Chapitre 2
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit entière. Le regret s'est mélangé à la tristesse et aux larmes. Je me sens plus que minable. Cet homme m'a rabaissée. Il a osé jouer avec moi pour tenter de parvenir à ses fins. Que je refuse ce poste. Il a gagné. J'ai été stupide d'abandonner aussi facilement.
En plus de cela, j'ai été égoïste. Je n'ai pas pensé à Émilie.
J'ai fait des pieds et des mains pour obtenir un rendez-vous. Au final, j'ai abandonné dès que le DRH s'est mal comporté.
Les seules phrases que j'ai dans la tête sont que je dois réparer mes erreurs et prouver à cet homme que je ne renoncerai pas aussi facilement.
Je me prépare à la hâte. Sans prendre la peine de déjeuner, je dépose ma nièce en primaire un peu en avance.
Je file donc à l'entreprise Morant Magazine. Malgré la peur d'être rejetée, je me convaincs de ne pas laisser tomber. Je dois obtenir ce job.
Cette fois-ci, j'opte pour parler directement au directeur général de la boîte. Parler à l'homme d'hier ne fera rien avancer. Je veux le prendre par surprise. Qu'il voie que je n'ai pas besoin de lui pour être embauchée.
J'entre et me dirige vers la dame d'accueil.
— Encore vous... c'est pour ?
— J'aimerais m'entretenir avec le Directeur Général en personne.
L'amusant se lit sur son visage. Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille, souriante.
— Je crains que cela soit possible, mademoiselle.
— Madame et je souhaite lui parler de l'incident d'hier.
Elle lève un sourcil face à mon ton strict. Ma reprise ne lui plaît guère, fort heureusement elle l'ignore.
— À moins qu'il préfère que je porte plainte contre le DRH.
Mon sang bouillonne dans mes veines. Je me sens prête à tout pour obtenir cinq minutes avec le DG. J'espère qu'il m'écoutera, me croira et me donnera une chance sans utiliser de son haut poste.
— Porter plainte ? Oh...
Main sur le cœur, elle se confond en excuse. Sa réaction m'interpelle. Elle ne me demande pas ce qu'il s'est passé. Ont-ils déjà eu affaire à ce genre d'agression ?
Si oui, mieux vaut fuir !
— Deux secondes, je vais voir ce que je peux faire. Madame comment ?
— Clarke.
Elle saisit le téléphone et compose le numéro. Le silence est vite interrompu par des gens entrant et sortant du bâtiment. Certains parlent, d'autres examinent leurs téléphones.
— Monsieur Morant. Madame Clarke est là. Elle demande à vous parler... Concernant Monsieur Georges et l'agression qu'elle aurait subie. Aucune idée. D'accord, merci.
Elle raccroche en m'expliquant qu'il est en rendez-vous avec le grand patron. Cela dit, il me demande d'attendre. La dame d'accueil m'invite à monter au dernier étage. Monsieur Morant aura fini d'ici dix minutes. Cela me donnera tout le temps pour réfléchir à mes mots.
Je dois être nette. Aborder ce qu'a fait son collègue durant l'entretien et dévier un peu sur moi. S'il est compréhensif, il me donnera peut-être rendez-vous avec lui. Quand bien même il ne m'accepte pas, j'aurai tenté ! Je ne perds rien de toute façon, juste du temps.
Je remercie la dame. Elle semble plus gentille qu'hier. Comme quoi, j'ai mal jugé !
Devant les portes de l'ascenseur, j'appuie sur le bouton. Peu après, un ascenseur s'ouvre sous mes yeux. Je m'y engouffre et enfonce le bouton du tout dernier étage. Le numéro six.
Mon rythme cardiaque est démesuré. J'ai peur. Et si on ne me prenait pas au sérieux ? Ai-je raison d'insister ? Après tout, s'ils m'ont offert un entretien, c'est que j'intéressais ! Je doute qu'ils en donnent à tout le monde.
Morant Magazine est une très grande entreprise. Chaque mois, un numéro sort. Il contient des images de stars exclusives prises avec autorisation. En plus des interviews, des conseils et rubriques questions-réponses, le magazine apporte un nouveau souffle. Il ne se propose pas à une clientèle que féminine ou masculin.
Les couvertures sont magnifiques, n'ont aucun genre.
