Chapitre 8

Comme les jours précédents, je dépose ma nièce à la garderie. Puis je pars au travail, soucieuse.

Hier, nous avons passé la journée à nous éviter. Ce qui est un peu compliqué, puisque nous bossons dans la même pièce. Dès que nous nous portions attention, je revoyais son corps imposant près du mien. Je réimaginais ses lèvres découvrir ma peau brûlante de désir.

Ça y est. À peine entré-je dans l'établissement que mes pensées s'emballent. Je grimpe dans l'ascenseur et accède à mon étage.

Comme hier, pas un mot ne s'échappe de nos lèvres lorsqu'on se retrouve dans le bureau.

Je reste debout, attendant qu'il finisse de se préparer. Il se lève, éteint son ordinateur et prend quelques documents sur son bureau. De mon coin, je l'observe sans détourner les yeux. Tous ses mouvements sont gracieux, contrôlés.

Ses mains saisissent sa pochette remplie et sa veste noire. Il balaye son bureau du regard avant de le poser sur moi.

— Après vous, me fait-il pour me laisser passer.

Charmant, sexy, galant. Cet homme a tout pour lui.

Tout, c'est exactement cela. Il a tout ce qu'il désire. Pourquoi me séduire, m'embrasser ? À quoi tout cela a rimé ?

Dans l'ascenseur, nous sommes silencieux. Je n'ose pas parler et lui ne semble pas vouloir discuter avec moi. Je suis calée contre la paroi, les bras croisés contre ma poitrine. Je pose mes yeux sur lui et les détourne quand son regard se mêle le mien. Nous jouons à ça plusieurs fois d'affilée.

Les portes s'ouvrent. Je le laisse sortir le premier et le suis. La dame d'accueil est à son poste. Son tailleur cintré met en valeur ses formes. Elle nous observe du coin de l'œil en tapant sur son bruyant clavier.

— Caro !

Oh non.

C'est la première réaction que j'ai en entendu Simon hurler mon surnom. Notre supérieur est le premier surpris. Nous nous retournons, synchronisés, vers le graphiste qui s'approche à toute allure. Il tient un gobelet blanc en plastique duquel s'évapore de la fumée.

— Demain, ça te va ?

J'ajuste la bandoulière de mon sac sur mon épaule en lui lançant un bref regard.

— De ?

Simon jette un coup d'œil à Monsieur Matthieu qui se tient à ma droite, impatient que l'on reprenne le chemin de la sortie.

— Pour le rencard. Je serais disponible demain soir. On se dit dix-neuf heures ?

Oh, ça.

Il est toujours sur cette histoire.

Depuis mercredi soir, j'ai totalement zappé cette demande de rendez-vous. J'avais plus en tête Matthieu Morant dans mon lit, que Simon à une table de restaurant.

— À dire vrai...

— Elle sera ravie de sortir avec vous.

Mon sang se glace dans mes veines. Le regard acéré que je lance à mon supérieur est ignoré royalement.

— Ah super. Je t'attendrai devant ta porte.

Le graphiste, un tantinet collant, s'éloigne guilleret par cet accord. Quant à moi, je bouillonne comme une bouilloire sur le feu. Je suis disposée à m'enflammer et insulter celui qui a répondu à ma place.

— Je vous hais, sifflé-je entre mes dents.

— Moi aussi, je vous adore.

Aussitôt ses mots dits, mes joues s'embrasent. Pour les cacher, ma tête se baisse instinctivement et je mordille ma langue.

Je vous adore.

C'est simple, gentil. Et pourtant, ça m'a fait l'effet d'une bombe dans tout mon corps. Ça y est, je perds officiellement l'esprit. Tout mon être a décidé de me trahir et le fait en beauté.

Le parking est rempli de voitures en tout genre. Chère, pas chère. Noire, blanche, rouge ou grise. Celle qui m'intrigue est une limousine noire garée à trois mètres de nous. Le moteur tourne toujours et un homme est au volant. Dos droit, habillé élégamment, je comprends bien vite qu'il s'agit du chauffeur personnel du directeur général.

