6. La confédération flamande
« Quand arrivèrent-ils au juste ? Je ne m'en souviens plus. Vous excuserez la mémoire quelque peu défaillante du vieil homme que je suis devenu. Je crois néanmoins me rappeler que ça devait être vers la fin de l'année 2083 ou au début 2084.
Pourquoi choisirent-ils notre village pour s'installer ? Je l'ignore. Mais ils étaient nombreux. Une véritable délégation d'hommes aux trognes pas franchement sympathiques. Il ne pouvait s'agir que de repris de justice en quête d'un abri où se faire oublier quelques temps.
Au cas où vous l'ignoreriez, laissez-moi vous évoquer ce qu'il advint de la Flandre suite au Grand Effondrement.
Profitant du chaos qui régnait ainsi que du délitement complet de toutes les institutions fédérales belges, les indépendantistes flamands en profitèrent pour réaliser leur vieux rêve d'un Flandre autonome, enfin débarrassée du boulet wallon. Ainsi fut créée la première république flamande, menée par Tom Van Grieken, une république qui devait durer mille ans, selon ses dires.
C'était sans compter sur la brusque et inexorable montée des eaux de la Mer du Nord et l'engloutissement presque complet du pays, lequel ne constitua bientôt plus qu'un chapelet d'ilots minuscules. Ce n'est pas pour autant que l'anarchie s'empara de la région. Très rapidement, une confédération se mit en place, présidée par des hommes et des femmes de bonne volonté, soucieux d'éviter une sanglante anarchie.
Leur idéal était simple. Les nouvelles îles flamandes se devraient accueillir toute personne désireuse de vivre en paix, quelles que fussent ses actions passées, bonnes ou mauvaises. Était ainsi offerte à chacun la possibilité d'effacer l'ardoise, et de recommencer sa vie sur de meilleures bases, souvent en changeant d'identité.
Les années passèrent sans que rien ne vienne troubler la paix de la confédération. L'isolement des îles avec le reste du continent, demeuré émergé, leur garantit une sérénité certaine, plusieurs décennies durant. Ceux qui présidaient la confédération acceptaient chaque individu en son sein, pourvu qu'il renonce à toute forme de violence. Cette règle fut respectée par les habitants et presque aucun incident ne fut jamais à déplorer.
Pourtant, au début des années 2070, se produisit un évènement qui changea la donne.
Un groupe de femmes fut accueilli à bras ouverts, comme il était de coutume. Personne ne savait rien d'elles car elles refusèrent d'évoquer leur passé. La confédération leur donnait parfaitement le droit de n'en rien dire et nul ne chercha à investiguer davantage. Malheureusement, lorsque ces mêmes femmes furent surprises en train de s'atteler à un sombre rituel, les choses devinrent claires. Elles ne pouvaient être que des sorcières ! Longuement interrogées, elles finirent par avouer qu'elles avaient fui l'Inquisiteur Pangelpique qui régissait la ville de Liège, loin au sud. Lorsque la nouvelle fut rendue publique, de vifs débats éclatèrent. Même la présidence ne sut comment réagir. Si des criminels abominables avaient élu domicile dans les îles sans que quiconque s'en émeuve, il en allait autrement pour des adeptes de la sorcellerie. Bien entendu, il était notoire que les arts noirs avaient connu une spectaculaire résurgence après le Grand Effondrement. Toutefois, la Flandre avait été épargnée par ce phénomène, jusque-là en tout cas.
La querelle s'envenima rapidement. On craignait, à juste titre, que la confédération ne devienne un repère de sorcellerie et que les conséquences n'en soient désastreuses. Mais, par-dessus tout, on voulait éviter à tout prix d'attirer les regards trop curieux sur ce petit royaume de tranquillité.
Les adversaires de la sorcellerie, au terme d'une guerre qui dura pas moins de deux ans, remportèrent finalement la victoire. Sitôt la paix revenue, les sorcières furent promptement exécutées.
Afin que plus jamais ceci ne se reproduise, on menaça de mort quiconque serait tenté d'emprunter la dangereuse voie de la magie noire.
C'est pour cette raison que furent formés plusieurs inquisiteurs, chargés de faire appliquer cette nouvelle loi aux quatre coins de la confédération.
