Louise se leva de mon lit sur lequel elle était assise et se dirigea vers la porte. Avant de passer l'embrasure, elle m'assura qu'elle reviendrait ce soir pour s'occuper de ma toilette. J'étais heureuse de cette journée et j'avais déjà hâte de revoir ces deux jeunes femmes.



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