Conclusion: l'aube d'un nouveau jour

Le soleil se levait à travers les fenêtres crasseuses de L'Oasis alors que Colin achevait son récit. L'homme en gris n'en avait pas perdu une miette, littéralement suspendu à ses lèvres.

-Voilà tout ce que je pouvais vous apprendre, mon ami. J'espère que la nuit que vous venez de passer en ma compagnie vous aura été agréable. Maintenant, il va vous falloir me rendre un petit service. Simple échange de bons procédés, n'est-ce pas ? Dites-moi. Qui êtes-vous ? Mon intuition a-t-elle vu juste ?

L'homme en gris se racla la gorge. Alors, pour la première fois depuis des mois, voire des années, il ne savait plus, il entendit le son de sa propre voix.

-Ma grand-mère était originaire de Liège. C'était une Macrâle qui, un jour, décida de fuir avec son nourrisson sous le bras. Ce bébé, c'était mon père. Je n'ai pas connu ma grand-mère, mais mon père m'a fait part de l'histoire qu'elle lui avait racontée un millier de fois. Comment, remontant la Meuse à bord d'une simple barque, elle avait cru perdre son enfant, suite à une mauvaise fièvre. Comment une simple gamine avait usé de ses pouvoirs pour lui sauver la vie, le soir d'Halloween 2081. Ma grand-mère n'a jamais oublié ce qu'elle devait à Morgane la Rouge. D'une certaine manière, j'ai compris que je lui devais indirectement mon existence. J'ai juré devant mon père, sur son lit de mort, de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour réhabiliter la mémoire de Morgane la Rouge malgré le portrait terrifiant que ses ennemis ont pu en dresser...

Colin pencha la tête.

-Une noble quête qui vous aura conduit bien loin de chez vous, jusqu'à ce village perdu au beau milieu de nulle part. Je suis heureux de vous avoir rencontré. Moi aussi j'étais présent le soir où Morgane a sauvé la vie de votre père. Je n'aurais jamais pu oublier le regard de votre grand-mère. C'est pourquoi je vous ai reconnu presque à l'instant même où je vous ai aperçu. Vous ressemblez beaucoup à votre aïeule, vous savez.

Le vieil homme essuya rapidement une petite larme d'émotion. L'homme en gris ne lui laissa pas le temps de se remettre de son émoi, et enchaîna.

-Vous étiez avec Morgane lorsqu'elle a fui Liège avec les hommes du Mouillard, si ce que vous m'avez raconté est vrai, bien sûr. Je suppose que vous êtes resté en sa compagnie encore bien assez longtemps pour m'en apprendre davantage. Je veux tout savoir !

-Je vous en ai dit bien assez. Je ne suis plus qu'un vieillard à la mémoire défaillante, vous savez. Si, assez curieusement, j'ai gardé le souvenir intact de tout ce qui est survenu à Liège lors des événements que je viens de vous conter, il n'en va pas de même pour la suite. J'aurai bien peur que la mémoire me fasse défaut. Si vous souhaitez connaître la suite du récit de la vie de Morgane, il va vous falloir poursuivre votre propre route. Mille fois hélas, je ne pourrais plus vous être d'aucune aide dans cette tâche.

Les rats avaient recommencé à pulluler dans la pièce, pour se rassembler autour des pieds de Colin.

-Mon temps sur cette terre est presque arrivé à son terme. Je crois pouvoir dire à présent, avec le recul, qu'il était déjà bien trop long. Je n'ai aucun regret. Je suis même satisfait d'avoir pu vous transmettre mon fardeau, juste avant de partir. Je sais que vous êtes une personne droite et juste, et que vous ferez bon usage de ce que vous avez pu apprendre cette nuit. Cependant, l'histoire que je vous ai contée est loin d'être terminée. J'ai ici deux choses à vous remettre qui éclaireront sans doute vos pas lors de la suite de votre quête.

Le vieil homme sortit d'une poche de ses vêtements une enveloppe de vélin jaunie par le temps, soigneusement scellée à la cire.

-Lisez-là une fois que vous aurez quitté ce village et pas avant. Comme je vous l'ai déjà dit, les sœurs de Mère Ajar n'apprécieraient pas de vous trouver ici. Peut-être cette lettre vous apportera-t-elle quelques éclaircissements bienvenus.

L'homme en gris, d'une main hésitante, s'empara de l'enveloppe et la glissa dans sa propre poche.

-Enfin, prenez ceci.