— Après vous.

Je m'engouffre dans la voiture et me mets contre la vitre, derrière le chauffeur. Monsieur Morant vient se mettre à l'autre, laissant une place de libre entre nous deux. Ce qui est le mieux, car après sa dernière phrase, je me sens toute chose.

Je pose la pochette entre nous, pour fouiller dans mon sac à main. Je sors mon téléphone et mes écouteurs. Je ne supporte pas les trajets sans musiques. Encore moins dans un silence autant perturbant.

Mon patron tourne sa tête vers moi. Il me regarde faire sans rien dire. Je branche les écouteurs, après m'être attachée.

— Je... heu désolé... les trajets... bafouillé-je.

— Ne vous excusez pas, me coupe-t-il en souriant.

Je mets alors les écouteurs et lance la musique. Là où nous allons, est assez loin. Pas moins de deux heures et demie de route avant d'arriver dans la ville. En y repensant, je tourne la tête vers mon patron qui ne m'a pas encore lâchée des yeux.

— Monsieur Morant ? l'interpellé-je ahurie. Puis-je vous poser une question ?

Il accepte d'un mouvement de tête.

— Pourquoi faites-vous certaines interviews ? Vous ne faites pas confiance à vos journalistes ?

Tout en lui posant les deux questions, il déboutonne sa veste pour se mettre à l'aise. Je regarde le moindre de ses mouvements. Il semble tout maîtriser parfaitement. Il met ensuite sa ceinture de sécurité.

S'il veut, je peux l'aider à le mettre à l'aise. Bon sang, je ne pourrais pas rester un peu sérieuse ! Si je voulais vraiment coucher avec lui, je n'avais qu'à accepter avant !

— Certaines célébrités n'ont pas confiance en mes journalistes, me répond-il. Ils ont confiance en moi, car ils savent que je ne dirais rien de personnel.

— Je vois.

— Maintenant, retournez à votre musique et laissez-moi me reposer.

J'arque un sourcil. Vient-il de m'ordonner de me la fermer ?

— Pardon ?

Monsieur Morant souffle tout en me regardant.

— Je n'ai pas bien dormi cette nuit, Caroline. Je souhaiterais souffler durant le trajet. Me feriez-vous une faveur un peu déplacée ?

Souhaite-t-il à nouveau m'embrasser ?

Je grimace nerveusement, tandis qu'un sourire illumine son beau visage. Je joue de mes doigts avec le câble de mes écouteurs. Je les tords dans tous les sens, tentant d'évacuer le stress.

— Que voulez-vous ? lui demandé-je d'une voix mal maîtrisée.

— Dormir.

Bon, ça, j'avais compris !

— Oui.

— Et mettre ma tête sur vos cuisses pour être allongé.

Je m'étrangle face à cette demande. Sa tête, sur mes cuisses ? Oh bordel. Mon pouls s'emballe.

Je vois bien les cernes qu'il a. Cela crédibilise ces dires. Il a besoin de sommeil, et le lui refuser serait bête. Je ne suis pas un monstre. Surtout avec le temps de trajet que nous avons.

Ainsi, ça nous évitera de faire une bêtise. Car depuis que nous avons démarré, il me regarde comme s'il allait se jeter sur moi. Et moi, j'aimerais bien que cela arrive. Bordel, où est passée la femme qui a refusé d'être embauchée, car elle ne voulait pas coucher avec lui ? En moins d'une semaine, elle s'est volatilisée. Et c'est la faute de ce Morant.

Je hoche de la tête en signe d'accord. Il se détache et installe sa pochette pour en faire un coussin. Il opte alors à mettre ses jambes sur mes cuisses. Cela me dérange un peu, mais beaucoup moins que si j'avais sa tête à la place. Je sais déjà le nombre de pensées incongrues qui auraient traversé mon esprit !

