Chapitre 1
Le visage contracté, j'entre rapidement dans l'entreprise. Je suis stressée. J'ai l'impression d'être soudainement vulnérable. Comme si toutes ses années à m'endurcir n'ont servi à rien.
Les portes se ferment derrière moi. Je reste quelques secondes immobile à observer cet endroit. Le hall est immense et très lumineux. En face de moi se trouve l'accueil. Au fond à droite, il y a un couloir et à gauche des ascenseurs. Il y a même un coin avec deux machines. L'une à cafés et l'autre contient des boissons et de la nourriture.
J'avance d'un pas et fais un tour sur moi-même. L'endroit est plus beau en vrai que sur les quelques photos que j'ai pu apercevoir.
Un homme que je n'avais pas vu me bouscule sans s'excuser. Il sort sans même se soucier de moi. Je souffle en retenant une injure. La politesse semble mise de côté !
Je me dirige vers la dame de l'accueil. Elle est au téléphone et tient dans sa main un café, visiblement chaud vu la fumée qui s'y échappe. Elle fait un mouvement de la tête pour mettre une mèche de cheveux blonds derrière son oreille. Elle ne lance même pas un regard vers moi et me fait un signe de la main de patienter.
Je tente de prendre mon mal en patience. Mais je me sens comme une conne en train d'attendre que madame finisse sa discussion.
Discussion portant sur son patron.
Je roule des yeux, amusée. Cela me rappelle les films que j'ai vus parlant de sexy patrons. Voilà que cette femme n'échappe pas à la règle.
Quand elle me porte enfin un regard, elle a le visage fermé. Elle ne semble pas du tout contente de me voir. Elle pose le téléphone lentement et boit une gorgée de son café noir.
Je me mets à penser que j'ai peut-être fait une erreur en me présentant ici. J'ai certes les qualifications requises pour être assistante, mais je ne suis pas du tout apte à rester avec des personnes aussi ingrates. J'aime la politesse et la gentillesse. Ce qui ne semble pas être le cas pour tout le monde ici.
— C'est pour quoi ? me demande-t-elle lacement.
— Bonjour. C'est pour l'entretien d'embauche, réponds-je en souriant le plus amicalement possible.
Elle se penche au-dessus du comptoir pour me scruter de la tête aux pieds, sans aucune gêne. Puis de son doigt, elle m'indique le couloir que j'ai au préalable remarqué.
— Prenez ce couloir, me dit-elle d'une voix sèche. Avant-dernière à droite. Vous l'attendrez ici. Espérant que vous avez tout ce que vous devez avoir. Sinon, il ne cherchera même pas à connaître votre prénom.
Quelle violence !
Ce qu'elle me dit me fait soudainement douter de moi. Je sais que j'ai tout sur moi, mais le directeur des ressources humaines est réellement comme cela ? Tous ici sont sérieusement aussi perchés ?
J'ai la désagréable sensation d'être atterrie dans un monde parallèle. Là où être bien est interdit.
Je la remercie poliment, sans avoir de retour puis m'engage dans le couloir en frissonnant. J'ai bizarrement le trac. Mes doigts tremblent. Je me pose des milliards de questions. Je doute de tout. De mon désir, puis je me convaincs que je n'ai pas le choix. Sans ce boulot je perds ma nièce.
J'inspecte les murs. Il y a des moulures incroyablement belles et satinées dorées sur les murs blanc crème. Quelques petites plantes sont installées aux coins. Cela donne un côté reposant que j'apprécie beaucoup. Je laisse mes yeux glisser des sièges jusqu'au plafond. La salle d'attente est aussi belle que le reste du bâtiment, interne et externe.
Je n'ai pas le temps de m'installer qu'un grand homme entre dans la pièce. Sûrement le DRH, Monsieur Georges.
Il le dépasse d'environ deux têtes. Il a une large carrure. Je retiens ma respiration en le voyant. Bon sang, mais ça existe vraiment des hommes comme ça ? La mâchoire carrée, les pommettes saillantes. Je n'arrive pas à décrocher mon regard de son visage. Il a même des lèvres bien dessinées !
Il m'examine rapidement et me fait un signe de la tête de le suivre. Je me demande alors où je suis tombée. N'y a-t-il donc pas de personne polie ? À croire que non, malheureusement. Mais je dois reprendre mes esprits et obtenir ce job. Il n'y a pas que moi en jeu. Ma nièce compte sur moi.
Je le suis jusqu'au bureau du fond avec appréhension. Il m'ouvre la porte et me laisse passer. Je le remercie, d'une voix timide. Il n'est pas bavard, mais assez bien élevé de ce que je peux constater. Monsieur Georges referme la porte derrière lui, et me fait signe de la main de m'asseoir.
Une fois tous les deux installés, le directeur des ressources humaines plante son regard dans le mien. Je me sens soudainement gênée. J'ai peur que ses yeux bleus lisent mon âme. Qu'il découvre tous mes péchés, mes erreurs, mes envies. Je coupe alors la connexion en baissant la tête.
