1.
-Jade ! Tu es prête ? Ils sont arrivés !
-J'arrive maman ! lançai-je en fermant péniblement mon énorme valise.
Je vérifiai une dernière fois que je n'avais rien oublié.
Sous le lit ? Rien. Bureau ? C'est bon. Armoire ? Parfait. Je suis prête !
C'était la première fois que je partais aussi longtemps de la maison. Un mois, ce n'est pas rien... surtout quand on est une fille comme moi ! Toute ma chambre y était passé.
Je descendis quatre à quatre l'escalier, mon bagage plein à craquer sous le bras. Ma mère et ma tante m'attendaient sur le perron en bavardant joyeusement. Dès qu'elle me vit, Kate m'ouvrit ses bras. Je me laissai aller contre elle, appréciant pleinement cette chaleureuse étreinte. J'adorais ma tante, littéralement. C'était ce genre de personne incroyablement généreuse, qui se souciait plus de ses proches que d'elle-même et qui était prête à dépenser l'intégralité de sa fortune pour faire plaisir à ceux qu'elle aimait. Depuis mon enfance, elle avait toujours été aux petits soins pour moi.
-Bonjour ma puce ! Comment tu vas ?
Je me desserrai légèrement d'elle et lui souris avec enthousiasme.
-Mieux, merci. Je suis tellement contente de te rev...
-JADOUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIILLE!!!!!!!!!!
Lui, c'est Harry. Il est le cadet de la famille. Notre complicité et notre amour réciproque - amour fraternel, hein, qu'on soit bien clair - nous font souvent passer pour des jumeaux auprès des personnes que l'on rencontre. Harry et moi avons fait les quatre cent coups ensemble. Une fois, on a même traversé le village le plus proche de chez eux à cheval, au grand galop. En fait, on jouait juste aux cow-boys... mais vous voyez, nous, on aime bien faire les choses en grand.
Puisqu'il ne semblait pas décidé à me lâcher, j'usai de mon arme fatale pour le repousser : je me mis à le chatouiller sous les regards amusés de nos mères respectives. Harry se tordait de rire, les larmes aux yeux. Je savais qu'il ne pourrait tenir très longtemps, et effectivement, il finit par se rendre :
-Ok... Arr... Arrête, pitié...
J'accédai à sa requête en affichant un air satisfait.
-Vous ne pouvez que vous incliner face à ma supériorité, Harold.
Il me tira la langue, et nous partîmes dans un fou rire général. Je réalisai alors à quel point ils m'avaient manqué. A quel point le bonheur que je ressentais à leurs côtés m'avait manqué. Cela faisait si longtemps que... Je secouai la tête pour chasser les idées noires qui menaçaient de m'envahir. Ce n'était vraiment pas le moment de me morfondre. Kate se tourna vers ma mère et lança d'un ton enjoué :
-Bon, je crois qu'il est temps d'y aller !
Ma mère souriait, mais moi je pouvais lire la tristesse planquée au fond de ses prunelles. Je savais qu'elle était inquiète de me laisser partir si longtemps, pas parce qu'elle ne faisait pas confiance à sa sœur - elle l'avait fait toute sa vie -, mais parce que j'étais tout ce qui lui restait. Attendrie par son émotion manifeste, je la pris dans mes bras et lui chuchotai pour tenter de la rassurer :
-Ne t'en fais pas maman, tout ira bien. Je t'appellerai tous les jours, c'est promis.
Elle ne répondit pas, mais resserra son étreinte autour de mes bras. Je poursuivis :
-Promets moi que tu répondras à l'invitation des Wilson ! Il faut que tu te changes les idées.
Elle et moi étions si fusionnelles, je détestais l'idée de la savoir ici seule et déprimée.
-Je te le promets. Je t'aime ma chérie.
Je déposai un baiser sur sa joue, qu'elle me rendit, et m'éloignai en direction de l'imposant 4x4 de mon oncle - qui devait sûrement nous attendre au ranch. Harry m'aida à soulever ma valise afin de la ranger dans le coffre. Il grimaça en constatant son poids.
-T'as caché un cadavre dedans ou quoi?! souffla-t-il.
-Tais toi et porte, homme.
-Tout le monde en voiture ! Direction le Wyoming ! s'exclama Kate.
Une fois que le véhicule eut démarré et eut quitté les petites routes de mon quartier, je sortis de mon sac à dos mon livre de chevet : Sa majesté des mouches de William Golding. Un chef-d'œuvre de la littérature anglaise, soit dit en passant. Du coin de l'œil, j'aperçus mon cousin s'offusquer sur le siège d'à côté.
-Tu comptes lire alors que je suis là, et de si bonne compagnie ?!
D'un geste théâtral, il porta une main à son cœur. Je pouffai de rire et le toisai.
-Je compte profiter des derniers instants de liberté qui me restent, vois-tu.
-Alors là, je ne vois pas du tout de quoi tu parles... répondit-il en me faisant un clin d'œil.
Je plissai les yeux en le regardant d'un air soupçonneux, puis me replongeai avec avidité dans ma lecture. Pourtant, au bout de quelques minutes, je me rendis compte que je n'avais rien retenu des phrases que je venais de lire. Résignée, je posai le livre à côté de moi. En tournant la tête, je vis qu'Harry s'était endormi. Le désir sadique de le photographier, recroquevillé sur lui-même avec la bouche ouverte et un filet de bave, me passa par la tête, mais je me dis que sa vengeance n'en serait que pire. Je posai la tête contre la vitre et contemplai les montagnes de l'Utah qui se dessinaient à l'horizon.
A dans un mois...
J'avais l'impression de n'être pas partie depuis une éternité. En réalité, cela faisait seulement deux ans. Pourtant, j'aurais dû y aller, comme tous les ans. Tout était prévu. Mais mon père était tombé malade, cet été-là. Un matin, il n'avait pas pu se lever. Il disait qu'il avait mal, qu'il n'arrivait plus à respirer. Pourtant, mon père, il n'était pas du genre à se plaindre. Il nous avait dit que ça allait passer, que c'était sûrement une mauvaise grippe. Ce n'était pas la grippe. Pendant quinze mois, on s'était répété sans cesse qu'il fallait que ça soit la grippe. Mais mon père n'a jamais guéri. Quoique, après tout, peut-être peut-on accueillir la mort comme la guérison d'une souffrance invincible...
-Jade ?
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