Au bout de vingt minutes, il ronfle déjà. J'amplifie le volume de la musique tout en gardant mes yeux sur le paysage qui défile. À mon tour, mes yeux deviennent lourds. Tentant de rester éveillée, je mets le son plus fort. Cela ne fait rien, au contraire, je me sens partir dans un profond sommeil.

***

Lorsque j'ouvre les yeux, je ne sens plus que la musique dans mon oreille gauche. J'ai peur d'être devenue sourde d'une oreille. Je vérifie avec ma main l'écouteur, mais ne le sens pas. La masse sur mes cuisses s'est alourdie. Je baisse mes yeux. La tête de Monsieur Morant se trouve là. Il a les yeux fermés et mon écouteur dans son oreille droite.

Je le détaille entièrement. Ses mains sont posées sur son ventre. Je n'ai même plus mon téléphone, c'est lui qui le tient dans sa main droite.

Alors que je crois qu'il est endormi, la musique change tandis que l'ancienne n'était pas terminée. Je toussote, en colère. Monsieur Morant ouvre immédiatement les yeux et les pose sur moi. Restant silencieuse, j'attends son explication, les sourcils froncés. Mais il ne dit rien et se contente de changer la musique, à nouveau en me souriant.

Ok. Son sourire est resplendissant, mais je ne me laisserai pas avoir !

Je tente de me pencher pour récupérer ce qui m'appartient. Je saisis mon téléphone et remets la musique d'avant. Il roule des yeux avant de les fermer. Je lui enlève alors mon écouteur de son oreille, décidée à ce qu'il comprenne ma colère. Cela le surprend. Il fronce ses sourcils pour poser un regard courroucé sur moi. Sa main droite vient récupérer l'écouteur que je tiens encore entre mes doigts. Il le remet à son oreille.

Je mets la musique en pause, agacée par son comportement.

— Clarke, souffle-t-il.

— Vous vous fichez de moi ?

— Vos cuisses sont bien plus confortables que ma pochette, avoue-t-il.

— Votre tête est plus lourde que vos jambes, pourtant vous ne semblez pas vous en servir beaucoup, lâché-je.

— Je vous demande pardon ?

Je comprends à sa voix que je suis allée trop loin.

MERDE ! Je retire, je retire !

— Excusez-moi ! C'est parti trop vite. Je suis désolée.

Je me confonds en excuse. Contre toute attente, il les ignore. La ride entre ses sourcils m'indique qu'il n'a pas du tout apprécié ma réplique. Et je le comprends.

— Remettez la musique, me coupe-t-il, sèchement.

N'a-t-il donc pas de musique sur son téléphone ?

Il reprend sa position initiale et ferme les yeux. Je lance le son à contrecœur. Cet homme commence à m'exaspérer. Il agit comme si tout lui était acquis. Ce qui n'est pas le cas. Je ne suis pas à lui. Ni mes affaires.

Trente minutes après, nous arrivons au point de rendez-vous. Nous sommes en retard à cause des bouchons. Nous n'avons plus de temps à perdre.

Monsieur Morant referme la porte derrière moi. Il remet sa veste sur sa chemise noire tandis que je passe mon sac à mon épaule. Tout d'un coup, alors que je vérifie mes talons, je sens une masse se poser dans mon dos. Ma tête tourne et je remarque mon patron à mes côtés. Il me fait un signe d'avancer. Sa main se retire après que j'aie fait quelques pas en direction du bar.

Mais ça a suffi pour que tout mon corps s'enflamme. Son toucher était bref, mais intense. Maintenant, je peine à garder la tête sur les épaules.

Tel un gentleman – non pas que j'ai douté de lui sur ce point, il semble de bonne manière. J'ai découvert cette facette depuis peu – il me double pour ouvrir la porte. Je le remercie et entre dans le bâtiment. Nous nous dirigeons vers le bar. Je le suis à la trace, un peu perdue dans ce lieu familier où des gens boivent, rigolent et hurlent. Mon patron indique qu'il attend quelqu'un, l'homme au comptoir lui montre une table vers le fond. Il y a déjà un inconnu assis.