— Madame, fait-il d'une voix grave. Vous êtes là pour le poste d'assistante, si je ne me trompe pas.
Bah non... j'aurais demandé un entretien d'embauche pour ne pas vouloir le poste !
Je mets de côté mon sarcasme, certaine qu'il ne plaira pas.
Je n'arrive pas à deviner son âge. Il doit avoir dans les vingt-cinq, trente ans. Je me mets à me demander comment il est arrivé là. Il semble jeune pour tenir un rôle aussi important pour un magazine comme celui-ci. Si jeune et si beau...
Bon sang ! Je dois rester concentrée.
— Oui. Tenez, mon CV.
Je sors le document et lui tend dans une maîtrise exemplaire. Il le saisit et le parcourt sans un mot. Son visage n'exprime aucune expression.
Il ne s'est pas encore présenté, et il ne semble pas s'en soucier.
J'inspire, profondément puis relève la tête vers l'homme qui me dévisage désormais. Il a maintenant un sourire accroché à ses lèvres. Je reste quelques secondes, perplexe devant sa mine.
— Je m'appelle Caroline Clarke. J'ai vingt-quatre ans.
— Merci, mais je suis capable de lire.
Mais qu'est-ce qui lui prend ? Son ton est surprenant, violent. Je déglutis priant pour que le rendez-vous se termine vite.
— Pourquoi devrais-je vous embaucher plutôt qu'une autre ? Vous avez un seul diplôme, vous êtes jeune. Ce poste est important. Il demande une personne fidèle, qualifiée et qui n'a aucune hésitation.
J'ouvre la bouche pour répondre, mais il continue sur sa lancée.
— Sans me baser sur le physique ou l'allure que vous envoyez, je dirais que vous avez postulé pour le premier travail qui se présentait à vous. Je suis certain que vous doutez de vous, trop pour ce poste. À moins que j'aie tort. Est-ce le cas ? Avez-vous les compétences requises ?
Monsieur Georges m'a piquée à vif. Je suis remontée comme une pendule, prête à exploser. Je me rends compte que je n'ai plus envie d'être là. Je n'aime pas me faire écraser comme cela.
— Je suis qualifié, apprends vite et fidèle. Quant à l'hésitation, qui n'en a aucune ?
Il me sonde, dubitatif, enfoncé dans son fauteuil.
— Les personnes ambitieuses, réplique-t-il sûr de lui.
Je prends sa réponse en plein dans les dents. Ce Directeur des Ressources humaines m'angoisse.
Il est fier et le montre. Redressé sur sa chaise, il glisse son coude droit sur la table et dépose son menton sur le dos de sa main.
— Avez-vous d'autres détails à me donner ? Où pouvons-nous conclure le rendez-vous ?
— Je... je fais du bon boulot. Je me donne toujours à cent pour cent. Je ne vous décevrais...
Son index se lève en l'air, m'intime le silence. D'un geste maîtrisé, il sort un téléphone de sa poche en se levant.
— J'en ai pour deux petites minutes.
Il me plante là, en plein entretien pour répondre à son téléphone. La porte de la salle se referme derrière lui. Je croise les jambes, fixe mon CV abandonné sur la table. Lorsque la voix du DRH s'élève, je comprends qu'il est derrière la porte.
Bien que je ne devrais pas, je tends l'oreille. L'homme a toujours ce timbre hautain, voire agressif.
— Que me veux-tu ? J'étais en plein entretien, là.
Silence. Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine. Je suis suspendue à sa voix.
— Non, elle ne fera pas l'affaire.
Je m'étouffe à ses mots. Au moins c'est clair. J'ai perdu mon temps.
— Non ! Une gamine sans connaissance et utilité. Elle ne doit même pas savoir comment allumer un ordinateur.
Je suis outrée par ses propos ignobles. Il me juge sans me connaître. Finalement, ce poste, ils peuvent se le garder !
Je me lève telle une furie. Je récupère mon CV, le range dans mon sac en l'insultant avec tout mon cœur. Puis, je traverse la pièce les poings serrés.
— Hors de question ! Mais... non !
Le ton implorant du DRH me stoppe près de la porte. Ma main tient la poignée, mais est incapable de l'abaisser.
— Tu m'énerves. Je te dis que c'est impossible. E...
Mes doigts se crispent sur la poignée. Je compte jusqu'à trois pour l'ouvrir.
1... 2...
— Ok, parfait. Salut.
La poignée tourne. Je bondis en arrière, surprise. La porte s'ouvre sur le DRH qui affiche un sourire éclatant.
— Vous allez quelque part ? me questionne-t-il sur un ton mielleux.
Son changement de caractère est surprenant. Je n'y fais guère attention et serre les dents.
— Je pars.
Devant moi, l'homme soupire. Je vois à la lueur de ses yeux qu'il n'aime pas ma réponse.
