9. La Perle des Ardennes
Après d'interminables journées de chevauchée et des nuits inconfortables passées à la belle étoile, à la tombée de la nuit, nous touchâmes enfin au but de notre périple. La ville de Spa, surnommée la perle des Ardennes, s'offrait enfin à nous.
Quelques jours auparavant, l'hiver avait lancé une grande offensive aussi intense qu'inhabituelle, recouvrant les rues de Spa d'un épais manteau blanc dans lequel Clip-Clop s'enfonçait à chaque pas.
Je laissai mon regard s'attarder sur le décor qui nous entourait. Tout ici respirait une tranquillité et une aisance telles que je n'en avais encore jamais connues.
Crasseux, épuisés et transis de froid, j'eus cependant très vite le pressentiment que nous ne passerions pas longtemps inaperçus parmi tous ces passants tous chaudement vêtus, bien nourris aux allures hautaines et aux mines suspicieuses.
-Et là, vous deux ! Descendez de cheval ! Immédiatement ! C'est un ordre !
A peine eûmes-nous abordé la principale rue de la cité, qu'un groupe d'hommes portant tous le même uniforme rouge, frappé d'une silhouette de castor en guise de blason, nous interpella. Si ces soldats ne paraissaient pas franchement hostiles, la hache bien affûtée que chacun portait à la ceinture nous convainquit qu'il n'aurait pas été sage de discuter. Thomas, d'un air rassurant, me fit signe de rester tranquille, que nous ne risquions rien.
Un homme trapu et presque chauve s'empara des rênes de Clip-Clop tandis que nous mettions pied à terre.
-Vous n'êtes pas d'ici, les gamins. Je ne vous ai jamais vus. Qui êtes-vous ? Que cherchez-vous ? Que voulez-vous ? Allez, répondez, et plus vite que ça, ou je vous promets que ça va barder !
Sans paraître le moins du monde intimidé par les manières bourrues de l'homme, Thomas extirpa de son havresac la lettre de Tante Louison. Le soldat lui arracha des mains et la porta si près de ses yeux que je me demandai un instant s'il n'était pas tout bonnement aveugle.
-Les bras en l'air, les mômes ! Et que ça saute !
L'homme jeta violemment la lettre au sol avant de la piétiner sans ménagement. Nous n'eûmes même pas le temps d'émettre la moindre protestation que le reste de la troupe nous serra de si près que nous pûmes sentir la froideur de l'acier contre notre chair. On nous lia les mains derrière le dos.
-Vous n'auriez pas pu trouver un piège plus grossier, non ? Ah ! Vous pensiez vraiment qu'on allait tomber dans le panneau ?
Thomas amorça bien une tentative d'explication mais une violente gifle l'interrompit.
-La ferme, gamin, ou je te bâillonne, c'est bien compris ? Vous vouliez voir le bourgmestre ? Et ben, on va vous amener devant lui. Puis quand vous aurez avoué, on vous réglera votre compte comme à vos camarades, avant vous.
Cette réaction pour le moins violente de notre interlocuteur demeurant un mystère, nous renonçâmes pour l'instant à tenter d'y comprendre quoi que ce soit. Nous fûmes conduits à marche forcée jusqu'au pied d'une colline. Sur ses flancs, un curieux dispositif, consistant à une petite cabine posée sur des rails montant jusqu'au sommet de la butte, nous attendait. Une foule de badauds s'était rassemblée, chuchotant et nous montrant du doigt. Nous crûmes entendre prononcés des mots comme « assassins » ou « espions ».
-Montez là-dedans !
Le chef de la troupe nous poussa à l'intérieur de la cabine avant de s'y engouffrer à son tour, encadré par deux de ses hommes, tout en prenant soin de ne pas nous quitter des yeux un seul instant. Je poussai un petit cri effrayé lorsque la porte se referma d'elle-même comme par magie et que la cabine se mit en mouvement pour gravir la colline de son chef, comme mue par une volonté propre.
-On dirait que ça vous en bouche un coin, pas vrai, les mioches ? Encore un truc que votre crétin d'Inquisiteur et sa clique n'auront jamais. Une fierté pour les Spadois que d'avoir remis en marche l'ancien funiculaire. Nous pouvons en remercier Ravagnan ! Ce vieux schnock est un vrai génie !
Thomas se contenta de lever les yeux au ciel, agacé par le soliloque de l'homme.
-Je vois. Pas bavards, hein, les gamins ? Vous en faites pas. On a déjà délié des langues plus coriaces que les vôtres! On a de l'expérience en la matière, faites-nous confiance...