Homme que je reconnais immédiatement.

Matthieu Morant se dirige vers la célébrité qui est assise à la table. L'endroit pour un rendez-vous confidentiel me paraît étrange. Pourquoi n'ont-ils pas opté pour un coin privé ?

La star se lève gracieusement. Lorsque nous sommes devant sa table, il se penche sur moi pour déposer un petit baiser sur ma main. Ce contact est rapide et je frissonne de la tête au pied. Non pas d'excitation, mais de gêne.

— Madame, chuchote-t-il en me dévisageant de ses prunelles incandescentes.

— Monsieur Huff.

Jim Huff est un jeune acteur de vingt-huit ans. Il a joué dans pas moins d'une dizaine de films depuis ses débuts, à ses quinze ans. Il va sortir un livre dans trois mois, qui raconte sa vie. Je suis pas mal au courant de lui, puisque j'apprécie cet acteur.

Je me mets à rougir tandis que l'acteur lâche ma main avec douceur. Ses yeux marron se détournent des miens avec difficulté, puisqu'il replonge deux fois avant de complètement regarder Morant.

Je m'écarte un peu. Les deux hommes se saluent respectueusement et prennent place autour de la table. Le jeune acteur est sur le fauteuil, contre le mur. Tandis que Morant et moi sommes sur deux banquettes. Je suis à côté de Jim et ai Morant en face de moi. Je reste silencieuse, les laissant parler de leurs affaires. Je prends note de ce que demande l'acteur sans même attendre que Morant me le réclame.

— Pour les photos, chez moi serait plus simple. Sans retouche, bien entendu. Et j'aimerais mettre en avant mon côté sensuel, charmeur. On me donne des rôles de méchants, il est important qu'on me voie autrement.

Il est vrai que jusqu'à présent, ses rôles sont identiques. Le méchant qui est battu par le héros. Je comprends qu'il souhaite étendre son univers avec des rôles plus distincts.

Au bout d'une bonne heure d'interview, Jim Huff tourne sa tête vers moi en souriant. Le rendez-vous est terminé. Il est enfin temps d'y aller.

— Vous avez une charmante assistante, commente-t-il à Morant.

Je lui adresse un sourire avant de le remercier. C'est agréable, mais je suis mentalement ailleurs.

— Plus têtue que charmante, siffle mon supérieur moqueur.

Crétin.

— Les meilleures !

Hein ? J'ai la sensation d'inexister. Ils parlent de moi comme si j'étais absente. Et la réponse de Monsieur Huff me laisse pantoise. Dans le mauvais terme.

— Toutes les femmes sont meilleures, rétorque Morant en tapotant le bout de ses doigts sur la table.

— Oui, bien sûr.

Morant propose un dernier verre avant de partir, changeant ainsi de sujet. Ce que j'apprécie beaucoup.

Pour nous, le trajet est long. Quant à Monsieur Huff, il accepte sans hésiter. Un serveur est hélé et dans la minute, une personne se présente, bloc-notes en main.

— Une bière, dit Huff.

— Un jus d'orange, commande mon patron. Et l'addition.

— Et vous chère demoiselle ? me demande Huff.

— Je ne veux rien, merci et c'est madame.

Ma correction amuse Monsieur Huff. Contrairement à Monsieur Morant qui acquiesce de la tête. Il me soutient, au lieu de me reprendre. Je lui en suis très reconnaissante.

Prendre un dernier verre me serait fatale. Avec la petite vessie que je me coltine, une envie pressante pointerait le bout de son nez durant le trajet.

Le serveur s'éclipse pour revenir peu de temps après avec la commande. Il dépose les deux boissons et part en silence. Les deux hommes se mettent à boire quelques gorgées. Je baisse la tête vers ce que je tiens entre mes mains. Le bloc-notes me semble, soudainement, plus intéressant.