Morant Magazine milite pour l'égalité, contre le racisme, l'homophobie. Un pourcentage est reversé à des associations tous les semestres.
Tous ces points m'ont confortée dans l'idée que l'entreprise est bonne.
Or, en tombant sur Monsieur Georges, des doutes se sont installés.
Les portes s'ouvrent. Je sors une fois arrivée au dernier étage et avance le long du couloir blanc. Je lis avec attention chaque écriteau sur les portes. Je stoppe net devant les mots « DG ». Le stress monte en moi.
Maintenant que je suis là, je ne vais pas laisser tomber. Je ne peux plus faire marche arrière. Tremblante, je m'installe à côté de la porte. Les minutes défilent, les éclats de voix sont audibles. Quelques mots sont filtrés. J'ai l'impression qu'une engueulade a lieu. Peut-être que le DG réprimande déjà son employé ?
La porte s'ouvre enfin. Je me fige quelques secondes. L'homme a un sourire au coin des lèvres. Je souffle, exaspérée de le voir ici. Je n'espérais pas tomber sur lui.
— Madame Clarke.
Je ferme deux secondes les yeux pour évacuer le stress et me reprendre.
— Je souhaiterais m'entretenir avec le directeur général.
Visiblement amusé par ce que je dis, il dépose sa main sur l'encadrement de la porte. Je risque un coup d'œil dans le bureau. Un homme âgé se tient droit comme un i. Il porte un costume noir, chic et ses cheveux sont coiffés à la perfection.
Le DRH soupire. Nos yeux se rencontrent. Mes joues brûlent sous son examen. Il me parcourt de la tête aux pieds.
— Donc vous ne savez pas qui je suis ? m'interroge-t-il avant de laisser échapper un rire.
Je hausse d'un sourcil, intriguée par ce qu'il dit.
— Le directeur des ressources humaines, supposé-je. En même temps, vous ne vous êtes pas présenté.
Son rire se stoppe net. Il se penche au-dessus de moi, comme s'il allait me faire une confidence.
— Je suis Matthieu Morant, fils du PDG Tom Morant.
Ma mâchoire se décroche d'elle-même. Je me sens plus que minable. J'ai en face de moi le fils du PDG, le patron pour qui je suis venue demander un travail. Je n'y crois pas. Comme par hasard, cela devait tomber sur moi. Il a dû bien se foutre de ma gueule !
— Oh bon sang, soufflé-je comme pour moi-même.
— Surprise... Alors, que me voulez-vous ? demande-t-il sèchement.
— Matthieu ! s'élève une voix grave dans son dos. Rappelle-toi de ce que j'ai dit !
Le directeur général se redresse. Je comprends que son père l'a repris. Il est mal à l'aise.
Je suis plus que déstabilisée. Maintenant, il m'est impossible de lui parler d'hier. Me plaindre à lui-même concernant sa tenue. Merde. Manquait plus que cela !
Je pourrais partir sans rien ajouter. Cependant, je ne vais pas renoncer si proche du but. J'ai fait le chemin dans l'ultime but d'avoir un rendez-vous correct. Je prends donc mon courage à deux mains et me lance, le cœur battant à cent à l'heure.
— C'est à propos d'hier. Concernant l'entretien...
Il s'écarte et ouvre en grand la porte.
— Entrez.
Son père, plus chaleureux, m'incite à entrer d'un mouvement de tête. Je m'exécute et prends place sur l'une des deux chaises. Les deux hommes m'inspectent. Ils se ressemblent. Même petits yeux bleus ciel, même visage ovale.
Le bureau est grand, spacieux. Un deuxième bureau est dans un coin, à droite de la porte. Il est vide. Seul un ordi éteint et une pile de documents y est. La place de la future assistante.
Monsieur Tom Morant reste debout. Quant à son fils, il s'installe à son bureau. Ses mains se joignent et il baisse la tête vers un document ouvert.
— Je suis navré que l'entretien se soit déroulé ainsi. J'en suis le seul fautif.
— Son comportement est inacceptable et il sera sévèrement puni, enchérit son père en traversant le bureau d'un pas lourd. Bonne journée, Madame.
La porte claque. Je tressaille et resserre la lanière de mon sac à main entre mes doigts.
— Veuillez accepter mes plus sincères excuses.