Cette menace n'effraya pas plus Thomas que moi. Nous n'avions strictement rien à nous reprocher. On aurait beau nous accuser des pires crimes, des intentions les plus viles, nous ne pourrions rien faire de plus que clamer notre innocence. Soudain, alors que la forêt qui recouvrait les flancs de la colline défilait sous nos yeux, un cri lugubre retentit, faisant se dresser mes cheveux sur ma tête.
-La Bête ! balbutia un des soldats, blême de terreur.
-Silence ! lui intima son chef, tentant de percer l'épaisseur de la végétation de ses yeux plissés.
La cabine s'arrêta aussi soudainement qu'elle avait démarré. Un silence pesant tomba, troublé seulement par les grognements de la bête qui rôdait au dehors, toujours invisible. Tout à coup, au grand soulagement général, la machine se remit en marche et nous pûmes poursuivre notre ascension. Les soldats tremblaient de tous leurs membres, comme s'ils avaient frôlé un démon en personne. Pour ma part, les images de ma rencontre avec le grand loup noir me revinrent, m'arrachant un désagréable frisson.
Plongée dans mes souvenirs, je ne remarquai que tardivement que nous étions arrivés à destination. Je quittai sans regret la cabine, soulagée de retrouver l'air libre et la terre ferme. Un splendide bâtiment tout de verre et d'acier nous faisait face, éclairé par un étrange ballet de lumières mauves, vertes et écarlates.
A l'intérieur régnait une chaleur tropicale, contrastant avec le froid glacial du dehors. Les soldats nous firent longer une série de bassins remplis d'eau bouillonnante jusqu'à arriver devant une piscine circulaire dans laquelle barbotait un homme d'âge mûr. Notre arrivée parut le contrarier. D'un claquement de doigts nonchalant, il congédia les deux jeunes femmes aux courbes généreuses qui se baignaient à ses côtés.
-Jamais on ne peut être tranquille ici, grommela le nageur, avec mauvaise humeur. Allez, les filles ! Ouste ! La trempette est finie pour ce soir. Allez vous rhabiller. Je vous retrouverai tout à l'heure.
Les deux sirènes, en tenue d'Eve, sortirent gracieusement du bassin avant de s'éclipser en trottinant.
L'homme s'extirpa à son tour du bassin, offrant à notre vue son énorme corps aussi gras et poilu que celui d'un ours.
-Alors ? Qu'avons-nous là ? Pourquoi m'avoir dérangé pendant mon bain ?
-Excusez-nous, Monsieur Henrotin. Ce sont deux assassins que nous venons de coincer en ville. Deux de plus, j'en ai bien peur Nous avons cru bon de vous les amener. Mais ceux-ci me paraissent bien jeunes et bien stupides. L'Inquisiteur n'hésite plus à envoyer des enfants pour tenter de vous éliminer comme vous pouvez le constater, Monsieur le bourgmestre.
Le bourgmestre de Spa renifla bruyamment. A mon grand soulagement, il se décida enfin à se draper d'une serviette.
-Tenez, ils avaient ceci sur eux.
Le soldat tendit la lettre froissée et tachée de Tante Louison. Henrotin, d'une main hésitante, craignant peut-être un piège, hésita quelques instants avant de s'en emparer du bout de ses doigts boudinés.
-Hum, marmonna-t-il après l'avoir lue attentivement. Voilà qui est curieux. Libérez-les, Lardinnois.
-Je vous demande pardon, Monsieur le bourgmestre ?
-Je vous ai dit de les libérer, crétin ! Vous êtes sourd ou quoi? Ceux-ci ne sont pas des tueurs envoyés par Pangelpique. C'est même un précieux cadeau que m'envoie une très vieille amie.
Le dénommé Lardinnois regarda le bourgmestre, effaré, comme si ce dernier avait perdu la raison. Néanmoins, il obéit sans broncher et trancha les liens autour de nos poignets endoloris.
J'accueillis avec joie cette issue si favorable au malentendu dont nous venions d'être victimes.
-Je vous demande pardon, les enfants. Les gars de la Patrouille des Castors sont nerveux en ce moment. Rendez-vous compte ! Rien que l'année dernière, on a attenté à ma vie pas moins de cinq fois. Heureusement, aucun de ces coquins n'est encore parvenu à avoir ma peau. Bien que le dernier ne soit pas passé loin du but.
Il nous désigna une longue balafre fraîchement cicatrisée qui courait depuis la racine de ses cheveux jusqu'au bas de son dos.