L'homme en gris s'empara de la broche stylisée que lui tendait Colin. La silhouette d'un ours y était gravée.

-Cette broche, tout comme la lettre que je vous ai donnée, m'ont chacune été remise par Thomas, le soir où il a trouvé la mort. C'était était un cadeau de Robert le Mouillard offert à Thomas après la bataille de Spa, comme un signe de reconnaissance, si vous vous rappelez. Mais cet objet à également une autre histoire. Je l'ai moi-même remis à Morgane, qui l'a conservé des années durant. Elle en a fait une clé. Trouvez la porte qu'elle déverouille, et vous remplirez votre soif de connaissance.

Soudain, les rats, plus nombreux que jamais, entourèrent le vieil homme jusqu'à complètement le submerger. Horrifié, l'homme en gris vit le vieillard disparaître sous cet amas de fourrure et de crocs.

Lorsque les premiers rayons du soleil vinrent éclairer l'endroit où se tenait encore Colin quelques secondes auparavant, plus rien ne subsistait. Les rongeurs et leur maître avaient disparus sans laisser la moindre trace, comme une page d'un livre tombant brutalement en poussière, une fois lue...

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L'homme en gris quitta Racour sans se retourner. Dans sa main gauche, il tenait le précieux carnet de Morgane la Rouge. Dans la droite, il serrait l'enveloppe que lui avait remise Colin. Lorsqu'il fut certain d'avoir mis assez de distance ce village de sorcières et lui, il s'assit sur une pierre et brisa le cachet qui scellait l'enveloppe.

« Ma très chère, Morgane.

Je tenais à t'écrire ces quelques lignes car je sens au fond de moi-même que mon destin n'est pas de survivre davantage au sein d'un monde aussi corrompu que le nôtre. J'espère simplement pouvoir glisser cette lettre dans la poche d'une personne de confiance qui pourra te la remettre au moment voulu.

Depuis le premier jour, je sais la grandeur qui se cache en toi. Or, cette grandeur, n'a rien à voir avec de quelconques pouvoirs surnaturels

Tu es tout simplement une personne exceptionnelle de courage et d'abnégation. Le jour où je t'ai sauvé la vie, j'ai pris, je crois, la meilleure décision de ma vie. Sache que je n'ai aucun regret à ce sujet. Ta mère et ton père peuvent être fiers de toi, où qu'ils se trouvent aujourd'hui.

Tu es destinée à de grandes choses, j'en suis certain. Ta vie ne fait que commencer et beaucoup d'épreuves t'attendent encore. Mais tel n'est-il pas le quotidien de ceux qui ont décidé de se battre pour leurs idéaux ?

Je ne peux ni dire où ni comment, mais sache qu'à chaque moment de ton existence, dans les instants de peine comme dans ceux de joie, je continuerai à veiller sur toi.

Sache que je n'ai nulle peur de la mort. Aussi, je t'en conjure, ne pleure pas sur mon sort mais atèle-toi plutôt à être une meilleure sœur pour tes amis que le lamentable frère que j'ai pu être moi-même.

A bientôt, j'espère.

Ton bien-aimé Thomas.

Ému par ces quelques mots, simples et tendres à la fois, l'homme en gris reprit sa route, la broche du Mouillard soigneusement épinglée sur sa poitrine.

D'ici peu, il foulerait à nouveau la dangereuse terre des Flandres, en direction de la mer du Nord et de l'île d'Anvers, là où Morgane la Rouge avait accosté près de soixante ans auparavant. Son infaillible instinct lui soufflait que c'était bien là qu'il trouverait les réponses à toutes ces questions laissées en suspens.

C'était le début d'un nouveau jour.

Une autre épuisante et interminable journée de marche sous la canicule s'annonçait. Pourtant, jamais l'homme en gris ne s'était senti le pas si déterminé et le cœur si léger...

                                                                      

                                                             Fin de la première partie.

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Et voilà ! Ainsi se termine la première partie de « Macrâle » !

Je fais une pause le temps de bien réfléchir à la structure de la suite mais qui ne devrait trop tarder, normalement.

Vous y découvrirez la suite de la quête de l'homme en gris, à la recherche des traces de Morgane. De son côté, celle-ci aura fort à faire pour protéger sa famille contre ceux qui veulent sa perte mais aussi contre l'adversaire le plus terrifiant de tous : elle-même ! 

Beaucoup de drames et de sacrifices attendent encore nos héros...

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