La main du jeune homme se tend dans ma direction. Mon attention est figée dessus. Sa main est grosse, plus que la mienne. Ses veines sont saillantes, ses ongles bien coupés et propres. Il prend soin de lui. C'est déjà ça. Combien d'hommes ai-je rencontrés avec les ongles noirs ?!
— Je suppose que le patron vous a remis à votre place ?
Il esquisse un somptueux sourire.
— Exactement. Il a entendu les mots de Madame Dunson et m'a demandé des explications. J'ai été franc et accepterais le retour de bâton.
Je le crois. Sa sincérité est lisible dans ses yeux.
— Il va vous retirer dix euros de votre paie ?
Monsieur Morant éclate de rire. Sa main est toujours en l'air, attendant que j'accepte ses excuses. Au moins, il n'a pas mal pris ma blague.
Son rire est plaisant. Ses fossettes sont creusées. Monsieur Morant est charmant, quand il n'a pas un comportement dégueulasse.
— Non, mais je préférerais. J'ai mal à l'épaule dans cette position.
Il se plaint en désignant sa main. La mienne va à sa rencontre. Au contact de sa peau, des frissons naissent sur mon épiderme. Sa chair est chaude. Lorsque sa main libère la mienne, je relève les yeux, troublée. Mes joues sont sûrement cramoisies. Mon cœur palpite. Je me dois d'être franche. Je suis timide, voire mal à l'aise, face à lui. Ses grands yeux azur me dévisageant d'une façon indescriptible. Comme s'il lisait dans mes pensées.
— Pour en revenir à vous, j'ai lu attentivement votre CV et votre lettre de motivation.
Ça part mal, je le sens. Je porte ma main à ma bouche et ronge mes ongles, stressée par sa réponse.
Non, à coup sûr, j'obtiendrais un refus. Je me suis déplacée pour rien, mais au moins j'ai une réponse !
— Je cherche une assistante compétente, franche et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Une personne, peu importe son genre, qui est honnête envers elle-même et moi. Quitte à me bousculer. Et...
Il marque un temps d'arrêt pour me sonder de la tête aux pieds. Sur mes talons hauts, je n'en mène pas large. J'attends le jugement dernier. Celui qui me relancera dans mes recherches de boulots.
— Vous êtes parfaite pour ce rôle.
Sa phrase tourne en boucle. La bouche entrouverte, je le dévisage comme un poisson hors de l'eau.
— Mais... je pensais que...
Ses lèvres s'étirent, dévoilant des dents blanches. C'est impossible que ce soit naturel ! Il ressemble à ces foutus mannequins de pub. Ceux aux cheveux, aux corps et à la dentition parfaits !
— Écouter aux portes est mauvais, Madame Clarke.
Oh non, non, non ! Il sait que je l'ai entendu. La honte. Je me liquéfie sur place.
— Vous avez appris de votre erreur, désormais.
Il me lance un petit sourire en coin – qui me fait fondre – et se dirige à son bureau. Il m'indique de le suivre. Sa main désigne le siège à trois mètres de moi.
— Je vous propose en premier lieu un CDD de 1 mois. Par la suite, si vous faites l'affaire, je vous proposerai un CDI.
Je dois donc être irréprochable pendant au moins trois mois. Avec la première paie, je pourrais aménager correctement mon appartement et faire une chambre correcte pour ma nièce. Actuellement, je lui ai laissé ma chambre. Je dors dans le canapé. Ce n'est pas un souci, il est confortable. Mais je crains que ce soit correct pour l'assistante sociale qui passera.
— Vous ne pensiez donc pas ce que vous disiez..., hésité-je en m'installant face à lui.
Amusé par ma réflexion, Monsieur Mathieu Morant lâche un petit rire. Il ne daigne pas répondre et sort une pile de feuilles. Peu après, il me tend un stylo dont je m'empare en le remerciant. Il avait donc déjà tout prévu.
Il plisse un œil, amusé. Installé face à moi, il reste muet, tandis que je commence ma lecture.
Je lis absolument tout. Vu notre première rencontre, je ne veux pas qu'il me sorte que je dois faire certaines choses, car c'était dans le contrat de travail.
Il ne me lâche pas des yeux jusqu'à ce que le téléphone du petit bureau sonne. L'appel se transfère au sien. Il décroche en soufflant. Son appel est professionnel. Il aborde un ton rauque, plutôt plaisant à entendre.