— Partir maintenant serait une erreur. Réinstallez-vous.
Il me donne des ordres comme si j'étais un chien. Ce type est horrible.
— Non, après réflexion, le poste ne m'intéresse plus. Navrée pour cette perte de temps et b...
— Madame Clarke, me coupe-t-il sur un ton méprisant. Un essai d'une semaine vous va ?
Je suis totalement déboussolée. Sa question chamboule tout. Il entre dans la salle et me contourne. Je ne bouge pas d'un poil, hésitante. Soudainement sa présence apparaît dans mon dos.
— Alors ?
Son souffle chaud caresse mon oreille. Son parfum qui reflète vraiment son côté mâle se faufile dans mes narines. Ça lui va bizarrement bien.
Je reste figée ne sachant pas comment réagir. Quelques secondes après, je sens une masse chaude sur mon épaule. Le souffle chaud de l'homme qui me reçoit pour l'entretien réchauffe mon cou. Un frisson me parcourt de la tête au pied.
Cette situation est incongrue et me dérange. Je n'aime pas comment se déroule ce rendez-vous. J'ai peur de réagir, de le repousser. Et s'il me faisait du mal ? Je suis perdue, muette et paralysée sur place.
Comme une idiote, je me crispe de plus belle. Je me demande s'il va réellement continuer son petit jeu malsain avec moi. J'en ai le cœur net quand il me complimente.
— Vous sentez bon, me souffle-t-il à l'oreille.
Cela me fait un électrochoc. Je tente de me libérer, mais ses mains se posent à ma taille. Il me retient contre son corps.
— Reculez-vous..., murmuré-je.
— Soyez sans crainte.
Cela en est trop pour moi. Je me suis toujours dit de ne pas coucher pour obtenir un emploi. Je ne vais pas commencer maintenant, même si cet homme est l'incarnation parfaite du péché.
— Non, refusé-je, le souffle court tout en m'écartant de l'homme.
Le directeur des ressources humaines se redresse. Il me libère sans un mot. Je reste maintenant muette et raide comme un i. Je fixe la porte ouverte, prête à partir en courant. Les larmes montent.
— Vous êtes ignoble, sifflé-je en marchant sans me retourner. Votre poste, vous pouvez vous le garder ! Je préfère encore bosser dans un bar qu'avec un agresseur !
Je dépasse l'encadrement, le menton levé. Je suis remontée à bloc. La seule chose qui me retient de l'insulter et de le frapper est qu'il est sûrement plus fort que moi.
Ce qu'il a fait est impoli, dégueulasse. Je suis totalement répugnée par cet homme. Il ne semble que se soucier de ses envies.
Super. Maintenant, je dois trouver un travail ailleurs. Je sais que ce type ne me laissera pas le temps qu'il n'a pas obtenu ce qu'il veut. Il peut se servir de l'essai pour coucher avec moi. Et c'est ce que je ne veux pas. Ce n'est pas parce qu'il est relativement beau que je dois me jeter dans ses bras.
Je n'ai pas le temps de traverser le couloir que l'homme me rattrape. Il se place devant moi, les mains en l'air. Elles sont proches de moi, mais ne me touchent pas.
— Je vous propose un CDD d'une semaine. Vous ne pouvez pas refuser un rôle aussi important pour un magazine aussi puissant. Cela est de la pure stupidité de votre part. Cela me prouve, par contre, que vous n'avez pas les capacités à tenir tête face à un problème.
— Mais... vous vous rendez compte de votre comportement ? Vous me prenez pour qui ?
À la fois ahuri et hébété, ses paupières s'écarquillent. C'est comme s'il prenait de plein fouet mes mots. Ses mains se baissent lentement. Ses yeux bleus tentent de m'envoûter, je romps le contact en fixant son nez fin.
— Je suis sincèrement désolé pour mes mots et mes gestes déplacés.
— Le mal est fait.
Il acquiesce sobrement.
— Acceptez mes plates excuses.
— Je les accepte... si vous me dites pourquoi vous m'offrez un CDD.
Ses lèvres tressautent. Il prend son temps pour répondre. Cette demande l'a pris au dépourvu. J'espère qu'il me répondra avec honnêteté.
— Vous avez toutes les qualifications requises et un franc-parler qui me plaît.
Mensonge. Quel connard.
— Je sais que vous mentez, grogné-je en le contournant. Bonne journée.
L'homme ne me répond pas. Je suis hallucinée par ce rendez-vous. Si je m'y attendais ! J'aurais mieux fait de me casser la jambe ce matin.
Je traverse le couloir et déboule dans le hall. Les portes en pleine ligne de mire, un étrange sentiment s'insinue en moi.
Je commets une énorme erreur.
J'ai besoin de ce travail plus que tout. C'est le seul recruteur à m'avoir répondu et donné un rendez-vous.
Par ma faute, ma nièce sera mise en famille d'accueil dans les semaines à venir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top