Je fus parmi les premiers jeunes hommes à embrasser cette nouvelle carrière qui s'offrait à eux. Les raisons de ce choix étaient multiples. Outre de nombreux avantages offerts par la confédération, nous jouissions du respect de nos pairs. En contrepartie, chaque apprenti inquisiteur était soumis à un rigoureux entrainement destiné à lutter contre le mal sous toutes ses formes. Armés du manuel de l'inquisiteur de Bernard Gui, nous étions ainsi fiers de veiller ainsi au bienêtre et à la sécurité de chacun.
D'autant plus que les menaces à combattre s'avéraient plus que minimes. Il devint bientôt clair que les adeptes de la sorcellerie ne se bousculaient en effet pas au portillon de la confédération. Pas de quoi prendre des risques démesurés pour les jeunes inquisiteurs en tout cas.
Je fus pour ma part affecté à la surveillance de quelques villages, dont celui où nous nous trouvons actuellement. Je voyais l'avenir sereinement et pensais que ma carrière ne serait qu'un long fleuve tranquille.
C'était avant l'arrivée de Morgane et de sa bande, toutefois.
Les barques vinrent du sud au petit matin. Voir débarquer une telle armada était chose si inhabituelle que l'ensemble des villageois s'était rassemblé pour saluer les nouveaux venus.
Naturellement, j'étais aux premières loges, comme mon travail l'exigeait. L'inquisiteur Dirk De Haas devait s'assurer que ces nouveaux venus ne ressemblaient aucunement à des sorciers.
Tout d'abord, un grand gaillard se présenta, bâti comme une armoire à glace. Il s'appelait Robert le Mouillard et il dirigeait cette troupe de hors- la- loi. Selon ses dires, lui et ses hommes en avaient assez de cette dure vie d'errance et de violence. C'est pour cette raison qu'ils avaient décidé de rejoindre la confédération. Une jeune femme rousse au regard troublant les accompagnait. Encore aujourd'hui je me souviens de sa beauté hypnotique. Qui était-elle ? Je ne le sus jamais vraiment.
Mais ce qui émut le plus les villageois, ce fut la présence de trois enfants.
Deux garçons et une fille portant chacun un visage émacié, marqué par la fatigue et la souffrance. Lorsque la fille aux cheveux gris, qui répondait au nom de Morgane, débarqua enfin, elle ne put rien faire pour dissimuler son ventre rond.
On murmura et on la prit rapidement en pitié. Qu'il était triste de voir une gamine à peine sortie de l'enfance déjà chargée du fardeau d'une maternité prochaine !
Le premier garçon, celui qui se prénommait Gaël, vola au secours de sa compagne en se présentant comme le père de l'enfant et en affirmant qu'il en prenait l'entière responsabilité. Le second gamin, un dénommé Colin, qui dégageait une puissante odeur de fauve, approuva sans réserve ses dires.
Des discussions s'engagèrent. Au terme de celles-ci, il fut convenu que, faute de place, seuls les enfants et la jeune femme rousse resteraient au village. Le reste de la bande serait dispersé aux alentours. Tout le monde tomba rapidement d'accord sans grande hésitation.
L'enfant vint au monde quelques mois plus tard.
Comme il l'avait promis, Gaël prit sur lui d'assumer le rôle de père du petit Arthur, ainsi qu'ils le baptisèrent.
Gaël, Morgane, Colin et le petit Arthur, surveillés de près par la jeune et étrange femme rousse, n'eurent aucune difficulté à s'intégrer dans le village où chacun semblait les aimer et les respecter.
Leur bonheur devait se compléter quelques années plus tard par la naissance d'un second petit garçon, Brandon.
Enfin, ce fut au tour de la petite Sandie de voir le jour.
C'est peu après que les choses se gâtèrent et que je dus prendre la décision qui s'imposait, à savoir exiler Morgane et sa famille sur cette île isolée.
Agé de vingt-cinq ans à peine, je ne savais pas encore que ma carrière d'inquisiteur, jusque-là tranquille, allait prendre un tournant décisif.
Telle fut mon erreur, la pire de mon existence. J'aurai du écraser ce ver avant qu'il ne rentre dans la pomme et nous empoisonne à petit feu.
Livrée à elle-même sur son rocher pelé, Morgane la Rouge commit le pire, entrainant sa famille dans sa chute en concluant un pacte maudit.
Non, mon jeune ami, ce n'est pas une simple Malveillance qui hante désormais les ruines de cette maison.
C'est le Diable en personne. »
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