Je me mets à signer une fois la lecture terminée. Je repose le stylo dans le pot à stylos. Matthieu Morant pose son regard sur moi tandis qu'il raccroche. Je sens mon cœur battre lourdement. Ça raisonne comme jamais dans ma poitrine.
— Vous avez fini ? me demande-t-il.
— Oui.
— Tout est correct ?
— Oui.
C'est tout ce dont je suis capable de dire. Comme si sa voix rauque et sensuelle me paralysait.
Il se saisit du document et vérifie rapidement avant de le poser sur son bureau. Pendant cinq secondes, nos yeux sont enclavés. Aucun son n'interrompt notre analyse.
Monsieur Morant se lève sans un mot.
— Parfait, s'exclame-t-il en tendant sa main vers moi.
Cette fois-ci, je n'hésite pas. Je serre sa main en me levant.
— Demain à huit heures trente.
Ma vie vient de changer, et ça, je ne le comprends pas encore. Du moins, je ne veux pas y croire. La mienne, mais surtout celle de ma nièce, Émilie. Elle ne me sera peut-être pas enlevée !
C'est toute souriante que j'entre dans ma voiture, qui ne doit même pas coûter le quart de la voiture qui est devant la mienne.
Je me dépêche de rentrer au plus vite. De ce que je sais de cette entreprise, toutes les personnes sont bien habillées. Je sais pertinemment que ce n'est pas avec mes habits que je pourrais être bien vue et prise au sérieux.
De retour dans mon appartement, j'appelle l'assistante sociale et lui annonce que je viens de trouver un potentiel travail. Elle se réjouit pour moi, mais me prévient qu'un inspecteur, peut-être elle, passera le mois prochain. Il va examiner où j'habite pour être sûre que ce soit sain pour Émilie. Sans oublier qu'il va vérifier mon boulot. Si je n'ai pas menti, en gros.
Mon appartement n'est pas vraiment le meilleur pour habiter avec un enfant. Il n'y a qu'une chambre que j'ai passée à ma nièce. Je dors sur le canapé.
Pour ce qui est du travail. J'ai terminé mes études il n'y a pas longtemps. J'avais prévu de déménager après avoir trouvé un job dans une autre ville. Mais quelque temps l'accident de ma sœur et de son mari est arrivé. J'ai eu la garde de ma nièce en attendant qu'on lui trouve une famille d'accueil.
Très vite, mon choix était fait. J'ai refusé qu'elle aille dans une autre famille. Après tout, je suis sa tante. Je suis apte à m'en occuper.
Mais si je ne veux pas la perdre, je dois garder ce nouveau poste et mettre assez de côté pour changer d'appartement le plus tôt possible. Cela ressemble à une mission impossible, mais j'ai confiance en ma bonne étoile.
Vers cinq heures dix, après être revenue de la primaire avec Émilie, je m'installe à mon bureau. C'est-à-dire sur la table à manger, dans la cuisine. Le seul endroit où mon ordinateur portable est correctement à plat.
En vérifiant dans ma boîte mail professionnelle, je suis surprise d'en voir un reçu il y a deux heures. Il provient d'une inconnue appelée MarieM.
Je le lis attentivement trois fois avant de jurer. Pour être certaine que je n'ai pas compris de travers.
Ma vie va réellement changer, mais je ne suis plus sûre du poste et de ce que je dois faire. Comment peut-on me demander un truc aussi immonde ? Comment certaines personnes sont-elles au courant de ma vie privée ? Qui peut être aussi horrible que cela ?
Je m'affale sur ma chaise en pensant à ce que je pourrais dire pour ma démission. Vais-je réellement abandonner si près du but ? Si près d'avoir sérieusement la garde de ma nièce ?
Non, il faut que je me batte pour l'obtenir.
Mais je ne veux pas marcher dans le chantage de la personne. Même si le DG est assez brut, il ne mérite sûrement pas ce qu'on me demande de lui faire.
Je réponds au message disant que je trouvais dégoûtant ce que l'on me demande. La personne me répond peu de temps après, disant que je n'ai pas le choix. Il me donne certains détails qui changent mon point de vue.
Il a raison, je ne peux plus faire autrement. Il me tient.
Après tous ces mois à me battre pour récupérer Émilie, pas question qu'on me la retire. Ma nièce est comme la prunelle de mes yeux.
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