— Que pensez-vous de passer la soirée chez moi ce soir ? J'organise une grande fête et je compte sur votre présence.

La réponse de mon patron est directe.

— Nous sommes navrés. Nous devons reprendre la route et avons du travail.

Le grand acteur soupire. Il balaye le bar d'un regard vif puis me porte attention.

— Votre assistante pourrait m'accompagner aujourd'hui, insiste Jim Huff, la voix grave. Je suis certain qu'elle aimera voir les coulisses d'un photoshoot. Elle rentrera demain, qu'en dites-vous ?

Au moins c'est clair. Le directeur général n'est pas convié à la fête.

— Jim, nous sommes amis, n'est-ce pas ?

Ce dernier acquiesce, un brin intrigué.

— Alors vous comprenez pourquoi mon assistante va repartir avec moi. Elle a un travail important et ne peut se permettre de s'amuser.

Dans tout ça, je n'ai pas eu le droit à la parole. En temps normal, j'aurais fait un esclandre, tapé du poing pour montrer ma présence. Or, je laisse le soin à Matthieu de répondre à ma place. Il me semble plus sensé et poli. À sa place, j'aurais envoyé balader la star. Qu'il soit connu ou non, je m'en contrefous royalement.

— Je vois, je vois...

L'action se déroule en quelques secondes. La main de Jim saisit son verre, mais maladroitement, le renverse. Aussitôt, le liquide se repend sur la table et atteint mon patron. En voyant ce dernier bondir sur ses pieds et la tâche sur son pantalon, je sais de quoi il en retourne.

— Oh, pardonnez-moi, Matthieu.

— Ce n'est pas grave, râle ce dernier en tentant d'éponger la boisson avec une serviette en papier. Je vais me rincer. Je reviens, pardonnez-moi.

Le jeu de l'acteur a fonctionné. Il a trouvé un moyen de se débarrasser de mon supérieur et j'en suis effrayée. Puis-je courir à la suite du directeur général et rester à ses côtés ? Ou va-t-il me prendre pour une peureuse ?

Je le regarde s'éloigner, mes yeux descendent jusqu'à ses fesses. J'entrouvre la bouche pour humidifier mes lèvres devenues sèches avec la drôle de scène – ou plutôt pour essuyer le petit filet de bave qui s'écoule en matant sans honte Matthieu Morant – quand un raclement de gorge me sort de mes rêves. Ma tête tourne vite vers le jeune homme qui n'est plus qu'à moins d'un mètre de moi. Je ne me suis même pas rendu compte que l'acteur s'était rapproché. Ça a le don de déclenché une peur redoutable au creux de mon estomac. Je me sens petite, comme prise au piège.

— Votre patron est très bien entouré à ce que je vois..., murmure Huff sur un ton charmeur.

Je récapitule rapidement. Je suis assise à côté de l'acteur dont j'admire depuis le début de sa carrière. Ce dernier est, en plus, en train de me complimenter. Que demander de mieux ? Une petite voix dans ma tête dit le nom de mon patron. Matthieu James Morant. Je pince mes lèvres.

— J'aimerais bien vous revoir, dans les jours à venir.

Ma mâchoire s'ouvre sous le choc. Il ne me laisse pas le temps de répondre qu'il ajoute quelque chose d'une voix basse et grave.

— Vous êtes ravissante. Je me demandais ce que vous faisiez cette après-midi, voire ce soir... Officiellement, vous travaillez, oui. Mais officieusement ? Pourquoi ne pas fuir votre poste pour me rejoindre dans ma villa ? Les frais sont pour moi.

Il laisse sa phrase en suspens. Mais où se croit-il ? Qu'il peut m'acheter avec sa belle gueule, sa notoriété et son fric ? Aurais-je accepté, des semaines auparavant ? Non. Je sais pertinemment ce que cette invitation signifie. Même s'il ne le dit pas explicitement, je préfère penser à tout. Il ne m'invite pas pour commenter sa maison ou sa décoration, mais pour jouer avec mon corps dans ses draps en satin. Ils sont forcément en satin, j'en suis convaincue et ils doivent sentir un parfum enivrant.