-Grâce au Ciel, j'ai la peau plus dure qu'ils ne l'imaginent. Lardinnois, allez maintenant. Laissez-moi seul avec les gamins. Je ne risque rien, je vous l'assure. Rejoignez les autres qui patrouillent autour du bâtiment. Et ouvrez l'œil. Au cas où la Bête se déciderait à venir nous rendre une petite visite.
Lardinnois hocha la tête avant de s'en aller au pas de course, suivi de ses camarades. Henrotin les regarda partir avant de replonger dans son bassin comme l'aurait fait un énorme crapaud regagnant sa mare.
-Venez mes rejoindre les petits amis. N'ayez pas peur de vous baigner tout habillés. Vous puez comme des rats morts et je subodore que vos vêtements aussi auraient besoin d'un bon nettoyage. Venez donc et racontez-moi tout !
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En dépit de son apparence repoussante, Marc Henrotin se révéla vite être un homme affable, cultivé et rempli d'humour. Bref, il s'agissait d'un homme de fort agréable compagnie.
Après que Thomas lui eût narré nos aventures, le bourgmestre de Spa demeura silencieux quelques instants, se grattant le menton d'un air songeur.
-Pauvre Louison ! dit-il d'une voix teintée d'émotion. Espérons qu'elle et ses enfants aient pu échapper aux sbires de l'Inquisiteur.
Ses yeux émeraude pétillant d'intelligence se voilèrent de tristesse et d'inquiétude.
-Eh bien, Monsieur Henrotin, déclara soudain Thomas. Que pouvez-vous faire pour Morgane ? C'était bien la volonté de Louison que je conduise Morgane jusqu'ici pour la remettre à votre protection, n'est-ce pas ?
Henrotin réprima avec peine un bref tic nerveux qui n'échappa pas à ma vigilance pour autant.
-Hum. En des temps plus cléments, sans doute aurais-je dit oui sans hésiter. Tout ce qui est en mesure de contrarier l'Inquisiteur et sa clique de vermine ne pouvant que me réjouir. Cependant, comme vous avez déjà pu le remarquer, je suis moi-même en grand danger, dans ma propre ville ! Je crains de ne pas pouvoir garantir à cette petite toute la sécurité qu'elle mériterait d'avoir. J'en suis navré, mais le plus sage pour vous serait de fuir au plus avant qu'il ne soit trop tard.
-Trop tard ? Que voulez-vous dire ? m'écriai-je, désemparée.
Henrotin leva un sourcil.
-Vous n'avez pas encore compris ? L'Inquisiteur Pangelpique veut se débarrasser de moi à n'importe quel prix. Il veut s'emparer de cette ville à tout prix. Or tant que je suis en vie, il sait que ses chances de victoires seront compromises. Dès qu'il sera parvenu à m'éliminer, je crains que Spa ne tombe rapidement entre ses mains. Mais attendra-t-il seulement mon trépas avant de passer à l'attaque ? Sa patience doit avoir ses limites et les échecs répétés de ses assassins doivent déjà l'avoir sérieusement émoussée. En clair, la guerre est bien plus proche que vous ne le croyez, les enfants. Ignace n'a jamais été un homme tempéré, vous savez.
-Ignace ?
-Ignace Pangelpique, l'Inquisiteur de Liège. Ce n'est rien d'autre qu'un ambitieux qui fut un jour missionné par l'Eglise catholique pour restaurer la foi en Dieu après le Grand Effondrement. Il s'est si bien acquitté de sa tâche qu'il a fini par s'emparer du pouvoir dans la cité et même au-delà. A présent, plus personne n'ose véritablement contester son autorité. Les rares qui essayent encore finissent généralement dans une geôle sordide et on n'entend plus jamais parler d'eux. J'ai presque honte de l'avouer, mais jadis, j'avais un accord avec Pangelpique. Il administrait sa ville comme il l'entendait et moi de même. Nous avions chacun à nos côtés suffisamment d'hommes prêts à se battre jusqu'à la mort pour nous défendre et personne n'avait intérêt à ce qu'un conflit éclate. Cependant, les ambitions de Pangelpique n'ont cessé de grandir ces dernières années. Il s'est enhardi et n'a cessé de vouloir agrandir sa zone d'influence. C'est alors qu'il m'a proposé de me placer directement sous son autorité, comme un fidèle vassal, ce que j'ai bien entendu refusé. Il n'a pas manqué d'en prendre ombrage, naturellement. Depuis ce jour, il n'a cessé de me dépêcher ses tueurs. Je suis devenu gênant, un caillou dans sa chaussure, un insecte à écraser au plus vite.
Les doigts boudinés du bourgmestre Henrotin se mirent à tapoter nerveusement le bord du bassin.
-L'Inquisiteur Pangelpique est devenu fou. Il ne recule devant rien pour asseoir son pouvoir. Rien ne lui fait peur. Ses hommes parcourent maintenant même les lieux les plus isolés et les plus paisibles pour y faire régner la terreur.
Le souvenir de mon père froidement assassiné par ces barbares revint brusquement à ma mémoire, me contraignant à un grand effort pour ne pas éclater en sanglots. Thomas, pour sa part, baissa la tête, comme honteux d'avoir servi ces mêmes assassins.
-Pourquoi Pangelpique veut-il absolument s'emparer de cette ville ? Possède-t-elle un quelconque intérêt stratégique ?
La question de Thomas arracha un sourire forcé au bourgmestre.
-Oh oui. Cette ville est même capitale pour la survie de l'Inquisiteur. Mais nous n'avons pas le temps de nous lancer dans un exposé sur le sujet. Nous en reparlerons une autre fois, si vous le voulez bien. Je tombe de sommeil et je meurs d'envie d'aller me coucher.
Il bailla à s'en décrocher la mâchoire et fit mine de quitter le bassin. Thomas l'en empêcha.
-Une minute, Monsieur le bourgmestre. Nous n'en avons pas fini. J'ai promis à Louison de conduire Morgane jusqu'ici, afin qu'elle y soit en sécurité. Je ne manquerai pas à ma parole.
Le teint d'Henrotin vira au cramoisi.
-Vous n'avez décidément pas compris ce que je viens de vous dire ? Mes espions m'ont informé de manière catégorique que l'assaut des troupes de l'Inquisiteur sur Spa était imminent. Avant que l'année ne s'achève, la guerre sera à nos portes. Et nul ne peut prédire quelle en sera l'issue. Je vous le répète : partez vite d'ici avant qu'il ne soit trop tard. Je ne peux rien de plus pour vous. Adieu.
-Vous dites ça parce que vous êtes un lâche, Henrotin, voilà tout ! Vous avez peur, avouez le donc.
Je sentis qu'Henrotin, confronté à l'insolence de Thomas, faisait d'énormes efforts pour contenir sa colère et ne pas appeler sa garde à la rescousse.
-Vous gagnerez cette guerre, Henrotin, j'en suis certain, n'ayez aucune crainte.
-Et qu'est- ce que tu en sais mon garçon ? L'Inquisiteur me voue une haine féroce. Nous avons lui et moi de vieux comptes à régler. Il utilisera tous les moyens à sa disposition pour nous anéantir. Saturnin le Magnifique et ses chevaliers de Saint-Lambert seront de la partie à n'en point douter.
-Je ne crains pas Saturnin. Je suis le seul à l'avoir déjà affronté et à être parvenu à faire couler son sang. Il n'est pas invincible. J'en sais quelque chose.
Je contemplai Thomas, muette d'admiration, sans toutefois comprendre qui était ce Saturnin auquel il était fait allusion.
-Je resterai à vos côtés pour affronter les troupes de l'Inquisiteur. Et nous les vaincrons, je vous en fais la promesse, Monsieur le bourgmestre.
Ce dernier fronça les sourcils.
-Ainsi donc, c'est toi, le gamin qui est parvenu à faire saigner Saturnin. J'ai entendu parler de cet exploit, naturellement. Mais de quel côté es-tu mon garçon ? A quel jeu joues-tu ? Qui est ton maître ?
-Je n'ai pas de maître. Je mène désormais ma vie comme bon me semble et personne ne me dictera plus jamais ma conduite. Cependant, je suis prêt à me mettre momentanément à votre service afin de vous aider à remporter cette guerre et pour que vous puissiez offrir à Morgane le destin qu'elle mérite.
-Tu sembles tenir beaucoup à cette gamine, mon garçon. Pourquoi ? Tu prétends n'avoir aucun maître et pourtant tu t'es mis à son service comme un fidèle chevalier servant sa princesse. Peut-être fais-tu ça par pur altruisme ? Ou espères-tu ainsi racheter tes fautes passées ?
La mine déconfite de Thomas indiqua à Henrotin qu'il avait fait mouche.
-Faire le bien uniquement pour espérer obtenir sa misérable petite place au Paradis, j'appelle ça de l'hypocrisie. Or, cette pauvre petite Morgane ne mérite-t-elle pas autre chose qu'un faux-jeton de ton espèce à ses côtés ?