Du coin de l'œil, j'aperçois mon patron arriver à notre table. Son pantalon est toujours humide. Je me surprends à détailler un peu trop cette zone et relève les yeux, les joues en feu. Je suis contente de le voir, cela sonne comme un secours. Autour de lui, un halo lumineux scintille et lui donne un air d'ange.

Morant s'assied, le regard sombre, tandis que l'acteur se remet à sa place. Non sans un lourd soufflement, montrant son agacement. Le pauvre, il n'a pas pu continuer sa tentative foireuse de drague !

Je croise les yeux de Morant. Il a les sourcils froncés et me fixe sans se détourner une seule seconde. Peut-être a-t-il entendu ce que Jim m'a dit ?

— Un problème ? demande-t-il à mon attention.

— Je disais à votre assistante que vous aviez de la chance de l'avoir, ment Huff sans aucune gêne.

Morant hausse un sourcil. Je sais qu'il n'est pas aussi bête que cela. Il doit probablement savoir ce qu'il s'est passé, du moins il doit l'imaginer.

Après la fin de leur verre, le jeune acteur doit s'en aller. Nous nous levons tous les trois et nous disons au revoir. J'ai hâte de regagner la limousine, ce qui marquera un terme à ce rendez-vous plutôt pénible pour ma part.

— Contactez-moi, me chuchote Huff à mon oreille.

Il glisse un bout de papier dans mon chemisier. Je n'ai même pas le temps de réagir qu'il s'éloigne déjà en direction de la sortie. Je baisse la tête, énervée, et sors ce qu'il a glissé entre mes seins. Dessus sont écrits son nom et son numéro de téléphone. Je le roule en boule, déterminée à m'en débarrasser le plus vite possible.

Les prunelles de mon boss interceptent les miennes alors que nous entreprenons de quitter le bar. Il semble agacé et fatigué. Sans rien dire, il s'avance vers la sortie et je le suis en tremblant. La limousine est garée devant. Elle est toujours à sa place, nous attend sagement. Nous nous y installons avec rapidité. L'heure est venue de rentrer. Monsieur Morant a deux rendez-vous cet après-midi importants. Dont l'un avec son père.

Durant le trajet, j'écoute ma musique sans un mot. Pourtant, j'aimerais me confier à Matthieu concernant le rendez-vous. Prendrait-il mal que je lui fasse par de mes impressions ? Pensera-t-il que je sors hors de mon rôle ?

— Puis-je vous parler ? osé-je, en triturant mes doigts sur mes cuisses.

Morant plante son attention sur moi, un sourcil arqué.

— Vous comptez le rappeler, c'est cela ?

Pourquoi est-il amer ? Je n'ai rien fait pour attirer l'acteur.

J'ai envie de le laisser mariner. Mais d'un autre côté, il pourrait croire que je l'utilise pour accéder aux stars. Ce qui est totalement faux.

— Je n'ai rien à vous dire.

— Soit, faites comme vous voulez. Après tout, ce n'est pas mon corps.

Mais il pourrait être votre... songé-je. Merde maudites hormones !

Mon patron se penche sur moi. Ma respiration se coupe instantanément. Son parfum me monte au nez. Un mélange de mer et de coton. C'est assez drôle, mais plutôt agréable à sentir.

— Lui vous prend pour une femme facile, me chuchote-t-il à mon oreille.

Un frisson se propage le long de ma colonne vertébrale. Le sentir aussi proche de moi me rend toute chose ! Il faut vraiment que je me concentre et que je mette de côtés ces ignobles sentiments quand il est dans les parages.

— Merci de m'avoir défendu tout à l'heure, dis-je sur le même ton que lui. Vous aviez compris qu'il me mettait mal à l'aise... Merci.

— À votre service, Caroline. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top