Cette idée me révolta. Thomas m'aimait-il vraiment ? M'avait-il sauvée uniquement pour assurer son propre salut ? J'en frémis de colère.
-Mais bon, soit. Je n'ai pas le loisir de refuser les services d'un vigoureux jeune homme comme toi, aussi troubles que soient ses intentions. Je suis prêt à te donner ta chance. Et si nous parvenons à vaincre une bonne fois pour toute la clique de Pangelpique, je te promets que je ferai mon possible pour assurer la protection de Morgane.
Thomas laissa échapper un soupir de soulagement.
-Mais avant que je ne daigne t'accorder une place parmi mes troupes, il va falloir me prouver ta valeur. Il se trouve que nous sommes actuellement confrontés à un problème d'importance...
-Quel genre de problème ? demanda prudemment Thomas.
Comme pour répondre à sa question, un hurlement bestial monta de l'extérieur du bâtiment. Henrotin bondit hors du bassin alors que Lardinnois déboulait au pas de course, le visage figé en un masque de terreur.
-La Bête ! Elle est revenue, Monsieur le Bourgmestre ! Elle est toute proche !
-Je sais ! Je ne suis pas sourd, Lardinnois ! Mais qu'attendez-vous, bon sang ? Lancez-vous à ses trousses immédiatement ! Pff ! Mais qu'est-ce qui m'a fichu une pareille bande de mauviettes ? Heureusement, ce garçon est un grand guerrier qui a accepté de traquer pour nous la Bête de Bérinzenne.
Il désigna Thomas d'un geste théâtral.
-Lui ? Mais c'est...un enfant ! protesta Lardinnois.
-Un enfant qui a plus de cran qu'un vétéran tel que vous Allez, filez maintenant. Je vous ai assez vu, espèce de poltron.
Piteux, Lardinnois quitta les lieux, non sans avoir lancé à Thomas un regard lourd de reproches et de jalousie.
-De quoi s'agit-il ? Quelle est cette bête ? interrogea Thomas d'une voix ferme.
Henrotin se racla la gorge.
-On ne sait pas. Mais ça fait des semaines qu'elle terrorise les Spadois. Son mode opératoire est toujours le même. Elle effraye les habitants pour leur soutirer leurs maigres provisions à la tombée de la nuit. Ceux qui l'ont rencontrée racontent tous la même histoire : la Bête se présente toujours à la tombée de la nuit et peu ont l'audace, voire la folie, de lui tenir tête. Jusqu'ici, elle n'a encore tué personne mais on craint que, tôt ou tard, elle ne se décide à dévorer quelqu'un.
-A quoi ressemble-telle ? Vous devez bien avoir une idée du genre de monstre dont il peut s'agir ? Pourquoi l'appelle-t-on la Bête de Bérinzenne ?
-Les différents récits semblent converger. Il s'agirait d'un loup gris d'une taille gigantesque. Si on l'a surnommé ainsi, c'est que le premier à l'avoir aperçu était un vieux berger faisant paître son troupeau là-haut, en bordure des Fagnes, près du domaine de Bérinzenne. L'homme a juré n'avoir jamais vu de bête aussi grande que celle-ci. Pire que tout, les soirs de pleine lune, toujours d'après ce même berger, la Bête se montrerait en compagnie d'un homme capable de la contrôler et de la forcer à obéir au moindre de ses ordres. La Bête n'est en effet qu'une partie du mal qui rôde en ces terres. Le vrai danger provient de son maître. Ombre Lobo comme disaient les Anciens. Autrement dit un homme-loup, ou un loup-garou, si vous préférez. C'est lui le vrai responsable de notre malheur. Lui qu'il faut identifier au plus vite afin de le détruire.
-Et vous voudriez donc que je vous débarrasse de ce monstre et de son maître, n'est-ce pas ?
-C'est exact, mon cher ami. Ramenez-moi la peau de la Bête ainsi que la tête de son maître et vous aurez gagné ma confiance. Un honnête arrangement entre gentilshommes n'est-ce pas ?
Henrotin parlait-il sérieusement ? Thomas allait devoir courir un terrible danger s'il s'entêtait à se lancer dans cette chasse insensée. Ma propre rencontre avec le grand loup noir était encore bien trop fraîche dans mon esprit. Mais il était déjà trop tard pour dissuader mon ami de sceller leur accord avec le bourgmestre. Tous deux venaient déjà de se serrer la main d'une poigne de fer.
La chasse était ouverte...
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